illuminate

”J’t’ai déjà dit qu’on s’en fout, rature le truc là,” que Louis baragouine à l’officier, bien plus tendu que celui qui aurait dû l’être. Sa voiture a reçu quelques dégâts, étant parquée sur une place pour les employés de police, et le bolide étant sans doute l’un des plus chers sur la ligne, le jeune avait voulu faire ses preuves sur les méchants de la surface. Putain, s’il savait. C’est à l’aveugle que Griffin est en train de négocier pour un allègement, ou qu’au moins, il ait rien d’inscrit dans son casier qui a priori était déjà bien chargé. Le vingtenaire, tête basse et menotté, tire la gueule sur l’espèce de banc au fond de la pièce, tape du pied nerveusement. Un camé, à n’en point douter. Pas leur faute, s’ils sont laissés dans la merde là-dessous, qu’il pense. Ces gens se défendent comme ils le peuvent, face aux corpos et à tous ces vendus qui n’en ont rien à carrer d’eux.

“T’as quelqu’un à appeler ?” qu’il demande au minot, qui renifle fort, tendu comme un arc. “Allez, fait un effort, t’as fait ton œuvre de la journée là.” Un numéro finit par être appelé, c’est assez bref, Louis n’entend pas grand chose mais c’est un homme et il est dépêché sur place. Faut une dizaine de minutes, pas plus, pour que le concerné débarque, et Griffin se fout royalement d’appeler son assurance pour le moment, plus intéressé par un SMS que Barbara lui a envoyé.

M. Tremblay se présente à l’espèce de guichet, un peu plus loin, et en levant le nez, Louis a l’impression de retrouver ses jambes, perdre dix ans et revoir un fantôme, ému jusqu'aux tripes. Il se lève, assit pas loin du môme prit en flagrant délit. Y’a pourtant plus grand chose qui soit sensé, quand il croise le regard de celui qui vient le chercher.

Thomas.

C’est comme ça qu’il s’appelait.

@gregory tremblay

tw : mention de prise de stupéfiant (red)

L'appel du commissariat l'a coupé dans son élan. À la poursuite d'une silhouette pistée depuis une semaine pour le compte ses pairs insectes, Le Cafard a dû troquer sa mue d'espion pour celle de tuteur illégal. Sans vraiment de regrets, ou de frustration associée : il ne fait que revoir ses plans pour l'instant. Un rapide calcul lui permet de deviner où se trouvera sa cible lorsqu'il voudra la retrouver, selon la routine qu'il a pu observer. En dépit du soleil de la surface, les puits d'ombre le dissimulent suffisamment pour lui permette d'enquêter. Il lui suffit juste de savoir où les trouver.
C'est en chemin qu'il réfléchit à ce que Bill, le garçon dont on lui signalé la garde à vue, avait bien pu faire pour se retrouver dans cette situation. D'autant plus qu'il n'était pas censé quitter le dispensaire aujourd'hui, ce que Jasper avait confirmé le matin même quand Gregory s'y était rendu. Alors que pouvait-il bien fabriquer à la surface ? Comment était-il parvenu à quitter sa chambre sans qu'on le remarque ?
Et surtout, avait-il repris du Red, malgré ses trois semaines d'abstinence ?

Gregory a à peine le temps de se présenter que le garçon se précipite hors du bureau où on lui a demandé de rester sagement assis jusqu'à ce qu'on vienne le chercher. La grande tige de 23 ans s'effondre en larmes contre celui qui représente, en quelque sorte, sa dernière chance qu'il vient de gâcher. Ses yeux hagards et ses traits paniqués confirment au moins la dernière suspicion.
Les pleurs sont grossiers et réduisent son âge de moitié. Ce n'est qu'un gamin dans un monde trop grand.
Et Gregory ne sait jamais comment réagir, quand cette tornade d'émotions étrangères se présente à lui. Il choisit l'option la plus raisonnable : celle de se taire, de laisser faire. Il la laisse l'envahir, cette panique de l'autre, cette tristesse de gosse pris en faute, jusqu'à ce qu'il se sente soulagé, jusqu'à ce qu'elle l'atteigne, ne serait-ce qu'un peu.
Une cascade de "pardon" et de "j'veux pas finir en taule !" glissent de sa bouche pâteuse, avant que l'homme plus âgé ne finisse par reculer quand il sent le jeune épuisé par ses propres orages qui tambourinent dans sa poitrine. Ses mains, droites et rigoureuses, trouvent ses épaules tremblantes sous le manque et la peur. Et son regard indéchiffrable trouve le sien, beaucoup trop flou pour vraiment le voir. « Tu n'iras pas en prison. Respire un bon coup et calme-toi. »

