something borrowed (Emile)

L'enfant naît en banlieue de ce qui était appelé New York, à l'époque. De parents anglais, de classe moyenne, il fréquente l'école publique. Il n'écoute jamais vraiment en classe, mais a de bonnes notes; il a de fréquents accrochages avec d'autres élèves qui se moquent de son accent; et pour une fois dans sa vie, il refuse de plier. Les visites se font plus fréquentes au bureau du directeur, et les retenues aussi.

Il est plutôt solitaire et ses parents sont inquiets.
Il est plutôt brillant, et ses parents sont fiers.

Les sports d'équipe sont un échec complet; non seulement il déteste courir comme un poulet sans tête après un ballon (quelle incommensurable perte de temps et d'énergie) mais en plus il déteste ses coéquipiers. Sauf peut-être un. Jury's still out.

Les cours de musique sont... intéressants.
Et de courte durée; l'apprentissage de la trompette n'est pas forcément facile, et traverse facilement les murs de la maison. Emile est déçu; la décision de ses parents est sans appel.

Le club d'échecs est un échec.
L'ennui est tel qu'il perd de sa propre volition après quelques rounds.

Et le club de sciences devient sa maison. Enfin, après des années d'essais et erreurs, de bagarres avec les autres élèves, de crises de mutisme à l'heure de quitter la maison pour les activités parascolaires, Emile ne voudrait plus jamais rentrer chez lui. Il a des amis, il participe à toutes les activités du club, en deviendrait président s'il le pouvait.

Emile a onze ans lors de la formation des Sept. Les murs de sa chambre d'enfant sont recouverts de posters, et il ne rate aucun épisode télévisé qui leur est dédié. Qu'est-ce qu'il aimerait être un superhéros, lui aussi !
Mais son enthousiasme d'enfant n'est évidemment pas partagé par tout le monde. Il a treize ans, lorsque la guerre civile éclate. L'insécurité est telle que sa famille boucle ses valises et en profite pour faire un séjour prolongé à l'hôtel; à peine quelques jours plus tard, la ville est partie en fumée. Ils ont tout perdu, comme tant d'autres habitants, et ont pourtant évité le pire. La perte de leur maison et de la majorité de leurs biens, couplée au krach boursier qui suit, les pousse à emménager à Millers Falls, un petit village peu peuplé non loin de Springfield, MA et de la frontière avec le New Hampshire.

Pas d'école secondaire à Millers Falls; il doit se rendre jusqu'au village voisin. Pas de club de sciences non plus, ou du moins, pas jusqu'à ce qu'il décide d'en fonder un. Le district scolaire a peu de moyens; les gamins rivalisent d'ingéniosité pour faire des expériences maison avec les moyens du bord, créent des batteries à base de pommes de terres, et examinent les entrailles de vieux appareils électroménagers bons pour la casse dans l'espoir d'en comprendre le fonctionnement.

À ses quinze ans, Emile obtient un petit boulot, payé trois fois rien, dans un petit magasin d'électronique qui répare des électroménagers et autres appareils, et apporte de l'aide aux habitants du village avec leurs ordinateurs et imprimantes.
Le propriétaire le laisse conduire le vieux camion dans le village pour aller voir des clients ou récupérer des commandes au bureau de poste, même s'il n'a pas encore son permis de conduire.

Il ne sait pas comment c'est arrivé. Pourquoi la ceinture lui scie le torse, pourquoi le sang lui monte à la tête. Il y a des éclats de verre jusque dans son t-shirt, lacéré à plusieurs endroits; il détache sa ceinture et tombe sur le coussin gonflable.
Il ne sait plus trop, après ça.
Mais on lui a dit que c'est un miracle qu'il n'ait eu que les côtes fêlées, vu le choc.

