'k (all i got to say)

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Après quelques moments catastrophiques au sein de l’Institut et l’attaque du V² ayant nécessité de grosses rénovations, le monde semble tourner à peu près rond de nouveau. Wolfe et moi avons pris la (bonne) décision d’engager un gardien, pour mieux protéger les jeunes mutants (des autres ou d’eux-mêmes, reste à savoir…) et nous avons lancé une nouvelle campagne de communication après la plongée dans le coma de notre principale interlocutrice chez Icarus, aka LadyHawk. Bon, en réalité, j’ai l’air détachée comme ça, mais ça m’a fait beaucoup de peine d’apprendre la nouvelle. Dommage que j’étais déjà en train de perdre les pédales à cause d’une renaissance non volontaire suite à mon décès sous les mains de Damian dans l’Underapple. Je dois avouer qu’entre mes insomnies, mes cauchemars à répétition, mes envies de me jeter par la fenêtre et l’incoercible besoin de me taper la tête contre les murs, mon niveau émotionnel n’était pas suffisamment au top pour compatir avec l’état de Bonnie.

Mais à mesure que je sors la tête de l’eau, je réalise que j’aimais beaucoup sa présence à l’Institut. Même si elle était certainement intéressée par moment, je reste persuadée qu’elle aimait les mômes autant que moi.

Enfin du coup, quand Wolfe m’a annoncé l’arrivée d’un gros don à venir de la part d’un mystérieux investisseur, j’ai sauté de joie. Parce que j’aime bien donner tout mon argent à la cause, mais le MII ne pourra pas tourner uniquement grâce à moi. Donc, très bonne nouvelle. La moins bonne, c’est que Wolfe a dû s’absenter quelques temps et donc, que lorsque j’ai eu la bonne idée d’inviter cet investisseur mystère pour un succulent repas, je pensais que Wolfe se rendrait au rendez-vous. Pas moi. Non pas que ça me dérange, mais il a la fibre beaucoup plus sociable. Il sait parler à ce genre de personnes – riches, qui se croient tout permis, en règle générale, mais sans qui la baraque ne tourne pas. Je dois donc me sortir de ma torpeur, enfiler des fringues chic, et me rendre dans le restaurant choisi par mes soins. Quel piège.

Je ne voulais pas que Wolfe s’étale dans un restau trop chic, mais ne pas non plus nous moquer du donateur. J’ai donc opté pour une réservation dans un restaurant dans le Nexus, en mode brasserie chic. J’enfile une robe cintrée, des bottins à talons, attrape mon sac à main et me mets en route. Autant dire que je n’ai aucune envie de jouer une partition pour séduire le donateur. C’est aussi pour ça que j’envoie Wolfe quand ce sont des hommes… j’ai déjà reçu quelques propositions déplacées. Et contrairement à ce qu’ils pensent, les limites « d’où je suis prête à aller pour aider l’Institut » sont très, très claires.

Quand je me présente au restaurant, je me remémore rapidement le prénom de l’homme que je suis censée rencontrer : James. Wolfe l’a déjà vu, il me l’a décrit rapidement dans un texto : cheveux bruns, plutôt baraqué, bel homme, situation aisée. Avec ça… Quand je demande à la serveuse qui m’accueille de m’amener à ma table, elle m’indique que mon invité est déjà arrivé. Ponctuel. C’est une bonne chose, le virement arrivera certainement en temps et en heure. Je me faufile entre les tables, la suis, et arrive devant ladite table.

Pour rencontrer ledit James.

Qui n’est pas James du tout.

« Non. » Voilà le seul mot que j’arrive à sortir, tandis que je fais face à mon foutu père.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

L’état critique de Bonnie suite à l’attentat contre Icarus avait bien secoué le Sinclair. Sa relation avec LadyHawk était compliquée depuis qu’elle le blâmait pour sa fausse-couche, mais le temps semblait lentement réparer les blessures (bien que rien ne pourrait complètement faire disparaître la peine de Bonnie, ou la lourdeur du fardeau qui pesait sur les épaules du docteur) et le venin avait enfin fini par s’estomper de leurs conversations. Il souhaitait sincèrement que la super-héroïne puisse sortir de son coma — elle ne méritait pas de tomber comme ça, dans une attaque orchestrée par des lâches. Si le collègue de Darius, Dr Norton, s’était miraculeusement réveillé après trois semaines aux soins intensifs, il y avait encore de l'espoir pour LadyHawk qui était prise en charge par les meilleurs médecins d’Icarus.

En réorganisant le tiroir de son bureau, Darius était tombé sur la photo de Bonnie Thompson qui se trouvait sur l’un des papiers qu’il avait accumulés. Quand on lui avait fait parvenir la brochure pour l’association du Mutant’s Institute Inc, en février dernier, Darius n’y avait pas prêté grande attention. Leur cause était noble, il le reconnaissait ; mais il pouvait en dire autant des douze autres organismes à but non lucratif qui se trouvaient dans la pile laissée dans son tiroir. Le SHC aimait mettre de l’avant les causes soutenues par Icarus Inc — il n'y avait pas qu’à l’hôpital qu’on pouvait faire une différence. Sauf qu’il fallait faire des choix et même un richissime docteur ne pouvait aider tout le monde à la fois.

Mais voilà qu’il se rappelait que LadyHawk portait une affection particulière envers le MII. De la façon dont il l’avait une fois entendue parler de l’Institut, il avait eu l’impression qu’elle se souciait sincèrement de la cause, que ce n’était pas qu’une histoire d’image publique (même si les cyniques diraient que c'était inévitable, avec les Sept). C’était sûrement pour cette raison qu’après avoir passé une journée à fixer la vieille brochure et le regard familier de Bonnie sur la photo, Darius avait fini par noter l’adresse de l’organisme dans le but de s'y rendre après le travail.

Peut-être voyait-il cela comme une façon de rendre hommage à son ancienne amie. Il n’avait jamais voulu lui causer du tort, même si les circonstances ne lui avaient pas laissé le choix.

* * *

Il était arrivé à l’avance — being early means being on time, comme le dit le dicton. Suite à sa visite au manoir, Monsieur McMillan, le président du Mutant’s Institute Inc, avait cordialement invité Monsieur Sinclair à discuter de l’organisme autour d’un repas dans un restaurant reconnu du Nexus. Avec l’importante somme d’argent que ce nouveau donateur comptait transférer dans les prochains jours, le MII allait certainement pouvoir investir dans les projets qui étaient freinés par le manque de fonds. Darius – qui s’était introduit sous son deuxième prénom – était curieux d’en apprendre plus sur le fonctionnement de l’Institut. Si tout allait bien au cours de la soirée, peut-être allait-il être tenté d’offrir plus que son aide monétaire. Il avait cru comprendre que les médecins bénévoles étaient aussi la bienvenue.

Malheureusement, McMillan avait dû prévenir le Sinclair qu’il avait eu un empêchement de dernière minute pour cette soirée. Plutôt que de reporter le rendez-vous, il avait garanti à James que sa collègue était d’aussi bonne compagnie — et que la rencontrer n’en serait que bénéfique.

Un coup d'œil rapide à sa montre lui indiqua que la personne qu’il attendait devait arriver dans les prochaines minutes. Darius en profita pour replacer sa cravate, s’assurer que son veston classique n’était pas froissé et que ses cheveux peignés vers l’arrière n’avaient pas décidé de se rebeller. Les apparences étaient importantes, surtout lors d’une première impression. Et le docteur tenait à se montrer ponctuel, courtois, soigné, mais aussi imposant d’une certaine manière — il ne fallait pas qu’on tente de le duper pour son argent.

“C’est la table juste ici,” dit la voix de la serveuse qui s’était approchée du Sinclair. Puisque ce dernier faisait dos à l’entrée, il se leva pour accueillir en bonne et due forme la mystérieuse inconnue qui venait à sa rencontre.

Il remarqua sa petite silhouette, d’abord ; son air avenant, ensuite.
Puis, leurs regards se croisèrent…

Et les masques tombèrent.

“Non.” Le sourire avait laissé place à l’effroi chez celle dont le corps s'était tendu. Si Darius fut un instant paralysé de doute devant ce visage familier mais ô si lointain, la réaction tout aussi inattendue de la femme aux cheveux bruns laissait croire qu’il ne s’agissait pas d’un sosie.

“A… Alice ?!” Prononcer son nom faisait naître en lui un sentiment étrange, comme s’il s’agissait d’un tabou. Elle ne devait pas être ici, en chair et en os, devant lui, aujourd'hui. “C’est… c’est bien toi… ?” Lui qui savait habituellement prendre ses aises et s’exprimer avec éloquence, il en perdait tous ses mots. Un nœud se formait au creux de son ventre tandis qu’il prenait conscience de la signification de cette rencontre.

Tu es en vie ?

Il tendit une main hésitante vers l’avant, comme pour la toucher et s’assurer qu’elle était bien réelle, mais se résigna finalement à conserver ses distances. Il ne voulait pas l’effrayer, l’insulter ou la dégoûter plus qu’il en avait déjà l’air par sa seule présence.

S’il te plaît, ne t’en va pas.
@Alice Eyre

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Je ne sais même pas si je me noie dans son aura, si je cherche à la fuir, si je veux masquer tout ce qu’il pourrait potentiellement ressentir. Parce que la réalité me saute soudainement à la tronche ; à l’époque, je n’avais pas accès à l’intérieur de son crâne. Je n’étais qu’une gamine qui se sentait terriblement délaissée, qui ne comprenait pas pourquoi son papa ne s’occupait pas d’elle. Aujourd’hui, je vois tout, ressens tout, me heurte à une réalité glaciale qui me statufie : évidemment, mon père n’a pas changé. Ses traits sont taillés dans le marbre. Ces traits que j’avais presque oubliés, lavés par l’effet du temps, effacés par la subjectivité d’un esprit malmené par l’oubli.

La noirceur du doute émaille l’aura de mon père (j’vais peut-être vomir en prononçant ces mots), mais je n’en mène pas large non plus. « A… Alice ?! » Sa voix, par contre, est restée gravée dans mes souvenirs comme un tatouage que l’on ne peut effacer de sa peau. Toujours le même rauque, et toujours cet air un peu étonné. Oui, Darius avait toujours été un peu étonné par ma réalité, ma présence, mon existence presque. Comme s’il n’était pas responsable, comme s’il n’était pas là pour avoir procréé.

Une nouvelle émotion que je ne connais pas bien, lézarde son esprit. Le refus. Quelque chose comme ça. Mais je peux comprendre, je ne suis pas censée être en vie, et lui non plus. Ne s’est-il pas ôté la vie après avoir commis le pire ? Comment peut-il encore respirer, vivre, faire comme si tout était normal, après ce qu’il a fait ? Je serre les poings, tente de remettre de l’ordre dans mes pensées. Je n’arrive pas à croire qu’il soit là. Est-ce encore un de ces fantômes qui me hantent depuis l’attaque de la Chose ? Est-ce qu’il n’est là que pour me tourmenter ? Peut-être que je suis dans un rêve, encore. Mon estomac se retourne, un sentiment d’anxiété généralisé étouffant le reste de mes émotions. Je jette un coup d’œil dans la pièce, à la recherche d’une porte de sortie. Si jamais ça tourne mal. Car tout semblait avoir une propension à mal tourner, ces derniers temps. « C’est… c’est bien toi ? » Ouais, la fille que t’as abandonnée dans son cercueil.

Je suis mesquine. Il ne pouvait pas savoir. Il ne pouvait pas se douter. Par contre, ce qu’il a fait après… ça… je ne sais pas si je pourrai lui pardonner. Il tendit une main vers moi, et j’esquissai un pas en arrière, comme si un serpent avait cherché à m’approcher. « Quoi, tu veux en profiter pour finir ce que tu as commencé et me tuer aussi ? » Une dame à la table d’à côté se retourne avec les sourcils froncés et je lui offre un sourire contrit avant de me retourner vers mon père.

Je crois que j’ai toujours été un peu plus mature, la rationnelle de la bande, l’optimiste et celle qui n’aimait pas trop le sarcasme. Mais quand il est là, comme un gai luron, blindé de fric pour pouvoir en arroser les associations, mon cœur se brise dans ma poitrine. Il n’est pas auprès de sa famille. Il s’en est trouvé une autre. Il a tué celle qu’il devait protéger et aimer tout le restant de sa vie, sans un regard en arrière, sans une once de culpabilité. Et je devrais me taire ?! Face à lui, je suis et je resterai toujours cette petite fille qui a eu le cœur brisé. J’aimerais qu’il en soit autrement mais vu l’éruption volcanique d’émotions dans mes entrailles, je crains que même plusieurs siècles n’aient rien changé à ça.

Un millier de questions se bousculent dans ma tête, et pourtant, je n’ai qu’une envie, tourner les talons, fuir, oublier ce que je viens de voir, l’idée qu’il soit encore vivant. Je ne veux pas lui pardonner, me pardonner, nous donner une seconde chance, si tant est qu’il soit capable de le faire. Je ne veux rien. Oublier ce que je viens de voir, retourner dans mon ignorance candide. Mais c’est trop tard. « Je vais demander à Wolfe de reprendre la main sur le dossier, lâché-je faiblement, tentant de me raccrocher à une once de rationalité pour ne pas m’effondrer. »

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

“Quoi, tu veux en profiter pour finir ce que tu as commencé et me tuer aussi ?”

