a burnt child loves the fire (tiny)

2000, jour quelconque
Ils ont su, un jour ; le mois, la date, l'heure, la minute et la seconde près où leur fils, Jieun, a vu le jour.
Ils ont su et ils l'ont aimé, si fort. Un enfant né certainement pas à la date prédite, un peu avant ou un peu après, mais né malgré tout. Un enfant aimé ; oh, tant aimé. Et attendu, surtout. C'est qu'ils avaient plein de projets pour leur fils, des voyages prévus, des idées floues d'avenir qui ne sont plus rien, aujourd'hui.
Mais ils l'ont aimé.
Si fort, dès le premier jour, même avant ;
ils l'ont aimé.
12 octobre 2005
Il y a quelques nuages dans le ciel ; quelque chose de doux, de léger.
On prévoit une journée en famille, quelque chose de doux au parc, de léger. Jieun a un nouveau jouet, un petit bateau téléguidé ; quelque chose de parfait pour tester à Central Park.
Ils sont là ; ensemble, les trois. Ils sont dans Central Park, la télécommande du bateau entre les mains de papa, quand les lieux sont atteints.
Quand les lieux sont détruits, anéantis.
Le bateau ne flotte plus. La petite famille n'est plus.
Mais il course, Jieun. Il court, parce que sa mère lui a dit.
Et jamais ; jamais elle ne lui dit d'arrêter. Alors -
Alors, il n'arrête pas.
Il court, les pieds en sang.
02 janvier 2006
Les dents sont sales ; les ongles encore plus.
Depuis, le sang sous les pieds a séché. D'autres a coulé.
Il n'est plus rien, quand Big Earl le trouve. Il n'est même plus Jieun. Enfant feral, bête sauvage ; l'enfant n'est rien, sauf affamé. Il a le ventre ccreux, le corps dangereusement minuscule.
Mais il court ; il court, si vite, pour trouver de la nourriture, pour fuir, pour ne pas se faire attraper par la mort.
Le problème, c'est que Big Earl a mis des pièges un peu partout, sur son territoire. C'est que Big Earl, il ne fait pas confiance en les gens, et il a beaucoup de nourriture, de choses utiles stockés chez lui.
Et le petit, il a été pris. Pris au piège et pourtant, il montre les dents ; il crache comme un chat, comme un animal sauvage. Il cherche à fuir, qu'importe l'absence de porte de sortie.
Et Big Earl, il ne se décide pas à le mettre dans une cage.
Ou peut-être que si ; juste celle de sa folie.
2007
Il court dans les rues usées, le murmure ; il court presque aussi vite que Tiny Earl.
Big Earl, vaut mieux le laisser seul avec ses délires.
L'homme, il parle de tout, il parle surtout trop. Le regard est tourné vers la surface, le discours obscure, plein de haines, plein de méfiances. C'était prévu, qu'il dit ; les mutants, la destruction, leur anéantissement.
Ils savent, les gens ; ils le connaissent Big Earl, les gens.
C'était lui, le bonhomme. Le vieux toujours là, au coin de telle et telle rue, sa pancarte de fin du monde entre les doigts et un discours de conspirationniste entre les lèvres.
On murmure, dans les rues  ; pauvre enfant ; sauf que Tiny Earl, il écoute les paroles de Big Earl comme on pourrait regarder pokémon à la tv et il croit en chacune d'elles.
Trop jeune pour autant de méfiance ; il en avait presque autant, le temps qu'il était seul.
Trop jeune pour être si vide, si éteint ; peut-être que dans ses yeux, la lumière ne s'est jamais vraiment allumée.
2008
Trop vieux pour l'école, trop petit pour son âge.
Tiny Earl, on dirait un gamin qui bouffe pas ses croûtes de pain ; il grandit juste pas. Sauf qu'il est grand, grand d'âme on dira, il sait même pas, il sait plus grand chose, même pas son âge.
Mais Big Earl, il a parlé à un bonhomme, et il a grondé mais hoche d'la tête alors Tiny Earl, il a son cul à l'école comme d'autres, maintenant.
Les dents sont moins noires qu'avant, il a réappris à les nettoyer depuis le temps mais il a toujours cet air de chat sauvage à la gueule. C'est qu'il cligne pas des yeux, presque, et il gronde quand on s'approche trop brusquement. Petite bête sans bruit, sans rien, il fixe et ne dit rien, jamais.
Il fixe les gens, Tiny, et il essaie de comprendre pourquoi iels rient si fort, iels vivent si fort, qu'iels sont si brillants.
Il comprend juste pas, Tiny.
