band-aids don't fix bullet holes | mavig #4

Ludvig coupe le contact, le regard fixé sur son volant un instant; un soupir est exhalé de ses lèvres. L’écran de bord affiche 1:36pm. Ludvig doit remplacer Derek pour l’après-midi, Marcus a des réunions et autres interviews à enregistrer. Il grimace, observe son visage par le rétroviseur intérieur, les talents de maquillage de Gigi ont aidé à camoufler les contusions, la lèvre fendue, l'œil au beurre noire, aussi mais il est aisé de les remarquer si on s’approche trop. ça lui importe peu, mais il voudrait pas faire désordre, surtout maintenant que Marcus a repris le travail récemment. Il tourne un peu la nuque, cherche à se détendre sans y parvenir, et puis, enfile des lunettes de soleil - de toute façon ça fait bien garde du corps - et sort finalement de la voiture, réajuste sa chemise et son pantalon, grimace une nouvelle fois tant que personne ne le voit. L’autre type n’y a pas été de main morte, ça faisait un bail qu’il n’avait pas encaissé autant de coups, et Ludvig, il a mal partout. Il a mal au visage, il a mal aux mains, il a mal aux côtes - mais il préfère ça. C’plus facile de se concentrer sur ça, sur la douleur physique, que tout ce qui déborde dans sa poitrine. Ludvig, il a toujours besoin d'extérioriser, et sa façon, c'est la castagne. tout le temps, tout le temps. avoir mal en dehors pour moins avoir mal en dedans; c'est con, parce que souvent, à la fin, il a juste mal aux deux endroits. Mais il sait bien qu'il sait pas vraiment faire preuve d'intelligence, donc...
Il espère qu’avec les fringues plus habillées d’aujourd’hui, ça passera mieux.

Ludvig, il a pas envie d’y aller. Mais il a trop de principes, Ludvig, et il aime pas avoir laissé Derek prendre sa place, surtout pour un truc aussi important. ça lui ressemble pas de se défiler. Il se penche, récupère le café pour Marcus, claque la portière, verrouille la voiture et entre dans le bâtiment. Sous tension, Ludvig, qui tire la tronche, Ludvig, mais ça change pas trop de d’habitude d’apparence, après tout. Il a l’habitude. Il entre dans la pièce, salue Vivian, Derek, à qui il sert la main, ignore le shot de douleur qui lui remonte. Il écoute calmement son compte-rendu sans grande histoire de la matinée (tant mieux, il est pas d’humeur à gérer des imprévus aujourd’hui) et puis le laisse s’éclipser après l’avoir remercié.

Ce n’est qu’alors qu’il pose son regard sur Marcus, de l’autre côté de la pièce. Il se fait maquiller, et puis tant mieux qu’il soit occupé, et puis tant mieux qu’ils soient pas chez lui, Ludvig, il sait pas encore s’il est assez redescendu. Pourtant, il s’approche et dépose le gobelet de café devant lui. “Hey” Il dit rien d’autre, Ludvig, espère que Marcus est assez occupé avec ses préparations, et son téléphone qu’il lâche jamais. Ludvig, il est pas d'humeur, et il se sent bien trop sur le fil.

Il est nul, Derek. Il cause pas, il sourit pas, toujours un air vaguement dégoûté au visage comme s’il reniflait une odeur d’égouts en permanence, une coupe de cheveux ringarde… Marcus l’aime pas et râle à chaque fois que c’est lui qui remplace Ludvig, même si, il est bien forcé de l’admettre, il ne peut malheureusement rien lui reprocher question professionnalisme. Derek fait son taf puis Derek rend le tablier à la fin de son service et se casse sans se retourner. Derek est probablement un robot. Et contrairement à Ludvig à ses débuts, l’envie manque à Marcus de chercher à briser son masque de fer : ce qu’il trouverait derrière serait sans doute décevant et profondément… beige. Le type doit certainement vivre dans une pièce carrée vide et dormir (se mettre en veille ??) sur le dos, les bras parallèles au sol, branché sur une prise électrique.

Ça fait d’ailleurs une bonne vingtaine de minutes que Marcus sent le regard de Derek lui brûler la nuque depuis le coin de la salle où il s’est posté tel un garde royal, et ça commence à faire long. « I’m not gonna get jumped by a makeup brush, Terminator. You can relax. » qu’il lance à son attention sans lever le nez de son téléphone portable. Quel ennui. Le bout de sa queue s’agite impatiemment sous la chaise de maquillage et Marcus lâche un bref soupir tandis qu’on applique quelques paillettes sur ses tâches de rousseur. Il s’agit du dernier spot publicitaire à tourner en prévision des fêtes de fin d’année et, comme tous les ans, Marcus arrive à la mi-décembre avec une seule envie : annuler Noël et dormir pendant mille ans. Il ne l’admettra jamais tout haut, mais le retour à la vie active après son hiatus forcé à la ferme a été particulièrement violent. Il avait hâte de reprendre, mais entre l’emménagement, la nouvelle routine avec Ludvig qui n’a pas été évidente à instaurer et puis les diverses activités prévues par Vivian pour rattraper son retard et préparer les fêtes… Inutile de dire que le lémur anticipe la fin de journée avec impatience. Une soirée tranquille devant un film un peu nul et dans les bras de Ludvig, bien au chaud sous trois plaids, ça lui irait bien comme programme.

