sega c'est plus fort que toi (brooks)

En terme de spot branchés pour aller retrouver un collègue en dehors des heures de travail, il voulait à tout prix éviter de se retrouver dans un café, dans un bar ou tout autre endroit où il passe souvent ses soirées. Un sentiment de redondance peut-être, ou l'envie d'offrir un moment plus intime et personnalisé. Ne pas lui balancer l'adresse il va trinquer avec le travail parce qu'il n'est pas question de CERBER. Si jamais ça ne leur convient pas, ils pourront toujours reprendre la route et trouver un autre endroit pour ces retrouvailles improvisées.
Esteban est nerveux. Ce n'est pas nouveau. Le tremblement dans son genoux est pire depuis quelques temps ; il tape du pied, tout aussi nerveusement en rythme avec la musique épique à fond dans les enceintes. Prendre des décisions importantes est devenu son quotidien, il lui arrive de se mettre la même pression dans son quotidien. Une facette du monde toute nouvelle, des responsabilités qu'il veut endosser au mieux et cette angoisse au fond de ses tripes. Il n'est pas assez. Pas assez bon. Pas prêt.
Il a hâte que Brooks arrive. Il ne doivent pas parler boulot, mais il faudra bien qu'il lui en parle  un jour, des angoisses. Il doit connaître. Il est passé par là, étant son ainé, pas vrai ?
C'était plus simple de suivre, il n'a pas à penser.

Esteban a été surpris de revoir Brooks. La dernière fois, c'était un autre chapitre de sa vie qui s'est refermé sur une fin heureuse et malheureuse pour l'acolyte.  Une période qu'il a du mal à revisiter sans en ressentir la douleur et la culpabilité. Celle d'avoir survécu.
Esteban, vit, marche, respire, court ; d'autres mangent les pissenlits par racine. Et..
Il doit penser à autre chose. Il repense à la première impression que Brooks lui a fait, le fait que c'était un exemple à suivre. A quel point il a été touché d'apprendre qu'il a participé à la cagnotte lui aussi. Qu'il est venu le voir.
Ils se sont connus à l'armée, à l'hôpital, CERBER et maintenant ils pourraient profiter d'un instant de camaraderie sans le poids du monde sur leurs épaules. Quelques heures où ils ne sont que deux hommes avec qui la vie n'a pas été tendre.

L'occasion de se retrouver, rattraper le temps perdu. En apprendre plus l'un sur l'autre. Esteban se redresse quand il le voit arriver. Echappant à ses pensées, plus efficace qu'un interrupteur. « Brooks ! Merci de t'être rendu disponible. Il lui sert la main, puis va pour quelque chose de plus relax, parce que c'est encore trop formel. Je suis content qu'on puisse passer du temps ensemble. Le boulot c'est pas fait pour ça. Il s'autorise un sourire qui pince ses fossettes. Alors euh... Comme tu peux le constater je nous ai concocté une soirée arcade. Il paraît que c'est un coin sympa, pas mal de jeunes y vont. Il glisse ses mains dans les poches arrières de son jean. Parfait pour deux jeunes comme nous, n'est-ce pas ? »

Brooks est un visage du passé qui revient dans son présent et Esteban espère qu'ils ont un futur optimiste à écrire. Au moins il y en a un, de futur. Quel qu'il soit. Il ne veut pas ressasser, remuer les douleurs. Les cicatrices sont juste refermées, la plaie reste à vif, la chaire reste marquée par ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont perdu là. Esteban son innocence. Brooks, un morceau de sa vie.
Brooks, pour qui a ressenti une infinie tristesse quand Pasqual lui a fait un résumé de tout ce qu'il a raté dans son long sommeil. L'ex soldat se réjouit d'être toujours debout et en capacité de servir et protéger son pays. L'insigne qu'il porte est différent aujourd'hui. Comme ses rides. Comme son sourire, toujours un triste. Comme ses yeux, certainement moins innocents.
La même rage, toujours, qui inonde ses veines. Celle de vaincre.
Esteban n'est pas contre réécrire l'histoire de toutes les bornes et décrocher tous les titres. Il sourit comme sourit un gosse avant de faire une connerie. « C'est un défi que tu me lances ? Attention à ce que tu dis. »