Il comprend pas pourquoi y'a une gamine, elle lui demande s'il est muet, lui aussi. Il ne lui répond pas, Tiny, mais l'observe de loin au fil des mois. Ne répond pas, jamais, qu'importe si un autre garçon lui fait d'étranges signes de main qu'il connait parce que Big Earl, il lui a appris les mots danger, attention, silence, va à droite, va à gauche, cache toi sous le lit.
Il cligne des yeux, Tiny, à en voir un autre un peu bête se claquer la tête comme un mur sans aucune raison.
Il ne s'approche pas, non.
Il ne s'éloigne pas, non plus, d'eux.
Et un jour ; un jour, face à la question, il dit : non.
2016
Il y a Gigi Kyoka et Tiny pour une éternité, tous ensemble.
Sauf que ça s'arrête.
Sauf qu'à partir d'un moment, il y a Gigi et Kyoka, et Tiny un peu plus loin.
Parce qu'iels se tiennent la main, parce qu'iels se disent je t'aime, parce qu'iels s'embrassent et d'autre chose, aussi, certainement.
Et Tiny a un pas de recul, il observe et ça lui dévore le ventre, la jalousie.
Il tient leurs mains, parfois. Juste un peu, juste du bout des doigts.
Il pince un peu trop ses lèvres, se tait un peu plus et toise Marlow par moment, avant de s'éloigner et les laisser être amoureux.
Tiny, il a un vilain parasite dans le ventre.
Il en parle pas ; il y a beaucoup de choses dont le petit géant, il ne parle pas.
Peut-être qu'il a soudainement grandi de corps, mais en dedans, ça reste encore tout petit.  
2017
Big Earl a des murmures dans la gorge, des idées sombres dans la tête.
La ville va bientôt être inauguré. Les gens vont venir les chercher, les tuer, les détruire.
Big Earl lui remplit la tête de bétises ; Tiny, il rate de plus en plus les cours et au final, y va plus.
2018
Trois mois.
Ils disparaissent trois mois.
Il disparait trois mois.
Parce que New Blossom existe, parce que les gens se sont installés au dessus de leur tête et que Big Earl, il est persuadé que l'Underapple va être détruite.
Trois mois dans les canalisations profondes.
Assez pour se bousiller entre les poumons.
Et les yeux, aussi.
Et le nez, surtout.
Tiny, il sort brusquement un jour, parce qu'il s'ennuie, parce que son coeur chante pour Gigi, pour Kyoka et même Marlow.
Les lampadaires lui bousillent les yeux, sur le coup. Gigi, il pleure à la vue de sa peau presque translucide, de son corps déjà fin encore plus maigre.
C'est Kyoka qui pleure plus fort, quand il les retrouve.
Et peut-être que Tiny pleure aussi, un peu, mais en silence.
2019
Gigi a été poignardé.
Tiny met les pieds dans un hopital pour la première fois de sa vie.
Il tremble, le regard s'agite et il se méfie de tout le monde, mais le coeur, il est encore plus en panique pour Gigi. Il ignore les signaux, les doutes, l'angoisse qui le ronge de l'intérieur car on pourrait le trouver, le registrer, l'enfermer.
Il veut voir Gigi.
Il a besoin de voir Gigi.
C'est Kyoka qu'il voit en premier.
Kyoka qu'il prend dans ses bras, qu'il serre fort au point de l'étouffer, qu'il lâche pas pendant la visite et après, longtemps après, aussi.
Tiny le parasite ; incapable de se détacher, de la laisser respirer.
Trois jours plus tard, Tiny les dévisage longtemps avant de prendre leurs doigts, avant de s'approcher et de les embrasser, l'un après l'autre.
J'peux pas vivre sans vous ; que dit son regard trop sombre.
Pour Tiny, c'est un je t'aime. Il est persuadé qu'il les aime.
2020
Sauf que le parasite est encore jaloux, si jaloux.
Quand il les voit ensemble, ça s'assombrit dans son esprit.
Pourquoi ils se voient sans lui ? Il se sent à l'écart encore plus.
Sauf que Gigi et Kyoka voient d'autres gens, les deux.
Pourquoi pas juste lui ? Pourquoi pas juste les trois, tout le temps, constamment ?
Tiny, ça le dévore de l'intérieur, un poison qui le parasite, qui l'infecte.
Mais -
Mais il secoue la tête, il dit rien.
Quand Kyoka demande. Quand Gigi demande.
Même quand Marlow demande, il dit rien, il sourit un peu et dit que c'est la fatigue.
Le pourri reste en dedans ; les canalisations de Tiny sont aussi hideuses que celles de l'Under.
2023
Et le coeur s'emballe.