En parlant du loup, Marcus se laisse surprendre par le retour de Ludvig, trop happé par son fil Argo pour tendre l’oreille. « Hey- » répond-t-il avant de s’interrompre face aux jointures amochées du garde-du-corps qui vient de lui déposer son café. En relevant les yeux, il constate que son visage n’a pas été épargné, malgré les traces de correcteur pour camoufler la plupart des contusions.  « Well don’t ya look fresh and glowy… ! How’s the other guy ? » Marcus ricane, pas particulièrement étonné par la chose venant de Ludvig, au contraire plutôt amusé par les lunettes de soleil juchées sur son nez. Ça l’emmerde un peu de le voir ainsi tout abîmé, évidemment, mais il sait que la boxe est aussi un exutoire et ça ne lui viendrait pas à l’idée de lui demander d’arrêter. Tant que les blessures restent superficielles et sans danger. Alors au lieu de l’interroger plus sérieusement sur ses occupations nocturnes (c’était donc ça le fameux "truc à faire" à 1 heure du mat’ : jouer à la bagarre ? Un peu plus et il le soupçonnerait de traîner dans des trucs louches), Marcus lâche un soupir et attrape son gobelet pour y tremper les lèvres, avant de faire la moue. « Aw, they forgot the whipped cream. »

Ludvig est tendu. C’est un fait, c’est lourd sur ses épaules et c’est lourd sur son cœur et ça transpire de partout, même, il croit. Pourtant, il essaie. Voir Marcus lui gonfle le cœur autant que ça le serre avec violence, et il aime pas ça, franchement. Il a trouvé un confort avec Marcus, pourtant, ça arrive bien trop régulièrement qu’il se sente perdu. Qu’il se sente à côté. Qu’il ait peur, aussi, de ce qu’il y a entre eux. La liste est longue, des raisons pour lesquelles ça pourrait pas marcher. Mais il tait tout, Ludvig, parce qu’il préfère tous les risques. Il préfère ignorer, tant que Marcus est là. Mais aujourd’hui, y a trop de colère en lui, trop de colère qui est pas encore complètement descendue, et puis les muscles qui tirent encore, partout. Ludvig, il veut juste un canapé pour la journée, et pas lever son cul.

Heureusement, le lémur ne lui fait pas un discours moralisateur sur la soirée de la veille - et pas d’inquiétude, non plus, en même temps, tout est assez camouflé. Marcus, il se contente de ricaner et Ludvig hausse les épaules, clairement pas d’humeur, préfère avoir cette réaction. “I’m up and running. and he’s worse” Il répond simplement par automatisme, de son ton bourru habituel - c’est un mensonge, d’ailleurs, si Ludvig a gagné sur un coup de chance, l’autre l’a dominé pendant tout le combat. Mais Marcus a pas besoin de savoir ça.

Ludvig se déplace juste pour être plus ou moins en face de Marcus, adossé au mur à côté du miroir, sort son téléphone avec dans l’idée de replonger dans son silence et garde du corps pas commode. Du coin de l'œil, il peut apercevoir Marcus qui porte le gobelet à ses lèvres. Et puis, il y a ce commentaire, là. C’est pas grand chose. C’est pas dirigé contre lui. C’est même pas vraiment prononcé avec méchanceté, il la trouverait même cute, la moue de Marcus. Mais à cet instant, Ludvig l’entend comme un reproche, ça le tend et ça l’irrite aussitôt. “well im not freaking going back” ça s’échappe, sans qu’il le contrôle, parce qu’il est pas son larbin, et parce qu’il est trop frustré, encore.

Marcus se redresse imperceptiblement sur son siège en voyant Ludvig arriver. Le temps commençait à se faire long, sans lui. Il imagine que, quelque part dans le studio, Derek s’est volatilisé sans aucun bruit pour retourner se brancher dans sa pièce cubique jusqu’à sa prochaine tâche. Visiblement, le grand viking n’a pas l’air en forme olympique, à en juger par l’état de ses poings et les petites zones tuméfiées sur son visage, pourtant Marcus s’abstient de le lui reprocher, préférant la taquinerie. Sa réponse le fait sourire. « Good. » Parce que quitte à revenir tout abîmé, autant que l’autre type soit dans un pire état – même si, en toute honnêteté, le lémur a du mal à comprendre l’attrait qu’on puisse avoir pour ce genre d’activité. Se défouler oui, taper dans un truc pourquoi pas, mais se faire volontairement mal et potentiellement blesser par quelqu’un qu’on ne connait bien souvent ni d’Adam ni d’Eve ? Jamais d’la vie. Trop de risques que ça tourne au vinaigre. Trop violent pour son égo en cas d’échec. Non, il laisse ça volontiers aux grands bonhommes avec de gros biceps qui gèrent un peu mieux la frustration que lui.

Au moment de goûter son café encore chaud, l’idole ne peut s’empêcher de noter l’absence d’un ingrédient fondamental et s’en plaint ouvertement mais sans arrière-pensée, sur l’unique fondement qu’un Yeong aime se plaindre (et lui le fait particulièrement bien). Pourtant, Marcus relève aussitôt le nez de son gobelet et hausse les sourcils, surpris par l’agressivité de Ludvig. La remarque ne lui était même pas destinée, du moins pas comme un reproche. Ce n’est pas comme si c’était lui qui lui avait préparé son café en oubliant sciemment la sacro-sainte dose de crème. « Did I ask you to ? » rétorque-t-il en plissant les yeux, l’air confus, et l’ombre d’un sourire au coin des lèvres. C’est pas dans les habitudes de Ludvig de prendre la mouche, alors il préfère s’en moquer un peu. Ignorant les efforts de la pauvre makeup artist qui cherche tant bien que mal à ajuster la position d’une paillette sur sa pommette, Marcus incline la tête pour observer plus attentivement le garde-du-corps. « Why the sour face then ? Did someone steal all your M&M’s ? I swear it’s not me this time. »

Ludvig sait bien que sa réflexion acerbe est gratuite, qu’elle a pas vraiment lieu d'être, que Marcus ne pensait pas à mal, et ne le critiquait pas non plus. Mais il est difficile de rester froid quand dans le ventre c’est encore si serré, que la douleur est partout et que le manque de sommeil s’accumule, aussi. C’est pas malin. Mais bon, Ludvig, il réfléchit pas trop avant de faire les choses. Et il sait bien que s’il était pas allé se défouler la veille, la tension aurait été encore bien pire à gérer. ça n’a rien de simple.