Après les études secondaires, Emile se tourne vers l'avenir; vers des études d'ingénierie, sans surprise. Un baccalauréat en génie aérospatial à l'école Polytechnique de Montréal, d'abord, avant de se diriger vers MIT pour compléter une maîtrise en génie mécanique, au bonheur de ses parents. Après tout ce temps, ils ont plié bagage et se sont réétablis en ville, dans un condo à proximité de l'université. Malgré la présence d'une chambre pour Emile, ce dernier préfère habiter les résidences étudiantes pendant sa maîtrise et leur rendre visite pendant ses (maigres) temps libres.

En parallèle de son doctorat, toujours à MIT, il parfait ses connaissances en génie électrique et sciences informatiques, s'implique dans plusieurs projets de recherches multidisciplinaires. C'est là qu'il fait la rencontre de Louella; vive, intelligente, un accent du Sud à couper au couteau. Rarement l'un sans l'autre, à la bibliothèque, au laboratoire, dans le petit appartement qu'ils finissent par louer ensemble. C'est la première fois qu'Emile est amoureux. Sens dessus-dessous, le coeur si léger qu'il risquerait presque de s'envoler; leurs personnalités se complètent; leurs champs d'expertise aussi. Ils se voient lancer une start-up et révolutionner le monde, parfois, aux petites heures de la nuit alors qu'ils planchent tous deux sur leurs thèses.

Et puis tout juste avant sa graduation, Emile reçoit une invitation pour des études post-doctorales à New-Blossom. La ville construite sur les cendres de New York; le QG des deux plus grandes corporations mondiales. Il pense à toutes les possibilités qui s'offriront à lui, à elle, à eux. Lui montre la lettre officielle avec fierté, avec excitation, sans se douter un seul instant que la réponse sera non. Non, je n'irai pas à New Blossom avec toi.

Avant même que la relation en devienne une à distance, elle s'étiole. Se referme avec chacun des cartons qui s'empilent dans le salon de leur appartement, avec la maladresse des aurevoirs, pour se conclure lorsqu'Emile ferme la porte pour une derrière fois, sa clé posée sur le comptoir de la cuisine.

Ça ne ressemble en rien à la ville qu'il a quittée vingt and plus tôt. Tout est neuf, brillant, lumineux; les quartiers sont méconnaissables, les gens aussi. Emile se fond à la masse des New Blossomers comme s'il y avait toujours été; comme si la cité n'avait jamais été rien d'autre.
Le coeur brisé est ignoré au profit de son déménagement, de ses recherches, des nouveaux collègues, des amitiés superficielles qui se forment peu à peu et deviennent (parfois) plus sincères.

Et il découvre - pas pour la première fois peut-être - par le biais de forums dédiés à la robotique, tout un univers clandestin, dédié aux mods et aux altérations; où certains se vantent de leurs inventions, y publient des codes et des plans, offrent de supposées inventions miracles au plus offrant.

D'abord observateur méfiant, il en vient à repérer les erreurs dans les codes des autres; à améliorer leurs constructions, pour lui-même; à en tester quelques-uns avec des pièces inutilisables du laboratoire universitaire.

Et lorsqu'elles ne suffisent plus, il devient débrouillard.

Pas le seul à zoner dans les décharges industrielles (et publiques), il évite au mieux les conflits, se fait casser la gueule quelques fois - et sa mutation est bien pratique pour éviter le plus gros des dommages, même si pas tous - avant de comprendre comment négocier, qui éviter, comment mettre à profit ses déchirures pour échapper aux agents de sécurités et aux autres explorateurs à la recherche de trésors.

S'il est peu connu dans l'underworld, il n'est pas rare que des messages arrivent pour FARADAY à la recherche de solutions (ou bien dans le business de distributions de menaces, messages qu'il s'empresse de supprimer après avoir redoublé de précautions pour dissimuler son compte), et les quelques centaines de dollars qui en ressortent sont immédiatement réinvestis dans la construction de mods, dans l'espoir d'un jour en vendre les plans de façon plus... légitime.