Requiem

Tu allumes une cigarette avant d'attirer à toi la lumière du seul lampadaire présent aux alentours, plongeant ainsi la rue et l'entrée du cimetière dans des ténèbres relatives.
C'est mieux comme cela, et puis, tu ne sais pas ce que tu fous ici, c'est une idée de merde et tu n'arrives à dormir. Sûrement parce que ta dernière dose de Red remonte à plusieurs semaines maintenant et que tu n'as pas les moyens de t'en payer une autre dans l'immédiat. Et puis tu connais les règles, tu connais le dosage, il ne faut pas trop pousser et ce même si tu adores cette sensation. Tu devrais dormir mais la nuit s'étend et tu es là, alors autant aller lui rendre visite. Liz aurait été contente de te voir avec la clope au bec, et elle au moins, elle a eu le droit à une tombe. Elle au moins. Parfois tu te dis que tu viens ici parce que ce que toi tu as perdu n'a jamais été vraiment mis sous terre, ouais, tu viens ici pour t'apaiser un peu et ne pas être hanté par le fantôme de tes propres erreurs. De celle qui est morte sous tes yeux, que tu n'as pas pu sauver, comment tu aurais pu, tu n'étais qu'un gamin perdu et sans aucun moyen à l'époque. Est-ce que les choses ont changé ? Oui, heureusement que oui, sinon, toi aussi, quelqu'un se serait chargé de venir t'enterrer ici. Les allées sont silencieuses, c'est réconfortant dans un sens et c'est très certainement pour cela que tu préfères le calme des nuits. Tu n'as jamais eu peur du noir, tu n'as jamais craint les monstres qui pouvaient s'y terrer, pas quand ces derniers sont tes meilleurs amis, pas quand tu as fini par changer toi aussi à coup d'aiguilles et de Red. Tu connais le chemin pour aller voir Liz, parfois tu ramènes une bouteille d'alcool fort, pas aujourd'hui, non, aujourd'hui tu as été devancé, par Damian et sa silhouette que tu reconnais de loin et c'est assez pour que tu ralentisses tes pas.
Et que tu écoutes, pas besoin d'envahir l'ombre de ce dernier pour l'entendre. Tu as un sourire alors qu'il parle avec dérision de son envie de tuer son paternel, un désir que tu partages secrètement, tu ne comptes pas lui dire, mais il a perdu autre chose. Cela ne le rend pas moins menaçant, de ton expérience, les pertes, ça marque au fer rouge. Il se relève et tu laisses échapper un soupir, faisant un pas dans sa direction. "Et depuis quand je réponds à tes questions gratuitement, Damian ?" Tu réponds cela facilement, avant de fouiller dans tes poches et de lui offrir une autre cigarette. Cela le rendra de meilleure humeur ce grand bourru et il réalisera que tu n'es pas une menace. "T'inquiète pas va, tes secrets sont bien gardés avec moi, je suis une tombe." Et oui, tu as même l'audace de dire cela avec un sourire sur la figure, avant de lui renvoyer un nuage de fumée à la gueule. Tu ne t'attendais pas à le voir ici, il s'agit de sa sœur après tout, pour toi ? C'était juste une connaissance, un drôle de personnage Liz, qui avait toujours les bonnes adresses, qui savaient quel coin éviter et comment. Cela ne t'a pas ému quand tu as appris la nouvelle, mais il y a bien eu quelque chose qui t'a gêné, oui.
"Jte demanderais bien ce que tu fabriques ici, mais je suppose que c'est moi l'intrus, je peux revenir au besoin..." Et les laisser tous les deux, en tête-à-tête.

Quand tu suggères de laisser Damian tout seul avec celle qu'il a perdu, tu es sincère.
