Memories of the past ~ Leta & Willow

Une journée bien remplie et le besoin de se faire pardonner, encore une fois ; Leta se retrouvait à passer les portes du Diner afin de commander un repas qu'elle prendrait à emporter. Si ses goûts fluctuaient en fonction des envies de l'une et de l'autre, elle savait que ceux de Seth n'allaient pas varier. Alors, elle pensait, pour une fois, lui offrir un diner qui équivaudrait presque à des courses convenablement faites.

Les nerfs fatigués par la vindicte, la Banshee s'avançait entre les allers du restaurant américain tandis que son regard céruléen passait sur les environs sans s'attacher aux visages. C'était la sécurité qui était visée, et absolument pas le plaisir de croiser une âme connue.

Prête à arriver au comptoir, son pas s'arrêtait en entendant l’apostrophe qui bouscula sensiblement quoiqu’irrémédiablement la principale concernée. Qui osait l'appeler Darla ? L'interrogation pensée n'obtenait qu'un silence circonspect. Ça les avançait bien, tien ! Le regard céruléen basculant alors en direction de la voix, Leta scrutait un moment Willow de cette façon qui laisse présager qu'on rencontre une âme pour la première fois.

« Pas vraiment.. Qui la demande ? » Demanda Leta, d'un timbre bien moins grave que celui de Darla. L'accent anglais absent trahissait une américanisation de la réincarnation. Elle n'avait rien de la Dame aux aspirations so British. Il n'y avait, en face de l'Originelle, qu'un pur produit américain.

Dans son ensemble monochrome constitué d’un pantalon et d’un haut surmonté d’un perfecto, Leta n'offrait de fantaisie qu'au niveau de sa cuisse droite. Là trônait un duo de dagues étincelantes retenues dans leur harnais.

Et tandis qu'elle observait encore longuement Willow, Darla semblait enfin la reconnaitre. Un éclat désincarné passait au creux des prunelles océanes de la Banshee tandis qu'elle plissait les yeux. « Mh.. Je vois. »

Leta ne connaissait pas Leah.
Tandis que Darla semblait vouloir faire face à cette ancienne amie emportée par le temps.
Pendant quelques secondes, la mine absente de Leta trahit sans équivoque un désaccord intérieur.

Ce n'était ni l'endroit, ni le moment pour opérer un changement.. Aussi subtile puisse-t-il être. Et puis, elle ignorait ce qui était advenue de Leah avec le temps.

Elle ignorait si elle pouvait encore lui accorder sa confiance.
Tout comme elle ignorait si Leah avait été en mesure d'accorder son pardon à Darla.

Si Leta ne semblait posséder tous les détails du différent qui reliait les deux anciennes, elle n'en ressentait pas moins la culpabilité de Darla, et cela l'étonna.

Parce que Darla n'était pas femme à culpabiliser.
Jamais.

« Que voulez-vous à Darla ? » Demanda alors Leta, pour comprendre. Pour décrypter.
Pour saisir le lien qui les unissait.

Lien qui se comprenait dans la superficialité de ce que concédait à livrer Darla ; Leta composait avec la surprise de l'Originelle et demeurait campée sur les fondations de sa suspicion. La paranoïa pour manteau habituel, la Mercenaire avait tendance à tenir en respect ceux qui clamaient les connaitre, l'une ou l'autre et parfois les deux.

Et parce qu'elle était tombée entre des griffes venimeuses, elle ne voulait laisser aucune porte ouverte à l'imprudence. Pourtant, Leta aurait pu jurer qu'entre les rues et ruelles de Crimson Bay, elle ne risquait rien.

Rien.
Ni personne.

Mais finalement, avait-elle véritablement à craindre de la blonde qui lui faisait face ?
L'observation minutieuse de la Banshee lui fit conclure que l'apparence laissait sous-entendre que Willow n'était pas dangereuse.. Mais dans toute l'ironie de ce qu'elle était, Leta savait mieux que quiconque que les apparences pouvaient être trompeuses.

Terriblement trompeuses.
Assez pour la forcer momentanément au silence alors même que Willow relevait ses mots lâchés à l’attention de Darla.

Oui.
Elle voyait.