« Je crois qu'on peut payer avec de la crypto'. Je n'en ai pas et j'ai pas confiance pour mettre ma carte depuis qu'une machine l'a avalée le mois dernier. » A l'ancienne, Esteban aime pouvoir palper l'argent. De moins en moins d'espèces dans ses poches, il a encore du mal avec la notion de l'invisible. Dans une ville où tout se synthétise. Dans un monde, où, il existe un univers parallèle, virtuel, où l'on peut être n'importe qui. De quoi lui donner le tournis ; ses jeux de l'époque ce sont ces mêmes bornes d'arcades et des vielles consoles. Il fallait encore se rendre chez un pote pour jouer ou s'appeler pour se coordonner. Maintenant, même plus besoin de se déplacer. Bientôt plus besoin de se voir pour se toucher.
Esteban s'est réveillé il y a longtemps, et pourtant, comme l'impression d'être toujours déphasé avec sa réalité et celle d'où il vient. Une partie de son âme est restée de l'autre coté.
« Tu veux manger un bout peut-être ? Ils ont une formule snack. Il va falloir prendre des forces.   Esteban essaye de lui adresse un clin d'oeil. On a tant de choses à se dire. Ca m'a fait un choc de te revoir. » Parce que Brooks à vieilli, ça lui rappelle que c'est son cas aussi. Et bon dieu que personne n'aime se prendre ce genre de claque.

A la mention de son frère, Esteban soupire. Il a honte, il ne sait pas quoi répondre. Brooks devrait le demander directement à son frère, s'il n'allait pas bien, Pepe ne lui dirait pas. Esteban ne creuse pas, est conscient de ne pas passer autant de temps qu'il le devrait avec son frère. C'est compliqué en ce moment avec les boulots.
Et Pasqual s'inquiète, à raison.
Il ne veut pas l'inquiéter. Et pourtant il reste silencieux... I'm fine. Il répondrait. « Pasqual est une source inépuisable d'optimisme. l'ancien tireur d'élite préfère rassurer son ami. Tu devrais passer le voir à l'appart', ça lui fera plaisir. Peut-être qu'il partagera ses soucis avec toi. Je sens bien que tout n'est pas rose en ce moment. Pas toujours évident de bosser avec les Septs.

Lorsqu'il a quitté l'armée - ou que l'armée l'a quitté, tout dépend du point de vue - il s'est retrouvé comme bon nombres de soldats, largué dans un monde étranger au sien. Dans un premier temps, les séances de rééducations l'ont occupé, puis il a passé des heures à la salle de sport pour retrouver sa forme. Il s'est remit rapidement, presque naturellement. Les médecins n'ont jamais cessé d'être optimiste, sa nature de mutant a facilité les choses.
Elle n'a pas facilité la réadaptation.
Qui aurait cru, oui, qu'il reviendrait goûter au poison et qu'il croiserait de nouveau la route de Brooks. New Blossom attire beaucoup de monde.
Au moins lorsqu'il avait des missions, il avait une raison d'être, une raison à ses pouvoirs d'exister. Esteban a rapidement eu besoin de retrouver le feu de l'action.
« Pourtant, ce n'était pas joué d'avance. J'ai fait pas mal de petits boulots. Videur, agent de sécurité, protection rapprochée... Souvent des jobs ennuyants. Ce n'est pas la même chose. La nuit, il rêvait encore du terrain. Les cauchemars se sont mêlés au manque, comme une drogue. Esteban a dédié sa vie au pays, il était frustré d'être relégué au second plan. Il a fallu saisir son destin en main, une fois de plus.
Une fois de plus, ses proches sont forcés de subir son choix. Lorsqu'ils ont ouvert une division à New Blossom... J'ai craqué. J'en avais assez de torcher le cul des stars. J'ai besoin de me rendre utile. Et puis ce job c'est toute ma vie... » Ça l'a changé, a jamais. C'est dans ses gênes maintenant.

« Hot dog, ça fait longtemps. Je vais prendre une bière avant. Prenons deux barquettes, je suis d'humeur gourmande. Il se forcera, ça fera plaisir à son frère de lui raconter qu'il s'est rempli la panse et Esteban sent qu'il a besoin d'augmenter la dose. Je suis content que tu sois avec nous à CERBER. On n'a pas le temps de s'ennuyer. C'est presque inquiétant parfois. »

Pasqual a toujours été fort, c'est vrai. Esteban ne l'a jamais vu craquer, sait juste que lorsqu'il était dans le coma, son frère n'était plus lui même. Presque absent et l'ombre de ce qu'il était. Esteban se devait de revenir, s'il l'avait abandonné peut-être que son sourire se serait brisé pour toujours. Tout va bien maintenant.
La chance leur sourit.
Et des vieux alliés se retrouvent.