Il pourrait en dire plus, il le faudrait, lui affirmer que tout ira bien, même si ce n'est qu'un biais utopique qui ne sert que sur l'instant.
Il devrait.
Mais ses propres mots sont brisés avant même qu'il ne puisse les prononcer. Car au-dessus de l'épaule de Bill, dans un axe parfaitement parallèle, Gregory aperçoit un fantôme. Et son esprit trop cartésien n'est pas habitué à ça.
Sa concentration défaille, elle qui n'était attrapée que par les élans de son protégé. Elle ne voit que lui, maintenant.
Que Louis.
Maintenant.

Et c'est une autre tempête qui débute, la sienne. D'abord un nœud de vent dans ses entrailles, vrombissant entre ses côtes. Et puis, le bourdonnement tapant contre les recoins de sa boîte crânienne, le sifflement des impacts de quinze ans en arrière, où respirer n'était possible qu'en acceptant de mourir.
Et d'oublier celui qui était parvenu à l'impossible : le faire espérer, ne serait-ce qu'un peu.
 
Tu es en vie ?
Tu es en vie.
Tu es...

« Greg, ohé, ça va ? » Bill s'inquiète, maintenant. Il n'est pas sûr de bien l'entendre. Son attention est ailleurs, portée sur une figure qui, elle aussi, ne semble pas reconnaître le spectre en face d'elle.

C'est normal. Thomas est bel et bien mort, lui.
Transpercé par chaque barreau de sa cage d'antan.

@Louis Griffin

S’il n’en avait déjà pas grand chose à faire des dégâts de sa bagnole - qui seraient expédiés plus vite qu’une vie de môme marqué au fer de la justice - l’apparition de Thomas au milieu de cette pièce n’arrange guère le tableau. Pas qu’il se soit rongé les sangs pour du matériel, il en avait lui-même cassé quelques uns, des rétroviseurs, alors même qu’il n’était pas en âge de conduire. Leon s’en rappelle aussi bien que sa mère, et Barbara, sa cadette, avait tout fait pour le couvrir, sans succès.

Déjà levé sur cette arrivée, Louis a la désagréable sensation d’être à côté de ses pompes, et peut-être même, de perdre un peu ses moyens. C’est le moment rêvé pour balancer une ânerie ; la façon dont il parvenait à gérer les situations de manière générale, toute proportion gardée, puisqu’il n’avait jamais vraiment été comme ça en mission pour la CERBER. Et c’est précisément cette époque-là qui lui revient comme un boomerang contre la tempe, parce que c’est ce que Thomas lui rappelle, transporté là où y’avait encore rien à pleurer, ni trop de traumas à essorer de son esprit de soldat.

C’est qu’une fois au niveau du duo qu’il arrive quand même à ouvrir sa gueule pour dire quelque chose. Et il peine à décrocher son regard de celui qu’on appelait désormais Gregory Tremblay, comme un mort ressuscité sous un nom qui ne saurait pas (trop) le hanter. Il se rappelle bien de ces yeux hagards, la première fois qu’ils se sont rencontrés, et toutes les fois où il le sentait filer entre ses doigts, tant il semblait étouffer dans cette vie qu’on lui avait donnée, puis reprise sans vraiment savoir comment.

“J’ai déjà dit à l’officier que j’allais rien faire. Il va rien se passer.”

C’est que sans le savoir, c’était l’une des grandes pontes de la NBPD qu’il avait effleuré avec sa connerie. Mais le principe même de privilège, Louis ne l’aimait pas, si ça signifiait négocier la survie d’une autre partie de la population qui n’y aurait jamais droit. S’il avait dit oui, à s’éloigner du terrain comme ça, c’est parce qu’il avait des pions sur l’échiquier à poser. L’Arcana n’allait pas prospérer si Justice n’était pas à sa place due. Et justice ne serait jamais faite s’il ne pouvait pas avoir un tant soit peu la main sur les affaires de la police locale, bien que son spectre, sur le papier, ne concernait que les services d’urgences.

“M. Griffin ? - Ouais ?” Quand on parle du loup. L’officier se réveille. “Vous êtes bien sûr que… - J’ai l’air d’hésiter ? - Euh, hé bien, non, - Au pire, tu diras à ton boss que je lui paie la cantine. Le monde continuera de tourner.”

