Amapola • Flowers bloom as you pass by.

3 Avril 1992
La petite fleur naît, pimpante et poudrée de talc, fruit d'un profond amour prospérant depuis des années. La petite fleur crie de joie, à les voir tous les trois, son père, son frère Jared (de moitié, mais tout entier dans son cœur) et surtout sa mère, à laquelle elle ressemble déjà.
La petite fleur est enfin là.
Mais pourtant, elle ignore qu'elle en est une.

Juillet 2000
La petite fleur est indécise. Plantée devant la penderie de sa mère, les étoffes sont toutes aussi belle les unes que les autres. Laquelle choisir ? C'est impossible ! Elle ne peut pas demander d'aide, parce que tout le monde est occupé. Papa est devant la télé, Jared est sorti voir ses amis, et Maman travaille encore. C'est dommage que personne ne soit là pour la guider, car la petite fleur finit par choisir toute seule : un tissu brillant, jaune ardent, trois fois trop grand. Hissée sur un escabeau de fortune composée d'une pile de boîtes de chaussures, elle essaye de l'attraper, glisse et tombe, provoque un vacarme assourdissant. Son père débarque immédiatement, juge l'état de la situation d'une regard furibond. La petite fleur essaie de se justifier, mais son visage marqué ne trompe pas : avant de choisir sa tenue de princesse, il a bien fallu se maquiller. Comme lorsque Maman sort avec Papa et que la baby-sitter vient pour la soirée.
La petite fleur baisse les yeux quand son père crie. Le reste de la journée sera difficile, ses parents discuteront, se disputeront même, le tout sans elle, isolée, punie dans sa chambre. Il n'y aura que Jared pour braver l'interdit et venir la prendre dans ses bras.
Pour déjà, lui permettre d'éclore un peu sous sa lumière.

2004
La petite fleur est curieuse. Elle voit de plus en plus son grand frère partir plus tôt le matin pour le lycée, rentrer plus tard, passer souvent chez les voisins de l'étage plus bas, madame Avery et son fils Seth, qu'elle connait bien. Ca fait longtemps qu'ils sont amis, Jared et lui, que madame Avery vient dîner chez eux, que l'inverse est tout aussi vrai, qu'elle apporte ces cookies à la pomme et aux noix que la petite fleur aime tant. Alors elle n'est pas surprise que Jared et Seth soit proches, elle est juste un petit peu jalouse.
C'est son amoureux à elle quoi, zut !
Elle est d'autant plus surprise le soir où, ses parents encore de sortis, ce n'est plus Nancy la baby-sitter qui les garde parce que Jared est assez grand pour le faire. Mais Seth vient, cette fois. La petite fleur est ravie ! Elle babille, sautille, tente d'attirer son attention, mais même s'il reste gentil, elle voit bien que ce n'est pas elle qu'il regarde. Et quand elle fait mine d'aller se coucher, qu'elle redescend tout doucement les marches de l'escalier, que devant sa mine d'espionne elle surprend un baiser sur le canapé, face à un film qu'ils ne regardent même plus.
Ce secret, elle le gardera. Bon, quelques jours à peine, quand elle finira par confronter son frère, la mine courroucée. C'est pas juste !, qu'elle entonne. Mais tant pis, c'est pas grave. Elle en plein d'autres, des amoureux. C'est juste qu'elle ne leur a pas dis, parce qu'elle a un peu peur, la petite fleur, qu'ils ne veulent pas d'elle.
Mais Jared sourit quand même, frotte ses cheveux en bon aîné, lui fait promettre de ne rien dire à leurs parents. Tout comme lui ne dira rien sur sa boîte secrète, pleine de vieux magazines que Maman ne lit plus, d'accessoires pour cheveux piqués aux filles de sa classe, de jouets codifiés auxquels elle n'a pas le droit de jouer sans qu'on se moque. Tout ça, il le gardera pour lui.
C'est une promesse faite avec le petit doigt, et ça, ça compte plus que tout au monde.