«   Tu n'es pas le seul que j'ai retrouvé, CERBER c'est vraiment la réunion des anciens combattants. » Le gouvernement sait qui appeler, qui répondra toujours. Enfin, depuis toutes ces années il n'a pas adressé un mot à Blake, peut-être un bonjour inaudible, alors qu'ils ont eux aussi combattus ensemble.  L'ambiance n'est pas au beau fixe en ce moment. C'est tendu avec tout ce qui se passe, la dernière affaire du V² n'a pas laissé une très bonne image de la gestion de crise. A l'époque, ce n'était pas de son ressort. Si aujourd'hui quelque chose du genre se produit, ça sera bien plus son problème. Bienvenue dans l'élite. Esteban s'occupe de récupérer leurs verres afin de pouvoir trinquer tandis qu'ils préparent les hot dogs derrière les fourneaux.
Il y a toujours du monde.
Surtout des jeunes.
A coté de Brooks, Esteban à l'impression d'avoir toujours dix-huit ans.

« J'aimerai beaucoup revoir ces photos !  La tête que je dois avoir dessus.  Cette fois, il rit de bon coeur. Il doit ressembler à un adolescent, il faisait plus jeune pendant le premier quart de siècle de son existence. Le rasage ça ne lui réussissait pas des masses. Rien que pour ça je veux bien redevenir une recrue et retrouver ce sentiment de communauté. » C'est génial d'appartenir quelque part, jusqu'à devenir le visage d'une division et plus rien n'est pareil.
Il est prêt. Il a travaillé dur pour transmettre son idéal.
« Oh tu es sûr ? Bon, je paye la première partie alors. Il y tient.   J'ai vu une borne Street Fighter II, remastérisé.  Tu te souviens quand c'est sorti ? Évidemment. Brooks est plus vieux que lui, quand Esteban jouait à ça, il était gamin. « Tu seras toujours un mentor à mes yeux. J'espère que tu seras fier de voir ce que je suis devenu. C'est un peu grâce à toi. » Esteban a un respect immense pour ses ainés.
Non, il ne pense pas pouvoir systématiquement mieux. Il sait seulement qu'il se doit de faire mieux pour tout le monde, tout en respectant ceux qui sont passés avant lui - ça a toujours été un bon petit soldat. « Te connaissant ce n'est pas le salaire qui a fait pencher la balance. » Pas le cas d'Esteban non plus.
Servir son pays est suffisant.
Prouve qu'il est un bon mutant.

Esteban était un crack de combos. Il lisait trop de magazines sur les jeux vidéos. Surtout ceux de combat. Se battre, ça lui parle, défendre son honneur. Gagner. La compétition. Être le meilleur. Oui, il était peut-être teigne à une époque. Ce qui s'est bien calmé, sans jamais le quitter.
Vieillir l'a apaisé, l'a rendu plus calme et taiseux.
L'âge ou le traumatisme de ses blessures qui lui ont rappelé qu'il n'a pas la carrure d'un super-héros. Esteban ne régénère par ses blessures. S'il fait un game over, il n'y aura pas de restart.  « On verra bien. Je me suis pas entrainé avant devenir, histoire de te laisser une chance. » Il continue de le provoquer, s'amusant de la situation.
Attirer l'attention de ses supérieurs ? C'était bien son genre. Quand il était vraiment rebelle. Quand il avait vingt ans. Quand il était vivant.

Content de se mettre quelque chose sous la dent, il mange tout en écoutant attentivement Brooks et intervient entre deux bouchées affamées. « C'est vrai que tu es papa. D'une très grande enfant maintenant... » La claque, vraiment, de se dire qu'elle est plus proche d'être une jeune femme que du berceau. C'est toute une vie. Esteban n'a jamais ressenti ce désir de parentalité. En fait, il le fuit comme la peste. Transmettre son gêne mutant à quelqu'un qui n'a rien demandé ? C'est cruel. Et si la déchirure était handicapante, l'empêchait de vivre une vie normale ? Un enfant ne demande pas à venir, par principe.
Mutant, par dessus le marché ?
C'est une très, très mauvaise idée.

« Si j'avais grandit à New Blossom... je serais devenu fou je crois. Il y a tellement de choses à faire. C'est un paradis sur terre pour la jeunesse. Il y a un milliard d'expériences à faire. Il sourit, heureux d'apprendre que sa fille s'y plaît. Ce n'est pas facile de se déraciner de quelque part. Esteban en sait quelque chose. Bien que très heureux à New Blossom, les Keys lui manquent toujours un peu. Encore plus à Pepe. Le jour où il annoncera rentrer pour prendre sa retraite, ce sera sans doute le plus beau jour de sa vie.
Esteban s'imagine encore vivre avec son frère une fois vieux. Comme un jumeau, Pepe est sa moitié. C'est quoi son domaine d'étude ? Est-ce qu'elle veut suivre la voie de son père ? » Esteban ricane, parce que c'est un désir qu'on a plus petit qui s’essouffle en général avec l'indépendance.
Pepe a plutôt suivi la voie de leurs pères, ils peuvent parler photo. Ca a été plutôt compliqué de se lier autour de conversations en rapport avec l'armée. Ses pères n'ont jamais comprit. Ils n'ont pas jugés son choix, il y a eu quelques disputes, mais Esteban ne s'est pas senti rejeté. A ce jour, il pense qu'ils sont heureux qu'il travaille pour CERBER. « C'est vraiment chouette que ça se passe bien. »

