just a (magical) girl

Elle a les jambes encore chaudes, gorgées de soleil après toute une après-midi à la plage. Son cuir chevelu proteste quand elle tente de défaire ses cheveux tout emmêlés à cause du sable et du sel de l’océan. Elle a attrapé un léger coup de soleil sur le nez et sur les joues, malgré la tonne de crème solaire badigeonnée sur elle comme sur Rumi.
Cette dernière s’amuse à former des dômes de mousse avant de les détruire aussitôt, métaphore parfaite d’une divinité en colère contre sa création. Elle rigole et le son emplit la salle de bains, force un sourire sur le visage de Niko. Il lui reste au moins ça. Il pourrait même ne lui rester que ça… Saurait-elle s’en contenter ? Son reflet dans le miroir lui renvoie l’image d’une femme fatiguée. Elle n’a que vingt-cinq ans et c’est comme si la peine venait de lui en ajouter vingt de plus. Elle soupire. Le poids sur sa poitrine ne veut pas la quitter, elle se sent lourde de chagrin, de tous les mots qu’elle ne lui a pas encore dits.

Elle est partie en silence, sans demander d’explications, c’était un besoin instinctif et pour une fois elle a décidé de s’écouter. Sur le plan de travail de la cuisine, elle a laissé un tas de feuilles, des impressions d’emails et de messages, les preuves collectées après la piqûre d’intuition et malgré de nombreuses tentatives de sa part de noyer le poisson. Elle n’a pas eu besoin de dire quoi que ce soit pour qu’il fasse lui-même les calculs et arrive au noeud du problème. Il l’a trompée. Elle sait. Et maintenant quoi ?
Niko a pris deux sacs et la petite sous le bras, a envoyé un sms à sa tante et à ses amies pour les prévenir, a dit à sa cheffe qu’elle était souffrante, puis elle a éteint son téléphone. Elles ont pris un bus et sont allées directement à la plage, puis dans un motel relativement bien noté, où personne n’aura l’idée de venir la chercher. Surtout pas lui. Elle a besoin de réfléchir sans qu’il ne la parasite avec ses mots, tous ces mots qu’il manie si bien et auxquels elle finit toujours par acquiescer sans comprendre ce qui s’est passé. Il est maître de son art, on peut lui reconnaître au moins ça. Des mots, il en a eu aussi le jour de son mariage, des promesses faites devant l’autel, amour, soutien, fidélité… Certes, c’était une cérémonie de dernière minute et elle portait une robe d’une friperie et il avait conclu son discours en posant sa main sur ses fesses, mais ils avaient signé un papier et ils étaient reconnus comme mari et femme alors ces mots-là devaient bien vouloir dire quelque chose.

Elle se demande si tout le monde finit par négliger ses voeux et qu’elle est la seule imbécile à toujours y accorder de l’importance. La pensée traitre se faufile presque aussitôt à l’arrière de son crâne : c’est de sa faute. C’est un automatisme et c’est systématique, à chacun des  manquements de Fido, elle s’en attribue la faute. S’il est de mauvaise humeur, c’est qu’elle n’a pas réussi à le distraire. S’il est distant, c’est qu’elle n’a pas réussi à le séduire. S’il va voir ailleurs…
Ses yeux portent beaucoup de jugement sur le reflet. Elle tire sur la peau là où elle perd de l’elasticité, pince une poignée d’amour qui n’a jamais fondu depuis son accouchement, passe ses mains sur sa poitrine qui n’a jamais été généreuse. N’est-elle donc plus désirable ? Est-ce une folie que de vouloir lui suffire ? Elle pensait qu’il ne manquait de rien et encore moins d’elle. Elle ne fuit jamais son contact, elle s’en nourrit même, trouve de la satisfaction quand elle berce son visage contre sa main.
Quelle peine, de se savoir sacrifiable et surtout, de se savoir capable de tendre le couteau qui la plante.

C’est le babillage de Rumi qui la ramène à la situation présente. Niko s’assoit sur le rebord de la baignoire, entreprend de brosser les cheveux de la petite qui proteste aussitôt et geint. “Mommy it huuuuurts!” Et c’est la même rengaine, à négocier la patience de la gamine, à expliquer, gronder, apaiser… L’éducation est une lourde tâche qu’elle porte en majorité sur ses épaules. C’est bien la seule chose qu’elle parvient à lui reprocher, même si ce sont des reproches silencieuses parce qu’elle craint plus que tout de le perdre au moindre signe de négativité.
And still he cheated.
Elle s’arrête en plein geste, contemple la pensée amère comme si elle la voyait flotter devant elle. C’est nouveau. C’est la première fois que la petite voix dans sa tête retourne les choses contre lui.

Quand Rumi est couchée et qu’elle a enfin pris sa douche, elle s’installe dans le lit avec un bol de nouilles instantanées. Le son de la télé est au minimum, elle voit plus qu’elle ne regarde les images d’un film. Inévitablement, elle pense à Fido, essaie d’imaginer sa panique en découvrant les impressions et la maison vide.
Il n’y a aucune forme de plaisir à contempler la possible fin de son mariage. Tout ce qui se brise ne peut être reconstruit. Ca lui serre la gorge, ça lui coupe l’appétit, elle dépose le bol sur le sol et se roule en boule. Quand elle ferme les yeux, la première chose qu’elle se dit c’est que ce serait plus simple s’il était là pour la consoler. Il sait toujours quoi dire. Ou peut-être qu’elle s’est trop souvent contentée de ce qu’il disait.
Alors elle se redresse, va chercher son téléphone et le rallume en espérant trouver les dits mots, ceux qui la convaincront qu’ils peuvent traverser cette épreuve, que ce n’est qu’une mauvaise passe et qu’ils ont encore des années de mariage devant eux à célébrer. Ce qu’elle trouve cependant, c’est une collection de messages écrits à la va-vite, des coups de pression, des appels manqués, des entrées sur sa messagerie téléphonique, des plaintes, mais à aucun moment, elle ne lit d’excuses.


where ru
pls come bck
niko pls
10 missed calls
answer the phone
im worried sick
i love u
i can explain
11 missed calls
u cant leave like that
think about rumi
she needs her father
i need you
9 missed calls
don’t leave me
u ct leave me
ur nothing without me

Les larmes lui montent aux yeux et comme Rumi dort profondément, elle se permet de les laisser couler à flots, dans des sanglots qui secouent son corps mais qui ne produisent qu’un bruit étouffé par son oreiller.
Il a raison.
Elle ne sait pas quoi faire.
Elle ne sait pas comment faire.
Sans lui.