L’administratif éloigné, il parvient plus ou moins à retomber sur ses pattes.

“Ca va aller ?” Qu’il dit un peu plus bas, se sentant soudainement gauche, ses yeux faisant un va et viens avec Gregory et Bill. S’il sait pas ce qu’il allait en faire, du môme (c’était le sien, même ? pourquoi ça le dérange un peu de s’y projeter ?), Louis est frappé d’une certitude, c’est qu’il allait pas laisser filer l’homme qui désormais l’accompagnait. Parce qu’il avait beaucoup de choses à lui dire, et qu’un échange de regard tel que celui là ne suffirait pas.

@gregory tremblay

Bill exulte de soulagement, sent le poids de ses bêtises glisser le long de ses épaules pour se concentrer dans ses mains, constamment agitées. Il sourit désormais, essuie maladroitement ses larmes du revers de sa manche de sweat élimé, passe d'une émotion à une autre comme un funambule sur le point de tomber.
Il s'exprime bien plus que Gregory ne pourrait le faire. Tétanisé par ce coup du Destin auquel il n'a jamais cru. Il reste planté, incapable de bouger, la volonté prégnante de vouloir se fondre dans le décor, de passer inaperçu au milieu de ce commissariat bondé. D'habitude, il y arrive sans efforts.
Mais d'habitude, rien ne le perturbe autant.

« Ouais ça va ! Mais vraiment, merci beaucoup m'sieur, vous êtes trop sympa... Désolé encore pour vot' bagnole ! »

Le garçon babille, Gregory vacille. Louis. Louis est là. Accusant les années qui les ont séparés, au lendemain des évènements ayant dévoré New-York, la précipitant dans ses propres abysses. C'est bel et bien lui, il le sait, il pourrait le reconnaître dans n'importe quelle foule, comme il a dû le faire tant de fois pour s'échapper des griffes de Silas.
Juste avant que les mains du bourreau ne se referme autour de son cou, à l'époque, Thomas savait qu'il pourrait respirer un peu à ses côtés.
Qu'il pouvait s'accorder ce droit éphémère, dans toute sa naïveté latente.
Qu'il pourrait être fou de croire que ça pourrait durer, un jour, peut-être.
Le monde en a décidé autrement pour lui.

« Greg ? On rentre ? Oh, tu m'écoutes ?? »

De très loin, la voix de Bill résonne en écho. Elle ramène Gregory sur le devant des réalités présentes, parti au cœur de ses propres souvenirs. Tout du moins, ceux de Thomas. Pauvre, pauvre Thomas.

« ... Est-ce que tu peux m'attendre dehors ? » finit-il par déclarer, sa voix encore blanche du choc soudain, qu'il tente de maîtriser encore de toutes ses forces surentraînées. Bill ne comprend pas tout de suite, et le regard fuyant de Gregory, iris pales comme son teint, finissent par se redresser vers celui de Louis. « J'ai encore des choses à régler, ici. »

Les yeux du jeune homme passe de son tuteur à l'homme de loi, une fois, deux fois, trois fois avant de saisir le malaise palpable. L'opportunité de fuir lui est donnée, tout en honorant la confiance de celui qui est venu le chercher. Alors il hoche la tête, obtempère d'un « Ok » suffisant, avant de tourner les talons et d'aller camper près de l'entrée sagement. Ce n'est pas le moment de ruiner sa chance de faire ses preuves. Autant laisser Gregory gérer ses affaires seul.

Mais il ne sait pas le faire. En tête-à-tête direct avec son passé refoulé, l'homme se décompose à nouveau. Ses yeux s'abaissent, un bras commence à peine à trembler qu'il en serre le poing vivement pour cesser ce réflexe incohérent.
Son esprit tente de le raisonner. De lui prouver que la présence de Louis n'est pas le signe annonciateur de celle de Silas, comme autrefois.
Il n'est plus en cage.
Il ne sent pas pour autant libre.
Pourtant...
Peut-être arrive-t-il un peu plus à respirer, désormais.

« ... Je ne pensais jamais te revoir... », souffle-t-il enfin après un silence d'une longueur indéfinie, osant à nouveau le regarder. Les tremblements ont cessé. Le bras est relâché. « ... J'imagine que tu as des questions. »

Mais la confusion persiste. Le temps n'est pas censé être une donnée relative, dans ce monde où l'impossible tient à quelques injections. Pourtant, devant ses yeux, il vient de reculer.
Peut-être même qu'à l'extérieur, New-York s'est reconstruite pour leur permettre une seconde chance.
Peut-être qu'un peu de Thomas n'a pas encore tout à fait disparu.