De son coté... Esteban fait comme il peut. « Ma promotion est récente alors je m'ajuste. J'étais habituée à mon poste de chef d'équipe. Je suis honoré d'avoir été choisi pour succéder à l'ancienne coordinatrice. C'est très épanouissant et je suis dans mon élément mais... Avec n'importe qui d'autre, il aurait gardé ses doutes pour lui. Le perfectionnisme que ça implique m'est un peu délétère. Je n'imaginais pas que ce serait aussi solitaire comme position. Je comprends beaucoup de choses maintenant. » Pour rester vague.

Esteban se souvient que le choix de son orientation a jeté un froid. Ses pères l'auraient toujours soutenus, mais si ils avaient pu le retenir, il a l'impression qu'ils l'auraient fait. Qu'ils ont tenté d'une certaine façon de le dissuader. Esteban peut le comprendre, l'armée n'est pas dans  les valeurs de la famille. Entre les risques auxquels il s'est exposé, les conflits sur lesquels il a été envoyé, les choses dont il a témoin à des lieux des prétendues valeurs qu'on lui enseignait... Il avait besoin de se trouver, de donner un sens à sa vie et il voulait protéger les siens. Il s'est toujours dit que cette impulsion lui est venue parce que son inconscient savant qu'il allait devenir un monstre. Il fallait qu'on le dompte, qu'on le musèle. Qu'on lui donne un cadre.
Si c'était à refaire, il ferait le même choix parce qu'il sait qu'il a fait de bonnes choses et qu'il a sauvé des vies. S'il pouvait transmettre un message à l'enfant qu'il était, en revanche, lui lui conseillerait de ne pas trop se faire d'idées.
Le bien et le mal ne sont pas deux entités opposées et clairement définies comme il a pu l'entendre.

Et s'il avait eu un enfant ? Qu'est-ce qu'il aurait dit ? « Pointu comme sujet. Elle a trouvé sa voie, c'est merveilleux.  Il se demande ce que ça fait d'être fier de son enfant - d'être père même. L'idée ne lui a jamais traversé l'esprit et l'opportunité s'est encore moins présenté.
L'éternel célibataire...
« Je savais que tu étais un papa en or. Tu as été un bon mentor. » Sans Brooks, Esteban ne serait pas l'homme qu'il est aujourd'hui.
Il a lui aussi envie que son ancien camarade puisse être fier.

Esteban laisse s'étirer un silence qui trahit sa réponse. Incapable de mentir avec assurance. « Oui. Évidemment. » Il soupire. Il fallait que je m'y attende de toute façon. J'ai ma façon de faire et je n'ai pas envie de tirer sur tout ce qui bouge, ça peut fruster certains accros à la gâchette. Sans parler des discriminations. Enfin... Il a très bien compris que c'est l'activité favorite de certains de ses éléments et il ne peut pas toujours leur faire des reproches. Ils veulent de l'action et ils ont le pouvoir faire régler eux mêmes justices lorsqu'un certain point de non retour a été franchi. Ça en vaudra toujours la peine, parce que malgré tout, je me dis qu'on le fait pour les autres. Esteban et son éternelle naïveté qui fait le bonheur de ses supérieurs. Biberonné aux discours héroïques. Le plus dur, c'est que je suis seul maintenant. Je ne peux pas me permettre d'être trop proches de certaines personnes si je dois garder la tête froide. C'était plus facile quand je e prenais pas la décision. Meilleur exécutant que décideur, Esteban a du se convaincre qu'on ne faisait pas une erreur massive en le nommant à la tête du Squad. Il aurait tord de penser le contraire, il est tout ce que ses supérieurs hiérarchiques attendent. Contrairement à Shallom, il n'essaye pas de faire les choses à sa sauce, il applique les règles et a su remettre de l'ordre.
Non sans remords. Car Esteban n'est pas aveugle, il voit les failles.

« L'avenir m'inquiète. Je vois la violence monter et je crains des affrontements de plus en plus sanglants.  Esteban ne veut pas d'une autre guerre civile. Je ne veux pas que le pouvoir me monte à la tête. Je ne veux pas non plus être de ces bureaucrates déconnectés de la réalité.  Lui même n'est pas à l'abri... Il connait son penchant pour les procédures et sa confiance aveugle envers ses dirigeants. Ils ne savent pas, ce que je suis. Je n'arrive pas à assumer. »
Mutant.
Esteban n'a pas le luxe de se sevrer d'un sérum magique.
C'est dans son sang.