Elle voyait que la jeune femme face à elle était une connaissance à Darla. Pour autant, est-ce que cela impliquait qu'elle devait baisser sa garde ? La Banshee n'en savait rien. Alors, en guise de réponse silencieuse, elle n'adressa qu'un sourire malicieux à son interlocutrice improvisée. Le genre de sourire qui, malgré elle, ressemblait bien plus à la Darla d'hier qu'elle ne pouvait le reconnaitre.

Car la malice avait toujours été leur fil conducteur.
La source de leurs plus grands amusements.
Et de leurs plus profonds malheurs.

Parce que c'était dans l'audace qui en découlait, que parfois, le drame frappait.

S'avançant d'un pas puis d'un autre à la question de Willow, Leta s'arrêta sous son nez et plongea son regard dans le sien tandis que la seconde d'après, les iris s'illuminaient d'une lueur irisée. La double vue laissait paraitre les fils de vie de Willow et révélait son enchevêtrement dans la trame. Un enchevêtrement qui trahissait son immortalité et par conséquent sa nature. Le regard suivant le chemin de quelques fils du destin, elle en revenait ensuite aux traits fins de la mutante.

« Dis-donc, vous êtes bien conservée.. » Sous entendait Leta avec un amusement à peine camouflé. Pourtant, derrière l'audace se cachait encore les reliquats paranoïaques de l'inquiétude. « Sinon.. » Qui était-elle ? « On va aller s'assoir. » Ça, ce n'était pas une réponse, et elle le savait. « Mais avant, je commande un petit capuccino. Vous permettez ? »

Et sans attendre, l'audacieuse se détournait pour aller au comptoir et passer sa commande. S'arrêtant au moment de payer, elle reportait son regard sur Willow. « .. Vous voulez peut-être un truc à boire, au passage ? »

La proposition faite, elle attendait une réponse avant de conclure sa transaction et d'emporter, l'instant d'après, son gobelet fumant en faisant signe à l'Originelle de lui emboiter le pas pour prendre place sur une banquette. Ainsi, elles pouvaient se retrouver face à face.

« Allez, vous pouvez m'appeler Leta. » Se présentait-elle enfin avant d'enchainer en plissant sensiblement les yeux, le regard changeant pendant une fraction de seconde trahissait sa réflexion. « Vous, c'est Leah, non ? » C'était du moins ce qu'elle avait saisi derrière le rideau brumeux des émotions de Darla. Observant sa tasse un instant, elle venait la humer pendant quelques secondes avant de relever son regard sur Willow.

« Vous voulez lui parler, à elle, pas vrai ? » Demandait-elle avec un certain naturel désarmant. Mais finalement, c'était surtout parce que Leta ressentait l'envie de son Originelle, à elle, qui souhaitait mener l'échange.

Tout cela parce que le temps avait passé.
Que les choses avaient changés.
Elles avaient changé.

Passé facétieux qui semblait vouloir se rappeler au bon souvenir d'une Darla enterrée depuis longtemps ; elle avait déjà eu le loisir de croiser certains de ses comparses, assez pour comprendre que les temps avaient changés.. Mais pas assez pour leur permettre de sortir de l'ombre. La mort pour destinée n'avait frappé qu'un nombre convenu d'Originels et finalement, c'était devant une des échappées que se retrouvait Leta.

Certes, la mercenaire se situait bien loin sur la ligne de temps des rencontres, pour autant, elle commençait tout juste à être tout à la fois curieuse et médusée face aux rencontres qui se faisaient grâce à Darla. A tort, la réincarnation avait longtemps considéré l'ancienne comme une garce glaciale et amère, mais plus le temps passait, plus elle découvrait ses sentiments.

Foule bigarrée qui bousculait Leta sur son passage, les émotions de Darla s'imprégnaient dans chaque fibre de la Banshee qui semblait peu à peu retrouver de ses couleurs dans un monde qui l'en avait pourtant dépourvu depuis des siècles.

Décidant alors de faire perdurer la rencontre entre Originelles, Leta se pliait au jeu d'un service aimable tandis qu'elle apportait finalement un thé pour ladite Leah et un capuccino pour son palais désapprobateur. Parce qu'au dedans, elle sentait déjà que Darla aurait également préféré déguster un thé.

Un bon de préférence.
Ce que le diner ne servait pas réellement.