Il essaie de redescendre, à la réaction de Marcus qui a l’air d'être à mille lieues de comprendre dans quel état intérieur il se trouve réellement (et tant mieux, il faut croire). Il hausse les épaules, tente de balayer le sujet; l’air de dire, whatever. “No, I guess” D’une éloquence impressionnante, avant de se renfermer dans son mutisme, parce que c’est mieux comme ça, et qu’il n’est pas d’humeur à discuter, vraiment. C’est mieux pour tout le monde. Ludvig quitte Marcus du regard et se focalise sur son téléphone, allant d’une application à l’autre d’un air absent. Ludvig, il pense qu’à René qui l’a bloqué. Marcus de ne pas laisser tomber le sujet, et Ludvig tente de rester dans une neutralité - toute relative, parce qu’à l’intérieur, ça s’est pas encore calmé. “Just had a rough night. not in the mood really” Il lâche dans un contrôle limité, comme retourné des mois en arrière quand il décrochait pas grand chose. Il regarde Marcus. Dans sa poitrine, ça se serre. Y a des émotions contradictoires et c’est dur à gérer. “you should stay still. you’re already late for the interview” Ludvig tente de clore la conversation, retourne sur son téléphone.

Y’a une moue insatisfaite qui s’accentue sur ses lèvres et un pli qui se creuse entre ses sourcils au fil des réponses on ne peut plus concises de Ludvig. Il aime pas se faire ignorer, Marcus, et là c’est pas beaucoup mieux. Alors il veut bien croire que sa nuit a pas été des plus agréables – suffit d’avoir des yeux pour constater son état – mais ce n’est pas une raison pour lui grogner dessus comme un ours mal léché. Il y est pour rien, lui, si Ludvig a voulu passer la nuit à se faire taper dessus. Qu’il assume, maintenant. « Okay, edgelord. » marmonne le lémur d’un ton moqueur, pour la forme, et parce que son attitude est un poil vexante. Marcus se renfrogne et se recale dans le dossier de son siège pour laisser la makeup artist terminer son travail, trempant de temps à autre ses lèvres dans son café avec un regard volé en direction de Ludvig qui a visiblement décidé de se murer dans son silence. Pff. « I’m not late. » Comme s’il allait le laisser avoir le dernier mot, en plus. Ce serait mal le connaître. « And it’s a shoot, not an interview. You would know that if you’d been there this morning. » La pique est gratuite mais Marcus s’en fiche, Ludvig l’a agacé. Il a bien une interview de prévue un peu plus tard dans l’après-midi, mais ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est que le garde-du-corps arrête de l’ignorer comme s’il n’était rien d’autre qu’une mouche irritante. « Thank God you came, by the way. » reprend-t-il avec un soupir dramatique et une idée derrière la tête. « It was getting a little too joyous in there. » Il en viendrait presque à regretter Derek. (Non.)

Le silence n’a rien de confortable tandis que Marcus finit de se faire maquiller et coiffer, à peine brisé par le murmure discret des stylistes autour de sa tête. Usé à l’exercice, Marcus fait bonne figure devant l’appareil photo et joue aisément le rôle qu’on lui demande d’interpréter, à base de sourires et d’airs émerveillés. A l’intérieur pourtant, le lémur vibre d’impatience. Il est pas dedans, son esprit est ailleurs, constamment attiré vers la large silhouette adossée au mur du fond – et son humeur qui s’assombrit un peu plus à chaque fois que Ludvig détourne le regard en l’ignorant ouvertement. Lorsque le clap de fin retentit, Marcus est le premier à s’esquiver du feu des projecteurs pour filer en ligne droite en direction de l’objet de son agacement grandissant. « Come. » ordonne-t-il sans préambule en attrapant son bras avant de l’entraîner dans une salle voisine, à l’abri des regards indiscrets. Tant pis s’ils entendent, c’est bien le dernier de ses soucis. « Will you tell me what your problem is ? » persiffle Marcus une fois la porte refermée derrière eux. Dans son dos, sa queue de diablotin fouette l’air telle un cobra sur le point d’attaquer.

Il essaie de ne pas rentrer dans la conversation, de ne pas laisser Marcus mener la discussion comme il le fait si bien habituellement. Ludvig veut juste rester dans son coin, faire son taf et puis décamper. Les choses sont encore trop fraîches dans l’esprit, et il n’a pas le recul nécessaire pour passer outre. Il hausse les épaules. “interview, shoot, it’s the same for me anyway.” Pas des plus agréable, ni très vrai d’ailleurs, mais il n’a pas envie de donner lieu à plus. “haven’t forgotten your appointments” Et puis faut dire qu’il a jamais compris grand chose à l’intérêt du monde de Marcus et à ses codes. Il hausse un sourcil, irrité par les mots du lémur mais ne répond rien. Il reste silencieux, évite soigneusement de dire ce qu’il lui passe par la tête, parce qu’il est presque certain que Marcus n’attend que ça pour lui balancer une nouvelle répartie cinglante et franchement, c’est une mauvaise idée, Ludvig sait bien qu’il tiendra pas longtemps à ce train là.

