i'm not okay (trust me) // mavig#3

20 octobre 2025, aux alentours de 23h00

Y’a une colère sourde à l’intérieur de ses veines. Un truc qui lui donne envie de hurler et de mordre ou de griffer comme un animal sauvage, ça brûle tout sur son passage jusqu’à écarter tout bon sens de son esprit. Il arrive pas à penser, Marcus. Ça tourne en boucle sur les paroles échangées – beuglées – contre Ludvig hier, l’indignation exprimée après avoir découvert – au détour d’un commentaire parfaitement répugnant et de questions bien tournées – que son garde-du-corp s’est tapé cet enfoiré de René. René. S’il croise sa route… Marcus n’a jamais eu la moindre envie d’en venir aux mains jusqu’à présent mais ça pourrait bien changer vis-à-vis de cette putain de tête de coton-tige. Un peu de violet pour accompagner les paillettes qui décorent habituellement sa tronche, ça lui irait bien tiens. Andouille. Perfide vipère qui se croit tout permis jusqu’à foutre ses sales pattes sur ce qui lui appartient à lui. A lui et rien qu’à lui.

Le lémur a beau être allé se plaindre et avoir insulté la terre entière chez Dak-Ho la veille, le sentiment ne s’est pas atténué pour autant. Ça le rend furieux rien que d’y penser. Comment a-t-il pu, ce grand imbécile ? Et ça l’énerve encore plus de réagir de la sorte, parce que c’est incontrôlable et sans doute puéril de se sentir aussi blessé et trahi à propos d’un truc qui ne le concerne même pas. Parce que blessé il l’est, ô combien. Et il comprend même pas pourquoi. Il comprend pas non plus pourquoi Ludvig est allé voir René – entre tous les choix possibles, fallait qu’il le choisisse lui.

René, avec ses strass et ses paillettes.
René, avec sa grande gueule et ses goûts de luxe.
René, qui lui ressemble tant, malgré tout ce que Marcus aimerait croire.

Ça le débecte.

Il est pas si spécial, finalement. Une idole pourrie gâtée parmi d’autres, interchangeable sans qu’on remarque la différence. Y’a son cœur qui se serre dans sa poitrine et ses ongles coupés courts qui s’enfoncent dans la paume de ses mains tandis que Marcus marche à pas décidés, veillant à maintenir obstinément une distance de quelques mètres devant son garde-du-corps. A peine trois jours plus tôt, ils auraient marché côte-à-côte et le lémur aurait enroulé son bras autour du sien pour l’emmerder et l’obliger à ralentir ses pas de géant pour rester à hauteur. Aujourd’hui, Marcus n’est pas d’humeur. Un nuage noir flotte au-dessus de sa tête, sa queue pointue fouettant de gauche à droite à chaque fois que Ludvig lui demande de ralentir. Stupide. Stupide stupide stupide.

Le gala auquel il a été obligé de faire une apparition n’a pas été pour améliorer son humeur massacrante, la fatigue rendant chacun de ses mots plus mordants que nécessaire à tel point que Vivian a dû intervenir plus d’une fois pour le rappeler à l’ordre. Marcus n’en a rien à foutre, absolument pas disposé à amuser la galerie – du moins, pas d’une façon qui plairait à Icarus. Constatant après plusieurs presque crises diplomatiques évitées de peu que ça ne servait à rien d’insister, Vivian a eu le bon sens de l’autoriser à partir, au plus grand soulagement de Marcus qui se sentait à deux doigts d’imploser.

Après le court trajet à pied pour rejoindre la voiture, un silence de mort s’installe dans le véhicule, le lémur refusant toujours de croiser le regard de Ludvig dans le rétroviseur ou de répondre à chacune de ses tentatives de discussion. Il a juste envie de rentrer chez lui et d’être seul. Peut-être ira-t-il dans le MetaWorld pour se défouler dans un construct type FPS jusqu’à ce que son esprit se taise enfin, asphyxié par les pixels et les commandes répétitives, ou peut-être tapera-t-il enfin dans le petit sachet d’herbes séchées généreusement offert par Robin. L’idée est assez séduisante, sur le moment.

Une fois arrivés au parking, Marcus n’attend même pas que Ludvig ait coupé le moteur pour détacher sa ceinture et sortir de la voiture, une satisfaction puérile au coin des lèvres lorsque le garde-du-corps se retrouve forcé à courir pour le suivre dans l’ascenseur avant que les portes ne se referment.

Le sourire fond comme neige au soleil lorsqu’elles se réouvrent à son étage dans un doux chuintement.

La porte du fond – la sienne, ornée du numéro 35 en lettres dorées – est entre-ouverte alors qu’une odeur âcre de brûlé vient chatouiller les narines hypersensibles du lémur. Immédiatement, y’a la crainte de l’incendie qui prend le dessus alors qu’aucune alarme n’a pourtant été actionnée et Marcus accélère le pas. La voix de Ludvig parvient jusqu’à ses oreilles mais il ne l’entend pas. Il arrive devant la porte en courant, pousse le battant… Et reste paralysé devant le spectacle devant ses yeux : l’intérieur de l’appartement est saccagé. Du sol au plafond, chaque meuble a été retourné, le contenu éparpillé au sol dans un amas de débris qui lui collent la nausée. Y’a son regard qui porte jusqu’au fond du couloir d’entrée, jusqu’au salon et à la cuisine, mais il n’ose pas avancer pour constater l’étendue des dégâts. Y’a du bruit blanc dans son cerveau, dans ses tympans ; il cligne plusieurs fois des yeux comme si ça suffisait à effacer le chaos qui lui fait face.

La tension est étouffante, et Ludvig grince des dents, les muscles tendus sous l’agacement qui ne faiblit pas depuis la veille. Au début pourtant, il a essayé d'être patient, de passer au-dessus de la colère de gamin de Marcus qui semble ne pas s’apaiser d’un iota. Ludvig l’a souvent vu exaspéré, mais jamais de cette façon, et jamais aussi longtemps. Jamais aussi longtemps, contre lui. La chose le dépasse. Et si au début il a essayé de discuter, de comprendre, de contenir la bombe qui venait d’exploser, les dégâts ont l’air tellement terribles qu’il sait pas si ça va s’apaiser un jour. ça date déjà de la veille, et Marcus décolère pas. Et Ludvig, il commence à en avoir ras le bol d’être pris pour un punching ball pour rien. Y a bien une part de lui, celle logique, qui lui dit que s’il réagit comme ça, c’est juste qu’il est jaloux parce qu’il voit pas pourquoi péter les plombs sinon pour ça? Ou alors il a loupé un épisode ou une info importante, et bon, vu son niveau intellectuel y a moyen. Il sait bien qu’il comprend pas tout, Ludvig. Et puis, il s’méfie de ce qu’il pense, surtout quand ça sert ce qu’il a dans le coeur. Il aimerait bien discuter calmement, pour une fois, parce qu’il aime pas quand ils se disputent, à vrai dire, il déteste vraiment, vraiment ça, mais y a rien à faire. La moindre tentative d’apaisement est complètement ignorée par Marcus ou repoussée avec une nouvelle violence dans les mots qui lui sont destinés. Et Ludvig, il sait bien, qu’avec n’importe qui d’autre, y a son poing qui se serait sans doute écrasé sur l’visage de l’emmerdeur. Pas avec Marcus. Jamais avec Marcus, malgré son caractère de cochon. Et entre le gala de ce soir et le trajet en voiture du retour où il a encore essayé pour essuyer des échecs cuisants, Ludvig arrive aux limites de sa patience, et abandonne. Il ne va pas faire d’efforts si ce n’est que dans un sens.

“For fuck’s sake” Le juron, sifflé entre ses dents alors que Marcus a déjà quitté la voiture sans l’attendre - évidemment. “Slow the fuck down” Il peste, les nerfs à rude épreuve et avec l’envie clairement de lui hurler dessus, c’est difficile de se retenir. Il manque même de louper l’ascenseur, et c’est clairement pas Marcus qui aurait retenu les portes vu son niveau de stupidité actuel. Ludvig, ça l’met hors de lui, parce que c’est déjà assez insupportable de l’avoir comme ça, mais en plus il peut pas faire son travail correctement et ça l’agace prodigieusement. C’est bien pour ça, d’ailleurs, qu’il essaie de rester calme : parce qu’il travaille, parce que c’est sérieux, qu’il se le pardonnerait pas si quelque chose arrivait à Marcus juste parce qu’il manque d’attention à cause de leurs désaccords. “are you fucking done?!” ça sort, finalement, parce qu’il est épuisé, exaspéré, confus, aussi, et qu'il ne supporte pas l’avoir aussi froid avec lui.