« Ces anglais.. » Ronchonna Leta avec une impertinence qui lui appartenait tandis qu'elle s'installait sur une des banquettes.

La proposition de laisser place à Darla était faite alors qu'elle portait ensuite le gobelet fumant à ses lèvres afin d'en boire une gorgée. Un sourire se dissimula derrière le carton alors qu'elle haussa un sourcil devant l'hypothèse silencieuse de Willow.

Evidemment que c'était possible.
D'une manière aussi singulière que cavalière.
L’inversion des rôles était possible.

Une gorgée plus tard, c'était un rire qui lui échappait spontanément face à la touche d'humour de l'Originelle. « Ouais, non, j'ai la flemme de gérer vos vieilles histoires. » Répondit-elle ensuite du tac-o-tac avec naturel et désinvolture, mais sans moquerie vile. C'était juste un état de fait, sa manière à elle de gérer la dissonance des âmes qui habitait son corps.

« Y'a des gens qui trainent des valises dans leur vie.. Darla c'est plus un bon gros paquebot, du genre Titanic. » L'image avait quelque chose.. D'original, au moins, on ne pouvait enlever cela à Leta qui enchainait. « ..J'ai pas envie de compter les radeaux. » Soit.

Inspirant profondément, elle revenait boire une gorgée de sa boisson chaude tranquillement. « .. J'en profite, elle déteste ça. » Justifiait-elle avant d'adresser un clin d'œil à Leah et de reposer le gobelet.

Puis, naturellement, elle expirait lentement tandis que son regard bleu perdait peu à peu de sa coloration. Dans ses iris, la mer se cristallisait en un océan de glace tandis que ses traits devenaient plus sereins, plus impérieux et assurément moins effronté. Dans la posture, il y avait également une variation tandis qu'elle redressait autant le buste que le menton.

Le premier réflexe de Darla fut naturellement de claquer la langue contre son palais dans un signe de désapprobation franche.

« Je déteste le goût du café, tu le sais pourtant. » Jurait-elle avec un accent anglais que son timbre plus grave portait naturellement. « Mhmh.. »

Et puis finalement, le regard désincarné se portait enfin sur celui de Leah qu'elle dévisageait un long moment avant d'oublier la saveur outrancière du cappuccino.

« .. Leah, bonjour. » Saluait-elle enfin son amie avec un léger sourire contenu. Une foule de questions se bousculaient dans l'esprit de l'Originelle, et surement que la première était de savoir si elle la haïssait encore pour la perte de son époux. Même après tout ce temps.. Surtout après tout ce temps.

« J'ai envie de dire que cela fait une éternité, n'est-ce pas ? » Tentait-elle finalement, avec cette ombre d'amusement mutin qui lui ressemblait bien.

Cet amusement malicieux qui avait toujours été le sien.
Celui de la Darla d'autrefois.

Transition faite, non sans un sourire malicieux de la part de Leta ; le genre de sourire qui rappelait la fraicheur d'hier de Darla. Le genre d'attitude insolente et malicieuse que les épreuves et le temps lui avait arraché. Désormais, c'était d'ailleurs l'Originelle qui se trouvait face à Leah. Rencontre inattendue, Darla avait hésité avant de finalement céder à l'appel de Leta, parce que cela concernait immanquablement plus l'une que l'autre.

Et tandis que les salutations se faisaient, l'éternité ironisée arrachait un sourire bref à Darla qui levait une main pour accoster un serveur débordé.

« Un thé, s'il vous plait. Earl Grey. » Le ton sans appel et le regard gris rivé sur le jeune homme lui faisait acquiescer puis tourner les talons pour tenter de conjuguer au pluriel la multitude de ses taches.

Revenant accorder toute son attention à Willow, Darla croisait les jambes tandis qu'elle s'installait à son aise - à elle - sur cette chaise.  « Déconcertant.. Je n'aurai pas trouvé mieux comme mot pour définir la situation. » Et plus largement sa vie. Cela avait le mérite d'amuser Darla qui haussait brièvement les épaules.

L'étonnement des Originels, elle s'y était fait.
Elle était une figure d'outre-tombe ; le genre qui n'était pas sensée revenir.
Mais le destin était définitivement farceur.