Heureusement Marcus est pris par son travail et la conversation n’a pas trop lieu de trop s’attarder (Marcus n’a pas le temps de chercher encore la petite bête). ça l’arrange. Le shoot avance, et le regard de Ludvig se perd quand il pense être à l’abri de son regard. Son attention se perd sur sa silhouette, et lui se perd dans ses pensées contradictoires. Il y a des choses sur lesquelles ils ne se sont pas expliqués. Le sujet qui fâche n’a pas été remis sur le tapis depuis l’accident du stalker. Comme si, d’un commun accord, ils ont décidé d’éviter soigneusement la chose. Mais à force, ce n’est pas bon, sans doute, et la frustration grandit. Quand les yeux de Marcus rencontrent les siens, ces derniers fuient, l’ignorent.

Ludvig il pensait pouvoir s’en sortir comme ça de toute la journée, mais c’était sans compter sur l’impatience de Marcus qui ne supporte pas quand les choses ne vont pas comme il veut, et qui l’entraîne à sa suite dans une salle vide avant que Ludvig puisse dire quoique ce soit. ça l’excède, quand il fait ça. Quand il lui donne des ordres et qu’il s’attende à ce qu’il lui obéisse sans broncher. De toute façon, tout l’excède, aujourd’hui, depuis la veille.

“I don’t have a freaking problem!” Il grogne, reprenant son bras. A d’autres, il est évident que c’est faux. La mâchoire est serrée, alors qu’il cherche à se contenir. “Can we just… go forward with the day and not talk? I’m really not in the mood Marcus.” Il voit la colère et l’irritation sur les traits de Marcus. Il les voit bien, alors il reprend aussitôt avant que le lémur puisse l’interrompre. “I’m sure you don’t want to hear about René, yes?! So fucking drop it”

Autant l’air ronchon affiché par Ludvig à son arrivée aurait pu ne susciter qu’amusement et curiosité, autant les réponses de trois mots et demi et l’attitude glaciale qu’il lui imposent ne peuvent si aisément être ignorées. Ça allait forcément coincer quelque part et il aurait dû s’en douter, le grand dadais. Alors au bout d’une demi-heure à subir ses regards détournés derrière les flashs des caméras, Marcus perd effectivement patience. S’il a quelque chose à lui reprocher, qu’il crache le morceau et vite : il déteste ce genre de petits jeux.

« Sure you don’t ! » raille-t-il en réponse au mensonge flagrant, pas d’humeur à se laisser prendre pour un con. Campé de toute sa hauteur, Ludvig semble retenir ses mots pour une raison qui lui échappe – et l’agace profondément. Marcus ne se laisse pas démonter, dos droit et menton haut, prêt à encaisser et rendre les coups au besoin. Il ouvre déjà la bouche, le venin au bord des lèvres… mais la suite lui coupe l’herbe sous le pied. « René !? Wh- » C’est bien la dernière chose à laquelle il s’attendait. Y’a une demi-seconde de flottement, et puis la colère qui redouble, exacerbée par l’incompréhension et l’amertume de revoir un tel sujet remis sur le tapis. « What the fuck has he got to do with anything !? What about René ?? » En ce qui le concerne, René a été rayé de sa vie il y a des mois et il n’a certainement pas envie de revenir sur cette humiliation. L’échange houleux de la veille par SMS était déjà de trop. A ce souvenir, y’a un sentiment désagréable dans le ventre de Marcus à l’idée que, d’une quelconque manière et comme il l’a fait avec lui, René soit retourné quémander sa dose d’attention manquante auprès de Ludvig. La question fatidique lui brûle la langue, autant que la jalousie qui frémit dans ses veines, mais Marcus se retient… pour l’instant. « We won’t get out of this room before you explain, so spill it now. » ordonne-t-il froidement, poings serrés pour contenir son irritation.

Le prénom maudit est lancé, et la réaction est immédiate. Ludvig ne peut pas dire qu’il ne s’y attendait pas - c’est bien pour cette raison qu’il s’est efforcé de garder les choses pour lui pendant toute la journée. C’est évidemment un échec cuisant, mais il sait également pertinemment que Marcus ne l’aurait pas lâché jusqu’à ce qu’il crache le morceau, et même si Ludvig ne supporte pas quand il est comme ça, il préfère du moins retirer le pansement d’un coup sec. Au moins, c’est fait.