Tu es bien des choses, cruel et cynique par bien des aspects, cependant, tu conçois qu'il y a des trucs qui t'échappent et dont il faut se remettre seul. Tu n'es pas de ceux qui exposent leurs faiblesses ou même qui admettent en avoir, alors tu peux laisser Damian quelques moments de solitude pour soigner ses propres blessures. Tu n'a pas besoin de te demander ce qu'une telle perte peut faire, toi ? Tu es fils unique, enfin, de ce que tu sais, tu n'avais qu'un seul parent et ta mère est morte avant même que tu ne prennes conscience de tout ça, tu n'étais qu'un gamin quand elle a disparu sous tes yeux et par bien des aspects, tu le sais, tu es toujours un gamin. Perdu dans une ville trop grande, dans un amas de bruits, de lumières trop vives, de beaucoup d'alcool et de personnes qui toi aussi, essaye de survivre. Tu es peut-être un intrus devant la tombe de Liz, mais ici, dans Crimson Bay, tu te dis que tu fais moins tache que lui, moins tache que Damian. Il ne te congédie pas, tu ne sais pas pourquoi, mais il ne t'envoie pas sur les roses, non, tu as juste le droit à une réplique cinglante, bien digne de lui et tu esquisses un sourire, tes dents bien serrées autour de la clope que tu as toujours au bec. Est-ce qu'il va t'en mettre une ? Franchement ? Tu paierais cher pour voir ça, tu n'es vraiment pas une menace, qu'il se détende le grand gaillard. "Toi ? Trop poli ? Tu te fous de ma gueule, c'est ça ? J'avais pas réalisé que tu étais drôle à ce point-là en fait..."
Tu n'en sais rien, après tout, ce n'est pas comme si vous aviez de grandes conversations, non, vous avez des échanges qui ne sont que des transactions, des dollars contre des informations et cela te va très bien. Tu n'as pas besoin des informations que tu lui donnes et les dollars te permettent de garantir un peu plus ta propre sécurité, et de t'acheter beaucoup, beaucoup plus de Red. Deux choses qui ne sont pas négligeables, et puis, fréquenter Damian, ça te permet de te tenir au courant de ce qui se passe en ville. Ce n'est pas comme si tu passais beaucoup de temps devant un écran ou à écouter ce qui se dit aux informations, du tout même. Au moins, avoir quelqu'un de son rang dans ta vie, ça te permet de voir venir les dangers, c'est donnant, donnant.
"Bitch please, comme si quelqu'un était assez bien pour avoir un rencard avec moi, et puis ce n'est pas gratuit, je ne fais pas dans la charité." Tu roules des yeux, parce que c'est une version bien pâle de ce que tu fais qu'il est en train de décrire et tu hausses les épaules. Avant de te rapprocher, de lisser les pans de ton manteau et de te laisser tomber juste là, juste devant la fameuse pierre tombale avec son nom à elle, parce que c'est ce que tu fais d'ordinaire toi. Avant de taper la causette, parce que pourquoi pas, tu ne sais pas si un quelconque Dieu existe, tu ne sais pas s'il y a une vie après tout ce foutoir, tu sais juste que tu es là et pas elle. Et ce n'est pas comme si elle pouvait te reprendre de là où elle est. "Jsuis là parce que ça fait bizarre de ne pas l'avoir dans les parages, c'est tout... je ne savais pas qu'il me fallait une raison." Autre haussement des épaules de ta part et tu tournes la tête vers lui, ton regard sombre posé sur Damian. "On peut parler business si tu veux, même si je n'ai pas trop de tuyau à te donner là tout de suite, je n'ai rien entendu qui vaille le détour récemment et je ne m'attendais pas à te voir ici..." Du tout même, une véritable surprise, et pour toi qui n'aime pas être pris au dépourvu, on va dire que Damian est l'exception qui confirme la règle. "Sauf si t'as une mission pour moi, tu me connais, je suis plus doué si tu as besoin d'une info particulière, ça la fout mal de poser des questions inutiles par ici alors..."

“Que veux-tu mon grand, moi j’ai toujours la classe, toujours.” Voilà ce que tu réponds, avec un franc sourire sur le visage, tirant encore une fois sur ta cigarette. Damian n’a pas besoin de jouer les prudes devant toi ou même avec toi, tu sais de quoi son quotidien est fait, du moins, tu peux le deviner à ses épaules carrés. Lui, c’est un marteau, les coups qu’il abat sont puissants et on finit toujours par le remarquer. Mais parfois, il a besoin d’utiliser un outil un peu plus fin, c’est là que tu interviens, c’est là que tes services sont utiles.