Au vu de la réaction acerbe, il n’y avait plus de doute que c’était bien elle. Sa fille. Les mots tranchants comme des couteaux lui transpercèrent le cœur, menaçant soudainement de le faire éclater en morceaux. Darius ignorait ce qu’Alice avait pu entendre au sujet de son père, ou ce qu’on avait pu lui raconter sur le décès de sa mère — mais cela avait peu d’importance. Tu n’es qu’un tueur. Un monstre. Voilà le message qu’elle lui crachait à la figure avec tout le venin qu’elle pouvait rassembler dans sa salive. Ce faisant, elle prenait aussi un pas en arrière, comme si son père était la mort en personne venue la faucher — alors que la réalité ne pouvait en être plus éloignée.

“Non... ! Jamais.”

C’était tout ce que Darius arrivait à articuler en réponse, horrifié à l’idée de répéter ses erreurs du passé. Son palpitant se serrait dans sa poitrine tandis que les pensées se bousculaient dans son cerveau. Son instinct lui criait de faire comprendre à Alice qu’il ne lui ferait jamais de mal, pas à elle ; il préférerait mourir lui plutôt que la voir mourir elle à nouveau — mais serait-elle en mesure de le croire ? Le sarcasme piquant de la survivante trahissait déjà son point de vue. Il est trop tard, le mal est déjà fait, semblait-elle hurler en silence.

Le détachement qu’elle adoptait alors qu’elle s’apprêtait à tourner les talons confirmait qu’elle ne voulait rien savoir de Darius. Mais lui voulait tout savoir d’elle. Comment pouvait-elle être en vie aujourd'hui ? Depuis combien de temps la croyait-il morte et enterrée alors qu’il aurait pu la retrouver, si seulement il avait su ? Qui était-elle devenue ?

“Je t’en supplie, attends...”

Le désespoir le gagnait — il refusait de retrouver sa fille par un miracle du destin, juste pour la regarder lui tourner le dos de cette vulgaire façon. Il n'en avait plus rien à faire du dossier, de Wolfe, de l'Institut. S’il fallait qu’il se mette à genoux pour l’implorer de rester, il le ferait volontiers, rien que pour avoir l’occasion de rattraper le temps perdu — et se rattraper, lui.

“Tu as toutes les raisons possibles de me détester. Je comprends. Je…” La main qu’il tendait devant lui comme pour retenir Alice se serra en un poing qu'il ramena au niveau de son cœur. “Je me déteste tout autant.”

Sa voix n’était devenue qu’un souffle au moment de formuler cet aveu qui traversait ses lèvres pour la première fois. Quelques regards de travers et oreilles indiscrètes étaient peut-être tournés en direction de ce curieux duo refusant de prendre place à la table, mais le vampire n’y prêtait pas attention. Le reste du monde s'était effacé autour d’eux ; il n'y avait plus que lui et Alice transportés dans un espace hors du temps.

“Je ne te demanderai pas de me pardonner.” Non, aucune excuse ne pouvait justifier les crimes qu’il avait commis envers sa famille ; il ne pouvait exiger d’Alice un pardon que lui-même ne pouvait s’offrir. “Mais laisse-moi au moins t’expliquer…”

Tout ce que Darius voulait, c'était de pouvoir lui parler, ne serait-ce que le temps d’une soirée. Cela lui faisait mal de la voir si proche et si distante à la fois, comme si elle n’était qu’une étrangère au visage familier, portant la haine dans ses veines. Mais peut-être était-ce tout ce qu'il méritait. @Alice Eyre

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Le tsunami de douleur qui explose dans l’âme de Darius est comme un couteau que je me serais plantée moi-même dans le bide. Je n’arrive pas à comprendre comment il peut être aussi touché par des mots aussi raisonnables que les miens. Et je réalise que c’est la première fois que je peux sentir ses émotions, goûter leur rudesses sur le bout de ma langue. Leur amertume et leur salinité, comme un océan qui glisserait dans ma gorge pour m’étouffer. Je ne veux pas ressentir ses émotions, je veux me barricader dans les miennes et continuer sobrement à le haïr, parce que ça me semble tellement plus simple. Comment est-ce qu’une petite question peut le heurter à ce point, quand il a fait tellement, tellement de mal ?! Ce serait comme découvrir des remords à Hitler. Bon, OK, je vais peut-être un peu loin, au temps pour moi pour le point Godwin. Puis, mon père a tué moins de gens. Difficile d’en tuer plus, tu me diras.

« Non… Jamais. »

L’horreur se répand dans son intonation, et une pointe de culpabilité cisaille le tissu de mon esprit. Que je repousse bien vite. Je ne me laisserai pas avoir. Pas maintenant que je suis une adulte (à peu près).

« Je t’en supplie, attends… » Terrible sentiment que d’être heureuse qu’il me retienne, une seconde de plus. Je ne voudrais pas l’être, je voudrais le détester plus fort encore de ne pas accepter tout bêtement ce que je ressens, et de me laisser tourner les talons. Mais il reste mon père, l’homme que j’ai aimé plus que tout en premier lieu. Et l’intonation de désespoir qu’il a, n’est autre que le sucre glace sur ses mots. Car je me sens pour une fois en pouvoir, capable de maîtriser la situation, parce que je décide et que je ne suis plus une ridicule enfant que l’on peut mener en bateau.

« Tu as toutes les raisons possibles de me détester. Je comprends, je… » Que tu es magnanime ! Voilà qu’il me comprend. L’aigreur et la rage lessive tout ce qu’il reste en moins, et la terreur des dernières semaines abat mes dernières défenses. Il est revenu me hanter, sous une forme que je ne pensais pas possible. Il n’y est pour rien, quelque part, mais… mais les deux sont indissociables. « Je me déteste tout autant. » Phrase qui s’écrase sur la grève de ma colère, lavant le sel de ma hargne. Est-ce vrai ? Je ne sens aucune duperie dans ses émotions. Rien que la vérité brute, claire et limpide, qui menace de me faire fondre, reculer face à tout ce que j’aurais à lui dire, à lui cracher.

Je suis prête à ouvrir mon cœur en deux pour y extirper toutes les horreurs qu’il y a collé. La peur de l’abandon, le trouble de l’attachement, les angoisses nocturnes, le SPT et toutes ces joyeusetés sur lesquelles les professionnels ont mis un nom désormais. Tu n’as pas agi en toute impunité. Toutes les cicatrices de mon cœur sont les conséquences de ses actes. Mais Darius n’est qu’un homme. Et les hommes sont faibles et lâches. Tous.

« Je ne te demanderai pas de me pardonner. » Mieux vaut pas. Acidité qui continue de détruire la moindre parcelle de mon esprit ; je veux me venger, encore et encore, lui montrer combien tout a été douloureux. Mesquine, moi ? Peut-être. Il me fallait certainement un antagoniste pour tous les maux dont j’ai écopés. Mais s’il y avait encore moi, dans l’histoire… tout serait si simple. Mais je ne suis pas la seule fille Eyre que Darius ait abandonné. « Mais laisse-moi au moins t’expliquer. » Offre que je ne peux refuser, évidemment, parce que j’en crève d’envie depuis le début, parce que son explication je l’attends depuis deux cent putains d’années. La décision est prise directement dans ma tête, mais je ne veux pas baisser les armes si vite. Je ne veux pas lui montrer combien j’en meurs d’envie.

Je pousse un profond soupir, passe une main dans mes cheveux, déstabilisée. « L’explication a intérêt à être bonne, alors. Tout comme le vin. » Car quand je m’assois à sa table, je m’attends au moins à descendre une bouteille, dans l’espoir de noyer tout ce qui veut remonter à la surface. Et je suis curieuse de savoir comment il va lui aussi noyer le poisson.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Une petite vague de soulagement se propagea dans son sang en réalisant qu’Alice était prête à lui accorder une conversation ; mais la pression de ne pas tout faire foirer l’empêchait d'être trop serein. Devant sa fille, Darius se sentait péniblement petit, écrasé par le poids des regrets et soumis au jugement défavorable de sa première enfant. Son plaidoyer avait fonctionné, mais combien de temps Alice serait-elle prête à l’écouter ? L’homme avala sa salive, songeant à l’explication pour laquelle il venait de se battre. Celle-ci avait intérêt à être bonne, oui : les prochaines minutes allaient s’avérer décisives pour l’avenir de leur relation. Et s'il y avait une chose dont le Sinclair était absolument certain, c’était qu'il ne voulait pas perdre Alice à nouveau.

“Merci,” lui dit-il simplement tandis qu’il prenait place à la table. Merci de bien vouloir m’accorder une chance. Ne sachant pas exactement par où commencer — son malaise était palpable — il jeta un coup d'œil rapide à la carte des vins. Alice marquait un point : l’alcool allait sûrement les aider à passer au travers de cette soirée.

“Puis-je vous offrir quelque chose à boire pour débuter la soirée ?” vint rapidement s’enquérir le serveur. Naturellement, son attention se posa sur Darius en premier. “Je laisse à madame le choix de la bouteille,” répondit ce dernier en jetant un regard curieux vers Alice. Le fait que le père n’était même pas en mesure de deviner le vin favori de sa fille en disait large sur le fossé qui les séparait — celui qu'il avait creusé pendant toutes ces années.

Lorsque le serveur s’éloigna, Darius poussa un soupir. Il ne pouvait retarder davantage les explications promises, l’unique raison pour laquelle Alice avait accepté de s’asseoir en sa compagnie. Il s’était imaginé mille et une façons de présenter ses excuses, lors de fantaisies dans lesquelles il retrouvait sa fille encore en vie ; mais maintenant que ce moment devenait réalité, aucun de ces discours ne semblait approprié. Il allait devoir improviser.

“Il n'y a pas une journée sans laquelle je n'ai pas pensé à toi. À nous. À ce que je t’ai fait subir…”

Ce n’était pas une exagération : sur sa table de nuit se trouvait un petit coffret, et dans celui-ci était précieusement conservé une vieille breloque sur laquelle était gravée la lettre A. Pour Anderson, mais aussi pour Alice. Darius était censé offrir le bijou à sa fille pour son anniversaire, peu après l’expérience de deux mois à laquelle il avait participé. La transformation qu'il avait subie à son retour avait tout chamboulé, et la breloque n'avait jamais été donnée. Mais le vampire s'y était accroché en secret. Il s'y accrochait encore, ayant pris l'habitude de la prendre entre ses doigts chaque nuit avant de dormir.

“À vouloir te protéger, je t'ai repoussée. À vouloir te venger, je t’ai abandonnée.”

Il devait se forcer pour garder la tête haute et le regard rivé sur Alice ; résister à ce sentiment de honte qui le hantait et qui cherchait à le faire fuir. Car fuir était tout ce qu'il faisait, avant — si bien qu’on aurait pu croire que sa fille était une sorte de croquemitaine composée de verveine.

“Pourtant, tu n'avais rien fait de mal… Rien pour mériter la façon horrible dont je t'ai traitée.” Le résultat final n'avait été que la somme de bonnes intentions diminuée par une terrible exécution. “La vérité est que j'avais peur—”

Le serveur choisit ce moment pour interrompre la conversation avec la bouteille de vin qui avait été commandée. Alice fut la testeuse désignée avant que les deux coupes ne se remplissent et que Darius y goûte à son tour. L’alcool lui réchauffa la gorge, dénouant le nœud qui s’était formé en son creux. Il attendit que le serveur leur tourne le dos avant de poursuivre.

“J’avais peur de moi-même,” avoua-t-il en un souffle. Son regard se perdit soudain dans le rouge violacé de son verre, qui se transforma en souvenirs lointains. Souvent, ce n'était pas du vin qui remplissait ses coupes à l’époque ; c'était un liquide bien plus exquis, issu des longues heures de torture infligée sur les prisonniers des Nightbringers. Plus la victime avait agonisé longtemps, plus son sang était à la fois délicieux pour le corps… et toxique pour l’esprit. “J’avais peur de perdre contrôle en ta présence. De ce que je pourrais te faire si cela se produisait...”

Le paradoxe était bien là : en ayant peur de s’en prendre à sa fille, Darius lui avait fait subir un autre type de torture. Et maintenant il voyait, dans la façon dont elle le regardait, combien elle le méprisait.

“J'aurais dû être là pour toi. Toi et… Darla.” Prononcer le nom de son ancienne et défunte amante lui était difficile ; cela évoquait en lui une tristesse un peu amère. C’était la Banshee qui, finalement, avait éveillé le monstre et écopé de l’irréversible. Tout ce qu'il avait voulu éviter pour Alice s’était abattu sur sa mère adoptive. “Je suis tellement, tellement désolé.”

Les excuses étaient peut-être trop tardives pour changer quoi que ce soit du côté de sa fille. Mais cela faisait deux siècles que Darius regrettait de ne pas les avoir exprimées. Il croyait que cela le soulagerait… Mais maintenant que c’était fait, il n'en était pas moins anxieux. Être en mesure de comprendre qu'il ne pouvait espérer son pardon ne rendait pas le châtiment plus facile à supporter.
@Alice Eyre

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Le soulagement qui se propage dans l’aura de mon père me donne envie de gerber. Il n’a pas le droit d’être sincèrement soulagé que je lui parle. Il n’a pas le droit de ressentir quoi que ce soit de positif envers moi, car alors, je serai plus tentée de le pardonner. Je voudrais qu’il soit détestable et arrogant et sans intérêt. Je voudrais qu’il baisse les armes, me prenne dans ses bras et pleure avec moi. Je voudrais qu’il cesse de me regarder, qu’il s’en aille, qu’il m’offre toutes les raisons de le haïr encore. Je voudrais qu’il récupère chacun des petits morceaux de mon cœur qu’il a brisés pour les recoller ensemble.