Mais vraiment, vraiment, Ludvig n’a pas hâte de la discussion qui se profile - si ça reste au stade de la conversation, et rien n’est moins sûr vu comment Marcus fulmine déjà. Et ça ne fait qu’augmenter sa propre irritation. “For fuck’s sake… see! That’s what I was talking about!” Pourquoi Marcus n’aurait pas pu laisser tomber? Mais bien sûr, c’est mal connaître Marcus - Marcus dont les injonctions sans détour le foutent sacrément en rogne. “Or what you think you can stop me if I decide to leave the room?!” Il a envie de cogner des trucs, Ludvig. Pas Marcus, bien sûr, jamais Marcus, mais ça le démange. Faut croire qu’il s’est pas pris une assez bonne raclée la veille. Il aurait dû demander à Derek de couvrir toute la journée, mais il a trop de conscience, putain. Mais bon, la vérité c’est qu’Ludvig partirait jamais sans laisser une sécurité à Marcus, et l’un comme l’autre le savent pertinemment, donc, vraiment, il a pas vraiment d’échappatoire et ça le fait chier, vraiment, parce qu’il a pas envie de parler de ce qu’il ressent à Marcus, parce que Marcus sera incapable de comprendre, vu comment il pète les plombs dès que René est impliqué. “René blocked me cause he apparently doesnt give a single fuck. happy now?! Now drop it ”

Il est con parfois, Ludvig, et rien à voir avec un quelconque niveau d’intelligence. Le garde-du-corps a par contre une sale propension à se monter la tête dans son coin pour pas grand-chose et à refuser farouchement toute tentative de discussion, tel un vieil ours borné. En ce qui le concerne, entre l’ours et le lémurien, Marcus sait sur lequel placer sa mise. « I don’t think, I know I can. And you do too. » retorque-t-il du tac-au-tac, son regard le mettant au défi de prétendre le contraire. Non seulement Ludvig est trop professionnel pour ça, mais il serait bien incapable de le repousser physiquement si Marcus se mettait en travers de son chemin vers la porte. La preuve, il n’essaye même pas de le faire. Le lémur sait qu’il a l’avantage dans cette situation et compte bien en profiter pour lui tirer les vers du nez.

Alors il pousse et il insiste et tente de son mieux de masquer la douleur sur ses traits lorsque Ludvig lâche le nom de René. Honnêtement, il ne sait pas sur quoi se mettre en colère en premier, Marcus, entre le fait que l’imbécile cause toujours à René depuis cet été (et que son coup de colère en automne n’y ait visiblement rien changé), le fait qu’il est littéralement en train de se plaindre de son ex-fling-whatever et qu’il s’attend apparemment à de la compassion de sa part (??) ou le fait que Ludvig soit si putain d’étonné que le sujet l’atteigne toujours autant. Ce qui est sûr, c’est que c’est pas le manque d’audace qui l’étouffe. « Ask me to drop it one more fucking time, I swear- » gronde Marcus, poings serrés, avant de se forcer à prendre une inspiration pour se calmer. Putain. Quel con. La déception est si grande, c’est une gifle en pleine gueule, ni plus ni moins. Et dire que depuis tout ce temps, Ludvig n’a toujours pas compris. Rien, nada, que dalle. Marcus ne s’est jamais attendu à recevoir des excuses, évidemment, mais rien que de faire le rapprochement entre sa colère et René ? C’est trop demandé, apparemment. Marcus relâche son souffle, considère l’expression fermée de Ludvig, échappe un bref éclat de rire dénué de tout humour. « So you’re telling me – and please correct me if I’m wrong, » Une pause, le sarcasm dégoulinant de ses mots. « that you’re upset about your ex-fling cutting ties with you ? That’s it ? And what, you expect me to be sad for you on top of it ? Are you fucking serious right now, Ludvig ?? » Un rire, encore, alors que sa queue de diablotin virevolte de façon menaçante derrière ses jambes. « No 'cause you better have a better explanation or we’re gonna have a much worse fucking problem. »

Ludvig se braque. Il se braque à cause de l’assurance dans les mots de Marcus, son attitude fière et inflexible, son regard vif et impérieux. Tout le tend, l’irrite profondément, surtout quand il lui est impossible de rétorquer la moindre remarque, parce que Marcus sait qu’il ne partira jamais en le laissant seul. Ludvig sait bien que la colère était à attendre. Marcus n’a jamais su être calme quand il s’agit de René. Ludvig a depuis compris qu’il s’agit d’une jalousie, il peine juste fortement à la comprendre, au vu des circonstances. Pourtant, Ludvig n'a pas envie de blesser l'homme qui partage sa vie désormais, mais il ne veut pas non plus lui mentir. Alors, le prénom maudit est prononcé. Et bien sûr, Marcus part au quart de tour. “Yes???” Il attend; Ludvig, qu’il lui crache son venin au visage.

Il déteste quand le lémur est comme ça. Il déteste son rire froid, le sarcasme dans ses propos, la colère dans son regard, le jugement dans sa voix. Il déteste encore plus que ça lui soit destiné, que ça lui donne l’impression d’être un opportun sans importante qui gravite autour de Marcus tous les jours et qui subit ses foudres. La colère monte, monte. Ludvig, il ne voulait pas se mettre en colère. Il voulait juste éviter le sujet. Il voulait juste- pas y penser. “He’s not-” Une pause il prend une inspiration pour tenter de ne pas perdre le contrôle “I wasn’t expecting you to be sad about it at all, I freaking knew you’d react like that precisely why I didn’t want to say anything to begin with” Il pense à Gigi. Il pense à ses mots. Et puis, il essaie de se calmer, malgré tout ce qui bout à l’intérieur. Il inspire longuement. “i don’t want to hurt you Marcus, but I can’t talk to you about it, I tried, I fucking tried to calm things down before what happened but everytime I was trying you were yelling some more” Il avait pris sur lui pourtant. Le jour même, le lendemain, avant qu’ils arrivent dans l’appartement dévasté. Mais la colère de Marcus n’avait pas désempli. “Why would today be any different? I got the part where you don’t want to hear about René. So…”