Tu jettes un coup d’œil à la tombe de Liz quand il en parle et tu n’as aucun élan de sympathie à offrir. Pas de mots doux et tu ne vas pas lui faire l’affront de lui dire que sa sœur est dans un endroit meilleur. Putain, c’est tellement cliché à dire, et qu’est-ce que tu en sais dans le fond ? Est-ce qu’il y a une vie après la mort? Après s’être balloté ici et là, après avoir tenté de survivre du mieux que l’on peut ? Tu n’en sais rien, tu ne l’espères même pas et dans le fond, ça ne te concerne pas. Le futur ? Pas vraiment, tu vis nuit après nuit et c’est tout. Damian l’ouvre encore et cette fois-là, tu hausses un sourcil, clairement curieux. “Pas évident que tu dis… Vas-y, je suis intéressé.” Plus c’est compliqué, mieux est la paye, tu en es sûr et certain, et cela va te garantir un frigo rempli et surtout, du Red. Tu es prêt à aller loin pour avoir ta dose et pour continuer de te sentir puissant, vraiment loin et il n’a pas envie de savoir à quel point en réalité, du tout que tu te dis. Il te donne des informations et tu ne peux t’empêcher de promener ton regard aux alentours pour t’assurer que vous êtes bien seuls. Vous l’êtes pour le moment, tu le sais et tu te chargeras personnellement d’envoyer sur les roses toute personne qui oserait venir vous déranger.
Violet, altéré, tu vis dans l’Underapple, tu as remarqué la nouvelle vague de rumeurs qui secouaient tout le monde et il y a eu cette annonce, un franc appel à la délation, les plus puissants condamnant déjà l’utilisation de Violet. Comme si cela allait véritablement changer quoi que ce soit… une blague vraiment. Tu réfléchis pendant un instant, tu gardes le nom dans ta tête, “Je crois que je peux faire quelque chose pour toi, et puis j’en ai plus ou moins entendu parler, pas sur le marché noir malheureusement, mais je peux me renseigner dans tous les cas. Je serais toujours plus discret que toi... sans aucun soucis en fait.” Un rire t’échappe à la fin de ta phrase, parce que c’est la vérité, et tu fréquentes tellement souvent le marché noir que tu fais partie des meubles, tu ne risques pas d’éveiller les soupçons, on connaît ton joli minois, on sait que tu payes les informations chères et que tu peux la fermer. Personne ne se doute que tu refiles tout cela à Damian mais dans le fond, ça ne les regarde pas, tu te fiches de l’opinion des gens, tu fais ce que tu peux pour survivre et c’est tout. Sans ami, sans protecteur, sans personne pour te dire quoi faire et surtout, sans personne pour te dicter ta conduite. Car c’est cela le plus important, le fait que tu sois libre et qu’on ne peut rien t’imposer dans le fond, ça c’est le plus important et certainement pas autre chose. “Avant que je ne me lance sur la piste, il me faut un nombre, parce que je ne me mets pas dans la merde pour des clous.” Le sourire qui se dessine sur ton visage est beaucoup plus prononcé, beaucoup plus sérieux aussi et Damian a intérêt à te donner une bonne réponse, sinon tu risques de tourner les talons, littéralement.

Vous arrivez enfin à ta partie préférée de la conversation, c’est le moment de la négociation, le moment où il fait miroiter des sommes d’argent devant toi pour t’inciter, pour te motiver à courir et à aller te mettre en danger. Tu t’en fiches de savoir si Damian est du côté de la justice ou pas, si ce qu’il fait est correct, tu t’en fous royalement en réalité, ce n’est pas ce que qui compte. Non, la seule chose que tu vois, c'est l’argent qui rentre dans tes poches et qui te permet de tenir un jour de plus, une nuit de plus et c’est tout en réalité. Tout ce que tu vois, la seule chose qui est importante dans ton monde. Tu l’écoutes te donner des prix en tirant sur ta cigarette, tu pèses le pour et le contre rapidement et tout ce que tu pourrais faire des sommes qu’il te donne.
Et surtout, où est-ce que tu pourrais aller chercher les informations, on trouve de tout au marché noir, ça serait ton premier stop et peut-être parler à un ou deux dealers de Red pour savoir s’ils ont entendu parler de quoi que ce soit le tout avec un joli sourire aux lèvres et les passes habituelles. Le nom revient, tu laisses filtrer un nuage de fumée de tes lèvres, avant de reprendre la parole. “Tu me dis de me méfier et c’est tout ce que tu me proposes ? Et s’il m’arrive quoi que ce soit Damian, hmm ? Et si je dois me mettre en danger pour obtenir toutes ces informations qui te sont si précieuses ?” En réalité, tu ne cherches même pas à le faire culpabiliser, il se moque de ton sort et tu lui retournes bien la pareille, tu n’as pas besoin qu’il s’inquiète, pas besoin qu’il verse de larmes pour toi si tu finis par avoir une tombe juste à côté de celle de sa sœur.