11 Octobre 2005
La petite fleur a peur. Elle retient son souffle quand Jared la regarde, l'air déterminé cependant, plus fort et plus sûr de lui qu'elle ne le sera jamais. Elle s'accroche à son bras, demande si c'est vraiment la bonne chose à faire, lui, lui sourit encore. Toujours, elle s'y accroche, à cette force tranquille qu'il émane, juste pour la rassurer.
Tu es ma petite soeur.
Le jour où il lui a dit, où il a compris, où il a su et qu'elle aussi, qu'ils se sont trouvés pour ce qu'ils étaient, la petite fleur s'est sentie écoutée. Depuis le jour où elle les a surpris Seth et lui, elle a voulu en savoir plus, les accompagner parfois voir certain.es de leurs ami.es, toustes différent.es mais avec le même objectif de vie : être heureux en étant elleux-mêmes. Alors désormais, elle sait. Elle veut le dire, avec lui, en même temps que son secret bien gardé.
Elle a préparé son petit papier, comme Jared le lui a conseillé. Plus qu'une poignée de minutes avant de se jeter à l'eau.
Elle et lui descendent rejoindre leurs parents, scotcher devant un reportage des affaires locales, concernant la montée des groupuscules opposant mutants et altérés. La petite fleur n'écoute pas, concentrée sur son discours.
C'est Jared qui commence, qui attire leur attention, qui explique, avec ses mots, qu'il aime les garçons.
Et la petite fleur devient grande en affirmant qu'elle n'en est pas un.

Elle ne se souvient pas très bien de la réaction qui a suivi. Encore aujourd'hui, les évènements sont flous, ponctués par le drame frappant la ville dés le lendemain.
Car les évènements de la télévision se sont imbriqués dans leur quotidien.
La ville a péri, et leurs parents aussi.

16 Octobre 2005
La fleur s'est flétrit. Au fond de son lit d'hôpital, ses yeux s'ouvrent et ses blessures la lancent. Il y a eu une explosion, dans la rue, alors qu'ils fuyaient tous les quatre loin des massacres. C'est tout ce dont elle arrivent à se souvenir. Ca, et les cris, et la sensation de douleurs quand elle a lâché la main de son frère.
Son frère ?
Il n'est pas là.
À sa place, c'est sa tante Maria, qui pleure en la prenant dans ses bras, délicatement, pour ne pas déchirer ses pétales plus qu'ils ne le sont déjà. Le soulagement est mutuel, mais la fleur ne sait pas comment réagir. Au fur et à mesure qu'elle comprend ce qu'il s'est passé, ses larmes glissent à flot comme une cascade de perles de rosée.
Il faudra beaucoup de temps et de patience à l'équipe de l'hôpital pour qu'elle puisse enfin se livrer, décharger sa culpabilité et cette impression d'avoir causé la fin du monde avec sa confession, que c'est de sa faute si tout est arrivé.
Elle comprendra que tout ça n'a rien à voir, qu'elle n'a pas à avoir honte et que ces coïncidences, aussi désastreuses soient-elles, ne doivent pas entamer celle qui dort au fond d'elle depuis trop longtemps.
Tante Maria restera avec elle tout au long de sa convalescence, la soutiendra et deviendra, de facto, sa responsable légale.
La fleur part alors pour Chicago, pour débuter une nouvelle vie, un nouvel espoir, une façon de renaître au milieu d'un champs qui ne sera pas constellé de ruines.  

Son oncle Benicio l'accueille, comme ses trois cousines et son cousin, toustes ravi.es malgré le malheur. On l'a fait se sentir à la maison, on est heureux, on essaye de lui faire passer la peine. Et puis, on discute avec elle.
On l'écoute, elle et ses changements, ses ressentis qui ne sont plus vraiment ceux d'un enfant. Elle affirme qu'elle voudrait changer de prénom. Elle ne sait pas encore quoi.
C'est un livre de tonton Benicio qui l'aguillera, un soir. Une magnifique fleur rouge l'orne, elle n'est pas certaine de savoir ce dont il s'agit.

Celle-là ? C'est un coquelicot, "una amapola", comme on dit chez moi !

Le mot résonne.
Amapola.
C'est beau.
Et ça lui va.
Dans toute sa tristesse, la fleur sourit subitement.

Elle a bel et bien un nom, finalement.