Elle enfle à toute vitesse, la frustration ; ça prend toute la place à l’intérieur. Marcus boue et ça doit se voir sur son visage et dans la tension de son corps à quel point il lutte pour ne pas couper Ludvig au milieu de sa phrase pour le faire taire. Ses mots le blessent bien plus profondément qu’il ne peut se l’avouer, mais c’est son attitude qui lui fait le plus mal : lui qui se targue à qui veut l’entendre de ne jamais vouloir lui faire de mal, il y arrive pourtant merveilleusement bien. « And I have a right to feel hurt !! I’m not the fucking villain in your damn narrative, Ludvig, even though you seem to think I’m this insane lunatic who gets angry at every opportunity ! » Ça explose, ça y est, tel un barrage vieux de plusieurs mois qui saute enfin sous la pression du torrent. Y’a un étau qui lui écrase la gorge, douleur physique en écho de sa colère mouillée. Les yeux restent secs. « Fuck you actually ! » Il n’a pas le droit de jouer à la victime, il n’a pas le droit. Marcus refuse.

Marcus, il en viendrait à se demander si l’autre ne fait pas exprès de ne pas comprendre. Avec tout ce qu’il s’est passé depuis octobre, avec tous les sentiments avoués, les baisers et les promesses échangés sous les draps, il n’arrive tout simplement pas à croire en sa bonne foi. Et la violence de la réalisation est terrible, ça l’étouffe. À quoi est-ce qu’il joue, bon sang ? « You know perfectly why I hate that guy and how- how wronged I felt and still feel about this whole thing and you- you dare bring this up like I’m the bad guy who yells for no reason ?? Yes I’m gonna yell, and yes I’m gonna be angry ! What did you fucking expect ?! » Non vraiment, qu’on vienne lui expliquer. Il se sent profondément con, Marcus, dans ses habits hors de prix et ses paillettes festives qu’il n’a pas pris le temps de retirer. Mais Ludvig, au moins lui, devrait pourtant être capable de le prendre au sérieux, non ? La colère lui brûle les joues alors que les souvenirs d’octobre – volontairement enterrés – refont surface malgré lui, et avec eux la jalousie perçante ressentie pour la première fois. Quel merdier. Marcus serre les dents, pince les lèvres, toise Ludvig sans s’embarrasser une seconde de la différence de taille. Il n'a pas l'intention de céder.

“I’ve never fucking said you were!!” ça dégueule, et c’est douloureux, à l’intérieur, il fulmine, que Marcus arrête pas de mettre des mots sur ce qu’il a pas dit - sur ce qu’il exprime mal, sans doute. Ludvig, il ne connaît pas ce genre de situation. Faut dire, il a jamais vraiment été en couple avant, il sait pas, mais ce n’est qu’une partie de l’équation. L’autre aussi, elle est caduque. Ludvig, quand on le provoque, quand on l’agace, qu’on lui tient tête sans le laisser souffler - il préfère cogner. C’est tout ce qu’il connaît. Mais ce n'est pas possible, avec Marcus. Il en a pas envie, même s’il en avait envie il en serait incapable. Du moins, il l’espère, Lulu, qu’il sera toujours incapable de lever la main sur lui. Parfois, il a peur que sa noirceur le prenne et l’emporte. Parfois, il a peur de devenir ce qu’il hait au plus profond. Alors que Ludvig, il a jamais pensé à faire du mal à Marcus. Alors que Ludvig, il veut éviter les conflits, il veut souffler dans son coin, ignorer, passer à autre chose, alors qu’il sait pertinemment que c’est pas sain. Son psy lui a dit, Gigi, lui a dit, tout l’monde lui a dit. Mais il sait pas comment s’faire comprendre de Marcus. Il sait pas comment comprendre Marcus, non plus. ça l’fait péter les plombs. Il a peur que Marcus découvre des trucs laids d’l’intérieur, des trucs qu’personne devrait connaître, p't'être.

La furie blonde ne s’arrête pas, devant lui, et Ludvig a l’impression d’perdre pied. Il comprend pas ce qu’il a fait pour en arriver là, il comprend pas Marcus, il comprend pas la situation, ni pourquoi ils doivent faire ça là, aux oreilles de tout le monde, comme s’ils pouvaient laver leur linge sale comme ça. Stupide, dangereux, stupide, stupide. Ludvig aurait jamais dû venir. “Nothing Marcus! Fucking Nothing!!!” Une inspiration. Il a envie de péter des trucs - il a envie de fuir. “I didn’t want to talk about this because we only ever fought about this and I don’t see what good it will do?! You fucking act like I know the whole thing, Like I should know better, freaking understand everything! but you know what, no, I don’t know why you hate him that much! I’m sorry, but I don’t. I don’t understand! I never fuckin cheated on you - and I would never, I’m no asshole!-, we weren’t together then, me and him were both freaking lonely, there’s nothing about it! Obviously you don’t think this way but you never explained. You never explained and I don't get it!”