Mais cette nouvelle amorce de discussion qui aurait probablement été explosive encore une fois est balayée par ce qu’il sent et ce qu’il voit dès que les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le couloir de l’étage. “Marcus, wait-” Il commence aussitôt, le ton complètement changé, mais Marcus s’est déjà précipité dans l’appartement, Ludvig aussitôt à ses talons. Ce qui les accueille les prend par surprise, l’un comme l’autre, et Ludvig laisse le choc l’envahir, juste une seconde, juste assez pour réagir aussitôt, retrouvant des réflexes vieux de plusieurs années qui n’attendent toujours un rien pour se manifester. Cette nuit, ils sont les bienvenus. Il y a un craquement qui résonne dans le silence ambiant, Ludvig 2 et Ludvig 3 pour une fois n’ont aucune remarque cinglante ou moqueuse à faire, se déplacent dans l’espace aisément, alors même que Ludvig a déjà activé son oreillette pour appeler la base, récupérer son flingue, vérifié derrière eux, au niveau de l’entrée, puis rejoint Marcus, un bras autour de ses épaules, attiré vers lui dans une demande silencieuse et protectrice.

Ludvig: “Davis. This is White, Leemur’s flat’s breaked into and ransacked. Need reinforcement”
Ludvig 2: Kitchen’s clear
Ludvig 3. Bedroom’s clear, bastard's not here!!!

Ludvig avance, se maudit d’avoir encore besoin d’un contact visuel avec ses clones pour que la mutation fonctionne correctement, garde Marcus contre lui. La demande est silencieuse. Les pièces sont vérifiées les unes après les autres, Ludvig se déplaçant juste suffisamment pour avoir un visu sur les clones qui vérifient les pièces; avant que finalement, il devient évident que l’appartement est vide.

Ludvig: “Perpetrator seems to be gone” Il annonce, mais sa prise sur Marcus ne se relâche pas, la tension l’étouffe, les clones s’affairent pour trouver le moindre danger qui aurait pu avoir été laissé sur place. “We need urgent evacuation.” Il écoute, acquiesce, ajoute. “I’m taking him back to the car” Elle est juste en bas, elle est plus sécurisée, ils viennent de la quitter et il ne sait pas ce qui a pu être laissé ici. Il baisse les yeux sur Marcus. “Stay close. I’m not letting anyone do anything to you, you hear me?” Il annonce, calme et rassurant. Dans la tête, pourtant, les réminiscences de situations passées dans des circonstances bien différentes. Des coups de feu et des cris. La poussière. La chaleur. Ludvig cligne des yeux. Ses doigts serrent un peu plus fort. “Please... do as I say.”

Un grésillement lointain, du bruit étouffé comme si plongé au fond de l’océan. Un acouphène qui lui perce les tympans. Il cligne des yeux, mécaniquement, incapable de comprendre ce qu’il voit. Ça paraît tellement impensable, un scénario à peine évoqué sur le ton de la blague, exagéré pour se moquer de précautions jugées excessives et superflues. Il a jamais voulu y croire sérieusement, Marcus. Toujours cet air vaguement exaspéré au coin des lèvres à chaque fois que Ludvig lui demande de patienter le temps qu’il "sécurise le périmètre" (sérieusement ?) ou se campe à ses côtés façon ours mal léché quand un fan s’aventure d’un peu trop près. Ça semble tellement démesuré, bien trop théâtral – quoiqu’il fallait s’y attendre venant d’Icarus, la corpo bien connue pour ne jamais faire les choses à moitié. Marcus, il était persuadé que tout ça ne servait à rien ; que la ferveur des fans dont il est la cible depuis plusieurs mois, bien qu’étouffante, finirait par se calmer pour bientôt revenir à la normale. Que toutes ces angoisses ne deviendraient qu’un mauvais souvenir.

Il était loin de se douter que le mauvais souvenir se transformerait plutôt en cauchemar éveillé.

Marcus réagit à peine lorsque les claquements résonnent et que les clones de Ludvig le dépassent dans le couloir d’entrée pour inspecter chaque pièce de l’appartement saccagé. Il a pas besoin de leur rapport pour savoir, au fond de lui, que le reste sera dans le même état. C’est toutes ses affaires, sa bulle, son nid qu’on vient de détruire, et rien que d’imaginer l’entièreté des dégâts lui colle des frissons – des tremblements – jusqu’au bout des doigts. Et puis soudain tout son corps se tend et se fige quand un poids tombe sur ses épaules, avant de comprendre qu’il s’agit de Ludvig qui l’a enfin rejoint. Il se pose pas de question, Marcus, accepte aussitôt l’étreinte avec une aise déconcertante, puis se laisse diriger sans protester lorsque son garde-du-corps l’entraîne plus loin dans l’appartement.

Comme il s’en doutait, le salon et la cuisine sont sans dessus-dessous : les placards ouverts et vidés, leur contenu éparpillé sur le sol et les comptoirs, le canapé éventré, les bibelots brisés… Y’a même un doute qui le traverse, bêtement, quant à s’il s’agit de son véritable appartement et qu’ils ne se sont pas juste trompés de porte tellement l’intérieur est méconnaissable. Au-dessus de sa tête, la voix de Ludvig distribue des ordres à droite et à gauche sans que Marcus ne discerne les mots prononcés. L’impression d’être déconnecté de la réalité, à des kilomètres de son propre corps. Seul la pression de la main sur son épaule lui permet de ne pas s’envoler. Son regard se pose sur une bougie renversée prêt de la fenêtre, la cire fondue formant une petite flaque rose sur le parquet foncé. Juste à côté, tout le bas du rideau est tâché de cendre, noirci par des flammes éteintes. Ça explique l’odeur de brûlé qui lui a fait plisser le nez au moment de sortir de l’ascenseur.

La voix de Ludvig l’arrache à sa contemplation. « Huh… ? » Marcus cligne des yeux plusieurs fois, essaye de se rappeler ce qui vient d’être dit. « Uh… yeah. » acquiesce-t-il faiblement. Ne pas s’éloigner, il peut faire ça. Pour être honnête, c’est bien la dernière chose qu’il a envie de faire, s’éloigner. En écho à la pression qui s’accentue sur son épaule, sa main remonte et empoigne fermement un bout de la veste de Ludvig au niveau de ses côtes. Il s’y accroche comme à une bouée, persuadé de partir à la dérive s’il venait à lâcher. Persuadé que Ludvig ne le laisserait jamais se noyer.

Il y a bien longtemps que Ludvig n’a pas ressenti ça, à l’intérieur. Cette adrénaline qui chasse la moindre des affres de sommeil, augmente considérablement le rythme cardiaque et le met sur le qui-vive. Ce sont ces moments où la moindre erreur peut être fatale, une inattention et tu te retrouves une balle dans la tête.

Dans ces moments, y avait Andrew.
Dans ces moments, y a jamais eu Marcus, Marcus appartient pas à c’monde, Marcus devrait jamais y être introduit, même d’aussi loin, même avec si peu de similarités. C’est déjà trop.
Pourtant, les vérités se brouillent et se confondent.

Les circonstances sont bien différentes, pourtant la peur qui comprime le cœur est la même. Ludvig, il imagine le pire - toujours, c’est ses paramètres par défaut. La peur insidieuse qui s’installe, submerge, étouffe, et qui doit pourtant être tenue à distance car elle le dessert dans ce qu’il faut faire, dans l’urgence d’agir.

Marcus, à ses côtés, semble être dans cet état second des premiers traumatismes du genre, et Ludvig, il voudrait en chasser aussitôt la moindre expression sur ses traits et dans le fond de ses yeux. Marcus il a perdu toute sa ferveur. Il sent, Ludvig, le choc et la crainte dans les gestes de l’idole qui se raccroche à lui. Son étreinte se resserre, alors. “Come on” Il fait d’une voix lente et contrôlée, qui ne reflète aucunement la terreur qui tord les entrailles. “We’re getting back to the car” Il répète, l’entraîne dans son sillon, une pression douce mais ferme sur ses épaules pour qu’il se mette en marche. Ludvig 2 se place lui aussi près de Marcus sur le côté opposé, et Ludvig 3 surveille leurs arrières.