La demande d'explication de son ancienne amie sembla particulièrement légitime à Darla qui ouvrit la bouche pour se voir interrompue par le serveur qui revenait avec un gobelet en carton. Le genre de chose qui fit grimacer l'Originelle tandis qu'elle échangeait l’objet contre un billet. « Gardez donc la monnaie. »

Et lorsque finalement, elle reporta son regard sur Leah, elle s'arrêta à nouveau tandis que son regard se nuançait d'un bleu plus vif. C'était subtile et rapide, assez pour amener Darla à dévier de son propos initial.

« Allons nous promener, tu veux ? » Se levant, elle ne laissa guère le choix à son amie tandis qu'elle se penchait vers elle. « Il y a trop de monde. »

Et tout ce monde possédait une multitude de pair d'oreilles. La paranoïa de la mercenaire ressortait et forçait la Banshee à agir en conséquence. Ainsi, elle guidait Leah avec elle en direction de l'extérieur afin de marcher tranquillement, là où personne ne ferait réellement attention à elles.

Marquant la pause un instant, elle gouta le fameux thé, soupira de dépit avant de décider de s'en contenter et de finalement reporter son regard sur Leah. « Comment dois-je t'appeler, à présent ? » Parce que Darla était assez lucide pour savoir qu'à l'instar des temps, les identités changeaient.

« Et pour te répondre, je suis bel et bien morte, mais les choses ne se sont pas exactement passées comme on pourrait s'y attendre. » L'idée même de songer à son enfer personnel créait un phénomène de repli, de froideur travaillée afin de ne pas céder au fatalisme cruel des siècles d'isolement qu'elle avait expérimenté. « Je pense même que la violence de ma mort a provoqué une déviance dans une de mes déchirures. » C'était cruellement factuel ; ainsi, Darla se portait hors de tout sentiment, de tout ressenti que pouvait provoquer le souvenir de sa mort et de son après.

« Mais pour plus de simplicité, nous pouvons dire que je me réincarne. » Confirma-t-elle en revenant porter son regard sur celui de Leah. « Une essence ou une âme pour une multitude de corps.. Leta est la dernière en date. Notre dissociation est un phénomène à part. Dis-toi qu'elle est moi mais je ne suis pas totalement elle. En somme, si je devais nous résumer, je dirais que l'autre, c'est moi. » Ce raccourcit eu le mérite de l'amuser un instant. Après tout, c'était à la fois clair et particulièrement nébuleux. Un mélange explosif.

Dans son avancée, Darla porta son regard sur les alentours avant de lever son gobelet pour boire une gorgée de thé. Le mouvement s’arrêta tout à coup tandis que son regard devint subitement céruléen et qu'elle se mit à observer Leah.

« L’autre c’est moi.. C’est ça ! Je dirais plutôt que Darla est la première version datée et sans mise à jour. Moi, je suis plus récente et plus performante. » Lançait Leta avant de laisser Darla revenir avec un rire mi-amusé, mi-dépité. « Mh.. »

Darla ne s'offusquait même pas d'être considérée comme un logiciel daté, parce qu'après tout, elle était fière de celle qu'elle était.. Tout comme Leta était fière de celle qu'elle était devenue.

« Visiblement, elle a envie d'ajouter des commentaires à l'histoire du Titanic.. » Commenta finalement Darla à l'attention de Leah mais également de Leta. Ça, au moins, c'était dit.

Les années et même les siècles étaient passés ; finalement, Darla réalisait que la colère avait laissé place à une certaine sérénité chez Leah. Elle n'avait plus ce regard plein de reproches tandis qu'elle la regardait, et fondamentalement, ça faisait sens. L'existence à la fois portée hors de la réalité et solidement empêtrée dans le temps, Darla prenait doucement conscience, jour après jour, que ce qui fut n'était désormais plus.

Car le passé devait appartenir au passé.
Et elle, elle n'appartenait plus à ces hier.

Privée d'un repos du trépas, Darla se contenait de sourire concernant la cohabitation. Certes, ça n'avait pas été de tout repos, mais il y avait bien plus terrible. Leta était devenue, peu à peu, un moindre mal avant d'endosser le rôle bien étrange d'autre moitié d'un tout fraichement modelé par les épreuves.