Tant d’envies et de désirs entremêlés, paradoxaux et que rien ne pourrait vraiment assembler. J’ai l’impression moi-même d’être le puzzle qu’il s’est amusé à morceler, pièce par pièce, avant d’en jeter quelques-unes pour être bien certain que je ne le finirai jamais. 10.000 pièces, le puzzle.

Et la vague de regrets qui l’étouffait menaçait de m’étouffer par la même occasion, ricochet d’émotions que je voulais absolument fuir et éviter. « Merci. » Ne me remercie pas. Je n’ai encore rien fait. Tu me remercieras pour la miséricorde dont je ferai preuve, parce que j’ai été façonnée par ma mort et ce que tu as infligé à ma famille à mon départ. Devenue ange dont le pardon est la principale ambition, dont la compassion est la première arme. Parfois, je me déteste. La plupart du temps, cela rend la vie plus simple à supporter ; abandonner tout ressentiment sur chaque pas de porte que je traverse. Quand le serveur vient demander ce que nous désirons boire, je ne prends même pas la peine de regarder la carte des vins. Il me laisse la primeur du choix, et je vais lui faire regretter de ne pas m’avoir assez regardée – voilà à quoi ressemble une adolescente en colère, papa. « Amenez-nous la bouteille la plus chère de la carte. Du rouge. » Comme le sang de notre famille qui n’a que trop coulé. « Et sucré. » Histoire d’adoucir l’amertume de mon palais.

Au départ du serveur, je darde mon regard sur mon père, putain. Je n’arrive pas à y croire ! Il est là, en chair et en os, à vivre sa petite vie tranquille, comme si de rien n’était. Prêt à aider des dizaines d’orphelins ou d’enfants ayant des problèmes avec leur famille… Ironique, n’est-ce pas ? Et les mots de Darius s’infiltre sous ma peau, me tatoue d’une manière que je n’aurais pas pu possible. Pas une journée sans qu’il ne pense à moi ? À nous ? Il n’y a jamais eu de nous. Les mots me brûlent les lèvres, mais j’ai peur d’exploser si j’ouvre la bouche maintenant, alors j’attends. J’écoute. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, prêt à exploser. « Me venger ? Me venger de quoi, au juste ? » D’un père démissionnaire qui ne sait pas se regarder dans le miroir ? La colère enflamme mes sens, même si elle est quelque part apaisée par les excuses. Parce qu’il est là, devant moi, et qu’on pourrait peut-être… rattraper… le temps perdu ? Non. Il a eu tellement d’opportunités pour le rattraper, sans jamais les saisir !

Et la honte qui nimbe son aura est le pire des sentiments, car alors la honte s’infiltre aussi en moi, par toutes les interstices que ses départs consécutifs ont laissé. Je me sens honteuse et poisseuse, moi aussi, et j’ai l’impression de devoir revivre chacun de mes douleurs sans qu’on ne me laisse un instant de répit. Pour la première fois depuis très longtemps, je déteste mon pouvoir. Je ne voudrais pas ressentir sa douleur aussi. La mienne me suffit amplement. Et j’étais obligée de faire face à la réalité : il souffrait. Peut-être autant que moi. Et c’était une donnée que je n’avais jamais pris en compte. Que je ne pouvais pas prendre en compte.

« Pourtant, tu n’avais rien fait de mal… Rien pour mériter la façon horrible dont je t’ai traitée. » J’ai envie de le remercier pour ces mots qui m’apaisent, et de le haïr de valider mon dédouanement. Je n’ai pas besoin de lui pour le savoir. Je l’ai appris par la force des choses. « La vérité est que j’avais peur. » Grimace. Désabusée. Et moi j’étais terrifiée ! ai-je envie de hurler. J’étais une enfant, malade, qui ne pouvait ni se défendre, ni se construire.

Le serveur revient, nous fait goûter le putain de vin, et j’ai juste envie de l’envoyer paître. La situation semble tellement… ridicule. Tellement inadéquate. Mais eh, papa, bravo, t’as élevé une fille alcoolique ! Alors la caresse du vin sur ma langue est une délivrance, et je ferme les yeux, m’imprègne du millésime au prix exorbitant dont le compte en banque de Darius se souviendra. Ce sera pour tout ce qu’il n’a jamais payé pour moi.

« J’avais peur de perdre le contrôle en ta présence. » Et là, toutes les décennies d’après aussi, il a eu peur ?! Loin de Liam, loin de moi, après avoir tué Darla et… le ressentiment ronfle, gonfle et enfle dans ma cage thoracique et mes doigts s’enroulent d’autant plus autour du verre. « J’aurais dû être là pour toi. Toi et… Darla. — Ne t’avise pas de prononcer son prénom. Tu as perdu ce droit quand tu lui as arraché la vie. » Monstre. Je suis sur le point de le dire, mais je me retiens ; voilà un mot utilisé pour évoquer les mutants, et ce n’est pas ça que je pense. Ce n’est pas sa mutation le problème.

C’est qu’il ait tué ma mère, putain !

La femme qu’il était censé aimer, épauler, protéger, chérir. « Il valait peut-être mieux que tu ne m’aimes pas, en effet. Voilà comment a fini celle à qui tu avais donné ton cœur. » Mépris et dédain. Douleur, faiblesse, incompréhension. Et la tristesse mêlée d’amertume de mon père ne faisait que galvaniser la mienne. Le trou béant dans ma poitrine était en train de se rouvrir. Comme s’il enfonçait ses griffes dans ma cage thoracique pour m’en arracher le cœur ; souvenir d’une enfant de quatorze ans, sic. « Et donc je crois comprendre que pour expier tes fautes, tu tends la mains aux enfants orphelins ou en mal de famille ? Au lieu de t’intéresser aux tiens, par exemple ? » Hausse un sourcil. Liam, putain. Liam ! « Tu sais, le gosse dont j’ai dû m’occuper après que tu l’abandonnes. » OK, Alice, respire. Ça va aller. « Mais j’imagine qu’on est pas là pour parler de Liam, mais plutôt de moi. Tu as fait comme si je n’existais pas pendant des années, quoi que je fasse pour te faire comprendre que j’étais là, que je t’aimais et que j’avais besoin de toi. Je suis morte pour me réveiller dans mon cercueil, perdue, avec des déchirures à maîtriser, et le carnage que tu avais laissé derrière toi à nettoyer. Deux gosses dont m’occuper. Et un deuil à faire. Alors oui, je t’avoue que ‘je suis terriblement désolé’ me semble légèrement faible, à ce stade. Mais c’est gentil d’avoir essayé. » OK, ça, c’était le truc le plus difficile qu’il m’ait été donné de dire. Si difficile que j’ai envie de pleurer. En fait, je crois que je pleure. « C’est quoi le plan, ensuite ? On se voit tous les dimanches pour le repas de midi et on fait comme si rien ne s’était passé ? Putain, papa, je sais même pas si j’arriverai à te pardonner un jour. Non, en fait, je sais : je vais y arriver. Je vais y arriver parce que j’y arrive toujours. Mais ça me tue d’accepter que tu ne continues de pas de payer pour tes méfaits quand moi j’en crève un petit plus chaque jour. » OK. Rebois une gorgée, Alice, ça va aller. Famille à la con.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Darius demeura sans mots face à l’interdiction méritée, l’accusation bien fondée. C’était un accident, qu’il avait envie de rétorquer dans un effort minable de se justifier. Mais cela ne changeait pas les faits, il avait laissé le corps de la Banshee pourrir comme de nombreux autres – comme si la femme qu’il avait promis d’aimer et de chérir ne valait pas plus que les ennemis qu’ils avaient piétinés ensemble, unis par leur vision commune. Contrairement à la vie qu’il avait prise, la disparition du Vampire n’avait pas été un accident : il avait seulement été trop lâche pour affronter le résultat de décennies de déni.

La honte inonda ses veines à nouveau en réalisant qu’il n’avait pas seulement laissé deux cadavres, une progéniture cachée et un garçon inconnu derrière lui : il avait laissé une Alice sur le point de ressusciter et de porter le fardeau de leur malheur sur ses épaules.

“Je ne savais pas, Alice,” avoua-t-il, penaud. “Lorsque j'ai réalisé ce que j'avais fait, il était déjà trop tard… Vous étiez toutes les deux mortes. Et Liam…” Malgré lui, une grimace enlaidit ses traits à la pensée du fils qu’il avait renié. “Liam me rappelait à la fois ma pire erreur et la plus grande trahison de ta mère.” Bien qu’il se garda de le mentionner, la rancœur était toujours bien présente lorsqu’il s’agissait de Liam. Comme si le secret de Darla n’avait pas été assez pour contrarier le Vampire, le désir de vengeance de son fils avait été sans relâche au fil des siècles. Sans véritable surprise, Darius se rendit compte que Liam n’avait jamais mentionné la résurrection d’Alice. Par dépit, sans doute…

L’Originel s’efforça de laisser passer ses pensées au sujet du garçon. En effet, ils n’étaient pas là pour parler de Liam. “Je ne savais pas que tu allais te réveiller,” répéta-t-il. “Je ne savais pas que tu allais te réveiller comme… ça.” Seule. Dans son cercueil. Avec une dose de sérum dans les veines — la seule explication lui paraissant possible. “Je serais revenu, si seulement j’avais su...” L’envie de blâmer Darla pour lui avoir – encore – caché l’information ne passa pas loin de lui traverser les lèvres. Toutefois, ils n’étaient pas là pour parler d’elle non plus. Darius laissa sa phrase en suspens, conscient au fond qu’il était le seul à blâmer dans toute cette histoire.

La garantie qu’Alice arriverait un jour à lui pardonner malgré elle avait un goût particulièrement amer, tout comme le commentaire qui l’accompagnait. “Ne pas payer pour mes méfaits ? Qu’est-ce que tu crois Alice ? Que – parce que je ne suis pas mort ou enchaîné au fin fond d’un donjon – je ne porte pas chaque jour le poids de mes péchés ?” Les traits du père se déchirèrent de plus belle. Comment lui faire comprendre que derrière son costume immaculé et son assurance de façade se cachait en réalité un homme brisé pouvant à peine supporter son reflet dans le miroir ? Les choses auraient sûrement été plus faciles si Bram Stoker avait raison sur les vampires et leur réflexion.

“Je suis désolé de ne pas avoir su t’apporter l’amour et le soutien dont tu avais besoin. Je regrette d’avoir été lâche, égoïste et insensible au point que tu ne puisses prononcer le mot papa sans le teinter de dédain.” Il était vrai que les mots formaient un piètre baume contre les blessures de l’âme. Son honnêteté était pourtant tout ce qu’il pouvait lui offrir à l’instant.

“Tu as raison, on ne pourra pas se voir tous les dimanches en prétendant avoir eu un passé sain et normal.” Sa gorge se resserrait devant les larmes d’Alice, ainsi qu’à la pensée de ce qui aurait pu être si tout avait été différent. Néanmoins, Darius Sinclair refusait de rester piégé plus longtemps dans l’impasse qui lui était présentée. “Ne penses-tu pas que c'est un signe, qu'on se retrouve ainsi ? Ma contribution à ton association n’a pas à se limiter à un vulgaire montant d’argent.” À bien y penser, sa donation envers le MII mettait en perspective le coût du vin de la soirée. L'argent était le moindre de ses soucis ; les lacunes de l’immortel se trouvaient ailleurs...

“Laisse-moi te donner de mon temps,” osa-t-il suggérer, voire presque supplier. “Je pourrais te rendre visite à l’Institut tout en aidant vos mutants. Mon expertise du domaine médical orienté sur les déchirures pourrait sans doute vous être utile…” Si sa proposition pouvait passer pour de l’arrogance ou encore de l'optimisme démesuré, au fond, le Darius humain et authentique avait toujours été un solutionneur de problèmes. Tout ce qu'il cherchait était un moyen de se rapprocher de sa fille, de lui montrer à quel point il voulait être là pour elle aujourd’hui à défaut de l’avoir été hier. Il devait au moins essayer.

“Si toutefois tu me veux hors de ta vie…” Il avala difficilement sa salive. “Alors je disparaîtrai suite à ce repas et – bien que cela me tue à petit feu rien que d'y penser – plus jamais tu n'entendras parler de moi. Je te donne ma parole.”

Était-ce l’enfer qu’elle lui souhaitait, la punition qui le ferait véritablement payer — de devoir passer le reste de l’éternité sans jamais pouvoir l’approcher ?

Quitter Alice était évidemment tout l’opposé de ce qu'il désirait. Mais il était prêt à tenir cette promesse, ne serait-ce que pour lui prouver qu’il était aussi prêt à sacrifier ses envies pour son bien à elle.

Darius tendit une main ouverte vers le centre de la table. Il ne s’attendait pas à ce qu’Alice le rejoigne, mais le geste était là, à sa portée.

À la différence du passé, il ne présumait pas de ce qui était le mieux pour elle.
Il veillait à lui laisser le choix.