Ludvig entraîne Marcus jusque dans la voiture, le pousse à s’installer sur le siège passager, à l’avant, incapable de l’éloigner plus que ça. Les portes se referment, ses copies à l’arrière près à sortir à la moindre menace. Ludvig place ses mains sur son volant, serre violemment, exhale, cache un tremblement. Ses yeux analysent tout ce qu’il voit, restent focalisés au dehors.

Il lâche le volant, attrape les m&m’s dans le récipient au milieu des deux sièges, et le tend à Marcus. “Mange. You’re okay. I’m here.”

Dans son oreille, ça s’active. Il écoute les ordres, Ludvig, se remet dans la peau du bon petit soldat, et démarre pour quitter l’endroit au plus vite. Mettre le plus de distance entre Marcus et ce fou furieux. Marcus est vivant.

Marcus est là, à côté.

Y a un craquement, derrière. Les clones disparaissent. Les mains sur le volant sont blanches sous la violence de la pression, sous l’effort colossal déployé pour neutraliser la panique qui gronde et gronde.

Y’a un battement sourd et irrégulier au niveau de sa tempe, ça cogne fort comme un animal en cage. Ça ressemble à des battements de cœur. Ceux de Ludvig ? Ludvig. Ludvig est à ses côtés, il est là. Son bras, sa main autour de son épaule. Ludvig a pourtant un rythme cardiaque régulier d’habitude. A moins que ce ne soit le sien qu’il entend ? Il ne croit pas que ce soit le sien. Il se sent étrangement calme, Marcus. Il a aucune réaction quand les clones beuglent leur rapport depuis les autres pièces, ni quand des portes de placards sont violemment claquées ou des meubles déplacés. Marcus ne réagit pas. Il devrait ; au fond, il sait qu’il devrait. On vient de s’introduire chez lui, de saccager son espace et de briser tout semblant de confort et de sécurité qu’il s’y est construit depuis près de sept ans. Il devrait être en colère, il devrait être triste. Y’a rien de tout ça. Il regarde, juste. Il observe comme derrière une vitre embuée les clones de Ludvig revenir au salon une fois leurs vérifications terminées, il entend la voix de son garde-du-corps à travers le brouillard et il s’y accroche, brièvement. Le tissu de sa veste entre ses doigts fermés.

Ses jambes se meuvent par automatisme, prennent le pas de Ludvig qui l’entraine vers la sortie. Il sait pas où ils vont, ça lui importe peu, il sait juste qu’il doit suivre Ludvig et son cerveau a décidé que c’était la seule information qui méritait d’être traitée. Les portes de l’ascenseur qui s’ouvrent et se referment, l’odeur du produit vitre qu’ils utilisent pour nettoyer le miroir. La main de Ludvig. Les battements contre sa tempe. Il essaye de les compter – un, deux, trois… – ça va trop vite. Le ding qui le fait presque sursauter tandis qu’un des clones part devant et que l’autre ferme la marche du cortège improvisé. L’écho de leurs pas, la voix de Ludvig, encore, et le contact du tissu contre sa joue. Les doigts qui s’agrippent mais qu’on décroche un à un avec une douceur fébrile.

Marcus se retrouve assis à l’intérieur d’une voiture sans comprendre comment il est arrivé là. Une petite boîte en plastique a remplacé le tissu entre ses doigts, il la contemple un moment en fronçant les sourcils, perplexe. « Where uh… » Un craquement rauque qui l’oblige à s’éclaircir la gorge. « Where are we going ? » Ludvig est derrière le volant, silencieux malgré le chuchotement constant qui s’échappe de son oreillette. Les clones ont disparu. Depuis combien de temps ? « I don’t have any stuff with me. » Marcus baisse les yeux sur son pantalon noir et la chemise asymétrique qui dépasse de son blazer hors de prix. Il avait pas prévu de partir en balade en pleine nuit avec cet accoutrement.

Le manque de réaction de Marcus inquiète. Parce que ça risque d’exploser à tout moment, parce que cela ne fait que traduire l’état de choc dans lequel il se trouve. Ludvig sait. Ludvig connaît. Ludvig l’a déjà vécu, et les retombées peuvent être désastreuses. Elles le sont souvent. Le corps et le cœur et l’esprit rejettent une information, s’en détache pour passer au travers, mais l’information finit toujours par s’écraser, d’une façon ou d’une autre, et alors les choses peuvent être pire encore, après avoir refusé de ressentir pendant si longtemps. Et Marcus, Marcus, il ressent trop les choses, trop fort et il a toujours une opinion, et il est excentrique, et ne pas le voir et l’entendre réagir - Ludvig ne veut pas y penser : aux retombées.  

Dans la voiture, c’est le silence. Il peine à retrouver son calme, les mains sont douloureuses tant elles sont crispées sur le volant. Les clones ont disparu sous la tension et toute la concentration focalisée sur une respiration et un rythme cardiaque qui s’affolent, et Ludvig se trouve stupide de réagir d’une telle façon. Mais la terreur est là encore, tapie dans ses tripes et hurlant ses et si à son oreille.

Marcus finit par rompre le silence dans l’habitacle, et Ludvig jette un coup d’oeil à l’homme à ses côtés, il a l’envie de le garder contre lui, ça démange ses doigts, il a l’impression qu’il est pas assez en sécurité, comme ça, mais Ludvig il doit conduire. Il peut pas tout faire. “Hotel for now with extra security coming. We’ll move tomorrow to another location. Somewhere safe.” ça n’a pas encore été décidé, mais Ludvig, aussi, ne donne aucun autre détail. Il a pas confiance en la voiture pleinement, même s’ils la vérifient très régulièrement. On sait jamais. Il lance un coup d'œil à la petite boîte dans les doigts de Marcus, sur ses genoux. “Eat some. It’s sugar, it’ll do you good” Il marmonne, alors, Ludvig, il a peur de le briser, Ludvig, il voudrait effacer la chose, il voudrait avoir choper cet enfoiré avant qu’il ait pu atteindre Marcus, même via son appartement et pas physiquement. La main vient se poser sur le bras, quelques secondes, et il presse, Ludvig, il essaie de rassurer, Ludvig, sans trop savoir quoi faire mais il y a des choses qui vous viennent naturellement. “Don’t worry. Icarus will bring you stuff. And I have extra clothes in the back. Stuff is fine. You matter more” Il s’entend dire, sans trop savoir comment. Il retire sa main, et puis se concentre sur la route. “I’m here Marcus” Il l’observe de nouveau, dans sa simple chemise. “you cold?” Un coup d’oeil devant, et d’un bras vient chercher derrière, y récupère un sweat qui traine. “Here” Aussitôt fait, il monte le chauffage dans la voiture.

Marcus il entend mais il n’écoute pas vraiment. Ou plutôt il essaye, y’a des mots qui essaient de s’imprimer : hôtel, demain, sécurité ; mais le reste s’envole sans laisser de trace. Il hoche la tête distraitement – parce qu’il a la vague sensation que c’est une réponse adéquate, avant de se focaliser sur les lumières qui défilent à travers le parebrise. Des images de son appartement lui reviennent à l’esprit et se succèdent tel un diaporama morbide. Le salon saccagé, la cuisine retournée, la vaisselle en miettes… Brièvement, il se demande si Icarus arrivera à tout ranger d’ici à demain et si tout ça ne pourrait rester qu’un mauvais souvenir – et puis il se mord la joue, fort, pour se distraire de cette pensée profondément ridicule. C’est stupide rien que de l’imaginer.

Son regard fatigué se pose à nouveau sur le récipient entre ses doigts lorsque Ludvig l’encourage à manger. Il a vraiment pas faim, là tout de suite. Marcus pince les lèvres, considère la question une courte seconde en clignant des yeux, l’esprit embourbé dans un océan de coton. Il se voit ouvrir la boîte alors que ses mains ne bougent pas d’un iota, il se voit attraper un M&Ms et le poser sur sa langue alors que sa bouche reste fermée. Y’a pas l’odeur du chocolat, c’est ça qui manque. Pas le goût, non plus. Il l’a mangé ou pas ? Il avale sa salive, pour être sûr : non. Marcus cligne à nouveau des yeux et se redresse, pose sa tête contre le dossier du fauteuil… avant de sursauter quand un coup de klaxon quelque part à sa droite fait vriller ses tympans. Putain de- Il serre les dents et ferme les yeux, Marcus. Pas longtemps, parce qu’il peut pas s’empêcher de tourner la tête pour jeter un coup d’œil inquiet derrière son épaule. Et puis y’a la grande main de Ludvig qui se pose sur son bras, chaude et rassurante, et il peut enfin respirer. « Okay. » qu’il articule – croasse – en se repositionnant face à la route. C’est facile de lui dire de pas s’inquiéter, ça change pas le fait qu’il se retrouve littéralement à la rue sans même un manteau pour se tenir chaud. Que reste-t-il de son dressing et de toutes ses fringues, même ? Volées ? Détruites elles aussi ? Il n’ose même pas y penser.