Quoiqu’on pût en dire, c’était infiniment plus complexe à expliquer qu'une histoire de réincarnation et de cohabitation, mais Darla ne se voyait pas expliquer les petites lignées de ce contrat qui la liait au destin. Pas encore ; pas comme ça.

« Elle est surtout aussi impertinente que j'ai pu l'être avant d'être forcée à la sagesse. » Répondit Darla avec un sourire malicieux. Contre toute attente, elle prenait plutôt la défense de cette moitié peste. Surement parce qu'elle se reconnaissait assez en elle pour embrasser ses méthodes. « Des petits-enfants.. » Articula l'Originelle d'un timbre lointain alors qu'elle passait son regard de Willow à la rue piétonne fraichement gagnée.

« Parfois, ce qu'on avait avant me manque. » Ne put-elle s'empêcher de commenter. A cette époque-là, il n'y avait pas eu de méga-corporation étouffante, ni de descendance parcourant le monde. Il n’y avait eu que cette trentaine d'étrangetés relâchées dans la nature, et la lutte qui leur incombait. « Enfin, il ne fait pas bon de regretter.. » Se rattrapa-t-elle avant d'achever sur un rire : « Sinon, je vais encore me faire traiter de version périmée. »

Concernant sa survie, elle perdit sensiblement son sourire et se prit à réfléchir un moment en portant son gobelet à ses lèvres. Une gorgée bue, elle sortait ensuite de son mutisme. « Peu de monde, c'est récent. Les premiers temps ont été compliqués avec Leta, le temps de .. Mh. » Quel était le terme exact ? « ..Reprendre pied, ça m'a demandé quelques années. »

Quelques années contre des siècles d'enfermement.
Pour Darla, ça faisait sens.

« Je sais que certains sont en vie. » Avoua-t-elle, une expression cryptique accrochée à ses traits. L'Originelle avait fait ses recherches pour la majorité et avait toujours su pour d'autres.

Sortant de ses réflexions, Darla reporta son regard sur Willow. « Je présume que tu as vu l'actualité, n'est-ce pas ? C'est d'un mauvais goût.. » Grimaça l'ancienne Leader. Elle n'appréciait guère de voir les méthodes de Nightbringers employées pour faire le buzz. « Dis-moi.. Qu'en penses-tu ? »

Darla avait élaborée différentes théories à ce sujet. Tout d’abord, elle avait songé à un piège orchestré dans l'espoir de les faire sortir des ombres. Puis elle avait également pensé à un imitateur, surement un peu fou ou un nostalgique. Et finalement, elle s’était arrêtée sur l’hypothèse d'une instrumentalisation du symbole. Mais quelque fut les raisons du geste, la Banshee avait digéré la colère de la découverte et hésitait désormais quant à la suite des évènements. La rencontre avec Willow lui semblait alors étrangement providentielle.

Une malice partagée par un sourire, Darla ne commentait guère d'avantage leur grand âge, ni même les regrets qui l'accompagnait. Car après tout, c'était leur fardeau ; le résultat d'une malédiction forgée par les hommes de science, comme une réponse de l'univers à l'impertinence d'un petit nombre. Aujourd'hui, les quelques survivants des premières expériences étaient les ombres cruelles des méfaits commis par Icarus.

Du moins, c'était ainsi que Darla avait fini par traduire l'essence de son existence complexe. Pendant près de deux cents ans, elle avait eu le temps de cracher sa rage, de pleurer ses douleurs et finalement de philosopher sur ce qui devait être et ne pas être.

Ainsi, face à la question de Leah, elle resta un moment silencieuse. Rares étaient les fois où elle s'autorisait à penser à ces autres vies. Pour autant, chacune d'elles l'habitaient et ne s'oubliaient jamais. Parce qu'elles avaient chacune été une pierre posée sur le chemin menant à Leta. C'était par les pertes que les peurs s'étaient construites ; c'était dans les trahisons que la paranoïa avait émergée.

Dans ses iris grises, Darla ne put néanmoins contenir un éclat douloureux qu'elle dissimula derrière son expression fière. « Entre mon existence et celle de Leta, il y a eu quatre vies. Mais je n'ai jamais pu.. Intervenir. » Prisonnière de jours malheureux ; c'était sa manière à elle de retranscrire son expérience sans pour autant entrer dans ces détails qui lui nouaient encore les tripes.