“Écoute, je ne peux ni retourner en arrière ni faire revivre ta mère… Mais je te garantis que je me planterais un pieu dans le cœur pour ne pas redevenir l’homme qui t’a fait tant de mal. S’il te plaît, laisse-moi une chance de te prouver combien je souhaite me repentir auprès de toi, Alice.”

Peut-être n’était-il pas un bon père. Peut-être n’était-il qu’un imposteur encore aujourd'hui.

Mais il tentait de faire mieux.
Il voulait faire mieux.
Peu importe ce que cela prendrait.
@Alice Eyre

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La honte macule ma bouche, tombe dans ma gorge comme une coulée de béton qui me force à serrer mes mâchoires de douleur. Il a encore des mots, plus d’autres mots, comme s’ils pouvaient être à même de soigner tout ce qu’il avait savamment labouré au fil des ans, de ses crocs et de ses griffes. « Liam me rappelait à la fois ma pire erreur et la plus grande trahison de ta mère. » Sa pire erreur ? Donc je n’avais même pas le droit d’obtenir ce titre ? Qu’étais-je, au fond, si ce n’est un souvenir oublié, une fille enterrée bien vite, comme on voudrait se débarrasser d’un fardeau. Je sirote mon verre de vin, m’en ressert un autre, parce que j’ai besoin de me noyer, même si mes démons ont depuis longtemps appris à nager. Et le pire dans tout ça ? Il n’avait même pas besoin de parler, que les sentiments se bousculaient sous son crâne, tachant son aura de cerises de sang, venant m’exploser au visage. Rancœur, incompréhension, tristesse…

« Je ne savais pas que tu allais te réveiller comme… ça. » J’acquiesce seulement car ça m’arracherait la bouche de l’avouer – personne ne pouvait savoir. Mais c’est plus facile de s’accrocher à sa colère, même irrationnelle (d’ailleurs l’est-elle seulement parfois ?).

« Qu’est-ce que tu crois Alice ? » Les mots résonneraient encore de longues années dans mon esprit, je le savais. Ce que je croyais ? Rien, plus rien, tout avait été réduit en cendre au fil des ans, des décennies, des siècles. Les souvenirs avaient perdu leur saveur, n’étaient plus que de vagues formes floues que je tentais de conserver du bout de mes doigts. « Je crois ce que je vois. » Saint Thomas s’incruste à la table avec nous. Et ce que je vois… C’est qu’il va bien, plus que bien, en réalité. Assez bien pour noyer d’argent de pauvres orphelins quand il en a laissé dans son sillage tant de fois.

Mais voilà, avec ses grands discours, et même si je me déteste de ressentir ça, c’est comme un baume apaisant sur mes plaies encore suintantes. Les mots sont posés, et de toute façon, c’est la seule chose qu’il peut m’offrir pour le moment. Jusqu’à ce que ses actes deviennent nécessaires.

« Ne penses-tu pas que c'est un signe, qu'on se retrouve ainsi ? » Évidemment, il sait comment me parler. Parce que le destin, les signes et la rédemption ont toujours été ma façon de voir les choses, encore plus avec l’apparition de mes déchirures. « Laisse-moi te donner de mon temps. » Saint Thomas est de retour ; elle veut bien le croire s’il lui en apporte la preuve. Et elle ne sent que de la sincérité couler de ses mots. Il ne cherche pas à la flouer, bien au contraire, et je me demande à quoi je m’attendais, dans mes rêves les plus fous – quand je m’imaginais peut-être pouvoir le revoir, avoir une explication… Je pourrais être une enfant pourrie gâtée qui refuse la main tendue, mais je crève d’envie d’accepter. Alors je me cache derrière les bonnes œuvres. « D’accord. Essayons. » C’est tout ce que je trouve à dire, comme si je me retrouvais asséchée de mots après mon monologue. OK, faisons un essai. Qu’est-ce que je risque, après tout ? Être déçue ? Je manque de ricaner moi-même à cette idée. Ce ne serait même plus surprenant.

L’homme tend sa main en travers de la table et je ne sais pas quoi faire de ça – l’attrape ? lui donner la bouteille de vin ? Je n’ai pas les codes sociaux pour répondre à cette invitation muette. Et à ses derniers mots, une langueur mesquine s’empare de moi. Ne fais pas ça, ne fais pas ça, ne t’abaisse pas à… Mais Andrea me l’a bien fait comprendre depuis des mois – je suis loin d’être parfaite, et parfois même les mauvaises pensées s’infiltrent dans mon esprit. Alors je faufile ma petite main dans la sienne, avant de lâcher la seule bombe qui pourrait enfin lui faire des dommages, lui faire payer ses affronts passés. « Tu ne peux pas faire revenir ma mère, non, mais peut-être que tu es maudit, toi aussi. Car celles que tu as blessées sont revenues d’entre les morts pour te le faire payer. Darla est à New Blossom, elle aussi. » Je lâche alors sa main, reprends mon verre pour le finir une seconde fois. Prête à découvrir les ravages que va provoquer cette attaque dans son esprit.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Dans les minutes qui s'étaient écoulées depuis le face à face inattendu, Darius avait déjà évalué ses options, son mental trop habitué à travailler sous pression. Sa réponse au fight or flight avait changé avec le temps ; le vampire était devenu un combattant. Son combat avait lieu autour de cette table pour deux, chaque mot livré avec un morceau de son âme en peine. Il se battait non pas pour faire tomber Alice mais pour montrer que cette fois, il était prêt à tomber pour elle.
Cette fois, elle tenait l’épée.
Peu importe son verdict, il n'était plus question de fuir.

“D’accord. Essayons.” L’Originel reprit son souffle, comme si on venait de lui insuffler la vie à nouveau. Entre la fin de son discours et la réponse d’Alice, Darius avait déjà ruminé le pire dans sa tête, son optimisme démesuré n’étant pas entièrement de taille contre la crainte dévorante de se faire rejeter.
Était-ce ainsi qu’elle s’était sentie toute sa vie ?
La main de l'ange vint réchauffer la sienne et atténuer le calvaire qu’était son immense réserve de culpabilité. Alice avait hérité des meilleures parties de son père après tout.
Mais peut-être aussi des pires…

Le corps entier du vampire se raidit à la détonation sournoise, sa main tendue se crispant un peu trop fort autour de la chair innocente. Il s’en rendit rapidement compte et relâcha son emprise avant de lui briser les os.
Tandis qu’Alice sirotait son second verre avec un éclat de satisfaction au fond des yeux, Darius transformait son choc initial en un sourire mi-malaisé, mi-incrédule. Il attrapa à son tour la bouteille de vin pour bien remplir son verre. “Quoi, vous êtes arrivées ensemble à New Blossom ?” Le sarcasme dans la voix cherchait péniblement à maintenir le peu de contrôle qui glissait entre ses doigts presque tremblants.

Combien de temps avait-il été laissé dans l’ignorance pendant qu’elles refaisaient leur vie sans lui ? Pendant qu’il refaisait sa vie en se déchargeant peu à peu du poids de ses erreurs ?
L’impression d’avoir vécu un mensonge depuis il-ne-savait-quand s’infiltrait par les pores de sa peau, comprimait ses viscères jusqu’à lui donner envie de gerber.

Seulement après avoir pris une longue gorgée de vin finit-il par demander :
“Comment… ?”
Comment le savait-elle ?
Comment était-ce possible ?
Tant de questions lui brûlaient la gorge mais il n'arrivait pas à les formuler.

Il se leva d’un bond, incapable de se tenir assis plus longtemps. Son attention n’était plus posée sur la table ni même sur Alice. Non, le regard méfiant de Darius se perdait dans l’obscurité de la salle, à la recherche de la Banshee.
Comme si elle guettait dans le noir, attendant le moment parfait pour se révéler.
Et peut-être se venger. @Alice Eyre

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Je n’arrive pas bien à analyser ce qui se joue dans l’aura du vampire à mes mots. À mon accord forcé, presque, de… de quoi, au juste ? Essayer de recoller des morceaux brisés depuis des décennies ? Et sa paluche se resserre plus difficilement sur ma main, si fort qu’il pourrait presque me la briser sans même s’en rendre compte. Peut-être que ce sursaut de douleur me rappellerait combien il est dangereux de côtoyer un monstre sans âme. Mais qui possède étrangement une aura. Il tente de contenir en lui le choc et la surprise que je viens de lui infliger. Maigre coup bas. Rien qui ne soit à la hauteur de ce que j’ai jamais vécu. De ce que je vivrai encore, de savoir qu’il m’a abandonnée, encore et encore, à chaque fois qu’il avait le choix. « Quoi, vous êtes arrivées ensemble à New Blossom ? » Je bois mon verre de vin comme du petit lait, songe à ma consommation excessive d’alcool. Mais quand on a une famille comme la mienne, je ne vois pas comment on pourrait m’en vouloir de ne pas parvenir à rester sobre.

Et s’il est parvenu à conserver son masque les premiers instants… je peux sentir les lézardes fendiller sa si belle armure. Je peux le sentir sur le point de s’émietter, lui qui tente de sauver les apparences. Je suis sur le point de répondre, de marteler un peu plus sa fichue armure pour le mettre à terre, mais il s’effondre de lui-même. « Comment ? » Il me coupe l’herbe sous le pied ; je ne sais pas, comment. « Et toi, comment ça se fait que tu sois là, à siroter du vin dans un restaurant, comme si de rien n'était ? C'est parce que tu pensais que nous étions enterrées que tu pouvais poursuivre ta vie tranquillement ? » Alice, on avait dit… on avait dit qu’on essayerait. Mais la colère et la terreur sont trop puissantes. Je ne sais pas si son côté prédateur peut le sentir, cette angoisse constante depuis que la Chose de Damian a déterrer des cauchemars terribles. C’est lui, mon monstre, depuis toujours. Et je ne le réalise que maintenant…

Et maintenant, nous serons les siens.

Ou plutôt, elle le sera. Car tout l’a toujours concernée elle, n’est-ce pas ? Elle a toujours été plus importante que moi. Alors que j’étais la chair de sa chair. Je suis. Même si je ne suis pas certaine de savoir de quoi je suis faite, désormais, si ce n’est de regret et de poussière de mort-vivant. « Tu as peur, papa ? Tu penses qu’elle voudrait se venger ? Elle a toujours été meilleure que moi à ce petit jeu. Elle a toujours été meilleure sur tous les plans, pour être honnête. » Je repose mon verre vide sur la table, consciente que Darius a attiré l’attention sur nous. « Ça y est, tu en as déjà marre d’essayer ? » Ou pour une fois dans ta vie, tu vas cesser de te comporter comme un enfant et assumer ?