« That’s not what I- » Ludvig explose à son tour et, malgré une pointe de satisfaction sadique à le voir enfin lâcher son calme légendaire, Marcus se retrouve rapidement submergé. Trop rapidement à son goût. « You’re not- » Il voit sa propre frustration se refléter dans les yeux du boxeur et ça ne lui plaît pas, pas du tout. Ses mots sont comme des coups, justes et précis, et le lémur a du mal à tout esquiver. Y’a plus vraiment de rationalité qui tienne, quand l’égo est touché. « Why do I hate- For fuck’s sake Ludvig, there’s no way you don’t hear yourself right now ! He’s your ex, obviously I’m gonna hate him ! That’s like- basic ass human reaction, no ? Am I fucking crazy ?? No sure, let’s befriend the exes ! Let’s all be besties then, why the fuck not ! Shall I introduce mine to yours first or shall we gather them all for a fucking barbecue ?! » Il s’entend brailler Marcus et, même à ses propres oreilles, il sait que ça sonne faux. La mauvaise foi est criante, ça grince dans ses tympans, mais à ce stade il a juste envie de renvoyer la balle le plus fort possible dans un vieux réflexe défensif. Comme si ça allait suffire à détourner le vrai sujet. Parce qu’évidemment que ses accusations sont injustes et profondément fausses : ce ne sont pas les exes le problèmes – pas vraiment. C’est bien plus insidieux que ça. « Do you think- do you think I wouldn’t care that you fucked one of my closest friends !? That- out of everyone – you went for the tall pretty guy in the mini-skirt and the pretty hair and the goddamn- fuck, you can’t- » Le souffle qui s’étrangle sur un éclat de rire incrédule. Pour la première fois depuis qu’ils se sont enfermés dans cette pièce, Marcus détourne les yeux. Il en a trop dit, ou pas assez, mais les connexions se font quand même dans son esprit – et il l’espère dans celui de Ludvig – et ça dérape trop rapidement dans un territoire inconfortable. « Come on, don’t make me explain ! You- » Le lémur grogne et rouspète, une trace de désespoir dans la voix alors que Ludvig, étouffant de sincérité, ne lui accorde aucune clémence. « What the hell… » Ça y est, il sent la honte lui enflammer le visage et il a juste envie de s’arracher la peau à coups de griffes pour s’en débarrasser. Il ne s’attendait pas à se retrouver dos au mur, piégé par ses propres accusations, à ce que Ludvig le mette face à ses propres contradictions. Marcus renifle, tâchant de retrouver contenance dans sa colère alors que sa gorge est aussi sèche que le désert du Sahara. Et puis merde. « I liked you ! I liked you and you were the only person I’ve ever liked this way and I wanted- I didn’t know- I didn’t know what exactly… Ah for fuck’s sake, I hate this. » C’est une réelle torture pour l’égo que de devoir s’expliquer, l’impression d’être un gosse dont on a déjà décidé de la culpabilité pour une bêtise qu’il n’aurait pas commise. Ses joues le brûlent, c’est insupportable. Pendant une demi-seconde, Marcus songe à fuir plutôt que de continuer ce plaidoyer débile, mais y renonce aussitôt : y’a encore trop de non-dits qui pourrissent à l’intérieur, faut que ça sorte une bonne fois pour toute. « I feel so fucking stupid… I liked that you were always close to me and I thought you liked me too, at least enough to not quit, so I thought maybe- » Une pause, ses ongles parfaitement manucurés qui s’enfoncent douloureusement dans les paumes de ses mains. « It’s just- I wanted you all to myself, without even realizing what that feeling was- and then you went for René and I wasn’t so sure of anything anymore – talk about a damn reality slap. » Rien que de s’en rappeler fait remonter la bile dans sa gorge, il se souvient encore de la façon dont son estomac lui est tombé dans les talons à la lecture de ce fameux commentaire laissé par René sur l’Argo de son garde-du-corps. La façon dont quelque chose – dont plusieurs quelques choses se sont brisés à l’intérieur. Marcus inspire à travers la boule qui l’étrangle, ignore farouchement les picotements traîtres aux coins de ses yeux. « And I know, I know what you’re gonna say, so spare me, okay ? I know I sound crazy and I know you think I have no right to- fuck, I know ! Okay ? I know !! I don’t wanna hear it ! Doesn’t remove the fact that I feel like shit every time you mention him. »

Ludvig finit par exploser, et il s’en voudra plus tard, mais faut que c’ça sorte, et puis il arrive à sa limite, se trouve incapable de faire quoique ce soit d’autre - sinon, il fuit, et les choses ne feront qu’empirer même si éviter la confrontation est tout ce que son instinct lui hurle. A la place, il sort tout, ou beaucoup, il gueule un peu, il cherche à le pousser, il cherche à comprendre, surtout, cherche à faire sens de ce qui est pour le moment parfaitement en dehors de sa compréhension. Marcus, qui s’fait pas prier (jamais), dont le flot de paroles ne s’arrête pas, ni la colère, ni tout le reste, ça dégueule, comme lui, et si y a ptet une chose qu’il le rassure dans tout ça, c’est qu’il semble aussi mal gérer la situation que lui. Ludvig l’écoute déblatérer, et il n’en croit pas ses oreilles, comprend pas une seule seconde comment il peut parler comme ça “My - what the fuck?!” Le terme est si profondément ridicule au vu de sa non existence, et Ludvig roule des yeux, s’arrête parce que Marcus continue sa tirade, ne le laisse pas en placer une, continue à utiliser des termes complètement improbables au vue des circonstances - le lémur fait une pause, Ludvig tente de s’imposer, vif. “and the what?!” Un léger silence, et y a autre chose, là, alors que le lémur dévie le regard, et Ludvig le remarque, mais le comprend pas, voit juste une perte d’assurance, une frustration qui monte - ça le surprend, aussi, de le voir commencer à perdre ses mots, lui qui est toujours si vif et rapide de répartie. “I what, Marcus?!” il demande, un poil exaspéré, au bout.

Y a un basculement, tout à coup. Des mots qui sortent, des révélations, des trucs du coeur, Ludvig est stupide mais pas assez pour pas le capter. ça dégueule dans les mots mais ça transpire de partout, aussi, des poings serrés et des joues rouges de colère, et de la voix, et pour la première fois, Ludvig il capte autre chose qu’une jalousie ou une colère mal placée, dans toute cette histoire. ça l’cogne au cœur, Ludvig, mais pas autant qu’l’humidité dans les yeux de Marcus et la peine dans sa voix.