Non, tu es juste là pour négocier et comme le monstre affamé que tu es, tu es là pour en demander plus, pour réclamer plus et parce que tu sais que pour ce genre d’informations, tu peux imposer tes prix. Et que la compétition sera rude, après tout, Damian n’est pas le seul curieux, tu peux déjà le savoir, le voir et l’anticiper, il te faudra user de la ressource et de tous tes atouts pour avoir ce que tu veux. “Je n’ai pas l’impression que tu réalises à quel point mon temps est précieux et que je pourrais aller gagner tout ça en genoux.” Ce qui serait beaucoup plus sécurisé et te garantirait un repas chaud au moins, cela, Damian s’en doute et tu finis par te redresser, d’un simple mouvement, de nouveau sur tes deux pieds, tu jauges l’autre homme de la tête aux pieds. “Rajoute au moins cinq cents dollars sur tous les prix que tu viens me donner et on aura un marché toi et moi.” Ouais, tu demandes beaucoup, mais c’est ainsi que se font les négociations, tu exiges un montant exorbitant, il consent à couper la poire en deux et tu repars avec un peu plus… C’est comme cela que fonctionne le monde et surtout quand on est vorace que toi.

Oui, tu pousses, oui, tu abuses, tu en as parfaitement conscience, mais si cela ne convient pas à Damian, il pourra toujours t'envoyer sur les roses et trouver quelqu'un d'autres pour aller lui chercher des informations dans Crimson Bay ou même dans l'Underapple en général. Pour toi, ce n'est pas un lieu où la criminalité est élevée, non, c'est la maison, c'est ton quotidien, tu te fonds dans la masse et dans les problèmes d'un simple claquement de doigts. Tu te fous bien de la Violet, tu n'en as rien à faire si ça détruit les rues et que les puissants de la ville ont décrété que c'était la plaie du moment, vraiment, tu t'en fous, cela ne va pas changer ton quotidien. C'est lui qui a besoin des informations, pas toi. Tu l'observes prendre sa décision et un léger rire finit par t'échapper quand ce grand gaillard proteste. "Non, mais je sais que tes poches sont profondes." Tu réponds cela le plus naturellement du monde, laissant filtrer un nuage de fumée, ne cachant absolument pas tes intentions. Damian élève la voix et tu décides de ne pas l'interrompre, pour qu'il prenne sa décision tout seul. Pour qui est-ce qu'il te prend au juste ? Tu as beau ne pas avoir reçu de véritable éducation, tu es un gamin des rues pas autre chose, s'il y a bien quelque chose que tu peux comprendre et que tu peux respecter dans un sens, c'est un échange de bons procédés.
Et une transaction, tu donnes quelque chose et il paie le bon montant, c'est la seule chose qui a du sens dans ton monde, ce qui le fait tourner sur son axe, alors non, que Damian ne s'y méprenne pas, tu comprends. Six cents dollars pour un dealer, ça te parait correct, ça pourra t'acheter quelques doses de Red et remplir ton frigo. La promesse de tout cet argent te pousse à écraser ta cigarette, un sourire carnassier sur ton visage. Tu es prêt à remuer toute l'Underapple pour obtenir toutes les informations possibles, attention, personne ne sera à l'abri de tout ça. "Eh bah, tu vois quand tu veux." Tu dis cela sur un ton joyeux, comme si Damian venait de t'annoncer que Noël, c'était demain. Tu hoches la tête, faisant quelques pas pour arriver à sa hauteur. "On a un deal mon grand, je vais me lancer sur la piste, ne t'inquiète pas si tu n'as pas de nouvelles, jte contacterais quand j'aurais quelque chose d'intéressant." Ta parole, c'est la seule chose qui a encore de la valeur à tes yeux, quelque chose que tu ne donnes pas de façon légère, contrairement à ton corps d'ailleurs, et la seule vraie garantie que tu ne l'ouvres pas ou pire encore, que tu mentionnes le nom de Damian quand tu vas te lancer à la pêche aux informations.
Tu hoches de nouveau la tête, ta mission bien en tête, Damian a le droit à une petite tape sur les épaules, avant que tu ne commences à faire le chemin en sens inverse. "Je vous laisse en tête-à-tête." Comme quoi, venir ici était une bonne idée, on dira merci à Liz, que tu ne peux t'empêcher de penser avec un sourire sur le visage.