Octobre 2005 - 2012
Amapola, bien nommée et définie désormais, grandit et s'épanouit dans le coeur d'un Chicago vibrant au gré des changements. Dans la ville, mais aussi en elle, les années passent et elle s'affirme, vit, toujours plus fort. Il y a des jours plus simples que d'autres, mais soutenue par ses proches, elle peut se courber sans jamais se rompre.
Les années filent et elle s'effile, trouve sa voie sur une pente ascendante, celle de la danse qui lui permet de s'exprimer toujours plus. Le lycée terminé, elle ne cherche même pas à aller à l'université : elle brillera dans son école et dans sa troupe fréquentée depuis le milieu de l'adolescence, qui commence même à se faire connaître petit à petit au-delà des frontières des États-Unis. Le gros lot est remporté au prix d'efforts et de relations, car un ami d'oncle Benicio recherche justement de jeunes talents pour un spectacle de cabaret d'envergure à Rio de Janeiro. Le groupe s'envole pour le Brésil et, d'une impulsion commune sous la passion de leur art, performe pendant des semaines sous le soleil d'Amérique du Sud.
C'est le soir de leur dernière prestation qu'Amapola le rencontre. Leurs regards s'accrochent entre deux mouvements, il la trouble un instant, ah, mince, elle rate un pas, mais ce n'est pas grave. Elle se redresse, toujours plus brillante. Les applaudissements pleuvent et de retour en loge, on la demande, et il la voit. Elle le voit. Ricardo Cuaro, de tout son charme provoquant et de son sourire merveilleux, est le premier homme à lui dire qu'elle est belle. Pas juste "jolie", ou "sympa", ou "douée", juste belle. Les mots qu'on réserve aux grandes dames admirées, courtisées même, dans l'imaginaire de la toute jeune danseuse qu'elle est. Un baise-main suffira à conquérir son petite coeur palpitant, profondément ancré dans sa gorge, l'empêchant de parler.
C'est tout aussi simplement qu'elle tombera amoureuse de lui. Tout aussi simplement qu'elle décidera de passer le reste de sa soirée à ses côtés. Tout simplement que dés le lendemain, elle annoncera à ses ami.es qu'elle ne rentrera pas avec elleux, juste pour profiter encore un peu, "peut-être plus tard", qu'elle annonce sans trop y croire.

Elle ne veut vivre que le présent. Et ce présent, c'est lui qui, quelques mois à peine plus tard, la demande en mariage.
Elle devient épouse de cet homme dont au final, elle ne connait presque rien.
Mais qu'importe.
Elle existe, dans ses yeux à Lui, dans ses mots à Lui, comme une femme d'exception.

2013 - 2019
Amapola tourbillonne, illusionnée de tout ce que cette nouvelle vie lui apporte. Ricardo est incroyable, fantastique, diablement prévenant et généreux. Il la couvre de cadeaux, lui offre absolument tout ce qu'elle désire, la noie de faux-semblants pour mettre sa richesse en avant, au détriment du reste. Car si elle s'intéresse davantage à lui, elle ne fait qu'égratigner la surface de quelques secrets qu'il garde : car Ricardo n'est pas seulement celui qu'il prétend. Il est plus notoire qu'elle pourrait le croire, en tant que chef du cartel local de recel de drogue, plaque tournante d'un trafic qu'elle découvre en demi-teinte. Si elle ferme les yeux au début, davantage par crainte que par consentement, ce n'est que lorsqu'elle remet en cause certaines actions qu'elle aperçoit le véritable visage de celui qu'elle aime. Aimait, sans doute. Au fil des années, l'illusion ne prend plus, d'un côté comme de l'autre. Ricardo ne séduit plus, il laisse sa violence ressurgir, dans ses paroles, ses mots durs, trop crus pour elle.
Pourtant, il sait.
Mais les paroles blessantes tombent quand même, renforçant sa position dans ce carcan machiste dans laquelle elle se sent prisonnière, désormais.
Elle bouillonne, Amapola.
Elle a cette sensation de n'être qu'un outil pour combler un vide, qu'un joli minois pour élever des enfants d'un ancien mariage, trop grands et trop distants pour pouvoir établir un lien.
La frustration naît. Les disputes grandissent. Et l'une de trop signera l'instant terrible : une gifle.
Une seule, et ce fût la fin.

La colère et la douleur font rougir la fleur qui, dés l'absence de son époux le lendemain, videra les coffres de l'immense villa après l'avoir saccagée, ira dénoncer les activités du cartel aux autorités locales, et s'enfuira à bord d'une rutilante Porsch, les sacs de billets à l'arrière du véhicule, "Got to be real" de Cheryl Lynn au plus haut volume et un cri de victoire lancé dans les airs alors qu'elles sillonnent les routes, son plan de remonter vers Chicago.