Tout le temps du monde ne suffisait pas à effacer certaines douleurs.

« Mh.. » Soupira-t-elle ensuite, pensive. Oubliant son mal passé pour se focaliser sur l'humanité et son devenir, Darla ne put cacher une forme de scepticisme en jetant son gobelet. « Je trouve plutôt ironique de voir combien l'humain cherche à nous ressembler tout en essayant, dans le même temps, de nous exploiter et nous détruire. » Protectrice durant sa première vie, le temps ne semblait guère avoir effacé ses instincts dominants.

Une certaine ambivalence habitait malgré tout Darla ; car il n’en demeurait pas moins qu’une part d'elle avait envie de vivre enfin pour elle, pour ses proches, pour cette famille qu'elle pensait avoir perdu depuis une éternité. Tandis qu'une autre part ne pouvait s'empêcher de se questionner sur la sécurité de toute cette descendance qu'ils avaient laissés dans leur sillage.

C'était assurément là, sa malédiction.
Ce besoin d’aider.
Ce besoin de tendre la main.

Et les évènements récents n'avaient aucunement calmés ses inquiétudes. Ainsi, elle voyait encore le gamin accroché à la tour du géant funeste. Comme un avertissement, comme un rappel, comme un retour en arrière.

Se faisant oreille attentive face aux théories de son amie, Darla resta un moment silencieuse et ne put dissimuler sa moue désolée à l'entente de sa réaction première face au spectacle macabre. La violence, ça avait toujours été ce qui les avait opposé.. Et à bien y réfléchir, le fossé de sang s'était d'autant plus creusé avec les siècles.

Parce que Darla avait la mort dans les veines.
Parce que Leta avait les mains couvertes d'un sang étranger.

« .. Comment peux-tu en être sure ? » Demanda-t-elle finalement. Comment Leah pouvait-elle être certaine que les auteurs de ce geste ignoraient tout de la symbolique du meurtre commis ? Darla était habité par un doute paranoïaque. « Et si ceux qui avaient fait cela avaient consciences de la portée de leur geste ? » Une pensée terrible la traversa, lui rappelant au bon souvenir de son enfermement à Immortalis. Sa séquestration avait-elle dévoilée l'existence d'originels immortels ?

Non.
Impossible.
Parce qu'elle n'avait gardé aucun contact avec eux.

« Je n'aime pas être copiée. » Articula Darla pour briser le sérieux ulcéré de ses pensées. Un sourire menteur arqua ses lèvres un moment, puis elle enchaina : « Je n'exclue pas Icarus, pour ma part.. Ils sont assez tordus pour avoir voulu rebondir sur la circulation du V². » Ça, c'était d'ailleurs un autre problème. « J'ai néanmoins du mal à croire qu'ils aient commis à nouveau l'erreur de libérer des cobayes. » C'était terrible, et surtout terriblement vrai. « Je sais d'expérience qu'ils font très attention à leurs.. Sujets. »

Et si ce n'était pas Icarus ?
Car désormais, ils n'étaient plus les seuls géants.

« Si c'est un autre groupe, je veillerais à avoir quelques informations à son sujet.. » Glissa-t-elle pour conclure, pensive avant d'adresser un sourire à Willow.

Penser à la guerre – encore – ramenait inévitablement Darla à un temps où elle s'était connue infiniment plus combattive. Sa résilience avait subi les affres d'un temps où la douleur avait été omniprésente et dévorante ; et désormais, elle avait la sensation que le désordre des autres ne lui appartenait plus. Ainsi, il lui arrivait souvent d'espérer pouvoir distancer la guerre et la menace, pour autant, elle savait que la chose était impossible avec une Leta aux commandes.

Parce que Leta représentait sa colère.
Parce que Leta incarnait sa douleur, ses doutes et ses blessures.

Leta avait soif de vengeance.
Leta avait soif d'une liberté dont on l'avait privé.

Ainsi, Darla se retrouvait à soupirer en entendant l'hypothèse de son ancienne amie. Que l'ennemi soit nouveau ou ancien, les deux options apportaient leur lot de contrariété à la Banshee. Et pire encore, si tout cela touchait à Icarus, alors, elle savait qu'elle allait devoir agir.

