tw: syndrome de stress post-traumatique, deuil, médicalQuand il a reçu ce SMS, ce n’est pas sans comprendre le sous entendu là derrière. Il n’avait pas essayé de se cacher, pas plus que de dissimuler à Gregory ce qu’il faisait lui aussi la nuit tombée, dans les entrailles de l’Underapple. Ils étaient deux dans la même situation, qui plus est, l’un frôlant peut-être davantage avec l’illégalité, ne jouissant pas du même poste à responsabilités à la surface. Louis jouait au caméléon pour des raisons qui étaient bien différentes de celles qui incitaient Gregory à le faire. Lui ne se cachait pas pour échapper au radar d’un quelqu’un qui lui avait fait du mal, si ce dernier existait encore bel et bien. Dans le doute, il valait mieux rester terré. Dans le doute, Louis ne s’était jamais permit de lui dire qu’il l’aimait.
Je suis chez moi vers 19h sauf si on me tient la jambe. J’ai rien à manger mais on peut commander si y’a rien qui t’attend après. C’est ce qu’il lui a répondu, sans vouloir dérouler plus le tapis. Louis avait beau être quelqu’un d’expansif et de
friendly, peut-être même trop parfois, il n’en restait pas moins frileux avec ses sentiments. Il n’y avait qu’à voir la façon dont il avait géré la résurrection d’Ehvan : même Bella, il en est certain désormais, avait dû s’en retrouver froissée. A force d’avoir joué au clown toute sa vie, le medic avait fini par perdre un bout de lui qui n’attendait qu’à s’épancher dans sa douce lumière.
Sur le retour, il appelle Bella dans sa voiture, machinalement, pour lui demander comment elle va. La même chose pour Rosie, à qui il a droit de lâcher quelques mots directement au combiné, alors qu’il est coincé dans un bouchon. Classique.
La mère parle en langage à moitié codé, pour dire un peu plus le fond de sa pensée. Il comprend qu’il faut qu’il revienne la voir. Être resté quelques jours chez elles n’avait sans doute pas suffi, même si ça les avait soudés autour du problème. Pour le résoudre. Kenneth Brown était un problème à résoudre. Un puzzle à terminer, maintenant qu’il en était devenu un. Soigner, c’était ce pour quoi il avait été payé le clair de sa vie, et Louis avait aimé ça. Il le faisait même encore à sa manière, même s’il ne devait pas rafistoler des corps meurtris sur le champ de bataille, ou rapatrier à force de ses jambes les blessés pour retraite méritée. C’est quelque chose qui lui manquait, depuis toutes ces années, pourtant. En vieillissant, en laissant couler et enfler un peu plus son amertume pour la CERBER, il s’était aperçu qu’il n’avait pas assez fait ce pourquoi il se pensait être né.
Son frère, lui, n’aurait même plus ça à penser. Il a la possibilité de tout recommencer. Il est plus jeune, a oublié l’horreur qu’on lui a fait subir, les flammes pour bourreau. Louis, lui, n’a pas oublié. Ca lui revient, parfois, mais la PNL l’aide. Ca revient davantage, depuis qu’il sait qu’Ehvan est toujours là. Il lutte, pourtant, et sa vie bien (trop) remplie l’y aide. S’occuper des autres est aussi une de ses clés, quand la musique ou l’Arcana ne sont pas là pour rétablir l’équilibre. Et puis…
Et puis, y’a Gregory.
Il sait pas trop ce qu’il a foutu, depuis toutes ces années, à part essayer de ne pas l’étouffer avec ses émotions, tout en lui donnant tout ce qu’il se permettait à lui offrir. Ce qu’il juge pas assez, comme s’il allait s’en sentir lésé. Mais en vérité, s’il se triture autant les méninges sur ce sujet, c’est parce que ça lui importe plus qu’il ne faudrait. Cet argent, il l’a pas donné pour lui, il l’a donné pour ce qui lui tient à cœur, et ce dispensaire est une façon de se conforter aussi dans les valeurs qui leur sont communes. Y’a des fois où il a peur qu’il disparaisse à nouveau, la pensée parasite finit par se loger dans un coin de paysage, quelqu’un l’appelle et Griffin est reparti de plus belle. Quelque part,
Thomas est revenu lui aussi d’entre les morts, et il a pas su deal facilement avec ça, y’a quelques années de ça. A la différence qu’il n’avait jamais eu de rancœur, pas même un soupçon, vis à vis de l’homme qu’il était lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Aujourd’hui, cet état de fait restait inchangé.
