you built your crown with the ribs you've broken

1. Garce à la main de fer, vipère à la langue acérée, Rhea est de ceux qui embrouillent avec un sourire, qui embobinent avec un coup d’œil appuyé. Elle use sans culpabilité de sa féminité, tendant son corps comme une offrande, le retirant au dernier instant, pour mieux prendre au piège l’idiot intéressé. 2. Son ambition n’a pour limites que celles de son compte en banque, de même que sa détermination. Il lui a déjà fallu faire preuve d’une volonté de fer pour fédérer les Deadcrows derrière elle, pour aider à bâtir l’Underapple, pour défaire le Maëlstrom, et elle en a encore sous la pédale. 3. Le cœur, cependant, est aussi mort que monstrueusement possible. Le seul à l’avoir jamais réellement fait battre, Destruction, est aussi celui qui l’a blessé plus qu’aucun autre. Néanmoins, l’amour qu’elle continue d’éprouver pour lui est réel, quand bien même elle sait qu’ils n’ont plus d’avenir ensemble. 4. Les émotions se dissimulent allégrement derrière la discipline de fer, derrière l’arrogant mépris qu’elle promène sur ses semblables. Rhea se sait meilleure qu’eux, et le fait savoir.  5. Au fond, le désespoir le dispute à l’ennui et si elle refuse de prononcer les mots, elle est malheureuse. Elle aimerait revenir en arrière, à une époque où son seul problème était de choisir ses bijoux le matin. Avant les laboratoires. Elle sait cependant que cela signifie perdre tout ce pour quoi elle s’est battue, et s’y refuse. 6. Ses nuits blanches ont servi de terrain fertile à son ambition et c’est dans ces instants solitaires qu’elle a construit son empire, et celui des Deadcrows. Ses insomnies, cependant, ne sont pas sans raison, et ne viennent pas sans contrepartie. La plupart du temps, elle ne vit que de café et de cigarettes. 7. Le laboratoire hante ses souvenirs autant que ses cauchemars et il n’est pas rare de la voir se retirer en elle-même, absorbée dans sa propre mémoire.

— Niveau 1 : Κλωθώ / Clotho depuis 1986
La première fois qu’elle a rouvert les yeux après sa déchirure initiale, il lui a fallu du temps pour comprendre ce qu’étaient ces fils qui reliaient inextricablement chaque personne qui l’entourait. Elle a tenté de s’en emparer, de les arracher, mais elle ne peut que les effleurer, et voir se dérouler, du premier au dernier instant, la vie du porteur. Chaque fil semble teinté d’une discrète coloration, l’immense majorité arborant un reflet argenté. Une infime poignée, en revanche, se pare d’or. À ce stade, elle ignore encore la signification de cette distinction. Elle comprend très vite, néanmoins, que les nuances rouge-rosée évoque un lien sentimental fort et immuable. Le noir absolu, encore plus rare que l’or, reste toujours un mystère. Elle remarque néanmoins que les siens font partie de ces quelques-uns.

Limites : Ces fils restent pour l’instant quasiment impalpables, et elle ne peut que les effleurer. Rhea n’a aucun moyen d’influer sur le destin de ceux qui l’entourent à ce stade, et le sien lui reste totalement invisible, encore aujourd’hui. Depuis cette première déchirure et l’apparition des fils, elle perd progressivement la vue, mais n’a commencé à vraiment s’en rendre compte qu’en 2022.

— Niveau 2 : Λάχεσις / lachésis depuis 1996
Évolution naturelle, de simple observatrice, elle devient maintenant actrice du destin. Son influence est imperceptible, mais bien là. Par de subtils changements à l’instant T, elle peut orienter le devenir de ceux qui l’entourent. Impossible pour elle de modifier un événement qui s’est déjà produit, mais la ramification du futur qui se déroule devant elle lui permet de choisir, pour ainsi dire, la route qu’empruntera l’avenir du (mal)chanceux. Il n’est arrivé que très rarement qu’elle arrive à une sorte de croisée des chemins fatidique, où plusieurs voies se sont ouvertes à elle, et où elle a senti que son choix aurait une influence majeure. Elle a alors toujours pris un soin particulier, à ce moment-là, pour décider.