@Louis Griffin

”Ouais ça va ! Mais vraiment, merci beaucoup m'sieur, vous êtes trop sympa... Désolé encore pour vot' bagnole !” Comme si la présence de Thomas lui permettait d’être plus rassuré encore qu’avec le seul refrain qu’il venait de lui lancer, le dénommé Bill se déleste de sa gratitude malhabile. “T’inquiètes” qu’il lui cède tout simplement, sans se justifier des frais qui ne le mettraient pas à la rue pour le mois prochain. Ce qui n’était guère le cas de tout le monde, et ça, Louis le savait.

Il sent le regard de son protecteur, de son père, peu importe qui il était pour lui à vrai dire, il avait une sacrée chance de l’avoir - sur lui, d’une part, et il ne sait pas plus comment faire pour s’imposer là où il l’avait déjà fait. Son cerveau foisonnant de pensées s’était comme arrêté de fonctionner, en stase forcée face à l’inespéré.

“Greg ? On rentre ? Oh, tu m'écoutes ??” Il s’efforcerait de l’appeler Gregory, désormais. Ses raisons n’appartenaient qu’à lui, bien qu’il s’étonne à sentir les effleurer en croisant à nouveau son regard. “... Est-ce que tu peux m'attendre dehors ? J'ai encore des choses à régler, ici.” Bill s’étonne, Bill s’exécute pourtant, laissant les aînés du trio rester à l’intérieur du poste. Des choses à régler, c’est dit d’une façon qui ne laisse pas la place au doute, il allait rester. Au moins le temps nécessaire, pense t-il. Griffin se sentirait mal à l’aise de le forcer. Surtout après tout ce qu’ils avaient vécu, à commencer par cette abrupte séparation qui les avait laissé dans un silence de mort. A tel point qu’il se l’était imaginé ainsi, après la chute de New-York. Avec un arrière-goût d’inachevé, d’échec aussi. Il venait de perdre ses jambes et son poste, c’est pas comme s’il n’aurait pas pu se le prendre de plein fouet.

Rien n’échappe aux yeux du medic, qui observe Gregory sans pour autant l’affronter en lui remandant comment il allait. Il n’avait pas répondu, de fait. Et ses gestes, ses réactions non verbales plus globalement, étaient douloureuses. Quelque chose dans son système s’était brisé, mais ça, Louis, il avait déjà vu qu’il était pas vraiment lui-même, déjà même lorsqu’ils s’étaient rencontrés.

“... Je ne pensais jamais te revoir… - …moi non plus, - ... J'imagine que tu as des questions. - J’ai surtout des réponses, si t’as du temps.” Les voix sont calmes, peut-être même plus qu’elles ne l’étaient peu avant. Y’a pourtant de l’émotion logée au creux de ses yeux, de sa gorge aussi. Louis n’était pas là pour lui faire passer un procès, pas plus que l’inverse. Ce n’était pas facile à penser ni à conscientiser, mais en soi, il ne lui devait rien. Thomas comme Gregory ne lui devaient rien. Pas plus de loyauté qu’à un autre, sans doute bien moins que vis à vis de ce petit jeune, là, qu’il venait de sauver.

“J’pensais prendre des donuts. Il aime ça, Bill ?”

C’est sa façon de merde de lui dire qu’il lui a manqué, et qu’il a rien oublié. Merci pour les pétales, merci pour les épines. Que fichait donc Louis Griffin dans la police, d’ailleurs ? Il n’a pas l’apparat, trop haut placé pour porter l’uniforme dans les couloirs d’un poste de district.

“Et j’peux le ramener où il crèche, il va vite se faire chier.” Pour ne pas dire s’inquiéter. Il avait l’air instable, comme petit. Sans doute pour ça que Gregory l’avait prit sous son aile si tel était le cas, ou… “Il a pété les rétros et abîmé la carrosserie, ça l’empêchera pas de rouler jusqu’à chez lui.” le rassure t-il quand même, c’était peut-être même mieux que lui payer un taxi. Il avait proposé, ce serait tout de même mieux que de rester plantés là au milieu d’autres sans aucun minimum de confort pour leurs corps, leurs secrets.

Il voulait pas foirer la nouvelle chance que Dieu venait de lui octroyer.

Lui dire pardon, en premier.

Le reste suivrait.

@gregory tremblay