father and son

Si la réunion des Majors se déroule parfaitement bien, Louis, appelé Justice dans ces circonstances, n’a pourtant pas réellement le cœur à l’ouvrage. Pas l’ombre d’une vanne foireuse, seulement quelques sourires qu’on lui sait naturels, mais dont les rares incrédules s’apercevraient d’une mascarade. Et Dieu seul sait que Louis n’était pas bon au mensonge, pas de ce genre là en tout cas. Dissimuler de réels tracas n’avait strictement rien à voir avec le fait de devoir aménager sa vie toute entière autour du secret de l’Arcana et de ce qu’il croit y faire de juste. C’est même pour cette raison qu’il est présent depuis toutes ces années, parce que la redistribution des richesses lui parait aussi nécessaire que légitime. Les corporations affamaient les survivants n’ayant pas le luxe de s’épanouir à la surface. En retour, lesdits survivants se trouvaient des alliés comme ils le pouvaient.

"Ce sera tout pour ce soir. Vous pouvez y aller, bonne soirée mes poussins !” C’est la façon dont Leon clôt la séance, comme on dit, et les concerné-es déguerpissent au fur et à mesure, certain-es plus rapides que d’autres. Louis, lui, a quand même bien mal au dos ces derniers jours, à croire que même son corps lui disait qu’il en avait ras la casquette. “Hop hop, pas toi Justice ! Faut qu'on cause. Tu veux bien rester deux minutes ? - Deux, ça m’va, j’sais pas compter plus loin.”

De toute façon, c’est pas comme s’il avait été le plus rapide de la portée, et dans un grondement tout à fait daron dans l’âme, quoique môme par après, il soupire et s’essaie à un solo de claquettes. Second degré.

“Tu veux qu’on parle héritage ? J’t’ai déjà dit que j’allais juste prendre tes vinyles, ta bague là… ptet bien ton bridge vu que faudrait que j’aille aussi chez le dentiste mais, hmpf, flemme. Faut signer un truc ?”

Il était parti pour faire son cirque encore longtemps, mais c’était au moins pour qu’aucun Major sortant ne se demande ce qu’il pourrait bien advenir de ces deux minutes. Entre eux, y’avait toujours un goût d’éternité, mais c’était la bouche en cœur, alors ils allaient pas s’en plaindre, pas vrai ? A peine debout, il se rassied bras croisés non pas sur sa chaise mais sur la table, ce qui était une solution qu’on lui connaissait souvent, et puis, c’était quoi, deux minutes ?

“T’en tires, une tête. J’ai eu la gastro hier mais quand même, faut pas s’inquiéter pour ça, on chie tous en spray passé un certain âge.”

Une sacrée gastro dans son cas, même s’il pouffe comme un clown pour faire écran de fumée ; y’a le fond de son regard, las, qui ne trompe pas. Et niveau indigestion, il était arrivé à son paroxysme : Ehvan était revenu d’entre les morts pour faire chier tout le cortège de bonnes personnes qui restaient encore (virtuellement) en vie, lui aussi.

@leon crown

Il les aligne, une à une, ses très chères étoiles montantes du monde de l'ombre. Il les acclame, leur dit ce qui lui convient dans les récents bilans, félicite la moindre prise de risque payante, la moindre montée en puissance de l'une d'entre elles, rend homme aux prouesses inespérées. Mais l'Empereur sanctionne, aussi. N'hésite pas à leur rappeler qu'ils sont comme sa famille mais aussi et surtout, ses alliés.
Que la Maison-Dieu, parmi tout les Arcanes, doit être celle qui doit prospérer à tout prix si l'on veut éviter que la foudre tombe et ne la réduise en cendres. Même sous terre, les mauvais orages et les éclats de rage peuvent tout ruiner.
Mais la tablée de ce soir le ravie : tous.tes ont fait du très bon travail pour s'assurer que l'Arcana reste la puissance qu'elle inspire, et pour ça, l'Empereur ne peut que les acclamer ! À deux doigts de leur filer un jour de congés supplémentaire à chacun.e, si seulement le crime parvenait à se reposer lui aussi.
Ils se contenteront d'une prime sur leur prochain salaire - à négocier avec le maître des finances, mais très honnêtement, Leon est trop satisfait pour accepter un quelconque refus.

