shoutout to my favorite coping mechanism, denial // dakus#3

Le dernier message de Dak-Ho le fait ricaner alors que Marcus repose son portable sur le parquet, à ses côtés. Un coup d’œil au miroir le rappelle à sa tâche interrompue : son deuxième œil accuse un manque affligeant d’ombre à paupières, déséquilibrant l’œuvre d’art (oui) en cours. Il est important de rappeler que, contrairement à ce qu’on pourrait croire vu son métier et ses diverses pieds dans le monde de la mode, Marcus n’a qu’un maigre talent pour se maquiller lui-même. L’envie lui est venue subitement (comme une envie de pisser dirait l’autre) de tester un nouveau look vu sur Argo à peine une demi-heure plus tôt, l’envie de se voir différemment, de changer les habitudes… de plaire à Ludvig ? C’est pas la pensée la plus agréable à avoir alors Marcus la met de côté. Au fond, il sait bien que leurs problèmes n'ont rien à voir avec son apparence ou l’attirance que ressent son partenaire, il le sait… c’est compliqué, voilà tout. C’est compliqué et Marcus cherche des portes de sortie. Depuis juin, l’état psychologique de Ludvig s’est amélioré – visiblement, il va beaucoup mieux. Il est plus détendu, sourit – autant qu’un Ludvig White en est capable du moins – et paraît mieux, de façon générale. Mais y’a toujours des blocages qui persistent. Y’a toujours l’éléphant au milieu de la pièce. Il refuse toujours de dormir ensemble, dans le même lit ; et sans même parler de sexe, ça lui pèse plus qu’il ne veut bien l’admettre – et il se plaint déjà beaucoup, le lémur. La frustration s’accumule, inévitablement. Marcus se rend compte qu’il est de plus en plus irritable à s’agacer de tout et de rien, et il s’en veut un peu parce que Ludvig fait déjà de son mieux, il le sait. C’est juste… compliqué.

L’un des trucs qu’il a trouvés pour occuper son esprit hyperactif c’est de remettre au goût du jour un projet secret. Un de ceux qui prennent la poussière, tout comme son petit carnet bleu enfoui sous son matelas – dont il avait tellement craint le vol lors du saccage de son précédent appartement. Les pages se noircissent au fil des mots qui s’y déposent, aussi désordonnés que ses pensées. Il aimerait les poser sur une mélodie, ces mots gribouillés, l’envie se fait de plus en plus pressante comme un rappel incessant. C’est le courage qui manque pour sauter le pas. Il sait qu’il devrait demander des conseils à Dak-Ho, n’a fait que repousser la chose au lendemain, jusqu’à aujourd’hui.

Marcus secoue la tête, un brin nerveux tout à coup, avant de reposer son pinceau. Si le résultat n’est pas aussi parfait que s’il avait été réalisé par un.e pro, il reste plutôt satisfaisant : l’ombre marron glacé souligne joliment son regard, l’estompage est correct et la pointe de l’eyeliner est presque similaire des deux côtés. Un succès, en somme. Les ustensiles fourrés dans sa trousse à maquillage, Marcus se relève souplement et avise d’un air songeur les sacs de dotations pas encore ouverts qui jonchent son salon et le grand carton posé contre le mur, à côté de l’écran plat. La venue de Dak-Ho n’est vraiment pas de refus : le styliste a un certain don pour le forcer à faire les corvées qu’il ignore volontairement depuis des semaines.

Y’a un bruit derrière la porte d’entrée qui le fait tourner soudainement la tête et, quelques secondes plus tard, la sonnerie qui lui agresse les tympans – il n’a toujours pas pensé à la faire changer depuis l’emménagement. « J’arrive~ » Sans se débarrasser de sa trousse à maquillage, Marcus trottine jusqu’à l’entrée et ouvre la porte sur Dak-Ho, qu’il salut d’un grand sourire et d’une accolade avant que l’autre ne puisse l’esquiver. « Mon meuble attend dans le salon, entre et fais comme chez toi, babe. » Le surnom le fait rire, en grande partie parce qu’il le sait de mauvais goût – autant dire officiellement adopté. Le lémur tourne les talons et retourne à l’intérieur, laissant Dak-Ho retirer ses chaussures et prendre son temps pour le rejoindre.