Il regrette de ne pas avoir attrapé le poignet de Ludvig pour l’empêcher de le lâcher quand l’autre reprend finalement le volant. Son regard qui suit ses gestes sans comprendre tout de suite avant qu’un vêtement sombre ne soit posé sur ses genoux. Le tissu est doux sous ses doigts. « Thanks. » Un souffle reconnaissant, lâché du bout des lèvres après un énième silence confus. Ce soir, y’a beaucoup de choses que son cerveau a décidé de bloquer, tout simplement incapable de traiter autant d’émotions fortes d’un seul coup – pour se protéger, pour se préserver – mais s’il peut au moins affirmer une chose, c’est qu’il n’aurait préféré personne d’autre que Ludvig à ses côtés.

✧✧✧

24 OCTOBRE 2025, 02H47

Après un bref passage à l’hôtel et une (très) courte nuit passé recroquevillé dans la baignoire de leur chambre partagée, Marcus et Ludvig ont fini parachutés (conduits) dans le trou du cul de l’Etat de New York (une ferme de luxe appartenant à Icarus en banlieue de New Blossom) pour y moisir lentement d’ennui le temps que la police mette la main sur lae timbré.e ayant saccagé son appartement. Enfin, d’ennui… Marcus préférerait de loin s’ennuyer plutôt que de vivre avec l’anxiété sourde au bord de la paranoïa qui tend ses muscles à chaque putain de coup de vent qui fait bouger les putains d’arbres derrière les immenses putains de fenêtres qui entourent cette putain de baraque. Tout est trop grand. Trop vide. Trop froid, trop silencieux. L’impression qu’on l’observe à travers les branches dès qu’il a le dos tourné. Ça le rend complètement à fleur de peau, Marcus, à tel point qu’il s’est mis à pleurer à chaudes larmes à cause d’une clémentine qu’il n’arrivait pas à éplucher. La honte lui brûle encore les joues, rien que d’y repenser.

Ludvig n’a pas l’air beaucoup plus détendu : sa première journée a été entièrement consacrée à la sécurisation du périmètre (Marcus n’a même pas réussi à esquisser un sourire à cette expression pourtant si délicieusement clichée), et les jours d’après n’ont pas été bien plus joyeux. Y’a comme un nuage noir, une menace au-dessus de leur tête, constamment, une tension électrique qui n’a rien à voir avec le genre de celles que le lémur aime entretenir pour s’amuser. Il vit dans l’attente que ça pète, et ça le rend fou, doucement mais sûrement. ‘Faut dire que le manque de sommeil se fait alarmant : trois jours qu’il dort par intervalles de deux heures maximum, réveillé au moindre bruit et immédiatement sur le qui-vive. Il y arrive mieux en pleine journée, de courtes siestes sur le canapé lorsque Ludvig n’est pas loin et qu’il est bercé par sa respiration régulière ou le bourdonnement ténu de la télévision.

Les nuits sont longues, en revanche.

Assis contre sa tête de lit, genoux remontés contre son torse, Marcus a le regard fixé sur la lisière du potager qui s’étale derrière sa baie-vitrée (évidemment, il n’y a ni volets ni rideaux opaques pour lui procurer un semblant d’intimité). Il n’a pas besoin de lumière pour y voir comme en plein jour – encore mieux puisqu’il n’a pas besoin de lunettes pour distinguer chaque forme qui se dessine au loin, pratique… ou pas, car c’est peut-être ça le pire, finalement : il voit tout, il entend tout. Impossible d’ignorer les ombres ou les sons de la nuit, impossible de s’apaiser suffisamment pour s’endormir. L’ironie, c’est que sa fidèle appli de bruit blanc se montre parfaitement inutile car son cerveau le voit comme de l’auto-sabotage en cas de danger, redoublant son angoisse. Un cercle sans fin.

Sur sa table de chevet, l’écran de son portable affiche deux heures quarante-sept en chiffres moqueurs. Il a vu toutes les minutes défiler, Marcus, une par une depuis que Ludvig est parti se coucher, il y a environ une heure de ça. Il pourrait en pleurer de frustration. Ça lui pique les yeux quand il décide enfin de se lever – il arrivera jamais à dormir ici, de toute façon. Ses pieds le portent à travers le couloir, silencieux sur le parquet en chêne, et jusqu’à la porte de la chambre de Ludvig devant laquelle il marque une pause. Le battant a été laissé entrouvert. A l’intérieur, le corps du garde-du-corps forme une montagne entre les draps. « Hey… » Un souffle à peine murmuré, dénué de tout courage. « Ludvig… You’re asleep ? » chuchote Marcus à peine plus fort. Il espère presque que Ludvig n’a rien entendu – ça voudrait dire devoir s’expliquer et honnêtement, il n’en a pas la force. Il serait capable de se remettre à chialer comme un gosse. En fait, ça le dérangerait pas de juste se faufiler jusqu’à son lit et de se rouler en boule au bord du matelas. Il veut pas le réveiller – ça doit déjà être suffisamment chiant pour Ludvig de devoir découcher pour le surveiller – il veut juste… dormir. Il a besoin de dormir.

Dans l’habitacle, le silence reprend ses droits, seulement interrompu par le bruit du trafic et puis le moteur. Ludvig est inquiet. Les minutes passent et Marcus ne lâche pas un mot. Ludvig croit qu’il l’a jamais eu aussi silencieux. Marcus, il parle tout le temps. Il sait pas s’taire, ou trop peu. Il sait pas rester en place, aussi, et pourtant le lémur est immobile, complètement prostré sur le siège passager, le regard vide. La chose est peu étonnante après un tel choc, mais elle inquiète de son contraste criant. Ludvig voudrait rompre le silence, le rassurer, savoir quoi dire. Ludvig, il voudrait faire quelque chose. Mais y a rien qui sort. Il a jamais été doué avec les mots faut dire, et il pense pas que de toute façon ils seraient bien reçus. Parfois y a rien à dire. En tout les cas, il sait qu’il est pas assez bon pour trouver les bons mots. Et puis les fantômes du passé le hantent, et il est difficile de ne pas leur laisser toute la place : Ludvig, il se bat dans son for intérieur. Il fait tout pour ne laisser aucune once de terrain, et à la place, rester maître de la situation. Parce que Marcus n’est pas encore dans un endroit sécurisé, et il ne se le pardonnerait jamais si quelque chose survenait déjà en chemin. Ludvig, il se sent déjà coupable. Ludvig il se dit que peut être il aurait pu réussir à le convaincre de déménager plus tôt. Ludvig il se dit qu’il aurait dû trouver les bons mots. Avant que ça dégénère.

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Voilà trois jours qu’ils sont à l’écart de New Blossom, pourtant Ludvig est agité. C’est trop calme, ici. Ils sont au milieu de nulle part, personne à au moins un kilomètre à la ronde, et pourtant, l’endroit est étouffant, bien plus qu’autour des bruits de la ville qui sont un repère rassurant pour le garde du corps. Les angoisses de Marcus pèsent sur les siennes déjà lourdes, et Ludvig les accepte, tâche d’être la présence rassurante nécessaire, du moins, il l’espère.

Ludvig est fébrile. Impossible de savoir quand ils pourront retourner à New Blossom. Impossible de savoir quand il pourra revoir Gigi. Il n’y a rien à faire, ici, si ce n’est se regarder dans le blanc des yeux, lire des livres - autant dire que Ludvig a fait un essai et comme il comprenait rien, l’a jeté dans un coin - faire la cuisine éventuellement. S’abrutir devant la télévision, aussi. Au moins, le bourdonnement en fond est un peu rassurant. Ludvig, il nettoie toute la journée. Il fait des pompes, aussi, au moins 4 fois par jour. Ses poings le démangent de pouvoir se défouler et extérioriser tout ce qu’il se passe à l’intérieur. Et la tension, oui, avec Marcus. Et cette peur, là, qui étreint encore son cœur.