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Darius croyait être en mesure de comprendre la colère et la peine qu’il avait infligées, mais il se trompait. Plus la soirée progressait, plus les remarques de la revenante tranchaient l’air pour lacérer à vif l’esprit de l'homme qui se trouvait devant elle.
Elle ne me déteste pas. Elle me méprise, réalisait-il tandis que les piques de sa fille découpaient continuellement ses lèvres délicates en un demi-sourire dédaigneux. Alice lui reprochait d’avoir profité de leurs enterrements, à elle et Darla, pour refaire sa vie comme si elles n'avaient pas existé. Comme s'il n’était qu’un monstre sans cœur qui ne les avait jamais aimées.
Il le voyait, maintenant, comment elle voulait le voir s’affaisser sous le poids de ses erreurs et perdre son emprise sur la réalité qu’il s'était forgée.
Elle voulait le voir souffrir autant qu’elle désirait le punir.
“Tu as peur, papa ? Tu penses qu’elle voudrait se venger ?”
Elle enfonçait le clou de son mépris toujours un peu plus fort, toujours un peu plus loin, telle une gamine en crise qui ne savait pas reconnaître les frontières de la raison. Darius encaissait ses piques en silence, les poings serrés à s’en transpercer l’épiderme, le regard à la fois alerte et distant, soucieux de ce qu’il pourrait trouver dans la pénombre du restaurant.
Soucieux de qui il pourrait trouver.
Mais Alice ne s’arrêtait plus ; intoxiquée, peut-être, par le mélange empoisonné de leurs émotions respectives.
Soudain, la mémoire de Darius fut envahie par des flashs de souvenirs remontant à la surface. Le souvenir de l’enfant qui cherchait désespérément l’attention de son père lorsqu’il était occupé, l’enfant qui se résolvait à des comportements extravagants rien que pour provoquer une réaction ; le sentiment vil et égoïste qui envahissait alors l’homme assoiffé de vengeance, frustré d’interrompre ses manigances pour les caprices de celle dont il croyait assurer le futur et la sécurité.
L’espace d’un instant, cet homme de l’époque et celui du présent ne firent plus qu’un tandis qu’un poing impatient vint s’abattre sur le dessus de la table.
“Ça suffit, Alice !” gronda le vampire, l’imposteur, le père déchu.
Des têtes se tournèrent au ton élevé qui avait résonné aux alentours. Des conversations se brisèrent au bruit métallique des couverts qui avaient rebondi à l’impact.
Un silence de mort se propagea à travers la salle, écrasant toute joie de vivre sur son passage.
“Ça y est, tu en as déjà marre d’essayer ?” se moqua Alice en rompant le silence.
Réalisant tout juste ce qui venait de se produire, les plis sévères sur le visage de Darius se changèrent en rides effarées. Il avala sa salive avec difficulté en tentant de se rasseoir sans plus attirer l’attention.
“Pa– Pardonne-moi. Je…”
Je ne voulais pas agir ainsi.
Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Je ne suis pas le monstre que tu t’imagines.
Si son état de choc l’avait un peu plus tôt empêché de remarquer l’angoisse omniprésente d’Alice face à lui, cette fois le sarcasme qu’elle avait employé n’avait pas suffit à masquer son souffle coupé ou son cœur affolé. Darius venait de se rendre compte à quel point, au-delà même de la haine et du mépris que sa fille éprouvait pour lui, elle avait surtout peur de lui.
“Je ne voulais pas t’effrayer.”
Logeant un doigt entre son cou et sa cravate, Darius ajusta celle-ci tout en la desserrant d’un centimètre. Il se sentait sur le point d’étouffer. Pour la première fois depuis des lustres, le masque s'était brisé en mille morceaux ; son porteur avait perdu le contrôle qu’il maintenait pourtant depuis des années. Il voulait montrer à Alice qu’il avait changé, qu’il n’était plus à craindre et qu’il était capable d’expier ses fautes — et voilà qu’il lui avait prouvé tout le contraire.
Merde. Était-il pourri à ce point ?
Darius prit une grande inspiration avant d’avouer dans un presque murmure :
“Tu sais, après ta mort et ce que j’ai fait à Darla…” Il fixa les paumes de ses mains ouvertes devant lui ; il pouvait presque les voir maculées de sang. “J’ai cherché à vous rejoindre avant de réaliser que c’était toujours… impossible.” Alice avait été témointe de sa première mort en 1828 ; elle le savait déjà immortel. Le mort-vivant ne pouvait s’ôter la vie, il était condamné à errer sur terre en traînant son fardeau pour l’éternité. “Crois-moi, je ne vous ai jamais oubliées, et je regretterai toujours la façon dont je vous ai traitées,” insista-t-il en levant un regard désespéré en direction d’Alice.
“J’ai commis d’innombrables et d’innommables atrocités au cours de ma vie. J'en suis conscient.” Et il ne parlait pas seulement du sang et des larmes qu’il avait faits couler à l’époque des Nightbringers : malgré les bonnes résolutions sur lesquelles il s’appuyait, il lui était souvent arrivé de glisser. “Je suis loin d’être un homme bon, Alice, et je suis désolé de ne pas croupir en enfer comme tu sembles le souhaiter. Mais je continue d’essayer de devenir meilleur...” Il eut une pensée pour Aurea, qui pourrait sûrement témoigner de ses efforts. Il doutait toutefois que ce fut le moment de mentionner sa fille adoptive. “Je souhaite sincèrement devenir meilleur auprès de toi aussi.”
Alors non, il n’en avait pas marre d’essayer.
Mais peut-être qu’Alice avait raison de vouloir détruire ses illusions. Encore aujourd’hui, il semblait incapable de lui procurer ce qu’elle espérait de lui — s'il y avait encore quoi que ce soit à espérer de lui.
Peut-être qu’il serait à jamais un monstre à ses yeux.
@Alice Eyre

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Parfois je me demande si mon problème de maturité émotionnelle provient de mon enfance en tant que malade ou de tout ce qui en a découlé. Des divers traumatismes infligés à la petite fille que j’étais, et qui a tenté de se construire autour de ruines. Puis je me rappelle que ma mutation ne m’aide pas, noyée par toutes les émotions contraires et hypocrites d’une humanité constamment sur le point de s’effondrer. Le restaurant est plein à craquer de gens aux envies et besoins contraires ; entre ceux qui manipulent, ceux qui aiment, ceux qui ont peur, ceux qui veulent croire et ceux qui sont en train de trahir… Et les émotions de mon père aussi, que je prends en pleine tronche, le goût acre de ce que je ne voudrais surtout pas ressentir. Et un flot de venin que je voudrais destructeur, auquel il met fin d’un puissant coup de poing sur la table.

Tout mon être se tend, se brise sur celle que je suis et le souvenir qui se superpose, la gamine qui devait accepter, sans broncher, la colère sombre et carmine d’un prédateur qui ne faisait jamais de concession. « Ça suffit, Alice ! » Mon nom dans sa bouche est comme un affront à tout ce que nous avons enduré par la suite. Sa manière paternaliste de se comporter est une honte à cette figure qu’il n’a jamais voulu être réellement pour moi : un père.

« Pa— Pardonne moi. Je… » Pardonner. Toujours, encore, envers et contre tout. J’ai l’impression de n’être bonne qu’à ça, au final, à ployer l’échine et à accepter que les autres se servent et me consument, comme si leurs circonstances atténuantes pouvaient tout expliquer. Et le cœur qui tambourine, plus fort à chaque fois, comme un colibri prêt à s’envoler, qu’un homme pourrait aisément prendre dans sa main et briser en fermant le poing. « Je ne voulais pas t’effrayer. » Parce qu’il ne voulait voir que ça, bien sûr ; ou peut-être parce que ses sens ne pouvaient analyser que cette émotion primitive. Je n’avais pas peur (ou peut-être que si, j’avais peur chaque jour, pour pleins de raisons différentes), j’étais en colère et blessée et… et fatiguée. Tellement, fatiguée.

Et peut-être qu’on ne peut pas tout réparer, en fin de compte, que certaines choses sont destinées à rester briser, même si je ne suis pas certaine d’avoir la force de m’y résoudre. « »Tu sais, après ta mort et ce que j’ai fait à Darla… » Pendue aux lèvres, attendant un aveu, une rédemption, quelque chose qui atténue ce que je ressens. Mais les mots ne ressemblent qu’à des cendres qui s’évanouissent sous la caresse du vent. « Pourquoi est-ce que tu l’as tuée ? » La question me hante, encore, depuis cette fameuse nuit où j’étais enfermée dans mon cercueil. « Raconte-moi comment ça s’est passé. » Comment le monde a pu voler en éclat si rapidement.

Voilà une bonne façon de commencer à devenir meilleur. « Je veux comprendre. Tout. Je ne suis plus une enfant, maintenant. Tu ne peux plus simplement cacher la poussière sous le tapis et croire que je vais me contenter de réponses évasives. » Je jette un coup d’œil autour de nous, alors que l’on a attiré l’attention de tout le monde. « Mais ce n’est peut-être pas l’endroit le plus indiqué pour ça. Et puis, je n’ai plus très faim. »

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Il désirait plus que tout donner à Alice quelque chose qui la ferait le regarder autrement, mais même ses derniers aveux ne suffisaient pas à l’émouvoir. Inconsciemment, Darius semblait encore danser autour du trou béant dans lequel il avait laissé sa fille plutôt que d’affronter ses démons pour lui permettre de s’en sortir.
Malgré la bonne volonté du coupable, les réponses qu’attendait Alice avaient peu de chances de venir d’elles-mêmes. Le vampire n’était pas tout à fait prêt à exposer le donjon mental de ses péchés.
Mais celle qui le confrontait n’en avait rien à faire. Elle avait assez patienté.
“Pourquoi est-ce que tu l’as tuée ?”
La question sans détour lui fit l’effet d’une douche froide. Darius réalisa qu’Alice se fichait bien de ce qu’il avait pu faire ou ressentir après avoir commis l’acte fatal, de ses excuses qui voulaient tout et rien dire à la fois. Tant qu’il refusait de parer à l’incompréhension qu’il avait semée, en commençant par le début, il n’y avait aucun moyen de réparer les ponts.
“Je veux comprendre. Tout. Je ne suis plus une enfant, maintenant. Tu ne peux plus simplement cacher la poussière sous le tapis et croire que je vais me contenter de réponses évasives.”
Cacher la poussière sous le tapis… C’était bien ce qu’il avait toujours cherché à faire, n’est-ce pas ? Sous prétexte de vouloir préserver son innocence de jeune fille, de vouloir la protéger de l'effroyable vérité.
En réalité, c’était sa propre image qu’il tentait désespérément de sauver. Alice avait perdu son innocence avant même qu’il ne perde son humanité.
Pour la première fois, la vision de l’homme se changea : il ne voyait plus la jeune fille frêle et sans défense issue des biais de son imagination, mais bien la femme affirmée qui refusait qu’on la prenne encore pour une enfant. En rejetant ses excuses bidon, elle faisait également preuve de compassion, car elle lui accordait – volontairement ou non – une nouvelle chance de se montrer honnête et ouvert.
Et d’une drôle de façon, Darius fut soudain épris d'une vague d’admiration et de fierté envers Alice. Il n’avait jamais été un bon père, mais elle restait sa fille, envers et contre tout. Et même s’il n'avait jamais su correctement l’exprimer, il ne pouvait s'empêcher de ressentir un amour féroce, profond et inconditionnel.
Il ne voulait pas la perdre.
“Très bien,” lui accorda-t-il en un souffle résolu.
Il lui avouerait tout.
Seulement— était-ce l’endroit approprié pour poursuivre cette discussion ? Alice exprima à voix haute ce qu'il se demandait à voix basse.
“... Et puis, je n’ai plus très faim.”
Darius acquiesça : son propre appétit l’avait quitté dès l’instant où leurs regards s'étaient croisés.
“Et si nous sortions prendre une marche ?” suggéra-t-il. Il connaissait un parc à proximité dans lequel ils seraient tranquilles. “Je te raconterai tout, je te le promets.”

* * *

L’air frais de la nuit caressait le visage de Darius tel la main encourageante d’une amante, apaisant ses doutes et lui donnant le courage d’aller de l’avant. Les deux immortels avaient échangé l’atmosphère pesante du restaurant contre la douceur de la nature ; ils respiraient désormais la fraîcheur des arbres, de l'herbe et des fleurs plantés dans un petit recoin du Nexus, avec pour seule compagnie quelques bestioles tantôt méfiantes, tantôt curieuses. Ils avaient eu le choix entre s’installer sur un banc ou faire le tour du sentier, mais puisqu'ils venaient tout juste de se lever de table, la seconde option avait été la plus intuitive.
Après plusieurs minutes de silence, Darius prit enfin la parole.
“Ce jour-là… j’ai été envahi par un torrent d’émotions tel que je n’en avais jamais connu avant,” lâcha-t-il tandis que son regard se perdait dans les détails du paysage devant eux. Pour les créatures de la nuit, le monde paraissait toujours plus vivant dans le noir. “J’étais dévasté de te voir rendre ton dernier souffle. En même temps, je réalisais quel hypocrite j’avais été envers toi, envers Darla, envers moi-même. Étais-je même en droit de te pleurer alors que je t'avais abandonnée ?”
Abandonnée. Son cœur se serra rien qu’à prononcer ce mot. Peu importe comment il pouvait tenter de le justifier, peu importe combien il pensait à l’époque qu’Alice serait mieux sans lui, le résultat était le même. Au fond, il le savait très bien, il était parti de son propre vouloir. Et même quand il était là, il ne l'avait jamais vraiment été.
“Quand je t’ai vue à ton chevet, j’ai réalisé toutes les opportunités que j’ai laissées glisser. Celles d’être un guide, un pilier, un véritable… père. J’ai été frappé par le constat que je n’avais qu’un devoir auprès de toi, et que j’ai misérablement échoué. J’ai probablement été une déception jusqu’à la fin, avec nul autre à blâmer que moi-même.” À nouveau, sa gorge se noua. Mais aussi difficile que c’était d’admettre cette vérité de vive voix, il se rendait compte qu'elle s'avérait également cathartique.
Il ne pouvait dire si cela faisait autant de bien à Alice, mais elle lui avait demandé de tout lui raconter. Il allait au moins tenir cette promesse.
“Puis,” poursuivit-il tandis que la profonde tristesse laissait peu à peu place à une rancoeur ravivée, “l’un des garçons – l’un de tes frères – a envahi la pièce de ténèbres en m’appelant Père...” Un moment de silence plana.
Darius ne se rappelait que trop bien de la rage dans les yeux du gamin tandis que celui-ci invoquait sa déchirure face à l’homme qu’il détestait. L’homme qui n’avait pas tardé à réaliser ce que tout cela signifiait.
“Le jour où j’ai pris conscience qu’il était trop tard pour revenir en arrière, que jamais je ne pourrais rattraper tout le temps perdu par ma faute… J’ai aussi appris que la femme que j’avais aimée à une époque m’avait jusque là caché l’existence de mon propre fils. Elle m’a menti alors même que nous partagions le même toit, la même bouffe, le même lit.”
Un mensonge par omission demeurait évidemment un mensonge. Si Darla avait conservé ce secret pour la majeure partie de leur relation, comment pouvait-il considérer que le reste avait été authentique ?
Ils avaient beau s’être séparés d’un commun accord en 1830 ; le vampire s’était senti trahi jusqu’au plus profond de son être lorsqu’il avait découvert ce qu’elle avait osé lui faire.
Et juste comme ça, son monde avait volé en éclats.
“Je ne saurais te décrire le mélange de chagrin, de honte, de colère et d’humiliation que je ressentais à ce moment-là,” avoua Darius, cette fois dans un murmure à peine perceptible. “Mais un sentiment très sombre s’est propagé dans mes veines tel un poison. Je ne pensais plus clairement du tout. La simple présence de Liam me dégoûtait autant que le culot de sa mère, d’autant plus qu’il cherchait à m’attaquer avec sa déchirure. Je voulais qu’il se taise, qu’il cesse de m’appeler Père— non, je voulais qu’il disparaisse, qu’il n’ait jamais existé.”
Il n’avait aucun droit de l’appeler Père. Par la faute de Darla, ce garçon ne serait jamais son fils.
“Quand il m’a traité de monstre en propulsant ses ténèbres en ma direction, je me suis transformé avant même de le réaliser.” Le vampire avait alors été pris d’un besoin à la fois irrationnel et irrépressible de donner raison à Liam : il était effectivement un monstre et il comptait bien le lui montrer.
Parce qu’à l’intérieur, c’était ainsi qu’il se sentait. Monstrueux.
“Ensuite, les choses sont allées vite… En voulant s’interposer entre Liam et moi, Darla s’est mise sur mon chemin, et dans ma colère, je n’ai pas fait attention à ma force...” Aux yeux du vampire, Darla avait choisi son camp ; elle représentait alors un obstacle qu'il devait écarter. Peut-être qu'une partie de lui avait eu envie de lui faire mal, de la voir souffrir comme il souffrait à ce moment-là...
Mais il ne pensait pas qu’il la tuerait.
Darius se tourna vers Alice. Pouvait-elle discerner, à travers la pénombre, le voile humide qui commençait à brouiller sa vision ?
“Je l’ai tuée par accident,” énonça-t-il, à moitié pour Alice, à moitié pour lui-même. @Alice Eyre