Limites : Cette plongée dans le destin la laisse vulnérable, car n’est alors pas entièrement consciente ni présente de ce qui l’entoure. À ces moments en particulier, son enveloppe charnelle a besoin d’être protégée, tandis que son esprit se charge de faire des choix stratégiques. Ces « voyages » la laissent toujours exsangue, épuisée pour les quelques jours à venir. Plus son influence sera intense ou répétée, plus le contre-coup sera fort. Les fils dorés, noirs et rosés ne sont pas impactés par ses manipulations. Sans être une véritable limite, elle rechigne toujours à influer sur le destin de ceux qui lui sont proches, malgré leurs éventuelles demandes.

— Niveau 3 : Ἄτροπος / atropos depuis 2005
Il lui a fallu du temps pour comprendre la signification de ces fils dorés, car, même si elle pouvait voir se dérouler toute leur existence, elle n’avait sur eux aucun pouvoir. Ce n’est qu’à l’occasion de la chute de New-York, et de leur évasion des laboratoires, que Rhea a pris la pleine mesure de ce qu’ils impliquaient. Chaque porteur est en effet l’objet d’un destin particulier, qu’il soit négatif ou positif. Ces personnes sont en route pour devenir les pires salopards de l’Histoire ou sont, au contraire, prédestinées à amener le bien partout où elles passent. Pour tous ceux-là, et cette petite poignée uniquement, Rhea peut choisir leur mort. Si elle peut décider d’une fin douce ou au contraire, d’une mort violente, elle ne sera en revanche pas celle par qui cette mort arrivera – pas directement, du moins.

Limites : Chaque mort particulière qu’elle met en branle reste durablement avec elle, en vérité jusqu’à ce qu’elle se produise. Auquel cas, Rhea se retrouve spectatrice d’un théâtre qu’elle a elle-même orchestré, tout en ressentant chaque effet dans sa chair. Les séquelles ne durent jamais plus de quelques heures, au maximum une journée, avant de disparaître définitivement. Les fils noirs ne sont toujours pas impactés. Comme pour le reste, cela ne s’applique pas aux personnes déjà décédées.

— Niveau 1 : Μόρος / Moros depuis 2001
Si elle le souhaite, et si la possibilité s’offre à elle, Rhea peut faire le choix de montrer sa mort à quelqu’un. Il lui suffit pour cela d’un contact prolongé avec la personne concernée pour qu’elle projette dans son esprit les images qui défilent dans le sien lorsqu’elle effleure le fil. La mort en question est alors inexorable, il n’y a aucun moyen d’y échapper, ni par son action à elle, ni aucune autre.

Limites : Elle ignore quelles conditions doivent être réunies pour que soudain, cette « option » semble apparaître, et n’a donc eu que peu de fois l’occasion de s’y essayer. Elle n’a pas encore remarqué que les concernés ne sont que des True Blood, et que la précision de cette vision est d’autant plus forte si la personne est proche généalogiquement parlant de son ancêtre Originel. Concrètement, cela fonctionnera mieux sur un enfant que sur un petit-enfant, et mieux sur un petit-enfant qu’un arrière-petit-enfant, etc. Elle n’a pas encore « expérimenté » sur un Originel. Elle n’a aucun moyen d’influencer sur la mort en question, simplement la montrer.

1. Voluptueuse, elle balance ses formes, perchées sur des talons impraticables. De loin comme de près, Rhea a tout de l’actrice d’un âge d’or hollywoodien qu’elle aurait rêvé d’être. 2. Beauté classique, sans extravagance, elle a néanmoins appris à attiser aussi bien le désir des hommes que la jalousie des femmes, en réhaussant ses attributs naturels. 3. Elle pourra le jurer, les seules modifications qu’elle a connues sont celles provoquées par le sérum. 4. Les cheveux bruns, impeccablement coupés, ne laissent encore transparaître aucun fil argenté, tandis qu’à l’inverse, les yeux soulignés de cernes se parent lentement d’un voile blanc. 5. Le corps reste svelte, toute trace de grossesse résolument absente. Maternité biologique qui lui a toujours été refusée, par un affreux tour du destin ; l’esprit aussi marqué que la carcasse est vierge. 6. Dans les salons du Crowclub, Rhea se reconnaît aisément à l’uniforme noir, près du corps, qu’elle affiche en permanence. Sobre, élégant, à son image. Robe au genou et manteau long se complètent d’un fedora et d’une paire d’aiguilles qui claquent sur le marbre. 6. Destiny, c’est avant tout un son – le staccato des talons qui annoncent votre mort prochaine. Car si la reine daigne descendre de sa tour d’ivoire, c’est que les comptes ne sont pas bons, au contraire du vôtre. Croire qu’elle laisse à Destruction tout le plaisir de la violence serait une erreur que beaucoup trop ont commise, quitte à en payer le prix fort. 8. Ses bijoux sont comme une armure, elle s’en pare invariablement dans le même ordre chaque matin, et s’en défait de la même manière le soir venu. C’est autant un mécanisme de réconfort qu’un moyen de s’armer pour la journée qui l’attend. 9. Elle n’a gardé que peu de séquelles physiques des expériences menées sur elle par Icarus, mais celles-ci sont impressionnantes. Une longue cicatrice boursouflée longe sa colonne vertébrale, qu’elle n’a jamais pu atténuer ou rendre esthétique. Une autre barre la base de son crâne, sous la ligne de ses cheveux. Une troisième, enfin, trace une étoile malformée dans le pli de son coude, signe des trop nombreuses injections qu’elle a subies.