Il a pas fermé l'œil de la première nuit. A peine, la deuxième, toujours sur le qui-vive que quelqu’un débarque, ait trouvé leur planque, profite de son sommeil pour atteindre Marcus. Que l’histoire se répète, d’une certaine façon. Stupide, bien sur, de faire une telle comparaison, mais l’angoisse est là.

Ludvig, il parvient enfin à calmer son cerveau, au moins juste un peu, au moins juste assez pour dormir quelques heures et emmagasiner de l’énergie pour être alerte. Il y a bruit, léger, suffisant pour le réveiller alors qu’il ne dort que d’une oreille, et il se redresse brusquement. La panique descend aussi vite qu’elle est arrivée - un simple coup de vent, et il se rallonge pour se rendormir. Alors que Marcus débarque et que son murmure le tire du sommeil qui pèse sur ses paupières, Ludvig se redresse sur un coude pour l’apercevoir “Hey” la voix est rauque de sommeil, alors qu’il exhale un soupire lourd et rempli de fatigue, et passe une main sur son visage. “cant sleep?” Il attend pas de réponse, se rallonge et déplace la couette, laissant un espace près de lui. “com’here” il marmonne sans vraiment réfléchir à ce qu’il dit, les yeux fermés, tapote sur les draps à côté, en autopilote.

Y’a une boule énorme qui pèse dans son estomac et qui gonfle, gonfle, jusque dans sa gorge pour l’étouffer quand la voix de Ludvig perce l’obscurité. Marcus sent les picotements qui reviennent autour de son nez et au bord de ses yeux, la chaleur qui lui brûle les joues sous la honte et la culpabilité. Il se sent tout petit, ridicule, petite chose pathétique qu’on pourrait écraser d’un coup de pied. Il a l’air crevé, Ludvig, ça s’entend aussi bien que ça se voit sur son visage cerné, et Marcus en est responsable. Le soupir est un coup supplémentaire qui lui serre un peu plus la gorge. « M’sorry… » La voix qui tremble sur un murmure fébrile. Marcus se mord la lèvre et lutte contre les larmes qui embuent déjà sa vue. Il bouge pas d’un pouce quand Ludvig l’invite finalement à s’approcher : en fait, il ferait bien demi-tour, plutôt. Il regrette d’être venu, d’avoir dérangé Ludvig, de l’avoir réveillé parce qu’il n’est même pas capable de rester tout seul plus de cinq minutes sans s’imaginer un monstre sous son lit et un autre dans son placard. Lui-même se trouve pitoyable.

Mais il peut pas vraiment tourner les talons s’il veut espérer dormir quelques heures, le lémur. Il sent qu’il pourrait devenir fou, s’il dort pas cette nuit. Alors après une ultime hésitation à contempler la silhouette de Ludvig sous les draps, le regard de Marcus tombe sur la zone fraichement dégagée pour lui sur le matelas et ses épaules s’affaissent, vaincu. Il renifle et avance machinalement et en silence, la queue basse, hésite encore au pied du lit avant de retirer ses chaussons et de se glisser sous la couette. Il reste bien au bord, attentif à garder sa queue contre ses jambes pour ne pas effleurer Ludvig par inadvertance. Ne pas prendre trop de place, garder ses distances, même s’il meurt d’envie du contraire. Ça le prend aux tripes et ça l’étouffe, à quel point il aimerait se rapprocher jusqu’à enfouir son nez contre le torse de Ludvig et ne pouvoir rien entendre d’autre que les battements de son cœur et les mouvements réguliers de sa respiration. « Thanks, sorry… » articule-t-il difficilement autour de la douleur dans sa gorge. Pourvu que le garde-du-corps se rendorme vite.

La main tapote faiblement la place à ses côtés, et même si Ludvig s’est allongé et a refermé les yeux, il ne laisse pas le sommeil le reprendre malgré son poids sur ses paupières. A la place, il reste en attente de sentir le matelas s’affaisser à ses côtés. Le silence s’éternise un peu sans mouvement. Il s’apprête à se redresser, à insister, quand il sent que Marcus s’est rapproché et se glisse ensuite sur le matelas. Ludvig accompagne le mouvement et recouvre le lémur de la couette. Une nouvelle excuse répétée dans le silence. Ludvig, lui, est graduellement plus alerte alors que le sommeil s’éloigne petit à petit.

“Don’t be sorry” La voix rauque, encore, alors et il se racle un peu la gorge pour en chasser la gêne du sommeil qui pèse encore lourd. “it’s normal to react this way” il exhale dans un souffle. Avoir des traumatismes qui se traduisent en problèmes physiques, il ne connaît que trop bien. Il en connaît le sentiment d’impuissance, la frustration qui grandit sans pouvoir se contrôler et faire écho à une raison qui se fait la malle. Un silence, de nouveau. Il sent la tension de Marcus qui ne bouge pas d’un iota, il sent sa peur aussi : elle irradie toute la pièce. “Marcus…” Un souffle qui accompagne son mouvement, le corps qui se rapproche légèrement et cette main qui se déplace. Avec lenteur se pose, là, sur le bras de l’autre homme. Une pression, légère. Un moment de flottement, parce que Ludvig se réveille pleinement et renoue rapidement avec les doutes. Pourtant, la main ne se retire pas. Elle reste là, comme un secret dans la nuit. “I won’t let anyone hurt you” Une pause. “They’d have to go through me” Ludvig prendrait une balle pour lui, et la chose est avouée derrière les mots prononcés. “You want to - talk?” Une pause, sa main libre qui frotte son visage “I can listen. or you can sleep. I’ll watch over you”

C’est pas normal, y’a rien de normal, qu’il a envie de répliquer avec toute sa teigne habituelle, Marcus, mais il est tellement épuisé qu’il n’arrive même pas à rassembler assez d’énergie pour se disputer. Pire, il sent qu’il pourrait se mettre à chialer sans plus pouvoir s’arrêter du simple fait d’ouvrir la bouche. C’est prêt à déborder, à l’intérieur. Ça fait quatre jours, vraiment, que ça demande qu’à exploser. Alors que ses paupières se ferment, Marcus se recroqueville un peu plus sous la couette. Il veut dormir, il veut hurler, il veut pleurer, il veut, il veut… Tout son corps qui se tend comme un arc, immédiatement sur le qui-vive, lorsque Ludvig bouge et qu’un poids tombe sur son bras – il réalise presque aussitôt qu’il ne s’agit que de sa main, et il se sent bête, et il a encore envie de pleurer. Marcus déglutit douloureusement, à travers cette boule de trop-plein qui l’étrangle. Humides, les yeux se relèvent alors que Ludvig se remet à parler de cette voix chaude et assurée – rassurante ; un réconfort dans la nuit autant qu’un coup de poing dans ses dernières défenses branlantes. La main est chaude par-dessus son bras. Trop chaude.

Marcus renifle. « I… » Mais ça l’étouffe, les mots meurent noyés dans sa gorge alors que les larmes se déversent sur ses joues dans un hoquet pitoyable et que le lémur bat des jambes pour se rapprocher, pour se précipiter contre Ludvig avec une urgence qui le prend de court.  « I’m so- so tired… so f- fucking exhausted I just- » Il boit la tasse, Marcus. Il coule et y’a que le corps de Ludvig pour l’empêcher de s’asphyxier. Il pourrait crever, il pourrait disparaître. Y’a plus aucune logique dans son esprit épuisé. « I hate it- I hate it I h- I- » Il renifle et sèche ses larmes sur le tissu agrippé farouchement entre ses doigts – avant que d’autres ne viennent immédiatement les remplacer sur ses traits mouchetées. La honte l’empêche de bouger, ça le paralyse, et Marcus n’est plus qu’un triste spectacle.

Si haut sur son piédestal, il ne croyait jamais un jour toucher le fond.
Si haut dans les nuages, il n’imaginait jamais à quel point la chute pourrait être brutale.

Marcus est tendu comme un arc, et pendant quelques secondes de flottement, Ludvig se retrouve con, à vouloir retirer sa main pour lui laisser de l’espace, tout en ne pouvant s’y résoudre parce qu’au fond, il ne sait pas si l’autre homme recherche le contact ou non, s’il en a besoin ou s’il a besoin d’autre chose. Alors Ludvig, il reste immobile, et puis essaie maladroitement de le rassurer malgré sa difficulté avec les mots. Ludvig est gauche, toujours, veut bien faire mais craint d’être trop envahissant. Alors, il donne des options, tâche de faire comprendre à Marcus qu’il sera là pour le soutenir au mieux qu’importe ce qu’il souhaite faire.

