Cross my heart and hope to die | EZEKIEL

Il avait suffi d'une photo ; une simple et innocente photo pour raviver le feu dormant de la suspicion chez Cara. Et si tout le déni du monde s'était mis en branle afin de couvrir de son voile opaque la vérité, cette fois-ci pourtant, la machinerie psychologique n'avait pas suffi à dissimuler la vérité.

Cette vérité qui démangeait l'instinct de la Marlowe depuis trop longtemps.
Cette vérité qu'elle éludait par confort et surtout, par besoin.

Parce qu'au-delà de ses airs assurés et de sa posture inflexible, Cara avait conscience d’avoir besoin de son ainé dans sa vie. Car il était une part intégrante de ses projets, de ses racines, de son existence toute entière. Il était le fil rouge d'une vie tombée en désuétude trop de fois, d'une conscience gommée au sein d'un corps s'auréolant d'enfer. Il était un tout que Lili refusait de perdre, de peur de perdre une part d'elle-même.

Et surement était-ce pour cela qu'elle se sentait si encolérée depuis des jours. Une rage sourde ne la quittait pas ; pire que cela, elle bataillait férocement contre son déni intériorisé. Celui-là même qui se fracassait contre les preuves amoncelées et conservées à l'abri des regards indiscrets.

Exécrable au travail.
Distante dans le privé.
Ombre parmi les ombres au sein même de Shadow Voice.

Cara avait tout fait pour juguler ses émotions ; simplement pour se sortir de l'impasse de ses peurs les plus profondes. Et dans le silence de la solitude, elle avait refusé de verbaliser ce que l'état civil et les tests sanguins fait aux dépends du principal concerné avaient confirmés. Tout simplement parce qu'alors, l'hypothèse folle serait fatalement devenue réalité.

Ezekiel n'était pas son frère.
Ezekiel n'était qu'un imposteur.
Un inconnu au visage connu.
Un menteur jouant un rôle.

Cette simple pensée déchira la réalité dans le sillage de Cara qui décida de passer la brèche pour quitter un monde qui ne convenait plus à son humeur. Dans l'Umbra, les monstres hurlaient en écho, dans une étrange résonnance avec l’expression des sentiments orageux de Lilith.

Et puis les minutes passèrent.
Et elle marcha.
Sans s'arrêter.

Arrivée devant le café d'Ezekiel, elle observa la devanture depuis l'Umbra et passa son seuil sans pour autant rejoindre encore la norme. Ses talons s'arrêtèrent durant sa progression tandis qu'elle se figeait devant la source première de ses trouvailles.

La photo.
Celle d'une mère et d'un enfant.
Celle d'un Ezekiel qui n'était pas celui qu'elle connaissait.
Celle d'une mère qui n'était pas la leur.

Déchirant la réalité afin de passer sa main parcourue de veines noires, elle attrapa la photographie et repartit au travers de l'Umbra afin de continuer son chemin.

Bientôt, Cara arriva dans l'appartement d'Ezekiel. Là enfin, elle déchira la réalité afin de se créer un passage et enfin rejoindre une norme où elle aperçue déjà le dos de son frère présumé.

Habillée d'un pantalon bleu marine étrangement poussiéreux et d'une chemise blanche laissant deviner les veines noires parcourant sa peau pâle, Lili s'incarnait un peu plus en Lilith tandis que sa chevelure d'ordinaire rousse était plus vibrante, plus sanguine.

« Nous avons à parler. » Salua-t-elle, d'un timbre grave. En écho, dans son dos, la déchirure de la réalité grondait ; des iris monstrueuses et des dents émergeaient par instant de l'obscurité de l'Umbra alors que Cara laissait échouer au sol – entre elle et Ezekiel – la photo abimée par le temps.

Cette fois-ci, Cara se promit de ne plus croire ses mensonges.
Cette fois-ci, elle n'écouterait plus que son instinct.
Au prix de ses émotions prête à s'écorcher.

Habituée à prêcher le faux afin d'obtenir le vrai, Cara s'était faite à l'idée de duper le monde. Ainsi, elle haïssait le fait même d'être la victime du mensonge, d'être celle à qui on jouait un tour qu'elle avait si souvent joué à d'autres. Pour autant, si sa contrariété s'était arrêtée à une question d'orgueil, surement que son sang ne se serait pas tant embrasé.

Non.
Car en cet instant, c’était plutôt les émotions qui parlaient.
Celles qui rendaient déraisonnables.
Celles qui s'associaient aux actes impardonnables.

Dans ce qu’elle ressentait, il y avait la colère d'avoir été trompée mais surtout, il y avait la peur. Une peur terrible d'avoir perdu sans jamais en avoir pris conscience. Depuis que la photo était tombée entre ses mains et que les pièces du puzzle s’étaient assemblées, une peur viscérale lui avait vrillé les entrailles.

Car elle avait soudain réalisé que peut-être..
Peut-être qu'Ezekiel n'était plus.

Son dernier pilier, sa raison, sa conscience, son frère.
Peut-être qu'il n'était plus.

Ainsi, le mensonge et la supercherie qu'incarnait le mutant gagnait une monstruosité qui faisait gronder les monstres de Lilith. Comme dans une résonnance étrange.

Je peux t'expliquer.. Cette phrase était un mauvais augure en soit, le début d'une mauvaise blague dont elle ne rirait jamais. Cara le savait. Elle le sentait.

« Alors parle. » Articula-t-elle avec une froideur qui retenait les enfers. « Qui es-tu ? Je veux ton nom. Le vrai. » Exigea ensuite la Marlowe.

Puis il y eu une hésitation.
Celle qui retenait encore entre ses griffes la véritable question.
Celle qui comptait vraiment.
Celle qu'il lui coutait de prononcer.

« ... Où est mon frère ? » Acheva-t-elle avec une dose de courage propulsée par sa colère.

Parce qu'au-delà de l'orgueil de Cara.
Tout ce qui comptait, c'était Ezekiel.
Le vrai.