Aptitudes particulières :
1. Si elle n’est pas des plus bagarreuses, Rhea a tout de même appris de Destruction le maniement des lames. Aussi, on la croise rarement sans plusieurs couteaux soigneusement dissimulés dans les replis de ses vêtements. Ce ne sont jamais des armes imposantes, au contraire – elle préfère la discrétion à l’exubérance, la rapidité à la force brute. 2. La belle a aussi appris à se servir d’une arme à feu. Une mesure de protection supplémentaire imposée par la paranoïa et la jalousie de Destruction, dont elle ne se plaint pas. Elle n’est pas mauvaise, même si elle préfère sans hésiter le déchirement soyeux de la peau sous la lame de son couteau. 3. Depuis des années, Rhea est insomniaque. Conséquence de sa mutation, ou des traumatismes, elle-même peine à en démêler les origines. Seuls demeurent les faits : ses nuits sont courtes, mauvaises, et elle compense la fatigue par l’abus de caféine. Elle s’est toujours refusée à faire usage d’une quelconque médecine pour pallier ses problèmes. 4. Il lui a fallu du temps pour s’en apercevoir et encore aujourd’hui, elle est incapable de déterminer un point de rupture véritable. Toujours est-il qu’elle devient progressivement aveugle. La perte est lente, mais bien réelle. Il ne semble y avoir rien à faire pour la limiter, et elle ignore s’il s’agit d’un contrecoup de sa mutation, ou d’une mutation qu’elle aurait développé quoi qu’il arrive. 5. depuis les laboratoires, Rhea ne supporte plus les bruits forts, les cris stridents, qui peuvent venir de nulle part et n'importe quand. Alors elle porte la plupart du temps des earplugs, qui réduisent le bruit et la coupent suffisamment du monde pour éviter les mauvaises surprises.

Malédiction qui ne dit pas son nom, la mutation offerte par Icarus Inc. a, aux yeux de Rhea, tout de l’empoisonnement progressif. Même pour elle, qui n’a guère besoin de s’injecter le précieux sérum régulièrement, l’enchaînement paraît évident. À l’image d’une drogue, les consommateurs de V comme de Red ne font qu’alimenter chaque jour leur dépendance, sans espoir apparent d’un jour parvenir à décrocher. Et tout cela dans le but illusoire d’atteindre une hypothétique gloire, un aperçu de l’immortalité superficielle qui accompagne la célébrité. Quelques secondes d’éclats médiatiques, pour une éternité de souffrances et d’anonymat. Si elle avait su ce qui se tramait dans les laboratoires d’Icarus, jamais elle n’y aurait mis les pieds, même pas pour tout l’or du monde. En sachant ce qu’elle sait aujourd’hui, en ayant vécu ce qu’elle a vécu jusqu’à maintenant, Rhea n’hésiterait pas à remonter le temps pour faire un choix différent – même si cela la prive de ses enfants.

Les altérations, comme le V, ne sont qu’un moyen supplémentaire d’accéder à une gloire éphémère, au prix le plus fort. Si elle comprend l’utilité des prothèses médicales – regrettant de ne pouvoir remplacer ses yeux défaillants – elle questionne en revanche les choix esthétiques, ou destinés à optimiser un corps déjà parfaitement fonctionnel. Le concours récemment lancé par Theseus Corp. ne fait qu’encourager encore plus ces pratiques, dans une compétition stupide et futile visant à concurrencer les Sept. Pour Rhea, le monde marche sur la tête et pour certains, ce n’est plus une métaphore.

