J'ai bien étudié le pouvoir des pierres, a priori le plus efficace pour éloigner les cons, ça reste le parpaing (Willow)

Tu fais rarement le coursier, d’autant moins pour des organismes ou des entités publiques, parce que ce serait la course perpétuelle et parce qu’ils ont du personnel pour ça. Il t’arrive de livrer un livre ancien, ou une publication récente, pour des clients particuliers, empêchés ou particulièrement réguliers, mais c’est de l’ordre de l’anecdotique. Toutefois, tu aimes faire une exception de temps en temps, soit que tu passes à proximité et ça te donne une bonne excuse pour ne pas être présent – tes employés gèrent très bien la boutique, tu ne t’inquiète pas pour ça – ou parce que tu vas à l’université, livrer la responsable du département Histoire. Willow a cette familiarité à travers les âges qui te donne une impression de douceur – avoir un point d’ancrage récurrent est rassurant, surtout à vos âges, où tout bouge très vite, s’éloigne de tout et que les pertes sont, finalement, plus nombreuses que les amitiés restantes.

Tu réussis à passer l’entrée, louvoyer entre des groupes agglutinés de ce que tu penses être des étudiants – certains ont l’âge d’être tes petits enfants, ce qui n’est pas peu dire –, un employé qui attend devant un ascenseur avec un chariot vide devant lui, et l’air profondément ennuyé, et enjamber des paires de jambes à n’en plus finir d’étudiants avachis dans le couloir avec un air revêche de jeune sachant. Tu finis enfin par pousser la porte de la BU d’histoire, et dépose ton carton sur le comptoir de prêt – probablement surtout destiné à servir de lieu de renseignement et de soupirs pour un étudiant employé qui a pris ce travail pour arrondir ses fins de mois et en a marre d’expliquer comment se connecter au portail. Tu lui souris, tapote la boîte et lui dit que c’est pour la responsable. Il t’observe un moment, s’ensuit un échange de regards – qu’il racontera peut-être par la suite comme ayant été une bataille – ou il ouvre la bouche, soupire, regarde la boîte et hausse les épaules. Le reste de l’échange est aussi pénible pour toi que pour lui – mais tu as connu ton lot d’administratifs fatigants et fatigués, et lui doit bien céder grâce à un éclat de sérieux et s’en va taper appeler la conservatrice, en te disant qu’elle n’était sûrement pas là.

Tu respectes la quiétude des lieux, et ne rend la salutation que par un léger sourire et un « Partagé. » aussi bas que les mots de Willow. Tu poses une main sur le carton, dont les coins sont uniquement rabattus entre eux pour l’empêcher de s’ouvrir. « Les reliquats de la dernière commande, ça a mis du temps à arriver, l’éditeur a dû réimprimer. » Tu souris tranquillement, la tête sensiblement penchée sur le côté, ton regard se posant un instant sur l’étudiant ennuyé de vous voir squatter son espace de travail plutôt que d’aller discuter plus loin. « Et une partie de la dernière commande, le reste devrait arriver mardi. » Tu souris au gosse, retourne ton attention sur l’originelle, tu tires le carton à toi et le reprend dans tes bras. « Tu as le temps pour m’offrir un thé ? » Tu n’as jamais été très tourné vers le café, mais tu n’aimes généralement pas celui qu’on peut trouver à New Blossom, dans le pays en général, d’autant moins quand il venait de machines bon marchés ou de distributeur, quant au thé, tu fais confiance à Willow pour en avoir de qualité potable.

Tu lâches un soupir exagérément dramatique. « Du vrai thé ? Le dernier apprenti met un sachet dans une tasse et fait chauffer le tout au micro-ondes. » Tu trottines paisiblement à ses côtés, la démarche presque rebondissante. L’envie d’enfoncer tes mains dans tes poches se fait forte, à présent qu’elles sont débarrassées du poids des livres – elles te servent cependant plus à exprimer ton désarroi par des gestes trop larges. « Tu imagines Willow ? Au micro-ondes ! » Tu te glisses comme un chat dans le bureau, observe les chaises, et va t’asseoir sur celle qui se trouve la plus éloignée de la porte. « Moi ? Ca va, ça va toujours bien. » Tu réponds tout sourire – ce n’est pas vrai, tu es déjà allé voir Willow plus d’une fois parce que tu avais trop joué avec tes cellules et attrapé pour la énième fois la varicelle ou la variole – mais ton état actuel était plutôt impeccable, surtout pour quelqu’un de ton âge. « Enfin, c’est un peu le foutoir de fin d’années, tu vois. Tout le monde se réveille à la dernière minute sans savoir quoi acheter et se jette sur des trucs hors de prix à défaut d’être bien choisi. » Un laïus habituel, qui n’était même pas spécialement actuel, puisque l’envie du paraître était intergénérationnel. « Et toi ? Tout va bien ? Tu as des nouvelles choses à raconter ? » Tu poses tes mains sur tes genoux, toujours tout sourire, la quittant un instant des yeux pour observer la bouilloire qui sifflait sa fin. « Je crois que William va bien, aussi. » Tu retournes ton attention sur Willow, redressant ton dos et joignant tes mains entre elles pour amorcer un étirement.

« Il faut faire plus de gestes, mettre plus d’eau, réfléchir plus longtemps, attendre. » Tu hausses les épaules, soupirant entre chaque idée pour bien appuyer tout le mal que tu pensais de cette pratique barbare. Tu es gré d’ailleurs de la délicatesse de Willow de ne pas rebondir sur ton mensonge et d’appuyer tes éclats outrés ; elle a toujours été, parmi les survivants, celle que tu appréciais le plus. « Tout est à portée de main et facilement fait, c’est plus facile. » L’arrivée de tout ce qui était production à la chaine intensive, le fordisme et toutes ces techniques industrielles qui avaient révolutionné la consommation et l’accès des gens à la plupart des produits avait bousculé de beaucoup votre façon de voir et faire les choses. Lorsque la création d’un produit ne prenait plus des heures pour un ou quelques unités, cela changeait tout.