Une chose le chiffonne, cependant. Et ça ne concerne ni les activités de l'Arcana, ni même quoique ce soit en rapport avec le casino. Le sentiment est plus personnel, relève d'une intuition qu'il n'affiche pas à tout-va, quelque chose qui lui appartient entièrement. L'instinct paternel qui a titillé ses sens tout le long de la réunion. Alors quand il congédie ses employés, un seul doit demeurer : Justice, aka petit Louis, aka le gosse qui a traîné dans ses bottes à l'époque de Las Vegas.

Quand ils ne sont plus que tout les deux, les deux hommes s'accordent le droit de laisser les masques au placard, de laisser leur connivence d'antan reprendre le dessus. Et malgré ce lâcher-prise, Leon le sait : Louis n'est pas comme d'habitude. Parce qu'il y a cet effort dérangeant dans sa manière d'aligner les vannes, là où le naturel chez lui est déconcertant de sincérité. Il l'a appris du meilleur dans le domaine, après tout !
Alors ce n'est pas à lui qu'il saura mentir.
Même si ça l'amuse de le voir essayer.

« Hé doucement gamin, qui parle d'héritage ? T'as cru que j'allais caner si vite ? J'ai encore pas mal d'années devant moi hein ! »

En soi, c'était vrai. Sauf qu'il n'avait aucun moyen de savoir combien, étant donné qu'en 120 ans, le seul signe d'une quelconque trace de vieillissement fût l'apparition d'un cheveu blanc au cours des années 90. Alors, bon, il pouvait s'assoir sur ses disques avant un bon moment.

Le truc, c'est que Louis n'était pas du genre à révéler ce qui lui pesait sur le coeur aussi facilement. Alors Leon devait user de tactiques affûtées pour parvenir à ses fins. Il craque un rire désabusée face à la nouvelle parade de son poulain, tout en prenant deux verres d'une vitrine toute proche de la table de réunion.

« J'te signale que j'ai changé tes couches, alors c'est pas ça qui m'impressionne. Essaye autre chose ! »

Il se marre, quand même. C'est qu'il essaye déjà, mais ça ne prend pas, pas avec lui. En plus des deux verres, Leon sort également une bouteille d'un mélange spécial, qu'il ne réserve pas non plus à n'importe qui. L'aspect le ramène des années en arrière, le jour où la mère de Louis lui avait appris le secret de son ti' punch rien qu'à elle. Un moment qu'il veut solennelle, chaque fois qu'il s'entretient avec son fils.  

« Et c'est pas moi qui tire la tronche ici, mon p'tit. »

D'un geste souple, il fait glisser le verre rempli jusqu'à Louis sur la table ciré, avant de se servir lui-même et de venir s'assoir contre la table à son tour, plus proche du fiston spirituel. Il le fixe un instant, un sourire en coin, si caractéristique chez lui. C'est assez terrible quand on le connait, car même ainsi, on ne sait jamais vraiment ce qu'il cache.

« Me mène pas en bateau, ok ? T'as exactement la même tête que lorsque t'avais fais un soleil avec ton vélo dans l'allée et que t'osais pas avouer à ta mère que tu l'avais cassé. »

L'anecdote parmi tant d'autres, c'est la première qui lui vient en tête. Louis et sa mine basse, qui s'était aussi fait mal dans la chute, mais qui avait davantage honte de devoir faire  face à l'inquiétude de Victoire. Leon l'avait aidé à l'époque, signe qu'il serait toujours là, même encore aujourd'hui.
Ce n'est pas parce que lui vieillit que les choses doivent changer.  

« Alors ? Tu balances tout seul cette fois, ou faut que je te soule au point où tu m'avoueras même des trucs que j'veux pas savoir ? »

Souler, oui, aussi bien métaphoriquement avec ta ténacité et que physiquement, avec le ti'punch directement issu de la recette de Victoire. La bravache ! Elle savait y faire avec les cocktails qui arrachent.
Pas sûr que Leon ait même réussi à émuler le quart de l'ivresse que peut procurer une telle bombe.
Mais le biais nostalgique suffira peut-être à faire craquer Louis, qui sait.
C'est que Papa s'inquiète, mince à la fin !

@Louis Griffin