“Marcus I-” ça commence, mais ça s’arrête. “i don’t-’ ça tourne et ça tourne dans sa tête et Ludvig essaie d’faire sens de tout, mais tout se brouille, les mots se répètent, y a sa douleur dans l’coeur, sa colère qui s’épuise et puis Marcus. Toujours Marcus. “How could you think I didnt-” Il est pas assuré, Ludvig, à vrai dire, complètement décontenancé, perdu, aussi. “I was just trying to get over- I wanted-” Incapable de terminer ses phrases, dos à un mur infranchissable, terrible, qu’il lui faut escalader à la seule force des bras. “You were my boss, you were out of my league, you still are, it was stupid to ever think it could- I was trying to get you out of my system! That night I was just- i was freaking miserable, and he was too, and we were just fucking miserable together, it doesn’t mean anything, it never meant anything, for both of us, we just-it was nothing. After that we just… we talked and we became friends. that’s the only story there is to it” il prend une inspiration, un peu, se rappelle de ses mots. Il voudrait faire quelque chose d’son corps, mais il est complètement fixé sur place, dans son embarras, dans tout c’qui sort et qui l’fait se dégonfler brutalement. “I have no exes, Marcus. I’ve only ever done - I’ve only ever gotten one night stands. Until I got you.” Il lâche dans un souffle.

Face à lui, Ludvig ne bronche pas d’un iota. Au contraire, il se montre implacable alors qu’il le presse à finir ses phrases, faisant monter cette pression invisible et pourtant quasi tangible dans la petite pièce. C’est comme frapper dans un mur en briques avec des gants de boxe en espérant le faire chuter aussi aisément qu’une planche en bois : inutile, profondément frustrant, et potentiellement à risque de se blesser soi-même. Alors ça dégueule un torrent d’émotions sans queue ni tête, un discours qui s’éloigne du sujet pour aborder involontairement cet amas dégueulasse qui pourrit à l’intérieur de son système depuis des semaines : faut qu’ça sorte, d’une manière ou d’une autre. C’est tout son ressentiment qu’il hurle à la face de Ludvig, comme si ça allait enfin le réveiller – lui faire comprendre.

Mais Marcus, aussi beau-parleur qu’il est, n’a jamais été doué pour exprimer ses sentiments les plus vulnérables. Ça ne fait que s’embrouiller un peu plus là-haut, comme un tas de nœuds mouillés : entre la colère, la jalousie, la honte et les explications de Ludvig qu’il ne veut pas entendre mais qui lui explosent tout de même à la figure, Marcus perd pied. Il en veut pas, de ces excuses. Tellement plus simple de se foutre des œillères et de se complaire dans une haine justifiée ; tellement plus simple d’être persuadé d’avoir raison et de foncer tête baissée. Il veut pas se faire amadouer par l’air sincèrement paumé de Ludvig, il veut pas céder, il veut pas retirer ses griffes de cette colère et de cette rancune qu’il nourrit depuis octobre, il veut pas-

L’idole renifle, pince les lèvres et détourne le regard à nouveau. Au final, au lieu de le rassurer ou de le réconforter, Ludvig ne fait qu’empirer les choses en cherchant à lui expliquer. Marcus se sent juste de plus en plus con, dépossédé de ses armes qu’il a pourtant si soigneusement polies, et vidé, maintenant que le plus gros de sa colère est passée et que ses plus grosses insécurités viennent d’être exposées au grand jour. « Right… » Un souffle, un rire dénué d’humour. Y’a une part de lui qui aimerait croire les mots du garde-du-corps, mais y’en a une autre – plus puissante – qu’est déjà en train de rebâtir les murs qui viennent de tomber en le traitant d’imbécile naïf. Marcus inspire et serre les poings pour les empêcher de trembler, se fait violence pour continuer d’alimenter sa propre colère qui s’épuise à vue d’œil, en miroir à celle de Ludvig. « Ugh, I don’t care if you slept with half of New Blossom for funsies or had five or a hundred exes. Truly, I don’t. » assène-t-il en ramenant enfin son regard dans les iris bleues. L’estomac qui se tord à y trouver une espèce de douceur, malgré tout. « But you went for him and that’s the whole fucking point, isn’t it ? » Sa voix craque sur la dernière syllabe et Marcus aimerait que le sol s’ouvre en deux pour l’avaler tout entier. Il a juste envie de partir, en fait. Tourner les talons et claquer la porte, se planquer dans un coin pendant quelques heures pour retrouver contenance et soigner son égo mal-en-point. Cette dispute ne mène à rien, de toute façon : Ludvig attend visiblement qu’il admette avoir eu tort sur toute la ligne – avoir eu tort à propos de René – et c’est quelque chose qui n’arrivera pas, alors… « Y’know the best part of it though ? He knew. René was my friend and he knew. He knew I liked you or however I felt about you, yet he didn’t hesitate for one second to go behind my back and betray the little trust I had in him. Funny, huh ? » Marcus esquisse un bref sourire qui ne remonte pas jusqu’à ses yeux ; un masque affligeant, vraiment. Dans son dos, sa queue pointue a cessé de fouetter l’air et se tient basse, presque immobile. « At least I would’ve laughed, if I were him. » Pourquoi ne pas sauter sur l’occasion, après tout. Tellement de gens en rêvent.