Peut-être un peu vieille conne, Rhea peine à concevoir l’intérêt que peuvent trouver les jeunes générations aux cyberpets, au Metaworld, et à tout le reste. Au mieux peut-elle imaginer un instant faire de l’univers virtuel un nouveau terrain de jeu où étendre l’ombre des Deadcrows, mais guère plus. À ses yeux, rien ne vaut la mitraille sonnante et trébuchante qui circule au sein du Crowclub. Celle-là, au moins, on est sûrs qu’elle ne risque pas de disparaître en un claquement de doigts, parce que des cocaïnomanes auront pariés sur le mauvais cheval à la bourse. Pour le reste, elle s’en préoccupe peu, se tenant aussi éloignée de possible des caméras, et autres outils modernes qui pourraient l’identifier auprès d’Icarus.

Autant que possible, elle fuit la ville qui a éclot par-dessus leur tête, les isolant autant que les protégeant du regard inquisiteur des corporations. L’Underapple, en revanche, est une autre histoire. Cité d’adoption autant qu’enfant chérie, Rhea s’y épanouie sans honte ni gêne, maîtresse en son domaine. Elle fait pourtant partie de ces figures de l’ombre que personne ne parvient à identifier, dont le visage reste inconnu, alors même qu’elle et les siens comptent parmi les glorieux fondateurs de ce nouvel eldorado.

Tomorrow's Disaster

Naissance de Brónach McGinnis à Hell’s Kitchen. Elle est l’unique enfant d’un couple d’ascendance irlandaise. Freddie, rentré depuis un an à peine de la guerre de Corée, gardera toujours un doute quant à sa paternité. Mary, elle, travaille d’arrache-pied pour financer l’alcoolisme de son mari, marqué par deux guerres successives - WW2 et Corée. En grandissant, Brónach apprend à esquiver les coups de son père, et à fuir l’appartement miteux quand le besoin s’en fait sentir. Sa mère a moins de chance, voulant avant tout protéger sa fille, et la gamine la retrouve souvent couverte de bleus. À l’école, elle réussit sans trop de difficulté, mais est sans cesse rabaissée par son paternel, qui ne croit guère aux vertus des études. Mary l’encourage du mieux qu’elle peut, mais est vite dépassée par l’intelligence de la petite. Néanmoins, elle espère encore réussir à les sortir toutes les deux de la misère, et à laisser derrière elles ce père qui n’en a que le nom. Brónach, elle, rêve de grandeur en regardant avec envie les stars hollywoodiennes dans les journaux. Un jour, ce sera elle, elle en est sûre.

Son corps change et avec lui, le regard que les hommes posent dessus. Rapidement, Brónach apprend à en jouer, à se faire payer ce qu’elle veut en échange de la promesse d’un peut-être. Elle ne se donne jamais, comprenant que l’intérêt réside précisément dans l’inaccessible. Le problème, c’est que les hommes dans la rue ne sont pas les seuls à la regarder. À la maison, Freddie laisse un peu trop souvent ses yeux se balader sur les formes de sa fille, et cela ne passe pas inaperçu. Aussi bien Mary que Brónach s’en rendent compte, et la mère, encore une fois, fait de son mieux pour protéger la jeune fille. Rapidement, cette dernière n’a plus qu’une idée en tête : fuir Hell’s Kitchen, et la menace qui plane constamment sur elle. Avec, si possible, la perspective d’un avenir doré.

Ce qu’elle fait finalement, au lendemain de son dix-huitième anniversaire. Le seul regret qu’elle ressent réellement, à ce moment-là, c’est d’abandonner sa mère à son sort. Mais Brónach est suffisamment égoïste pour savoir qu’elle ne pourra jamais totalement se débarrasser de cette tâche sur son existence si elle ne coupe pas définitivement les ponts. Tous les ponts. Alors elle laisse cette vie derrière elle comme une mue, se réinvente, se forge une nouvelle identité. Elle est désormais Mabel Hubbard, fraîchement débarquée à Manhattan depuis Chicago. Très vite, elle attire l’attention d’un jeune homme fortuné, qui l’initie à son univers, l’invite à y prendre racine. Pour la première fois, Mabel se sent à sa place, tutoyant les anges, caressant les étoiles. Elle est là où elle doit être, elle le sait.