Parce qu'elle avait une dette de sang envers la corporation.
Parce qu'elle leur devait ses cicatrices.

A l'évocation des victimes et cobayes de la fameuse corporation, Darla ne put s'empêcher d'esquisser un sourire sibyllin, le genre qui dissimulait son aigreur et ses regrets. Parce qu'en tant qu'ancienne directrice de leur Unité M, elle savait.. Elle savait combien de malheureux étaient passés entre les mains des médecins sans conscience d'Icarus. Car elle avait participé à leur enlèvement et à leur calvaire au travers des yeux clairs de Leta.

Sortant du marasme de ses pensées et de sa culpabilité, Darla fronçait sensiblement les sourcils en observant Willow.

« C'est une longue histoire. » Se contenta-t-elle d'articuler en réponse à ses interrogations. Elle n'était pas prête à partager avec elle ses traumatismes, pas au milieu d'une rue. Pas parmi la foule déliée des âmes errantes de New Blossom ; car ça lui semblait affreusement impersonnel. Et surtout, elle ressentait encore la douleur latente de Leta à l'idée de verbaliser le calvaire qu'elles avaient vécues. Si les deux âmes réincarnées pouvaient s'accommoder de leur culpabilité en lui trouvant un dérivatif violent, elle ne pouvait en dire autant lorsque ça concernait le souvenir de leur corps et de leurs esprits mis en pièce.

Dans l'espoir de distancer ses pensées fantomatiques et le goût amer de la rancœur qui hantait sa langue, Darla reprenait son avancée.

« Disons que Leta tient bel et bien de moi lorsqu'il est question de développer un réseau. » Reportant son regard sur Willow, elle lui adressait un sourire tranquille. « J'ai peut-être beaucoup perdu pendant mon.. Absence, mais il me reste quelques atouts dans ma manche. » L'air absent, elle marquait un temps de silence avant d’enchainer distraitement. « Fort heureusement, j'ai eu un époux qui m'aimait bien plus que je ne pouvais l'aimer sur la fin de ma vie. » La fin de sa vie ou de son combat ; Darla ne savait plus. Tout ce dont elle était certaine, c'était que Declan avait tout fait pour préserver son héritage. Il avait tout fait pour faire perdurer un nom tombé en désuétude à cause de Darius.

« Tu sais Leah, le monde d'en haut n'est qu'une partie du puzzle. Sous nos pieds, il reste quelque chose de puissant, qui se construit hors de portée d'Icarus ou de Theseus.. » Une moue passa sur ses traits, et elle se sentie obligée de corriger en songeant au Red. « Enfin, plus ou moins hors de portée. »

L'ultime question de son amie l'étonna tandis qu'elle l'observait en haussant un sourcil. « Qu'est-ce que je ferais ? » Se sentit-elle obligée de répéter, dans un écho. Dans le fond, c'était une bonne question.. Si on partait du principe que Darla possédait encore les armes nécessaires pour frapper ces géants. « Qu'est-ce qui te fait croire que je pourrais faire quelque chose ? » Demanda-t-elle alors, comme pour comprendre ce qui poussait Willow à songer qu'elle pouvait être déterminée à agir. Après tout, elle n'en savait rien, elle-même. « Peut-être que je ne ferais rien cette fois-ci ? Peut-être que je regarderais de loin la guerre se faire.. Qui sait ? » Sans animosité aucune, la Banshee verbalisait à sa façon ses doutes.

Ses doutes.
Et peut-être son besoin de vivre.
D'exister.

« J'ai jadis agi, tout donné avec conviction et résilience. J'ai combattu pour les autres sans jamais penser véritablement à ce que je pouvais rater. » Et aujourd'hui, elle réalisait combien elle avait raté une partie de sa vie. Parce qu'elle avait été privée de voir ses enfants grandir et s'épanouir, elle avait été privée de son existence tout simplement.

« A ma place, Leah, serais-tu prête à reprendre les armes ? Pour tout recommencer ? » Demanda-t-elle finalement, franchement, tandis que son regard s'illuminait d'un éclat bleu colérique.