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J’aurais aimé pouvoir me protéger de tout ce qu’il ressent. Ne pas avoir à faire face à sa peine, car je ne pouvais pas croire qu’il pouvait en ressentir. Je ne veux pas ressentir sa fierté et son amour, sa tristesse et sa souffrance. J’aurais voulu me confronter à un monstre de noirceur et de rage, j’aurais peut-être même préféré me battre avec lui, contre lui, comme ça a été le cas face à Ça avec Damian. Quelque part, il aurait été plus facile pour moi que les choses soient manichéennes. J’aurais pu rester dans ma colère, moi aussi, et ne pas me remettre en question. Et je suis terrorisée, aussi. À l’idée de lui offrir un à nouveau ma confiance, de baisser mes défenses et de lui offrir un nouveau moyen de me faire du mal. Encore.

« Très bien. » Je ne m’attendais pas à ces mots. Ni à ce qu’ils fonctionnent comme un baume apaisant sur mon cœur. Nous nous éclipsons du restaurant (une fois mon verre terminé, bien sûr).

☾

Nous voilà à déambuler comme des âmes en peine, sur un petit sentier au cœur de la nuit. Même si l’inquiétude continue de dévorer mes entrailles, elle n’est désormais plus réellement dirigée vers la personne de mon père. Je sais, au fond, qu’il n’a jamais désiré me faire du mal. Il a tenté de me protéger, en le faisant mal, très mal, je ne crains pas qu’il vienne me dévorer sous le couvert des arbres. Et alors, il accepte de me raconter. Une histoire que je n’étais pas du tout prête à entendre, pour être honnête. Je ne sais pas s’il en joue, s’il se sert de moi, s’il sait comment me manipuler… peut-être qu’on est jamais insensible face à ses parents.

« J’étais dévasté de te voir rendre ton dernier souffle. » Maelström d’émotions incompréhensibles ; bonheur, de savoir que je compte, culpabilité, car tout ça serait ma faute, désarroi, car alors pourquoi en sommes-nous arrivés là ? « Étais-je même en droit de te pleurer alors que je t’avais abandonnée ? » Non. Oui. Peut-être. Je ne sais pas. « J’ai probablement été une déception jusqu’à la fin, avec nul autre à blâmer que moi-même. » Eh bien, apparemment il prend le couteau lui-même pour se le planter dans l’abdomen. Alors je reste silencieuse, chemine sans savoir quoi faire, comment me comporter. J’ai tant de fois demandé cet instant, et je me retrouve si démunie.

Il parle de Liam, évidemment ; car mes frères étaient aussi terriblement impactés par la situation. Voilà un autre sujet que nous devrons aborder. Mais quand j’apprends que Darla lui a menti, soudainement, une construction s’effondre à l’arrière de mon esprit. « J’ai toujours cru que tu l’avais abandonné, lui aussi. Liam l’a toujours pensé aussi ? Que tu avais préféré… » Je hausse les épaules, ne sachant pas vraiment comment décrire ça, désormais. L’abandonner oui, comme moi.

Je ne pensais jamais dire ça un jour, en réalité, mais je comprends que je commence enfin à comprendre. Quand je suis revenue d’entre les morts, tout semblait si nébuleux… Darla était morte, et il ne me restait que le témoignage de mes deux petits frères, traumatisés. Moi-même, toute ma réalité à cette époque ne repose que sur du flou et des approximations provoquées par mon esprit, blessé et choqué de sa propre résurrection. Et je peux sentir dans la moindre de ses inflexions et dans son aura devenue d’argent et d’obsidienne, combien le regret le ronge. Il obstrue même ma gorge. « Je l’ai tuée par accident. » Tout n’est donc qu’un accident ? Tout ne peut que se résumer à ça ? Un mauvais coup du destin ? Je ne sais pas ce que j’en pense, ni comment je veux assimiler ça. Mais je sais une chose. « Merci de m’avoir expliqué ta version de l’histoire. Je comprends mieux. » J’acquiesce, comme pour moi-même, pas certaine de savoir quoi dire de plus. Si nous pourrons résoudre, réparer, apprendre, avancer… Je ne sais pas. Et ça me terrifie. « Et donc tu as juste décidé de fuir ? En laissant deux enfants terrorisés seuls dans une maison ? »

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

“J’ai toujours cru que tu l’avais abandonné, lui aussi. Liam l’a toujours pensé aussi ? Que tu avais préféré…” Darius avait acquiescé en silence. Il ignorait à la fois ce que Darla avait raconté à Liam et ce que Liam avait raconté à Alice, mais une chose était certaine : le garçon avait toujours voué une haine viscérale envers son paternel en le blâmant pour son absence et l’héritage génétique que le vampire lui avait laissé. Contrairement à ce moment pendant lequel Alice écoutait le récit avec attention, chaque interaction avec Liam s’était terminée en bain de sang.
Darla avait seulement été la première à en faire les frais. Accidentellement.
Quand Alice le remercia pour sa version de l’histoire, un poids sembla se lever des épaules de son père. Il ne demandait pas à ce qu’elle lui pardonne ni même à ce qu’elle l’aime. Le seul fait qu’elle puisse mieux le comprendre était déjà plus que ce qu’il pouvait espérer.
Mais il y avait encore tant de zones d’ombres inexplorées.
“Et donc tu as juste décidé de fuir ? En laissant deux enfants terrorisés seuls dans une maison ?” le confrontait Alice, comme si son départ abrupt de la maison n’était qu’une autre preuve de son grand égoïsme. Et peut-être était-ce le cas…
Mais les choses étaient-elles aussi simples ?
Darius renifla d’un coup sec avant de répondre tout aussi sèchement (comme s’il se dépêchait de libérer la vérité avant de changer d’idée) : “Si je ne m’étais pas enfui, peut-être que je les aurais tués eux aussi.” Il fronça les sourcils, pensif — la mort violente de Darla n’avait pas apaisé le tourbillon d’émotions qui lui retournait les entrailles, au contraire. “Peut-être que cette fois, ça n'aurait pas été un accident...” Le voile de tristesse dans ses yeux se cristallisa en quelque chose de plus dur, plus sévère tandis qu’il soutenait le regard d'Alice sans broncher. Voyait-elle où il voulait en venir ?
Il leur avait épargné la vie.
Il n'avait pas eu de contact avec Octavian par la suite, mais Liam, oh Liam l’avait traqué et tourmenté à travers les décennies en jurant de rendre sa vie aussi misérable que la sienne l’avait été. La relation de Darius avec Liam s’était tellement envenimée au fil du temps que le vampire était à ce jour incapable de ressentir le moindre remord envers lui. Plus d’une fois, il s’était demandé s’il n'aurait pas dû mettre fin à l’existence de son maudit de fils lorsqu’il en avait eu l’occasion… Peut-être que cela aurait été l’ultime acte de compassion.
Darius évacua son conflit intérieur dans un soupir.
“Il ne t’a jamais dit qu’il m’avait retrouvé, n’est-ce pas ? Liam.” Plus tôt au restaurant, Alice lui avait mentionné s’être occupée des deux gosses. Avaient-ils vécu ensemble depuis tout ce temps ? “Il ne m’a certainement jamais dit que tu étais en vie. Mais je ne suis pas surpris, il me méprise autant que toi, sinon plus.” @Alice Eyre

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Je déteste me sentir si démunie face à une autre version de l’histoire à laquelle je ne m’attendais pas. Je déteste tout dans cette rencontre, en réalité ; la certitude que toutes les fondations de ce que j’ai tenté de construire vont finir par se briser, la peine qui noie mon cœur de tout ce temps perdu, de toutes ces décennies envolées, l’incompréhension face aux choix et aux décisions de ceux qui devaient être mes piliers. Je me sens usée et perdue et utilisée, oubliée, aussi, abandonnée. La noirceur de cette plaie n’a jamais vraiment guéri, et c’est peut-être aussi la raison pour laquelle aucune de mes relations ne dure réellement. Parce que j’ai été programmé pour penser qu’elles auront une fin, et qu’on finira par me laisser, n’est-ce pas ?

L’agacement se répandit en voiles rouges autour de lui, rouge comme le sang, comme le vampire qu’il est, encore et toujours – car cela, il ne pourra jamais le changer. « Si je ne m’étais pas enfui, peut-être que je les aurais tués eux aussi. » La violence des mots me percute comme un couteau planté dans ma cage thoracique. Voilà comment était expliquée la lâcheté ; par la promesse de faire pire. « Peut-être que cette fois, ça n’aurait pas été un accident… » Mais oui, tuons des enfants, après tout ! Pourquoi pas ? Je serre les mâchoires, tente de repousser les larmes qui me montent aux yeux. Comment peut-il être cet être insensible sans foi ni loi et la seconde d’après, me promettre monts et merveilles en songeant que je vais le croire ? Pourquoi vouloir me parler, me connaître, alors que ça ne l’a jamais intéressé avant ? N’est-ce qu’un énième subterfuge pour obtenir d’autres informations ? Après tout, c’est ce que cherchait Adelyn, sauf qu’elle avait au moins eu la décence de ne pas jouer les hypocrites et de m’attaquer frontalement.

Ou alors Darius restait sur ses vieux acquis, ses vieilles croyances que j’avais appris à détester au fil des années ; celle de croire que s’éloigner pouvait nous protéger. Si seulement… pour moi, c’était justement ses absences qui nous avaient tués. Ou qui m’avait achevée, en tout cas. Mais peut-être qu’aujourd’hui, alors que je peux plonger dans son aura sans vergogne, les choses sont différentes. Car son tourment, sa colère et ses ruminations s’enroulent autour de lui comme une armure qui me laisse présager de ce qu’il est devenu. Ou de ce qu’il a toujours été. Alors qu’enfant et humaine, j’avais encore la possibilité de lui inventer mille excuses…

« Il ne t’a jamais di qu’il m’avait retrouvé, n’est-ce pas ? Liam. » Et voilà. Le moment que je redoutais le plus est arrivé. Les fondations de mon monde tremblent, et je détourne le regard, peut-être à deux doigts de pleurer. Est-ce qu’il dit vrai ? Je ne sais même pas pourquoi j’ose remettre en doute ce qu’il raconte ; son aura est pure à ce sujet, il ne ment pas, ne cherche pas à me tromper. Alors… pourquoi ? Pourquoi mon frère, pour qui j’ai tout donné, m’aurait fait une chose pareille ? Me retirer la possibilité, peut-être, de… Non, n’y pense pas. Je ne veux pas y songer. À ce que nous aurions pu être, dans une autre vie, dans un autre univers, si… si quoi ?

Qu’aurais-je fait si Liam me l’avait dit ?

Je l’aurais retrouvé, bien sûr.

Et qu’aurions-nous fait de plus ? « Il ne m’a certainement jamais dit que tu étais en vie. Mais je ne suis pas surpris, il me méprise autant que toi, sinon plus. — Non, il ne m’a rien dit. J’imagine qu’il pensait faire la même chose que toi en fuyant ; me protéger. Il savait que j’aurais couru toute ma vie derrière des chimères si j’avais su. » Courir derrière la possibilité de retrouver mon père. Dans tous les sens du terme.