Elle rencontre Richard Pearce à une vente de charité, et, alors qu’elle est au bras d’un autre homme, le charme opère instantanément. L’alchimie entre eux est évidente, et leur entourage les poussent l’un vers l’autre. En quelques mois, l’affaire est pliée, et ils se présentent à l’église un beau matin de mai. Inévitablement, sa robe est à la pointe de la mode, ses formes drapées dans le satin blanc. Encore une fois, tous les hommes ne peuvent que rêver de l’avoir à leur bras et les femmes, de lui ressembler. Mabel Pearce est à l’image de ces actrices qu’elle admirait tant enfant, hyperconsciente du désir et de la jalousie qu’elle provoque sur son passage. Fils d’une vieille famille, Richard fait le paon, promène sa jeune épouse de dîner en réception, et leurs photos paraissent dans la presse mondaine. Mabel rayonne. Seule ombre au tableau, ce ventre qui refuse obstinément de s’arrondir.

Passées les premières années, l’illusion se brise et le voile se lève, révélant les infidélités répétées de l’époux volage. Folle de rage, Mabel n’hésite pas longtemps et décide de le quitter. Elle oublie, cependant, qu’elle n’a signé aucun contrat, rien pour assurer sa survie, tant elle était sûre de l’amour de Richard pour elle. À 30 ans, sans diplôme ni d’autres armes que sa beauté, elle se retrouve pour ainsi dire à la rue (un appartement à Harlem). Si elle tente d’abord de s’en sortir de la même manière, l’échec est cuisant. Ses anciens amis, autrefois si promptes à la flatter et l’abreuver de compliments, se détournent d’elle et filtrent ses appels. Contrainte de travailler, Mabel prend un job de serveuse dans un dinner pourrissant, et se rend vite à l’évidence : la situation lui est insupportable. L’espoir au cœur, elle parcourt les petites annonces, s’imaginant y trouver une solution miracle.

Après quelques mois de galère, c’est finalement ce qui se produit lorsqu’elle découvre un petit encart, discret mais chargé de promesses. De l’argent, beaucoup d’argent, en échange du prêt de son corps. Elle imagine qu’il s’agit de produits cosmétiques, ou, au pire, de médicaments. Que pourrait-il arriver de pire ? Une irritation cutanée passagère, un inconfort intestinal momentané ? Un petit prix à payer, contre la restauration de sa fortune. Mabel n’hésite pas, fonce tête baissée et se présente aux locaux d’Icarus Inc., sans savoir qu’elle vient de signer un pacte avec le diable.

Elle a un peu perdu le compte des années, et avec ça, peut-être un peu de sa raison. Les souvenirs se confondent, brouillés aussi bien par les médicaments que par le traumatisme de la déchirure. Les éclaircies sont rares, et souvent teintées d'un goût d'amertume. Mabel sait que si on a poussé Destruction dans sa direction, c'est dans l'espoir fou de faire naître des enfants dotés dès la naissance de mutations extraordinaires. Mais l'expérience tourne court à plusieurs reprises, jusqu'à ce que les scientifiques se tournent vers d'autres sujets, et d'autres méthodes. Elle a vu, avant que cela n'arrive, la grossesse de Delirium, et ses conséquences. Elle aurait pu, à ce moment-là, modifier le destin de la jeune femme, lui éviter cette naissance qui devait la plonger dans de nouveaux affres de l'esprit. Mais la quarantenaire savait qu'elle serait la mère véritable des jumeaux à venir. Alors elle a laissé faire, et s'accommode on ne peut mieux de sa culpabilité.

À ses côtés depuis déjà plusieurs années, construisant cahin-caha un semblant de relation à travers les barreaux de leurs cages, Destruction se fait père avec elle. Comme Mabel, il éprouve une tendresse particulière pour ces deux enfançons, venus au monde pour assouvir la cupidité des hommes. Il ne faut pas longtemps avant qu'enfle en elle un instinct plus fort que tout, lorsqu'elle serre les jumeaux contre elle. Patiemment, minutieusement, elle les entourent de toutes les attentions qu'une mère peut offrir au fruit de ses entrailles. Avec un détachement clinique, les scientifiques étudient ce comportement comme ils étudieraient une gorille à qui on aurait donné une poupée de chiffon. Elle tâche de les ignorer, même si, dans ces instants, elle se sent moins femme qu'animal.

Ce n'est que bien après qu'elle a pu recoller les morceaux, et comprendre ce qu'il s'était passé. Sur le moment, il lui a juste semblé que la fin du monde se précipitait à leur porte et ça, elle ne l'avait pas vu venir. À défaut d'apocalypse, c'est la chute de New-York qui s'orchestre autour d'eux, dans un concert de destruction, de fracas assourdissants, et d'immeubles effondrés. C'est finalement là qu'ils trouvent leur salut, et prennent la fuite loin des laboratoires d'Icarus. Mais dans le chaos ambiant, l'impensable se produit.