Une fois arrivé, il se déchausse, retire son manteau, ses clés lâchées à la one again et va se fourrer directement sous la douche. Ressorti de là avec jeans et hoodie, il se sentait déjà plus à l’aise que dans cette foutue chemise qu’il s’était forcée - une fois n’est pas coutume - à porter pour
avoir l’air sérieux à cette putain de réunion, ce qu’il n’était en réalité pas plus qu’un autre jour. La Meute qui se forme fait parler d’elle alors que les noms ne sont pas encore tombés, les forces de police, et notamment l’ESU, se préparent à ce qu’il faudra organiser pour maintenir un lien avec Theseus et ces “héros”, à l’instar des Sept. Quelle chance que Louis Griffin eut été lui même sous contrat avec la corporation, il en a fait sourire plus d’un délégués pour venir discuter. A se demander s’ils n’étaient pas à deux doigts de lui ressortir le modèle de prothèses à la pointe de la technologie avec lesquelles il se baladait en permanence.
Perdu dans ses pensées filantes et dans son propre appartement - il se retrouve momentanément dans la cuisine sans savoir ce qu’il était venu y faire - il entend la sonnerie du palier, signe que Gregory était bien monté. Il lui avait donné un badge pour l’entrée de l’immeuble, parce qu’il était ici chez lui peu importe l’heure ou la saison. Y’avait rien qui l’attendait vraiment à le voir dans cet état, pas plus qu’il s’imaginait lui ouvrir nu pieds. Et pourtant.
C’est qu’il allait presque pour lui lâcher sa pire vanne, mais il se retrouve le souffle presque coupé lorsqu’il l’observe. Il n’a pas besoin d’activer son body scan pour savoir que ça ne va pas. Il ne dit rien, Tremblay, et Louis retrouve un regard qu’il pensait avoir oublié à tout jamais.
“
Greg ?”
Il l’interpelle, il sent pourtant qu’il n’est pas tout à fait là devant lui. Est-ce qu’il peut le toucher ? Putain, il sait pas. Il faut pourtant qu’il fasse quelque chose, alors il se décale pour le laisser rentrer, mais sans le lâcher des yeux. Et en tendant un bras vers lui, comme pour lui tendre un fil directeur vers lequel se diriger. Ils sont pourtant parallèles, pas en face à proprement parler, désormais.
“
Rentre, s’il te plaît” qu’il lui demande avec la voix la plus posée qui soit. Ca lui rappelle… ça lui rappelle quelque chose, deux, qui plus est en même temps. L’œil figé d’un frère d’armes sur le front, traumatisé par un tir qui lui a coûté plus que des blessures physiques : un tas d’images affreuses imprimées là haut, sans pouvoir s’en laver même des années après. L’œil hagard de Gregory, ensuite, quand il l’a vu la première fois, en pleine hypoglycémie qu’il s’est naturellement prêté à calmer à coup de donuts. Lui aussi, il en avait mangé à ses côtés, et il se fichait bien d’être remercié. Louis était même arrivé en retard, ce jour-là. Il leur avait dit :
j’faisais mon taf. Il n’avait pas eu tord, cette fois.
Aujourd’hui, ce n’était pas son travail qui justifierait quoi que ce soit. Il n’y avait que son cœur et ses compétences médicales pour pouvoir rattraper la personne qui était là. Lorsque les articulations du concerné se déverrouillent, qu’il rentre non sans mal, Louis referme la porte. Sans jamais le quitter du regard, au cas où… au cas où ses forces lâchaient ? Il sait pas. Il sait juste qu’il y a quelque chose d’anormal, de profondément inquiétant, mais de douloureusement familier.
“
T’es pas obligé de parler. Je vais te toucher le bras et la nuque, est-ce que…”
est-ce que j’ai le droit ? trop formel, bien trop formel ; même pour porter assistance pour aller l’assoir sur le canapé. Il n’allait pas l’ausculter en plus de ça, non ? Il ne peut s’empêcher de vérifier ses paramètres sans qu’il n’ait à être à son contact. Sa tension n’est pas bonne, il a des pics d’extrasystoles, et il jurerait sur la tête de Jésus qu’il ne les sentait même pas. Ca lui fait mal de le voir comme ça, mais y’a des mots qui sortent et que les siens en fassent autant ou pas, il veut s’assurer qu’il entende au moins ça : “
J’suis là.”
Et c’était déjà pas mal.