Je ne sais pas quoi dire de plus. Tout cela me semble tellement incongru et étrange et gênant. J’ai juste envie d’aller me cacher sous ma couette et ne plus sortir. Je me râcle la gorge, alors que nous approchons d’un banc, en fac d’un petit lac artificiel. Je décide de m’asseoir, les jambes coupées par tout ce que nous venons d’évoquer, mon don entrain de dévorer toutes les émotions de Darius. Toutes celles qu’il parvient à se mettre sous la dent. « Et alors, qu’est-ce que tu fais ici, à New Blossom ? Je ne sais même pas si les infos que j’ai eues sont vraies, du coup. » Sur lui et son personnage auprès de l’Institut. Une question si badine, si… étrange. Mais rien ne va dans notre discussion de toute façon. Et je suis déjà harassée, lessivée d’avoir ressenti ces shots d’adrénaline.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Darius n’avait pas besoin d’être un empathe pour percevoir le désarroi d’Alice face à la vérité, toute la vérité. Il avait cessé d’envoyer la poussière sous le tapis, mais à quel prix ? Ce qu’il présentait à sa fille n'avait rien de joli.
D’instinct, il voulut lui offrir refuge dans ses bras, la réconforter par ce câlin dont il l'avait souvent privée, lui promettre qu’il ferait tout en son pouvoir pour ne plus jamais la blesser. Mais lui aussi devait affronter la réalité : sang et poussière lui collaient à la peau tels une couche hideuse et indélébile. Peu importe comment il se douchait matin et soir, s’affublait de costumes bien taillés et se parfumait d’eau de cologne somptueuse, il ne pouvait effacer cette saleté sous-jacente auprès de ceux qu’il avait déjà souillés par le passé.
Alors il se retint, referma ses mains en poings lourds le long de son corps, conserva la distance malaisée de quelqu’un qui ne savait tout simplement plus où se mettre.
Il avait cédé sa place de père il y avait de cela trop longtemps.
Quand enfin ils trouvèrent un banc sur le bord de l’eau, Darius s'installa à l’extrémité opposée à celle d’Alice, toujours craintif d’envahir son espace personnel. Il ouvrit ses sens en direction du lac, laissant la mélodie douce et subtile des vagues apaiser son âme jusqu’à ce que la voix fatiguée d’Alice vienne briser le silence. “Et alors, qu’est-ce que tu fais ici, à New Blossom ? Je ne sais même pas si les infos que j’ai eues sont vraies, du coup.”
Darius tourna la tête en sa direction puis, après un moment d’hésitation, se déplaça vers le centre du banc, refermant l’espace entre eux. La question anodine aidait à balayer la lourdeur du passé pour leur permettre de s'ouvrir au présent. Réapprendre à se connaître, tout doucement.
“Je suis bel et bien médecin,” entama-t-il en référence à la lettre peu détaillée qu’il avait envoyée à Wolfe. “Je traite et opère des mutants victimes de leurs propres déchirures, et je dirige des recherches sur le Vitae pour mieux le comprendre.” Son visage s’illumina d’un faible sourire ; il avait l’impression de respirer à nouveau. “Disons que je tente de faire une différence dans ce monde de fous— un peu comme toi, avec l’Institut.”
C’était loin d’être une solution parfaite, il y avait encore mille et une raisons de juger ses choix. Mais pas une once de mensonge n’avait franchi ses lèvres, ni à cet instant ni plus tôt dans la soirée. Il se promettait de ne plus jamais lui mentir, à elle.
@Alice Eyre

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Son aura un peu apaisée, même si la culpabilité et la colère continuent d’y pulser en fonds diffus, Darius s’assied à l’extrémité du banc, comme si nous pouvions nous brûler. Je n’aurais jamais imaginé nos retrouvailles de cette manière, et j’ai une petite pensée pour Damian, qui pourrait du coup effectivement lui demander une dot. Je me retiens de me marrer à l’idée de les voir dans la même pièce, aimerait pourtant pouvoir faire baisser la pression de cette situation.

À ma question, il esquisse un nouveau pas vers moi. Je me demande si à sa place je me serais entêtée. Si j’aurais eu la patience de vouloir reconstruire une relation calcinée. Peut-être pas. J’imagine que j’aurais égoïstement poursuivi le cours de ma vie. Mais son envie de bien faire tapisse mon palais et ma gorge se noue, car j’aimerais pouvoir apaiser moi aussi, cette colère qui brûle en moi comme un brasier que je ne pensais pas accueillir en mon sein.

« Je suis bel et bien médecin. » Au moins une chose qui n’est pas un mensonge dans le tissu qu’il sert au monde depuis le début. « Je traite et opère des mutants victimes de leurs propres déchirures, et je dirige des recherches sur le Vitae pour mieux le comprendre. » Une vie tournée vers la protection des autres, alors ? Un peu comme ce que j’essaye de faire, à mon maigre niveau, avec l’Institut. Je ne peux m’empêcher de sourire amèrement en voyant que la pomme n’est pas tombée si loin de l’arbre, finalement. Et il dit la même chose que je suis en train de penser, avec les mots. J’acquiesce, la gorge encore un peu nouée. « Oui, c’est ironique, quand on y pense. Qu’on fasse la même chose dans la même ville. Et alors, tu as trouvé quelque chose d’intéressant sur le Vitae ? » Tout un tas de choses se pressent derrière la barrière de mes lèvres. J’ai revu Adalyn, ma mère, des ombres du passé qui n’auraient pas dû se retrouver sur mon chemin. J’aurais aimé que tu sois là, avant, plus tôt. Mais je ne sais pas dans quelle mesure je peux lui faire confiance. Dans quelle mesure il ne disparaîtra pas à nouveau demain, comme toutes les fois précédentes. Pourtant, je suis un être de pardon et de rédemption – trop, peut-être ? Mais je crois qu’on ne me changera plus, après deux siècles ainsi.

« Je serais bien sûre ravie que tu aides l’Institut à la hauteur de tes capacités. Nous aurions besoin d’un appui de ce genre. » Médical ou financier. Ce qu’il voudra donner. Je ne veux pas que mes considérations personnelles puissent impacter le lieu. Et puis… peut-être, aussi, que j’ai envie – besoin ? – de lui donner une seconde chance. De croire que tout n’est pas totalement perdu. Même si j’ai bien conscience que nous aurons beaucoup de chemin avant de… d’envisager pouvoir avoir une relation saine et normale. Il y a tant de choses qu’il ignore.

Tant de choses qu’il ne semble de toute façon pas vouloir demander. Car il ne m’a pas répondu et toi ? et la petite fille en moi se morcèle un peu plus, à contempler le lac paisible sous nos yeux.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

C’était ironique, oui, la façon dont ils se retrouvaient dans la même ville à poursuivre les mêmes buts, ou même la façon dont il avait l’impression d’être celui qui retenait son souffle en espérant l’approbation de sa fille tout en anticipant son rejet. Mais le sourire né de l’espoir que Darius entretenait – l’espoir que tout n’était pas perdu, que la rédemption était possible et qu’il pouvait aider à diminuer la souffrance d’autrui – devait paraître aussi sincère qu’il l’était vraiment, car Alice se contenta d’acquiescer sans hostilité. “Et alors, tu as trouvé quelque chose d’intéressant sur le Vitae ?”
Un autre poids sembla se lever des épaules de Darius en réalisant que cette discussion était réelle, qu’il avait l’opportunité de partager une partie de son quotidien moderne auprès de celle qu'il avait retrouvée. Il ne s’agissait plus d’un rêve impossible ; il pouvait palper ce moment du bout des doigts.
“Je crois qu’il est possible de modifier sa formule pour retirer son caractère aléatoire et le rendre plus sain, plus sécuritaire qu’il ne l’est actuellement. Personne n’a encore élucidé l’interaction exacte entre les molécules de V et le bagage génétique de son utilisateur, mais je pense que nos recherches vont dans la bonne direction. Nous collaborons depuis quelques temps avec une mutante copycat et—” Le docteur s’interrompit. Bien qu’il croyait aux bienfaits de sa recherche, certaines personnes demeuraient sceptiques voire entièrement contre l’idée, et au fil de ses explications, il se mit à craindre qu’Alice en fasse partie. Ce soir, il n’avait pas envie de se lancer dans ce type de débat. “Pardon, je m’emporte. Mais ça me ferait plaisir de te parler des détails plus tard, et même te faire visiter mon labo si le sujet t’intéresse.”
Il détendit un peu sa posture, ramenant son dos sur le dossier du banc tandis que son regard se perdit dans les reflets multicolores à la surface de l’eau.
Quand Alice réitéra sa volonté de le voir aider l’Institut, elle semblait beaucoup plus ouverte à l’idée que plus tôt au restaurant. Darius entrouvrit la bouche comme pour dire Vraiment ?, mais il savait au fond qu’elle ne serait pas revenue sur le sujet si elle ne le pensait pas réellement.
“Ce serait un véritable honneur,” dit-il plutôt en lui offrant sa main comme pour conclure le marché. Mais le geste ne se voulait pas aussi sérieux et formel qu’à l’habitude — le visage de Darius était doux et ses traits exprimaient surtout un désir de complicité, accompagné d'une promesse de ne plus la laisser tomber.
À l'intérieur, son cœur était empli de gratitude. Le destin avait beau être ironique, il faisait souvent bien les choses…
“Et toi, depuis combien de temps es-tu en ville ? Ou même, au pays ?” demanda-t-il enfin.
À vrai dire, il avait tellement de questions pour Alice qu’il avait attendu avant de se lancer, car il ne savait pas par laquelle commencer. Individuellement, chaque question semblait des plus anodines quand, en réalité, Darius rêvait de tout savoir sur elle. Son passé, son présent, ses objectifs du futur. Ce qui la faisait rire ou pleurer en tant qu'adulte, ses meilleurs et pires souvenirs du dernier siècle, comment elle occupait son temps en dehors de son association.
“En fait… J'aimerais bien que tu me parles de toi, si tu le veux bien.” Plus aucune obligation, jamais. “J'aimerais… Ré-apprendre à te connaître.” Ça lui faisait mal de l’admettre, mais il ne pouvait se voiler la face : ils avaient vécu plus de temps — des vies entières — séparés l’un de l'autre, qu'ensemble comme ils auraient dû. “Aimes-tu toujours la peinture et le dessin ?”
Il était clair que rattraper les années perdues n'allait pas se faire en une soirée, mais Darius était prêt à accepter tout ce qu’Alice était désireuse de lui offrir. @Alice Eyre

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C’est hors de propos. Hors du temps. Je n’arrive pas à concevoir que ce moment soit réel, et pourtant, j’écoute Darius, mon père, en train de me parler du Vitae comme si j’étais une de quoi… ses collègues ? Étudiantes ? Peut-être qu’une petite partie de moi imaginait, croyait, priait pour qu’il ait été enfermé quelque part. Si profondément enchaîné qu’il n’aurait pas été en mesure de me retrouver. Mais non, je réalise qu’il a continué à vivre sa vie. Potentiellement étouffé par ladite culpabilité qui nimbe son esprit, que je peux ressentir, goûter, assimiler, mais qu’il vivait quand même, comme si de rien n’était.

Pourtant, ma curiosité l’emporte. Mon envie de comprendre et de savoir, ce qui a été apparemment plus intéressant que moi toutes ces années, reprend le dessus. Et je l’écoute. Comme une enfant. Car je ne suis toujours que ça, une enfant à qui l’on a donné un corps éternel.

Je regrette presque qu’il s’arrête en pleine explication ; au moins, les faits, la science, ce n’est pas une question d’émotions. C’était plus facile à gérer. « Pardon, je m’emporte. — C’était intéressant. » Et je suis sincère quand je le dis, étonnamment. « Mais ça me ferait plaisir de te parler des détails plus tard, et même te faire visiter mon labo si le sujet t’intéresse. — Oui, ça m’intéresse. Et ça intéressait beaucoup Ivy aussi, quand elle m’a kidnappée dans l’espoir de trouver une explication au Vitae. » Je ne peux pas m’empêcher d’être piquante, de balancer des phrases assassines. Elle voulait me faire du mal et tu n’étais pas là.

« Ce serait un véritable honneur. » Il m’offre sa main, et je ne suis pas sûre de croire que ce soit véritable. Pourtant, je la prends. Si j’accepte de faire un pas vers lui, je ne peux pas ensuite en faire deux en arrière. Je suis plus forte que ça. Et je suis une enfant, après tout ? Les enfants serrent la main pour conclure un marché.

« Cela fait plus d’un an que je suis arrivée à New Blossom. J’ai eu des informations concernant Leta et je voulais m’assurer de leur véracité. C’est comme ça que je l’ai retrouvée. Ensuite, je suis restée… je me demande parfois pourquoi, tant cette ville semble viciée. » Tout mon être me hurle de m’en aller. New Blossom a brisé tant de choses auxquelles je tenais.

« En fait… j’aimerais bien que tu me parles de toi, si tu le veux bien. » Pour dire quoi ? Soudainement la bavarde que je suis semble se recroqueviller tout au fond de mon corps. « J’aimerais… ré-apprendre à te connaître. » Et si tu n’aimes toujours pas la version que je suis devenue ? Les angoisses habituelles, quoi. Je ne sais pas quoi répondre, alors je préfère qu’il me guide, qu’il me questionne, lui… « Aimes-tu toujours la peinture et le dessin ? — Je suis presque étonnée que tu t’en souviennes. Oui, j’aime toujours ça. J’en ai fait un moment mon métier, et puis, je me suis laissée tenter par l’écriture. En ce moment, néanmoins, je t’avoue que ma créativité est au point mort. Il s’est passé beaucoup de choses depuis mon arrivée ici, et j’ai la tête ailleurs. » Mais je suis contente qu’il ai posé la question. « Mais peut-être que je peindrai quelque chose ce soir. » Parce que toutes les émotions peuvent insuffler de l’inspiraiton.