Marcus pleure.
Il pleure et se précipite contre lui avec une fébrilité et une détresse, même, qu’il ne lui a jamais connu. Ludvig, il l’a jamais vu pleurer comme ça, c’est déjà arrivé, une ou deux fois, mais rien d’aussi intense, jamais à ce point, jamais au point de ne plus pouvoir parler et d’avoir l’impression d’étouffer.
Ludvig, il a toujours honte de pleurer.
Pleurer c’est pour les fillettes
Pleurer c’est pas être un homme
Pleurer c’est honteux et faible

Mais Ludvig n’applique jamais aux autres les règles dévastatrices de son géniteur qu’il applique sur lui. Il ne saurait juger Marcus pour la chose. Il ne saurait en être embarrassé ou avoir honte, ou lui dire de prendre sur lui. Il sait la chose stupide.

Il n’y a aucune hésitation dans ses gestes, aucune réflexion alors qu’il accueille le plus jeune dans le creux de ses bras, qu’il referme l’étreinte en glissant un bras dans son dos pour le garder là, en sécurité. Son propre cœur battant ses angoisses se calme lui aussi un peu à la chose. “I know, I know” La main glisse dans le dos, à sa nuque, dans les cheveux blonds. “Marcus” Un souffle. Ludvig, il sait jamais trop quoi dire. Les gestes et les actions n’ont pas de réflexion, mais les mots sont une épreuve. “They won’t get you. …’s okay. I’m here. I’m not leaving you” Ses jambes viennent glisser entre les siennes, comme pour le protéger encore davantage. Ludvig n’en trouve aucun embarras, aucune gêne, ne réalise pas la portée d’une quelconque intimité, pas quand la situation est ainsi. Pas quand Marcus semble être au plus bas. “You need to breathe” Un souffle. “Breathe with me” Une autre pause. “With me here, no one will get to you in your sleep. I promise. I promise you.” Le pouce sur la nuque caresse avec lenteur.

Ça l’étouffe, ça déborde. Une chappe de plomb autour de sa gorge, de son torse, de ses poumons. Il sait même pas comment il arrive encore à respirer avec la violence des sanglots qui ébranlent tout son corps. Il est si petit, Marcus. Si ridicule, si pitoyable. Plus rien n’a de sens, et il se demande vaguement si toute cette réaction n’est due uniquement qu’à l’épuisement ou si vraiment quelque chose cloche chez lui. C’est possible, non ? Après une telle situation. Et en même temps, quoi de plus pathétique. Ce n’est pas comme s’il avait été blessé ou qu’il avait vécu la moindre confrontation avec ce type. Ce n’est pas comme s’il l’avait ne serait-ce que vu. Ce n’est qu’un appartement, après tout, ce ne sont que des meubles et des possessions. De quel droit se permet-il de flancher… pour ça ? Marcus serre les poings et hoquète. Il voit des taches de couleurs derrière ses paupières tant elles sont fermées – comme si ça pouvait suffire à retenir les larmes, autant essayer de boire de la soupe avec des baguettes.

Les bras de Ludvig autour de lui le font se recroqueviller un peu plus alors que ses mots flottent autour d’eux comme un charme invisible. Qu’est-ce qu’il ne donnerait pas pour disparaître, Marcus. Il ne veut pas que Ludvig le voit comme ça – que doit-il penser ? Il a beau lui dire que c’est normal, il a beau essayer de le rassurer, Marcus a du mal à croire que l’autre ne nourrisse aucun ressentiment à son égard. Quel enfer. Et puis il n’en peut plus de penser, il ne veut plus réfléchir, alors Marcus se laisse porter par le courant et cesse de lutter. Le poids sur ses épaules est confortable, l’impression d’être blotti dans un cocon. Protégé du monde extérieur. Elle est chaude, la main qui glisse dans son dos et se loge sur sa nuque. Marcus se concentre là-dessus, à défaut du reste.

Il saurait pas dire combien de temps s’est écoulé avant que sa respiration ne reprenne un rythme acceptable et que les larmes ne cessent de dévaler ses joues tel un torrent ininterrompu. Bercé par les caresses dans ses cheveux et le souffle régulier de Ludvig au-dessus de sa tête, Marcus retombe peu à peu dans un calme relatif, l’esprit comme enveloppé dans un nuage de coton. Y’a un début de migraine quelque part derrière sa tempe aussi, mais il n’est plus à ça près, vraiment. Les paupières sont si lourdes, mais il n’ose pas encore s’abandonner au sommeil. « M’sorry… You must hate it too… » Cette situation, être obligé de rester là, confiné dans cette trop grande maison à tourner en rond, loin de Gigi et de ses habitudes. Marcus renifle. Il n’ose pas le regarder. « D’you hate me ? Don’t- don’t hate me, m’sorry… » Rauque d’avoir trop pleuré, la voix se brise sur un murmure. Le manque de sommeil doit certainement le faire délirer mais la culpabilité qui lui tord le bide, elle, est bien réelle.

Ludvig sait pas combien de temps ça dure. Les secondes, et puis ensuite les minutes passent avec lenteur, lui ne bouge pas, garde bien Marcus contre lui, tente de garder une respiration la plus calme et régulière possible pour que Marcus puisse s’y calquer. Tente, aussi, avec ses mots maladroits qu’il répète, à le tranquilliser, le rassurer. Et ses doigts, lentement, dans les cheveux décolorés. Ludvig se posera des questions plus tard, mais le geste semble si naturel. Il ne sait pas trop s’il sert à quelque chose, ou si Marcus se calme de lui-même, mais heureusement la panique semble moindre au bout d’un moment, et les pleurs se tarissent un peu.

Il se demande si Marcus va finir par s’assoupir, mais c’est plutôt sa voix qui se fait entendre, rompt le silence de la chambre dans l’obscurité encore importante de la nuit. “hm?… ” Il fronce les sourcils, un peu confus pendant quelques secondes à ses excuses, ne les comprend pas. La suite lui noue le ventre - son étreinte se resserre d’instinct sans qu’il ne le contrôle réellement. Il y a un léger silence. “I hate the person who did that” Il corrige, lentement. Quand il y pense, Ludvig se tend, à des envies de destruction, et voudrait pouvoir être la personne qui le ou la retrouvera, la personne responsable de l’état de l’homme dans ses bras. “Marcus” Un soupire, alors qu’il baisse un peu la tête, que ses lèvres se perdent dans la chevelure blonde quelques secondes. Il y a un souffle un peu plus bas. “I don’t.” Un léger silence. “...could never” Une confession exhalée à demi-mots. Il y a une pause, quelque chose dans le coeur, et Ludvig qui s’agite légèrement, le besoin de faire quelque chose, le besoin de ne pas s’attarder trop, aussi, peut-être “Give me 10 secs-im not going anywhere, Marcus” Il murmure en sentant une panique remonter alors qu’il se redresse un peu. “Just need to grab-over there” Il explique en se tournant et se penchant de l’autre côté du lui pour récupérer une bouteille d’eau, et des mouchoirs. Et puis, revient aussitôt aux côtés de Marcus. “Here you go. Drink some water.. ‘s important” Il ne sait pas si Marcus boit assez vraiment, ces jours-ci. “Yeah.. that’s good” Il récupère la bouteille, la laisse dans un coin, et récupère Marcus dans ses bras, tentant d’ignorer toutes les petites réalisations, de toute façon déjà que c'est dur de réfléchir de base, avec le manque de sommeil, il y pensera plus tard. “Now you sleep.. you’re exhausted” Ludvig pense que Marcus tiendrait à peine debout, s’il le fallait. “I’m watching over you”

Il se sent vidé, Marcus. Complètement vidé d’énergie, d’émotions et d’envie. Sa tête lui fait mal, autant à cause de sa crise de larmes récente que du manque de sommeil accumulé depuis trois jours. Garder les yeux ouverts réquisitionne toute sa force – et ça semble déjà surhumain tant ses paupières sont lourdes. Qu’est-ce qu’il aimerait dormir. Il a jamais accordé tant d’importance que ça au sommeil, le lémur, se targuant d’un dynamisme débordant et d’un esprit vif que de simples siestes et de courtes nuits suffisaient à revigorer. Aujourd’hui, dormir lui semble être la grâce la plus précieuse au monde. Il pourrait donner un bras pour une nuit complète. De toute façon, à choisir entre ça et devenir complètement fou, le choix est vite fait.

