children of the elder gods | CALEB

cw : deuil
Sa mère lui manque. C'est quelque chose de terriblement humain et d'inévitable. Ezekiel ne l'a pas revue depuis son départ de l'Ecosse. Il a apprit son décès par une lettre austère, écrite de son beau-père. Il n'a hérité de rien, officiellement Aonghas est mort, disparu. A l'époque où il a apprit la nouvelle, il n'était pas encore Ezekiel, mais il était déjà quelqu'un d'autre, ne pouvant réclamer ce qui lui était dû. Avec la nouvelle, l'homme lui a fait parvenir quelques effets personnels. Des bijoux, dont une broche qu'il a offert à Samantha sans rien lui dire - parce que c'est trop douloureux. Qu'importe que son coeur se serre chaque fois qu'elle la porte pendant le service ou lorsqu'elle s'en va vivre sa vie d'adulte. Il y avait des photos, sur lesquels ont ne les voit jamais tous ensemble. Un journal qu'il est incapable de lire depuis qu'il a comprit que chaque ligne lui est dédiée. Elle a continué à lui parler à travers ces pages encrées. L'écriture se dégrade au fur et à mesure que les années passent. Le récit s'arrête en plein milieu, ne connaîtra pas de fin. Elle y a écrit des choses sur sa vie de femme, son couple et peut-être sur les origines nébuleuses d'Ezekiel, ses désirs et d'autres enfants qu'elle aurait pu avoir pour se reconstruire, d'avoir perdu un fils. Triste destin, en partant il lui a infligé une peine qui lui a brisé le coeur et déchiré le sien. Il n'avait pas le choix. Aujourd'hui, fuir n'est plus autant vital, mais à l'époque, il n'y avait pas de nom pour ce qu'il était. Il aurait fini  sur un bûcher, avec un peu de chance.
Il ne veut rien savoir.
Cette vie, il l'a laissé derrière lui sans remords et il doit accepter qu'il n'en fait plus partie. Ressasser le passé ne fera que ramener la douleur au premier plan, sans qu'il ne puisse y faire quoi que ce soit. On ne peut pas rattraper le temps perdu, ni le racheter, ni le générer sur un ordinateur. Ce temps perdu l'est bel est bien, perdu. A jamais.

Après Noël, Ezekiel s'est décidé à mettre des photos de famille dans le café. Il y a une photo de Samantha et sa mère. Presque une étrangère, Samantha a finalement peu de souvenirs, elle sait juste que ce jour là elle a perdu quelque chose d'essentiel, de vital. Elle ne dit rien et Zeke imagine seulement ses émotions. Elle accepte, l'aide dans la mise en place du nouveau dispositif. Ils ont aussi proposé à des clients de ramener des photos d'anciens habitants de New-York avant la tragédie. Il n'a rien retrouvé qui évoque Sam et son père biologique. Il voudrait pouvoir lui faire ce cadeau, qu'importe les risques. A la place, le disparu a un portrait dans un renfoncement du café. Sur le cliché, Zeke lui ressemble. Vaguement. Pas assez, si lo'n est de la famille, mais la famille n'est plus.
Aujourd'hui, il accroche la photo de sa mère et lui, la seule qu'il possède. Ils ont l'air heureux. C'était juste avant qu'il porte pour la Nouvelle Orléans. C'est dur et à la fois beau de la voir ici, maintenant que plus personne de son passé ne peut venir le hanter -pense t-il, mais il n'est pas au bout de ses peines, l'avenir lui apprendre - il s'autorise cette pointe d'égoïsme. Il veut qu'elle soit présente, à sa manière. Si elle existe encore, sous une forme d'énergie fantomatique, il espère qu'elle est fière. Qu'elle voit ce qu'il est devenu. A la fois, il souhaite que son âme se soit éloignée de ce monde qui ne tourne pas rond. Il ne souhaite à personne d'erreur éternellement.

La clochette lui annonce qu'un client est entré. Zeke redresse le cadre une dernière fois avant de descendre de son échelle pour saluer le nouveau venu. C'est un début de semaine calme. « Je suis à vous dans un instant !   Il sort son sourire charmeur et confiant pour se recentrer. On refait la déco, on essaye de rendre hommage à nos ancêtres, mes collègues et moi. Ce sera la thématique pour les prochains mois je pense. Nous invitons aussi nos clients à participer et venir se rappeler des moments précieux. Zeke s'essuie les mains après les avoir soigneusement lavées. Qu'est-ce que je vous sers ? » De l'homme émane quelque chose qui alerte en général les sens de Zeke. Les clients en détresse il en croise tous les jours et c'est toujours la même musique. Lui ? C'est plus ancien, plus insidieux et Zeke ne va pas chercher plus loin. Son instinct l'en empêche. Qui que soit cet homme, ses déchirures n'y pourront pas grand chose.

Son curieux visiteur semble troublé par la photographie, c'est peut-être l'explication la plus logique. Celle qui justifie l'aura néfaste qui l'entoure et un mal-être si palpable que tous ses sens sont en éveil. Son pouvoir à du mal à se contenir et en même temps, il a comme la sensation que sa présence rassurante ne serait pas suffisante pour l'apaiser. La douleur est ancienne, fermement ancrée dans son être et tout chez Ezekiel lui somme de prendre la fuite et se débarrasser de cet étranger. Ce qui n'est pas dans ses principes, le mutant fait toujours l'inverse. C'est vers le danger qu'il se jette corps et âme.
Avec ou sans pouvoir il aurait été capable de déceler le malaise qui s'engouffre dans la pièce. Bien sûr, le mutant meurt de savoir ce qui perturbe ainsi cet homme, il lui est difficile de rester les bras croisés face à un mystère et c'est seulement son professionnalisme qui l'empêche de briser le silence avec des questions indiscrètes. Surtout qu'il ne s'agit pas d'un habitué. Il maudit sa nature profonde qui le pousse à vouloir aider tout le monde. Littéralement, tout le monde. « Un allongé. Sur place ou à emporter ? Souhaitez vous manger quelque chose avec ça ? Vous avez le menu, si vous souhaitez une pâtisserie. » Il propose toujours les gâteaux de Sam et se retient d'ajouter qu'ils sont délicieux car c'est sa fille qui les a fait. Il ne veut pas forcer la main de son client.
C'est le cas, bien sûr. Ils sont délicieux. Ce mois-ci les macarons en forme de tête de chat sont à l'honneur sur le thème des fruits exotiques et associations colorées. De quoi redonner le sourire à un clown triste.

L'occasion de creuser s'offre à lui lorsque son client se permet d'être curieux. « C'est l'idée, oui. Il lui répond fièrement, les mains à la taille. J'essaye de dynamiser le café en proposant régulièrement des animations. Je voulais mettre la mémoire à l'honneur en cette saison. Il a proposé à Sam de mettre une photo de sa mère au mur, elle s'y refuse pour l'instant. Ce n'est pas des souvenirs facile à faire revivre pour elle. Si vous voulez contribuer, c'est avec plaisir. Je cherche des cartes postales anciennes, des photos de famille, des morceaux d'histoire... Et sans cacher l'émotion dans sa voix, précise. Ma mère était une femme formidable. J'ai enfin l'occasion de lui rendre hommage et l'avoir à mes cotés. Raconter sa vie à ce pauvre homme souffrant déjà suffisamment n'est pas l'idée du siècle. Ezekiel retourne s'occupe du café pour lui servir sa commande rapidement.