« Des jeunes ? Tu vas les aider ? » Tu souris, ignorant à dessein la question sur William ; ton premier fils apparaissait et disparaissait au gré de ses lubies, que les autres l’aient oublié arrangerait probablement beaucoup de monde. « Ils viennent directement à toi ? » La plupart de tes propres descendants, outre Martin, ne te connaissaient pas ; tu avais quelques exceptions, auxquels tu te présentais comme une lointain cousin plutôt que comme l’aïeul – cela était parfois meilleur pour ton ego, et cela évitait d’avoir trop de problèmes ; la plupart des mutants qui se découvraient true blood lorsque ce n’était pas connu ne tenaient pas spécialement à ce que cela se sache non plus, et n’iraient pas pointer du doigt une autre personne dans leur cas. Tu piques un gâteau dans la boîte présentée plus tôt par Willow et attrape la tasse qu’elle te tend, avec un merci. « Bah. » Il y avait un peu trop de CERBER qui fréquentaient ta boutique, mais c’était la rançon de la gloire, n’est-ce pas. « Ouais. Je crois qu’il y a une colonie de rats dans ma boutique. » Tu fronces le nez, trempe le gâteau. « Enfin, t’inquiète pas pour ta commande, hein. » Ta tête dodeline un peu, observant le gâteau qui s’effrite peu à peu dans le thé. « Je me demande si je ne vais pas repartir dans les prochains mois. » Une idée jetée en l’air, mais cela faisait des années que tu étais dans cet Etat, il était peut-être temps d’aller voir ailleurs si tu y étais. Encore que, tu avais une petite vie confortable avec les Fitzsimmons. « Pas pour tout de suite, mais j’ai l’impression que quelque chose va éclater. Tu ne trouves pas ? » Tu sors le biscuit, essayant de rattraper les morceaux avant qu’ils ne retombent dans la tasse.

« Oui, c’est vrai. » Tu marmonnes, observant un instant tes doigts. Tu t’étais habitué au confort moderne ; si tu étais persuadé de pouvoir survivre sans électricité, ni appareils, ni tout l’ultra confort actuel, tu regretterais amèrement les lits bien comme il faut, la rapidité de tout qui s’allume et s’éteint rapidement ou les moyens de transport efficaces. Une plaie que de devoir prévoir à l’avance tout déplacement lorsqu’on peut monter dans une voiture et être dans la demi-heure 50km plus loin que la position initiale. Cela avait terriblement facilité tes possibilités de fuite – même si les voitures et autres transports personnels laissaient des traces, il y avait tellement plus de chance de distancer, au moins temporairement, ceux qui pouvaient avoir quelques soupçons. « Il y a quand même eu quelques bonnes choses, qu’est-ce que j’aurais pas fait pour un briquet ou des allumettes, quand même. » Tu souris à tes doigts restants que tu agites et te redresses pour observer l’émotion traverser brièvement la voix et les yeux de Willow ; tu as toi-même redécouvert des descendants au fil des ans, et parfois fait le choix de les laisser à eux-mêmes, encore que l’inverse reste tout de même la norme. Tu tends les deux mains pour accueillir ta boisson, dodelinant du chef tandis que tu humes les effluves du thé. « Mmmh ? Ton fils ? »

Tu soupires dramatiquement lorsqu’elle rebondit sur les rats – son rire est communicatif, tu glousses toi-même, autant au souvenir de la situation un peu étrange et très malaisante avec l’inspecteur Kim que parce que, sérieusement, des rats. « Ouais, et des souris. Mais le… » Tu gonfles les joues et finis par hausser les épaules, était-ce important de parler des histoires de cœur et breakdown émotionnels de tes employés et leurs conjoints ? « Un pauvre gars qui parle aux rongeurs a décidé de les adopter et partir avec. » Tu avais eu quelques nouvelles, par la suite, certaines étaient même parties rejoindre d’autres maisons.

« Boh ! tu sais que la civilisation se rappelle bien vite à nous. » S’isoler ou vivre en ermite, quitter les grandes villes qui se formaient de plus en plus avec la montée de l’industrialisation, se mêler à des communautés prônant une certaine forme d’exclusion, tout cela avait été tenté, mais le reste du monde finissait généralement par arriver, rarement de la bonne manière. La guerre, la maladie, les préjugés, la pauvreté, la paupérisation, l’industrialisation massive, la recherche avide d’éléments nécessaires à continuer à évoluer comme des métaux ou des bois rares ont détruit des villages, des lieux, des paysages. Bien sûr, cela n’était pas uniquement un phénomène datant de votre vie vécue, mais c’était là quelque chose dont vous avez été les premiers témoins. « Être dans l’œil du cyclone, par contre, je ne sais pas si c’est toujours le meilleur moyen de se protéger. » Tu prends le temps de quelques gorgées de thé. « Je crois avoir vu qu’on est assez nombreux à être ici, en ce moment. » Vous étiez devenu une légende et tu n’étais pas persuadé qu’il restait réellement une bande de fous furieux toujours à votre recherche, et New Blossom avait l’attrait de la nouveauté et de la technologie (et pour les plus revanchards, le meilleur endroit pour faire du mal à qui de droit), mais trop de monde au même endroit n’aidait en rien ta méfiance naturelle. « Enfin, j’espère me tromper. »