Jamais lassé des compliments, Marcus se redresse et fait un petit tour sur lui-même, léger sur ses pieds, après avoir lâché Dak-Ho. « T’as remarqué ? Thanks ! » Pas dit qu’il sortirait comme ça non plus, mais ça fait toujours plaisir que ses efforts finissent par payer. Mais déjà, sa bonne humeur en prend un coup lorsque la bestiole puante que son meilleur pote ose appeler chien se met à lui aboyer dessus – un volume sonore impressionnant pour un si petit corps, il peut bien lui admettre ça – en lui défonçant les tympans au passage. La première question de Dak-Ho est involontairement ignorée, Marcus trop occupé à toiser le vieux chihuahua, à deux doigts de lui aussi se mettre à grogner en montrant les dents histoire d’établir sa dominance légitime. L’audace du clebs, bien en sécurité dans son panier de mémère. Pff. Le lémur se contente de fouetter de la queue, visiblement agacé, avant de céder avec un soupir dramatique. On lui a dit un jour que les chiens étaient capables d’aboyer non-stop pendant des heures sans se fatiguer, et il n’est pas prêt à tester cette théorie.

Les croquettes que Dak-Ho l’a forcé à acheter (oui) dégagent une odeur presque aussi rance que l’haleine de Mouton, c’est pourquoi elles sont planquées au fond d’un placard de sa cuisine, à côté des bacs à recyclage. Marcus sort le paquet, l’ouvre avec une grimace pour attraper à deux doigts une friandise, puis retourne au salon affronter la bête. « Tiens, suppôt d’Satan. Et ferme-la maintenant. » Il retire vite ses doigts – pas folle la guêpe – lorsque les croquettes (moelleuses, pour les gencives sensibles de Môsieur… ew) sont gobées, puis reporte son attention sur Dak-Ho qui est censé être son principal invité, dans l’histoire. Marcus est nostalgique de l’époque où son meilleur ami ne se trimballait pas partout avec des sacs à puces pleins de poils. L’autre n’arrête pas de lui tourner autour, il essaye de l’ignorer dans l’espoir (faible) qu’il se lasse.

« C’est un miroir. » qu’il explique, mains sur les hanches, en observant l’immense carton sagement posé contre le mur. « J’l’ai vu sur Argo Market l’autre soir et j’l’ai trouvé cool mais j’ai pas eu l’temps d’le déballer donc il traîne là depuis. Y’a un cadre avec, j’crois. Normalement. » Les sourcils qui se froncent, l’air pensif. Marcus ne se rappelle plus vraiment ce qu’il a commandé – probablement un achat compulsif encouragé par l’ennui et une petite insomnie. 'Faut dire que ses nuits sont pas des plus reposantes, ces derniers temps. « Ça va sinon ? Tu veux à boire ? » C’est dit de façon précipitée, pour changer de sujet avant que Dak-Ho s’interroge (avec raison) sur l’utilité de deux paires de bras pour installer un simple miroir. Il avait besoin d’une excuse, ok ? Marcus tourne les talons pour retourner à la cuisine, manque d’écraser une patte de Bones dans la manœuvre en l’esquivant de justesse. « Bon tu lâches ma veste, oui ? Ouais ouais moi aussi j’suis content d’te voir, ça y est c’est bon nanani nanana… Coucouche-panier, oust ! » Y’a un geste du poignet pour congédier l’animal, bien que le ton employé soit bien moins hostile que celui réservé à Mouton.