Alors qu'autour d'eux, tout s'effondre, la vie des jumeaux est menacée et, impuissante, Mabel voit Despair s'élancer pour les sauver. Les enfants mis en sécurité, cette dernière s'efforce ensuite de venir en aide à Des/cease mais toutes deux meurent dans cette tentative désespérée. Mais contrairement à Desire, Destiny voit sa jumelle renaître sous la forme d'un nourrisson, qu'elle se charge immédiatement de protéger contre la colère et la douleur de leur sœur. Déchirés par la perte de Despair, ils prennent la fuite pour sauver leur peau, disparaissant définitivement aux yeux d'Icarus.

Rescapés des cages, unis par des liens forgés dans le sang et l'acier, leur petit groupe trouve refuge dans les ruines fumantes de la ville. D'abord des bâtiments éventrés, abandonnés, puis, à force de batailles, un premier vrai foyer dans le New York Times Building. C'est de là que Rhea Lewden commence à construire leur empire, les imposant peu à peu comme des incontournables des bas-fonds new-yorkais. Pendant des années, elle travaille d'arrache-pied, implacable et inexorable. Dans le même temps, sa relation avec Destruction connaît des hauts et des bas, des instants de grâce, de félicité, comme de fureur noire. Elle sait déjà que leur histoire est vouée à l'échec mais elle se refuse à déjouer le destin pour quelques miettes de bonheur. Elle refuse d'être une énième marionnettiste dans l'histoire de Destruction, comme l'ont été tant d'autres avant elle.

Près de quinze ans ont passé depuis la mort de Despair, mais la colère de Desire ne s'est jamais apaisée, et ses disputes avec Rhea sont fréquentes. Trop, au goût de la matriarche qui s'efforce d'unir les siens. La tâche n'est pas très difficile, même si sa relation avec Destruction souffre constamment de la jalousie de l'homme. Ensemble, ils ont élevés les jumeaux comme les leurs, de même que Des/cease. Celle qui fut autrefois l'autre moitié de Destiny est aujourd'hui une jeune fille sans aucun souvenir de sa première vie, ni de la douleur qu'elle a causé.

Les années de rancune accumulées finissent néanmoins par les rattraper, et un conflit latent avec le Maelström explose finalement cette année-là. Après des mois d'escarmouches, de provocation des deux côtés, un affrontement plus important que les autres leur permet de gagner le contrôle de l'empire state building. Mais ils perdent, dans la bataille, les dernières amarres qui retenaient encore Desire. Celle-ci leur tourne définitivement le dos et malgré les mots terribles de Rhea à l'encontre de sa soeur, c'est elle qui s'interpose lorsque Destruction tente de la tuer dans un éclat de colère. Le coup l'atteint, la blessant grièvement et déclenchant la panique parmi les Deadcrows. Desire en profite alors pour prendre la fuite avec Blizzard. C'est la dernière fois que Destiny et Desire se voient.

Après cinq ans, l'emprise des Deadcrows sur l'underapple n'est plus à prouver, même si le Maelström continue à faire parler de lui. Mais ils se battent sur des terrains différents et Rhea accepte de bonne grâce de leur laisser le champ libre dans certains domaines, tout en s'assurant qu'ils ne tentent pas de reprendre leur place de n°1. Tous les Deadcrows sont impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans l'entreprise familiale, bien que l'absence de Desire continue de planer sur eux. Les avis sont divisés sur cette trahison et si elle conserve une certaine rancœur à l'égard de sa sœur, Rhea serait pourtant prête à lui pardonner si celle-ci frappait à leur porte demain.

Elle a pourtant beaucoup souffert de cette défection et a perdu bien plus qu'un membre de sa famille lors de ce terrible jour. Après la blessure qu'elle a subie des mains de Destruction, ce dernier est rongé par une culpabilité dévorante, qui a achevé de détruire les derniers liens qui les unissaient encore. Ils entretiennent aujourd'hui une relation amicale et professionnelle, teintée d'une familiarité et d'une complicité acquises au fil des années. À eux deux, Destiny et Destruction préservent les restes de leur famille bancale, déséquilibrée par la mort et la trahison, tout en faisant prospérer leur empire.