La voix de Ludvig lui fait dresser l’oreille, le corps toujours prostré contre son torse. Il parle doucement, lentement, et Marcus lui en est reconnaissant – il se sait incapable de gérer un débit plus intense, à ce stade. Non, Ludvig pose ses mots avec intention et délicatesse, son souffle chaud sur ses cheveux, comme la plus simple des vérités. Comme une promesse. Et Marcus s’y accroche faiblement, avec toute l'ardeur du désespoir. Il ne le déteste pas. Il ne le détestera jamais. Ça sonne si doux à ses oreilles, cette certitude. Marcus n’a pas confiance en ses cordes vocales alors il se contente de serrer les doigts autour du débardeur de l’autre homme, avant de sentir une vague soudaine de panique tendre ses muscles lorsque ce dernier fait mine de s’écarter. « Don’t- » Les lèvres protestent – croassent plus qu’autre chose – jusqu’à ce que les mots de Ludvig n’atteignent son esprit embrouillé. Même pas la force de se sentir con. De ses mains dorénavant libres – à regret, il essuie ses joues et son nez, puis se redresse un peu, à peine, sous les instructions de l’autre qui lui tend une bouteille sortie de nulle part. Il obtempère machinalement, avale deux petites gorgées qui lui font étrangement du bien avant de la lui rendre. Y’a un soupir – épuisé mais satisfait, du moins autant que possible dans ces circonstances – quand Marcus retrouve la chaleur des bras de Ludvig et son étreinte confortable autour de son corps. Il veut plus jamais bouger de là, qu’il décide. Ses mains retrouvent les plis du débardeur comme une bouée à laquelle s’amarrer tandis que son nez trouve une place près de son col, là où il peut sentir son odeur familière.

Il saurait pas dire quand ses paupières se sont fermées pour de bon, ni quand ses muscles se sont enfin détendus, ou quand son esprit s’est considéré suffisamment en sécurité pour cesser de lutter. Ça y est. Il n’entend plus le vent dans les arbres ni les grincements du parquet ni les fantômes qui rôdent derrière chaque fenêtre ; uniquement le souffle régulier de Ludvig au-dessus de sa tête et les battements de son cœur. Une présence solide et certaine, un cocon de quiétude. Enfin.

Ludvig, il a jamais vu Marcus fragile comme ça. ça le bouleverse, un peu, à l’intérieur. Il a peur d’lui faire du mal, d’une quelconque façon. Il a peur de pas être à la hauteur, il a peur d’avoir un moment d’inattention, que quelqu’un l’atteigne. Il sait qu’il s’en remettrait pas, si quelque chose arrivait à Marcus. Ludvig, il sait aussi au fond de lui que c’est la fatigue et le traumatisme qui rendent l’autre homme dans un tel état mais il faut dire que lui aussi n’a pas les idées très claires, alors les scénarios catastrophes arrivent encore plus facilement à l’esprit.

Il y a un soulagement, enfin, quand Marcus s’endort. Il peut ressentir son souffle régulier. Il espère qu’il aura un sommeil réparateur, il espère qu’il dormira longtemps. Lui, il ne peut pas fermer l'œil. Ce n’est pas l’envie qui manque. Ludvig est épuisé. Mais Ludvig a promis. Il reste là, Marcus contre lui dans son étreinte, sans bouger. Son regard vole dans la pénombre. Il garde les yeux ouverts, pour mieux lutter contre la fatigue. Immobile, de crainte de réveiller le chargement précieux dans ses bras. Les pensées noires se bousculent, s’accumulent, font cogner son cœur douloureusement. Les minutes, et les heures peut-être, passent, et Ludvig a des douleurs musculaires. Il a l’expérience de rester sans bouger longtemps avec ses années dans l’armée, connaît l’inconfort qui se transforme en douleur certaine, et le dépassement de soi que ça demande. C’est rien, là. Mais ça dure, ça dure, et il lui faudrait bouger, détendre certains membres. Un geste volontaire, d’un muscle qui tétanise un peu - Ludvig retient son souffle, grimace sous la chose, heureusement Marcus ne se réveille pas, se déplace juste suffisamment pour que, enfin, Ludvig puisse se déplacer et prendre une nouvelle position plus confortable. Il exhale, lentement. Son regard se perd sur la forme à ses côtés, sur le plafond dans l’obscurité, tente d’ignorer la douleur qui lui barre le front, de rester alerte.

Il se pince l’arrête du nez, ferme les paupières juste quelques secondes, tente d’ignorer les angoisses qui montent, retourne son attention sur Marcus. ça calme son coeur affolé, s'apaise petit à petit. Il ferme les yeux. Juste quelques secondes, juste- il s’assoupit.

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Les jours passent, et les habitudes se forment. Le sport, les jeux de cartes (le uno), la télévision, la télé en fond sonore, les lectures. Et, la nuit, Marcus qui le rejoint son lit et dort à ses côtés - dans ses bras, souvent. Etrangement, les provocations de Marcus, aussi, font partie de ses nouvelles habitudes. Des provocations que Ludvig n’est pas bien certain de savoir comment prendre. Ce n’est pas la première fois que ça arrive, après tout, c’est un jeu entre eux depuis longtemps, et Ludvig ne les a jamais vraiment prises au sérieux. La répétition et l’intensité des derniers jours, en revanche, le font pauser de temps à autre.

L’écran est baissé et l’ordinateur déplacé sur le côté après le visionnage d’un (quelques) épisodes d’une téléréalité que Marcus lui a fait regarder. L’heure est avancée dans la nuit, et il sent la fatigue peser un peu sur ses paupières. Le moment est calme, confortable, il se déplace dans le lit et s’étire un peu, se redresse juste suffisamment pour attraper la bouteille d’eau de son côté et en boire plusieurs gorgées. Il se rallonge dans un soupir. “Ah man, I hope she’ll figure out he’s playing with her and Bridget. What a dick. But also I don’t get her, she’s focused on that dude when Cameron is just there i don’t know how she’s not noticing him. Guy’s whipped and obvious no? ” Il souffle, et puis ça sort simplement. "Plus he's prettier"

6 novembre 2025, 02h39

Les jours passent et les angoissent s’apaisent, Marcus reprend du poil de la bête (sans mauvais jeu de mot). Il faut dire que la compagnie de Ludvig a été déterminante dans sa rémission, le lémur sait qu’il n’en serait probablement pas arrivé là si vite sans son soutien, aussi émotionnel que physique. Ça lui a fait du bien. Beaucoup de bien. Peu à peu, les cauchemars se rarifient, les nuits s’allongent et l’espièglerie retrouve sa place légitime dans ses yeux – et dans ses provocations. Il a beau avoir la routine en horreur, Marcus, il découvre finalement que partager son quotidien avec le garde-du-corps rend la chose bien plus supportable – même s’il a toujours régulièrement envie de s’éclater la tête contre un mur tant l’isolation quasi-totale imposée le rend dingue. Ça pourrait clairement être mille fois pire.

‘Faut dire, c’est pas déplaisant de se lever à onze heure du mat’ et de tomber sur un Viking torse nu qui fait des pompes ou des tractions (qu’est-ce qu’il en sait après tout, et là n’est pas la question) entre le canapé et la table basse. Les petits-déjeuners-spectacles, ça il pourrait s’y habituer sans problème, le lémur.