Le coeur devient une bête sauvage ; affamée ; indomptable.
Komo prend tout, il lui retire la logique ; il lui prend les trippes.
Il lui vole ses rires, ses sourires. Des éclats presque trop bruyants pour Tiny ; on l'entend plus fort qu'avant. Les rires résonnent comment des carillons. C'est hypnotique.
Et les yeux ; les yeux brillent, le regard le quitte pas.
Et le corps.
Le corps se presse contre le sien, l'écrase, l'étouffe. Tiny, il veut le toucher, être avec lui, être sous sa peau.
Jamais assez proche, non, de l'autre.
Il l'aime.
Il l'aime si fort.
Assez pour, ignorant les paroles de Big Earl pour la seconde fois de sa vie, prendre un appartement dans l'Underapple. Oublier la vie de nomade et juste, se poser quelque part avec celui qu'il l'aime.
Tiny, il découvre l'amour et se laisse engloutir.

Mais avant.
Avant, il dit désolé à Gigi, à Kyoka, au travers d'un murmure.
Sans un regard, la tête enfouie entre ses épaules.
Et il fuit.
Eux, et le groupe aussi.
2024
Parfois -
Parfois, Komo le fixe et il pose des questions.
Et Tiny, il hausse des épaules, lui dit de faire comme il veut, est simplement heureux d'être là, de l'accompagner.
Et après, le silence -
Lourd, lourd terrible silence ; et les soupirs.
Tiny a le nez foutu, les poumons aussi, les yeux aussi mais -
Il entend.
Il entend les soupirs, les paroles dites tout bas.
Les mots dits aux viewers de Komo, quand il stream, quand il répond aux remarques romantiques ou sexuelles.
Et le monstre de jalousie ; il est différent. Il gronde pas de haine, il est pas sombre.
Il est petit et là, dans son ventre. Il est petit et il saigne un peu, il a mal mais -
Tiny se tait, car il l'aime.
Il se tait.
mars 2025
Sauf qu'il l'aime, si fort ; que les pensées se font claires avec le temps, dans sa tête.
Et il essaie ; il essaie de lui parler, de communiquer.
Mais Komo - Komo, il écoute à moitié.
Ou pas. Il écoute pas.
Et Tiny, il essaie, encore - malgré les craintes, malgré le fait qu'il a jamais, jamais, jamais communiqué ses envies, ses désirs de vive voix. Qu'il s'est jamais opposé à quoique ce soit vraiment, qu'il a jamais revendiqué une chose pour lui, simplement pour lui, parce qu'il le veut, qu'il le désire.
Mais Komo s'énerve. Komo, il se fâche. Et Tiny -
Tiny aussi.
Parce qu'il tient à eux, à leur amour un peu malmené présentement. Parce qu'il a peur de le perdre, parce qu'il veut être écouté, qu'il veut communiquer, qu'il veut le garder et le serrer contre lui et l'embrasser et -
Et Komo dit qu'il est préférable de rompre.
Que c'est trop compliqué.
avril à août 2025
Il se perd, Tiny.
Il se perd et on le perd.
Dans les canalisations de l'Under, encore. Dans les appartements abandonnés, dans les secteurs où seuls les rats et les champignons aiment s'aventurer et se développer.
Il se perd et il  -
Il s'ennuie.
Il s'ennuie de Gigi, de Kyoka, de Marlow.
La chose est pas nouvelle ; juste plus virulente maintenant qu'il est seul, vraiment seul.
Il s'ennuie de Komo.
Ça fait mal, trop mal.
Trois mois de solitude avant de  -
de céder, les retrouver, pleurer et dire désolé.
Kyoka pleure aussi, le tape, le serre fort contre elle.
Et Gigi ouvre grand les bras.
Et même Marlow, ce con, lui fait un signe de la tête.
Et Tiny - Tiny, il a un peu l'impression de revenir à la maison.
Peut-être que c'est ça, une famille, au fond.
Décembre 2025
Plus de trente mois depuis que Big Earl a disparu. Tiny, il dit qu'il sait où le trouver.
Il sait pas.
C'est pas si grave.
Le van est un peu froid, le moteur gronde un peu parfois mais Tiny, il s'en occupe comme il peut.
Il joue de la musique, parfois. Il chante un peu, par moment.
Il crée des peluches ; dort encore avec le dragon de komodo géant qu'il a fait, le serre si fort que les coutures se défont, trop souvent.
Il joue à des jeux, un peu.
Il s'écoute, un peu.
Plus qu'avant, en tous cas.
Même si c'est un peu vide en dedans.
Même si son regard, pour les autres, il parait toujours aussi vide qu'avant.