Elle se sent libre, enfin !!

Mais la liberté ne sera que de courte durée. Arrêtée par la police des frontières au moment fatidique, sa bonne volonté ne fera pas grand chose contre la justice. Au terme du procès impliquant son mari, elle sera accusée de complicité frauduleuse et sera condamnée à 6 mois de prison avec une remise de peine.

2019 - 2020
Amapola rayonne. À sa sortie de prison courant 2020, elle se rend compte combien le soleil lui a manqué. Sa famille, aussi. Elle rejoint Chicago quelques temps avant d'entendre parler de combien New-Blossom est extraordinaire, reconstruite sur les cendres du vieux New-York.
Elle y songe, un moment.
Longtemps, avant de prendre la décision d'y retourner, comme pour faire son deuil lointain à sa manière, réfléchir à l'avenir plus sereinement. Son peu d'affaires sous le bras (et fauchée comme les blés, la police brésilienne lui ayant piqué tout son butin avant de l'enfermer), elle s'envole à nouveau vers la grosse pomme bardée de métal et de nouveautés, où elle ne reconnait plus rien de ce qu'elle connaissait.
Elle y repense, pourtant.
À ses parents.
À Jared.

Une fois sur place, elle cherche leurs noms sur le mémorial des victimes, elle n'aperçoit que celui de sa mère et de son père.
Pas celui de son frère.

Ca crée un écho. Un espoir latent, qu'elle nourrit malgré elle : Et si Jared était toujours en vie ?
Toujours ici ?
Et la place qu'elle n'arrive pas à trouver, la cherche-t-il, lui aussi ?

2020 - 2025
Amapola tâtonne. Entre petits boulots, chemin de vie diverses et déconfiture, elle soupire et perd petit à petit ses maigres pistes qu'elle parvient à grapiller, ça et là. Elle vit, pourtant, de belles choses de son côtés. La scène queer de New-Blossom est éminemment riche, lui permet de s'exprimer sous toutes les coutures. C'est en 2021 que "Poppy" arrive dans sa vie, encore présent.e à ses côtés sous les traits de spectacles qu'elle crée sur les scènes ouvertes de différents quartiers.

La ville ressemble à New-York sans ses mauvais côtés, avec cet aspect aseptisé dont elle ne sait pas vraiment quoi penser. Elle renoue aussi avec de vieilles connaissances (ce bougre de Seth, pour ne pas le nommer) et en rencontre d'autres. L'une de ces vieilles figures ressurgit par hasard au courant de l'année 2025 : Mildred, une ancienne de sa troupe d'antan, a des ennuis. Elle et sa petite "chaumière aux plaisirs", comme elle l'appelle, tout au fond du tumulte de l'Underapple. Amapola est circonspecte, mais après tout, on chuchote que cet endroit est idéal pour obtenir des informations que l'on ne trouverait pas à la surface. Alors elle accepte de tenir cette boîte de luxure BDSM quelques mois, le temps pour Mildred de démêler ses affaires avec la justice dont elle ne comprend pas tout (et puis, au fond, ça ne l'intéresse pas beaucoup). Elle sera donc tenancière du Dollhouse jusqu'au retour de la patronne légitime vers la fin de l'année. Mais toujours est-il qu'elle veille encore de loin sur ces "petits angelots" qui l'ont accueillie, elle aussi, à leur manière.

2025 - Aujourd'hui
Amapola vit. Tout simplement, à pleins poumons, elle sourit entièrement, entière et avenante. Rien ne la brisera plus, c'est un serment qu'elle se fait, à elle et au monde entier.
Si son nouveau boulot de professeur de danse lui plait, elle semble se rapprocher petit à petit de son objectif de vie, de l'atteindre, cette place méritée, cet endroit où elle se sentira reine de son petit cosmos.

En attendant, il suffit de continuer à avancer.
C'est qu'elle n'est pas faite pour reculer, la fleur sauvage.
Tout ce qu'elle saura faire, c'est grandir, encore et toujours

C'est que les coquelicots ont besoin d'espace pour s'épanouir pleinement !
Ce qu'elle compte bien faire, et ce, dés maintenant.