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

Bien qu’il eut pratiqué dans divers hôpitaux à travers le temps, la médecine était devenue l’une des rares constantes de son existence prolongée. Plus d’une fois, elle lui avait donné une raison d’aller de l’avant lorsqu’il croyait avoir tout perdu, faisant office de phare dans l’obscurité de ses pensées. Lorsqu’il donnait son temps aux autres sur la table d’opération, dans un amphithéâtre universitaire ou auprès de ses employés du laboratoire — non seulement croyait-il pouvoir faire une différence là où plusieurs avaient échoué, cela l’empêchait aussi de passer l’éternité à ruminer les erreurs de son passé.
Malgré tout, Darius était certain qu’il aurait tout lâché pour retrouver sa fille et Darla s’il n’avait pas été témoin de leur corps sans vie ; s’il avait su que l’immortalité coulait dans leurs veines comme elle semblait couler dans les siennes.
L’intérêt qu’exprimait Alice pour ses recherches fit naître un nouveau type d’espoir, seulement pour se faire étouffer l’instant d’après par une remarque sarcastique aux relents d’accusation.
Bon dieu, combien d’Originels étaient encore en vie aujourd’hui ?!
La mention d’Ivy provoqua un profond sentiment de dédain chez le vampire. Ivy était celle qui l’avait empoisonné après tout, et Darius n’avait jamais su lui faire confiance. “Si elle t’a touchée d’une quelconque façon…” Chagrin et colère remontèrent en lui tandis qu’il cherchait un signe révélateur dans le regard d’Alice. Je m’assurerai que ce soit la dernière fois qu’elle t’ait fait du mal, pensait-il avec une envie de meurtre à peine dissimulée.
Mais il s’efforça de se calmer. Il s’en voulait de ne pas avoir été là une fois de plus ; il réalisa que ce soir, il ne pouvait laisser son envie de punir l’autre Originelle ruiner le moment qu’il passait en compagnie d’Alice. Sinon, en quoi serait-il différent de l’homme qu’il était avant ? Il pouvait s’occuper d’Ivy plus tard, tout comme il gardait Darla et même Liam dans un autre coin de son esprit.
Pour l’instant, Darius voulait se concentrer sur Alice, seulement Alice.
Alice qui était venue à New Blossom et qui ne savait pas pourquoi elle y était restée.
Alice qui était toujours une artiste, mais dont la créativité avait pris un coup après tout ce qu’elle avait vécu.
Alice qui lui paraissait étrangement brisée, d’une façon qu’il ne pouvait totalement expliquer.
Parce qu'il avait tant manqué.
“Je n'ai pas oublié, non. Je me rappellerai toujours du moment où ta mère et moi t’avions offert ton premier kit. Le sourire qui avait illuminé ton visage lorsque tu t’es mise à jouer avec les couleurs et à vouloir explorer toutes les possibilités. Puis la fierté avec laquelle tu nous avais présenté ton premier tableau.” Darius ne pouvait s’empêcher de sourire en se remémorant le souvenir. C’était à la fois l’un des plus beaux souvenirs de sa vie et l'un des plus douloureux, car cela lui rappelait aussi à quel point il avait perdu le nord suite à l’expérience de 1815.
Et maintenant il voyait à quel point Alice en avait souffert.
“J’espère que tu y arriveras,” chercha-t-il à l’encourager. “Mais sinon, il n’y a rien de mal à laisser le tout de côté le temps de te ressourcer. Et si je peux faire quelque chose pour aider…” Il y avait des chances qu’il ne puisse rien y faire, mais il tenait à proposer. Dans tous les cas, il lui souhaitait de pouvoir retrouver un peu de sérénité, car même les piques envenimées qu’elle pouvait lui lancer n’avaient rien de comparable à la peine de la voir en peine. “As-tu des exemples de tes créations sur ton téléphone ?” demanda-t-il à tout hasard. “J'adorerais voir ce que tu fais.” @Alice Eyre

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Humanity isn't a species

it's a state of mind

'k (all i got to say)
tw : aaaaaaaaaaaaah

« Si elle t’a touchée d’une quelconque façon… » J’efface la remarque d’un geste désabusé de la main. Je peux encore sentir les relents de sa mutation sur chaque pore de ma peau, la terreur qui m’avait envahie, si semblable à l’impression de suffoquer qui m’avait dévorée lors de mon réveil dans le cercueil. Mais je suis épuisée à l’idée de la chercher. Surtout que finalement, j’avais réussi à m’extirper de ses griffes. « Elle traîne quelque part dans l’Underapple mais ce n’est pas comme si j’avais très envie de lui courir après. »

Même si je voudrais être plus forte, plus dure que de la pierre, mon cœur ne peut s’empêcher de fondre un petit peu quand il évoque ce souvenir avec moi. Peut-être que quelque part, sous toutes les couches de froideur, Darius a été capable de m’aimer. Rien qu’un peu. « Puis la fierté avec laquelle tu nous avais présenté ton premier tableau. — J’espère que je me suis un peu améliorée depuis… grimacé-je bien malgré moi. Mais c’est le cas, et je n’ai pas eu besoin de l’avis de mes parents pour le découvrir ; plébiscitée par la critique au fil des décennies, bien cachée sous mes différents noms, j’ai eu tout le loisir de voir que mon art pouvait plaire à quelqu’un. À défaut de pouvoir être apprécié par ma famille.

« Mais sinon, il n’y a rien de mal à laisser le tout de côté le temps de te ressourcer. — C’est ce que je me dis, oui. » Étonnamment, je suis assez compréhensive avec moi-même, sur ce volet. La créativité n’est pas un métier comme les autres, cela ne se commande pas comme remplir des tableaux Excel. « Et si je peux faire quelque chose pour aider… — Malgré toi, c’est peut-être le cas. » Un sourire un peu ironique étire mes lèvres, parce qu’il risque d’être le sujet d’une nouvelle série de peintures. Peut-être que je pourrai même lui montrer. Si ses mots ne sont pas que des mensonges qu’il profère pour se rassurer lui-même. « As-tu des exemples de tes créations sur ton téléphone ? » Nouveau cœur qui s’effondre un petit peu. J’ouvre la bouche, prête à répliquer autre chose d’acerbe, comprends qu’il fait un pas vers moi. Alors j’accepte, cherche dans ma galerie de téléphone la série dont je suis la plus fière. Une réinterprétation des dieux nordiques dans des couleurs pâles, des grandes jetées de gris, de noir et beaucoup de rouge ; elles ont été peintes lors de la seconde guerre mondiale, durant lesquelles les atrocités subies par le monde m’ont beaucoup heurtée. Étonnamment. « Dis juste que c’est joli, lui conseillé-je, malgré tout inquiète de savoir ce qu’il en pense. » Comme quoi, l’avis d’un parent restera toujours important, quoi qu’on en pense…

ft. @Darius Sinclair

14/10/2022

“J’espère que je me suis un peu améliorée depuis…”
La remarque le fit rire de bon cœur ; il n’avait pas le moindre doute à ce sujet.
Puis Darius sourit d’un coin de la lèvre quand Alice admit qu’il pourrait peut-être l’aider… malgré lui.
“Devrais-je m’inquiéter ?” questionna-t-il d’un ton léger, plus intrigué qu’autre chose. Vu le sourire ironique qui était apparu sur le visage d’Alice, il espérait quand même qu’elle ne lui demande pas de poser dans un accoutrement ridicule pour relancer son inspiration. Mais si c’était ce qu’il fallait, peut-être qu’il le considèrerait malgré tout. Parce que les efforts devaient bien commencer quelque part…
En attendant, il se demandait quel genre de tableaux elle créait dans ses meilleurs jours. Darius aurait été surpris que sa fille n’ait pas la moindre trace de son art à portée de main.
“Dis juste que c’est joli,” lui dit-elle en lui montrant sa galerie numérique, et Dracula haussa les sourcils d’étonnement. “C’est…” Il secouait légèrement la tête de gauche à droite tandis qu’il peinait à trouver les mots. Un tableau en particulier attirait son attention et joli n’était pas le qualificatif qui lui venait à l’esprit.
“C’était donc toi derrière cette série…” murmura-t-il comme pour lui-même, se maudissant soudain d’avoir laissé le chef d'œuvre lui filer entre les doigts lorsqu’il avait eu l’occasion de se l’approprier.
C’était il y a plusieurs années.
“Ce n’est pas seulement joli : c’est à en couper le souffle,” s’émerveillait-il autant que la première fois devant le serpent-monde qui s’imposait dans un monochrome taché de carmin. La vie et la mort, le courage et le danger, l’amour et la guerre — les choix de l’artiste évoquaient un ressenti profond et complexe que même les moins initiés étaient en mesure de capter.
“Même avec la technologie d’aujourd'hui, la photo ne lui rend pas justice.” Et dire qu’il aurait pu, s’il ne s’était pas laissé dissuader par son rival au moment de l’enchère, se retrouver avec le tableau de sa fille accroché au-dessus de son foyer sans même en être conscient.
Darius leva les yeux vers le ciel constellé de néons. “Je suis heureux que l'on se soit retrouvés ce soir,” admit-il sans y penser à deux fois. “Tu ne partages peut-être pas le sentiment, mais j'espère de tout coeur que le temps me permettra de faire mes preuves. Je… Je ne veux pas te perdre à nouveau.” Que cela prenne un an, un siècle ou un millénaire, il se montrerait patient. Ils avaient l’éternité devant eux n'est-ce pas ?
Alice était en vie et il ne s'agissait pas d’un rêve fiévreux.
Ou si c'était le cas, c'était le meilleur rêve qu'il ait jamais eu.
“Tu es vraiment sublime, Alice,” dit-il en tournant la tête vers elle. L’admiration n'était plus dirigée vers l'écran du téléphone mais vers la femme accomplie qu’elle semblait être devenue. Il n'avait aucun droit d'être fier ; il n'avait aucun mérite. Mais il ne pouvait s’empêcher de l'être malgré tout. @Alice Eyre

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« Devrais-je m’inquiéter ? » Je hausse un sourcil, sourire distraitement. « Promis, je ne fais pas dans la caricature. » J’ai toujours préféré les émotions émoussées provoquées par les paysages, ou par les personnages sans visage. Je n’ai jamais vraiment eu l’œil non plus pour la physionomie humaine, étrangement.

Je ne suis pas certaine de savoir où cette discussion peut mener, ni même si une relation est possible entre nous. La petite fille planquée derrière mes côtes cherche encore à sortir pour se pendre au cou de son père. La jeune femme blessée ne désire qu’une chose : fuir. Et les deux doivent pourtant cohabiter. Je me demande ce qu’en dirait Darla, dont l’ombre fantôme planant au-dessus de ma tête est un rappel constant à cette famille dysfonctionnelle dont je fais partie. Mais même les ordres semblent difficiles à suivre pour Dracula, car à ma demande sobre de dire que c’est joli, les mots se précipitent contre ses dents. « C’est… » Joli. C’est tout. Mais non, d’autres lettres forment d’autres mots pour une autre phrase. « C’était donc toi derrière cette série… » Mais peut-être que c’est mieux, en fin de compte. Je suis sincèrement étonnée qu’il ait jamais vu mes tableaux. Même si j’ai une certaine notoriété, c’est plutôt dans le domaine des connaisseurs que mes noms d’emprunts font écho. « Tu la connais ? » Je ne sais pas pourquoi je suis touchée par cet état de fait. Peut-être parce que, sans le savoir, une partie de moi a rencontré une partie de lui il y a un moment déjà. « Ce n’est pas simplement joli : c’est à en couper le souffle. » OK, sa phrase est mieux, il gagne.

Le rouge me monte aux joues, et je ne pensais pas qu’un compliment aussi sincère pouvait apaiser mes blessures. « Merci. » C’est comme s’il validait un morceau de moi. Les gens pensent que l’art est parfois décorrélé de l’artiste ; ça n’a jamais été mon cas. J’ai toujours mis mes tripes dans ce que je produisais, quel qu’en soit le coût. Quitte à voir des morceaux de moi partir aux quatre coins du monde.

« Je suis heureux que l’on se soit retrouvés ce soir. » Je ne suis pas sûre d’être heureuse, moi. Je ne sais même pas dénouer tous les fils des émotions qui s’emberlificotent dans ma cage thoracique. Mais mon père est peut-être plus lucide sur la situation que je ne le pensais, car il poursuit : « Tu ne partages peut-êtrep as le sentiment, mais j’espère de tout cœur que le temps me permettra de faire mes preuves. Je… je ne veux pas te perdre à nouveau. » Peut-il seulement encore me récupérer ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Mais je veux au moins lui donner une chance, au risque d'être blessée à nouveau. J’imagine que le risque en vaut la chandelle… « Honnêtement, je ne sais pas ce que je ressens pour le moment. Mais au moins, nous sommes en vie. » Je ne sais pas si c’est vraiment la réponse à laquelle il s’attendait, mais c’est tout ce que j’ai à lui offrir pour le moment. Nous avons la possibilité de rattraper la situation, contrairement à tant d’autres. « Tu es vraiment sublime, Alice. » Merci, ce n’est pas grâce à toi. Je ne sais pas trop d’où me vient cette mesquinerie, venin toxique qui se répand dans mes veines dès qu’il ouvre la bouche. Mais au moins, je ne lui dis pas. Je ne sais pas quoi répondre à ça. Et j’imagine que je manquerai un long moment de mots pour répliquer, à son contact. « J’imagine que ces retrouvailles revêtent un charme particulier à l’heure actuelle, mais nous verrons bien par la suite. Donne-moi ton numéro de téléphone, afin que nous puissions organiser… ta venue à l’Institut. » Je ne veux pas croire que ce soit notre prochaine rencontre. Que ce soit pour nous. Alors je me cache derrière un prétexte professionnel. C’est mieux ainsi.

ft. @Darius Sinclair