Marcus s’étire comme un chat en réprimant un gémissement de confort lorsque le générique de fin d’épisode résonne dans la chambre et que Ludvig écarte l’ordinateur pour se redresser. Ses commentaires le font glousser : avoir réussi à convertir l’autre homme à la téléréalité est un de ses succès récents dont il est le plus fier. Ses réactions sont toujours amusantes, surtout venant d’un grand gaillard comme lui. « Ugh, tell me about it. She assumed he didn’t like her like that when he took Jessy on that stupid picnic that one time, remember ? And now they’re both looking stupid. » L’ironie dans les mots de Ludvig ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, mais le lémur choisit une fois de plus de la jouer fine. « Cameron should be bolder. At this point, Bridget is just too focused on that douchebag, she needs to realize what she’s missing. » Un bâillement sonore, la tête qui se pose nonchalamment sur l’épaule musclée à proximité. « Some people just don’t get hints, you have to spell it out for them or they just gaslight themselves into thinking you’re not into them and just saying things for shits and giggles. It’s fascinating, truly. » Marcus ose jeter un regard en hauteur, dissimulant à peine la pointe de sarcasme dans sa voix. Il doute que Ludvig fasse le lien, mais c’est aussi pour voir la confusion flotter dans ses iris bleues qu’il n’a toujours pas cédé à la franchise, pure et dure. Il se demande jusqu’où il peut aller avant que Ludvig ne le confronte à ce sujet. D’humeur joueuse, Marcus gigote pour se rapprocher, calant ses pieds perpétuellement froids contre les mollets du garde-du-corps. « You’re like that, too. It’s cute. Frustrating, but cute. Especially when you scramble. »

Ludvig écoute avec attention, pleinement focalisé sur les mots de Marcus et l’épisode qu’ils viennent de regarder. “Hm I guess” Il passe un bras derrière sa tête pour la surélever un peu, ne bronche pas quand Marcus pose la sienne sur son épaule. “He just wants to respect her decision I get it.” Il fronce les sourcils, ne suit pas trop les propos du lémur. “Hints? I don’t see how her being all over that shitty dude is a hint for Cameron or I have missed a whole lot” Il hume, c’est possible ceci dit, il a conscience de pas capter la plupart de ce genre de sous-entendus, après tout.

Ludvig ne s’attendait pas à s’intéresser à la téléréalité, à dire vrai, il était à mille lieux d’imaginer qu’il puisse se sentir impliqué par les histoires exagérées de ce genre de programmes télévisés. C’était sans compter sur la persistance de Marcus et son habitude de toujours regarder quand il était présent. Quand il y repense, Ludvig est certain qu’il l’a fait exprès. A force, il n’a pas pu s’empêcher de laisser son regard traîner sur l’écran et finir par apprendre les noms des gens, et leurs histoires, et maintenant et bien, il a juste envie de savoir comment cela va se terminer. Il est sans doute trop bon public, trop crédule pour ce genre de trucs, mais il faut admettre que ça détend et qu’il n’y a pas besoin de trop réfléchir. ça aide, ces dernières semaines à être enfermé entre quatre murs à tenter d’ignorer ce qu’il a dans le cœur - la conversation avec Gigi traîne dans son esprit et il est difficile de la chasser ces jours-ci.

“Cold feet” Il grogne pour la forme chassant son regard du plafond et son cerveau de ses réflexions, mais ses mollets acceptent les accusés sans problème, avant que les mots de Marcus ne l’atteignent. “Eh what?” Il s’étonne, d’une façon extrêmement éloquente à ses mots, le temps que ça monte au cerveau et qu’il réalise à quoi il le compare. Ludvig, il est un peu soulagé d’être dans la pénombre et étouffe une inspiration offusquée. “i don’t scramble” Il grommelle dans sa barbe, embarrassé il faut bien l’avouer. Il hausse les épaules. “I mean you’re relentless, you must be super bored.” Vraiment? La petite voix, dans sa tête. Un moment de flottement, un silence, juste une seconde, et puis “you flirt a lot these days” Un marmonnement dans la nuit avancée. Ludvig est trop à l’aise, avec Marcus. Ludvig se laisse aller, dans le confort du lit et les lumières éteintes, et ne réfléchit plus assez à ses propos, sans doute. Peut-être qu’une part de lui a envie de savoir, aussi, d’en avoir le cœur net, sans qu’il n’en prenne forcément pleinement conscience, juste là. Le cœur est faible aussi, beaucoup. "and I'm not cute" Il ajoute dans une petite précipitation, dans une arrière pensée.

Pour le coup, Marcus ne peut s’empêcher de glousser face à l’ironie des mots employés par Ludvig. Il lève le menton et lui jette un regard pétillant. « Oh yeah, 'cause you’re usually a pro at seeing hints, right ? » C’est mal de se moquer, dirait sa mère, mais franchement l’occasion est trop belle pour ne pas se l’accorder. Et puis il l’a bien mérité, vue la façon dont il rame depuis des jours. « Nah. I’m saying Bridget can’t see Cameron’s poor attempts at getting her back… or she just doesn’t wanna see them. I hope he makes a real move in the next episode or this little game is gonna take aaaaaages… » Un soupir théâtral et Marcus qui se réinstalle confortablement contre la chaleur du corps de Ludvig. Un vrai radiateur portatif, cet homme. A deux doigts de carrément se glisser sous le léger débardeur du boxeur pour se coller encore plus près, mais Marcus juge – avec justesse mais grand chagrin – que la manœuvre risque d’être un peu too much à gérer pour le pauvre Ludvig. Dommage, mais chaque chose en son temps ; le lémur a récemment appris à ronger son frein. En l’occurrence, il a une idée derrière la tête et compte bien en voir le bout.

Inutile d’avoir une ouïe hypersensible pour quasiment entendre les rouages grincer dans le cerveau du garde-du-corps alors qu’il tente de comprendre les insinuations (visiblement toujours pas assez évidentes) de Marcus. Honnêtement à ce rythme, c’est peut-être bien lui qui risque de craquer en premier, finalement. « I do. » confirme Marcus sans hésiter, un sourire amusé au coin des lèvres. Ce n’est pas comme si ses œillades appuyées et ses commentaires graveleux avaient la moindre vocation à être subtiles. Mais parce qu’il sent que Ludvig est sur une bonne piste – du moins il l’espère fortement, pour sa propre santé d’esprit, il lui laisse un temps de réflexion. Après tout, ça l’embête qu’il pense que ses flirts à répétition ne soient qu’un moyen de combattre l’ennui (s’il savait…). Enfin. Dans un sens, ce n’est pas tout-à-fait faux, mais pas de la façon dont Ludvig semble l’imaginer. « You can tell me to stop, y’know ? If you don’t like it. » Une pause. « But I think you do, actually. Can’t fool me~ » chantonne le lémur avec un petit rire, confiant dans ce qu’il avance. Les réactions de Ludvig ne trompent pas : les bafouillages, les rougissements, les regards volés pas si discrets… Marcus est certain de ne pas se tromper. En revanche, il tient à écarter un accroc relevé plus tôt. Basculant sur le côté puis sur le ventre, à moitié affalé sur le torse du boxeur, il prend un instant pour l’observer sérieusement par en-dessous. « Do you really think I keep flirting with you only because I’m bored ? Aah Ludvig… I’m not that cruel. »

Ludvig, il a d’abord haussé un sourcil dans leur discussion sur l’émission de téléréalité à la réflexion de Marcus, se demandant où il voulait en venir - faut dire que le lémur semble avoir multiplié les sous-entendus, tant et si bien que Ludvig finit le réaliser au fil des minutes et par prendre conscience du sérieux, un peu, de la discussion, ou du moins mû par la fatigue et l’apaisement des dernières heures, souffle des constats sans vraiment y réfléchir. Ludvig, il regrette un peu dès que les mots sont prononcés.

Puis Marcus confirme aussitôt, et Ludvig il sait pas comment réagir, alors il dit rien, pour un moment. ça tourne encore et encore dans sa tête. Il ne sait pas comment le comprendre. Il ne sait pas si Marcus continue dans ses provocations, mais il ne peut nier que le ton employé semble de moins en moins avoir la même teneur joueuse de leurs débuts. Du moins, pas la même. Enfin, il croit. Mais Ludvig, il a toujours peur de se faire des films avec Marcus. Curieux, il ne dit rien, tente d’analyser les réactions du lémur. Le lémur qui reprend encore avec ses sous-entendus, avec ses taquineries, et instinctivement Ludvig reprend les siennes. “Yeah you wish, maybe you’re just desperate to get a taste” pour se préserver, aussi, il fait croire - mais la répartie est plus lente, moins assurée que d’habitude en contradiction avec ce qu’il pense être de plus en plus réel.

Marcus se déplace, et maintenant Ludvig peut voir son visage et il ne sait pas si c’est une bonne idée, d’autant plus avec les mots qui sont prononcés, qui résonnent, et ça lui cogne un peu à l’intérieur. Il l’observe un instant, sans rien dire. Y a le temps en suspens. Il dit toujours rien, Ludvig. A la place, son regard accroche le sien dans la pénombre. “Marcus” Un souffle. “Come here” Il s’entend demander, alors que son torse se soulève un peu sur l’inspiration qu’il prend.