De retour dans la cuisine, Marcus s’interrompt dans ses mouvements et fronce le nez en entendant la commande. « J’ai pas d’alcool ici, sorry. J’peux en commander si tu veux ? ça arrive vite en général. » Déjà, il dégaine son téléphone pour ouvrir l’application – un truc fancy, réservé à l’élite capable de se permettre un abonnement mensuel délirant en échange d’un service toujours plus rapide. Il aurait pu penser à commander un pack de bières avant l’arrivée de Dak-Ho, mais l’idée a vite été remplacée par autre chose, comme c’est souvent le cas en ce moment. Un fait qui n’a pas échappé à son ami, toujours aussi perspicace. « Je saaiiis… » qu’il geint avec un dramatisme assumé. « J’extériorise, ok ? J’ai trop de trucs dans ma tête. » Sa main vient mimer une petite explosion à côté de sa tempe alors que l’autre balance négligemment le téléphone sur le comptoir, une fois la commande passée. « C’est si visible que ça ? » Une grimace et un mouvement irrité de la queue. S’il y a bien un truc (parmi les millions de trucs) que Marcus déteste, c’est être prévisible. Or qu’on remarque directement quand un truc le perturbe, c’est une atteinte à son image polie de nonchalance incarnée… ou quelque chose comme ça. Ça va que c’est Dak-Ho. Dak-Ho c’est l’exception.

La tête plongée dans un placard à la recherche de snacks – tout aussi importants que la boisson, de son humble (lol) avis – le lémur porte une oreille distraite à son invité. « Hm ? À propos de quoi ? » Y’a plus de gâteaux aux Smarties ? Merde, qui a fait les courses la dernière fois… Des chips de pomme… ? Marcus râle tout haut, balançant le paquet tout au fond du placard. Encore un coup de son frangin, ça. Y’a que lui pour acheter ce genre de monstruosités. « Quoi ? Attends j’arrive. » Encore quelques secondes à fouiller tel un chien de terrier et Marcus s’extirpe du placard avec un sachet de bonbons qui piquent et un soupir éreinté. Il remet de l’ordre dans ses fringues puis retourne au salon pour retrouver Dak-Ho, ouvrant son butin avant de le lui présenter sans décorum. « Tiens. Tu disais quoi ? » Tel l’homme efficace et accompli qu’il est, Dak-Ho a trouvé une paire de ciseaux et s’attaque à l’adhésif autour du carton. Marcus le regarde faire. « Y’a un truc que j’devais te demander aussi. » Il pince les lèvres, hésitant. « Mais toi d’abord. »

Alors que Dak-Ho commence à parler, le lémur plonge sa main dans le paquet de bonbons pour en sortir deux d’un coup et les enfourner, fronçant le nez lorsque l’acidité lui attaque délicieusement les papilles. « Y’a encore des trucs que tu savais pas sur Moon ? Eh beh. » se moque-t-il en mâchonnant, léger. Dak-Ho et Moon, ils sont collés l’un à l’autre depuis la nuit des temps et carrément soudés au chalumeau depuis qu’ils sont mariés, la surprise est fondée. En relevant les yeux pourtant, Marcus ne voit qu’un profond sérieux au lieu de l’amusement attendu et ah oups : il l’a encore interrompu. Marche arrière. « Pardon, continue. » Avec un petit air coupable, le mutant s’accroupit pour se mettre à hauteur et continue de l’écouter sagement, se contentant de humer parfois pour acquiescer ou l’encourager à poursuivre. Jusque-là, Dak-Ho énonce beaucoup de vérités et il a un peu de mal à voir ou il veut en venir, mais le designer a l’air suffisamment préoccupé pour que Marcus se retienne de le bousculer afin qu’il en vienne aux faits.

« Okay… ? » Il a capté oui – enfin il croit ? Peut-être pas. Il a compris que Dak-Ho n’était pas un fan du métier de Moon parce que taper sur des gens (au mieux) et les trancher en deux (au pire) pour gagner sa croûte ça ne résonne pas particulièrement avec ses valeurs. Certes. Marcus cligne des yeux, marque un temps de silence consterné. « Dakdak chéri, ma fleur des champs préférée… tu croyais que Moon portait un fucking sabre à la ceinture pour faire joli ? » Sincèrement, il essaye de ne pas se montrer maladroit et accidentellement insultant pour l’intelligence de son meilleur ami en lui laissant le bénéfice du doute, mais quand même… A moins que ce ne soit plus profond que ça. Pour la seconde fois en quelques minutes, Marcus rétropédale et fronce les sourcils en observant le visage de Dak-Ho. « Il t’as jamais rien dit sur ce qu’il faisait ? » Parce que ça, effectivement, ce serait moche.