Leta voulait le combat.
Leta voulait la vengeance.
Et Darla oubliait pendant un instant qu'elle lui avait promis.

tw : mention de suicide.
L'Underapple ; c'était évidemment de cette ville souterraine aux milles maux dont il était question. L'oiseau de mauvais augure qu’incarnait désormais Darla avait trouvé sa place là-bas, quand bien même avait-elle plutôt toujours aimé la lumière et l'éclat des beaux jours. C'était d'ailleurs un de ses points de discorde essentiel avec Leta qui se contentait de régner en enfer alors qu'elle ne pouvait marcher dans le paradis artificiel érigé par les corporations.

Face au miroir que lui dressait Willow, l'originelle resta un moment silencieuse. Et en réponse à son sourire, elle eut un moment de flottement qui se conclue par un rictus vague ainsi qu'un regard vibrant d'une certaine contrariété.

La Darla d'Hier ; elle la regrettait.
Mais pas pour l'époque à laquelle elle avait été rattachée.

Mais bien plus pour la pureté de ses intentions, pour la chaleur rayonnante de son feu intérieur. Elle la regrettait parce qu'elle incarnait tout ce qu'elle peinait désormais à demeurer. En deux cents ans, une ombre noire s'était glissée sur l'âme de la Banshee, gangrénant son cœur abimé.

Ainsi ne put-elle s'empêcher, sous l'impulsion de son mal-être intériorisé, d'arrêter ses pas pour se planter devant Willow et l'observer fixement.

« Sauf que je ne suis plus la Darla d'il y a deux cent ans. » Articula-t-elle, d'un timbre bas et assuré. « Cette Darla-là était animée de bonnes intentions qui l'on amenée à faire des erreurs. Tu sais, ce genre d'erreur que tu lui as à peine pardonné. » C'était cynique, mais c'était sa façon à elle – pleine de dignité – de cacher la douleur du temps passant. « Cette Darla-là n'a pas connue la perte, l'abandon, la trahison, la solitude, l'enfermement ou même la folie. Cette Darla-là ne s'est pas vue mettre fin à ses jours parce qu'elle espérait que la vie d'après serait plus douce que le calvaire qu'elle vivait. » Un souffle lui échappa, comme si tout ce mal qui la rongeait s'apaisait enfin.

Un soupir s'en suivi alors que son visage signait à la négative ; A quoi bon parler de tout ça ?
Le mal était fait.

« La Darla que je suis désormais n'en veut à personne, pas même au destin de m'avoir trahi. Seulement, aujourd'hui, à la différence d'hier, je ne me sens plus aveuglée par mes convictions.. » Même si elles demeuraient intactes, c'était certain.

Jetant son gobelet d'un mouvement sec, elle se frottait les mains l'une contre l'autre. Le regard gris passait sur les alentours puis en revenait à Willow.

Elle l'analysa longuement tandis qu'elle affirmait vouloir prendre les armes cette fois-ci, comme si tout avait changé ; comme si Leah avait désormais trouvé la force de se lever et de s'opposer à Icarus. Cependant, à la différence de jadis, leur ennemi d’hier n'était plus simplement un laboratoire aux ambitions démesurées, il était plutôt devenu un géant universel.

« Te rends-tu des mots que tu prononces, Leah ? » Ils avaient quelque chose de dangereux. Surtout pour l'Originelle qui les prononçait. « Vouloir faire tomber les corporations est une ambition folle. » Un éclat céruléen inonda les iris grises de Darla, témoignant de la présence de Leta tandis que l'ombre d'un sourire arquait ses lèvres.

« Sais-tu ce qu'on peut faire avec une armée perpétuellement soignée ? » Gagner. Assurément.

Et tandis que Leta quittait la scène, Darla finissait par reprendre simplement. « Je pense que nous aurons l'occasion de nous revoir.. Et peut-être que tu auras l'opportunité de me montrer combien tu es motivée à apporter ta pierre à l'édifice. »

C'était une porte qui s'ouvrait.
Une proposition voilée.
Peut-être à découvrir un autre monde.
Au-delà de la beauté artificielle de New Blossom.

Mais pour l'heure, leurs retrouvailles offraient assez de réflexions aux deux originelles. Ainsi, l'ancienne Nightbringer saluait son amie d'hier, avec la promesse de la retrouver.