the curious case of the bun in the oven (GABRIEL & SELEN)

“I believe that what we become depends on what our fathers teach us at odd moments, when they aren't trying to teach us. We are formed by little scraps of wisdom.” @Gabriel Mehrmann & @Selen Mehrmann

TW : grossesse surprise.

Ne panique pas. C’était la seule chose que Lua avait trouvé à lui dire, dans son infinie sagesse. Comme si elle lui avait annoncé qu’elle avait fait brûler une fournée de muffins ou raté un glaçage, ces petites choses du quotidien qui semblaient terribles sur l’instant, mais n’avaient aucun impact réel sur le reste du déroulé de son existence. Evie avait eu un petit rire nerveux en lisant le message de sa sœur. Elle lui disait de ne pas paniquer, comme si elles n’avaient pas les mêmes parents. Alors qu’elle, elle devinait déjà l’incident diplomatique à la maison quand elle annoncerait la nouvelle à son père – à Gabriel. Elle avait voulu tâter le terrain, prendre ses précautions (à défaut de l’avoir fait correctement avec Duncan, apparemment). Du coup, après moult réflexions, elle avait décidé d’annoncer la nouvelle à Selen. Elle s’y était prise de façon aussi subtile que possible, elle lui avait demandé de passer à la boutique récupérer ses invendus du jour pour les patients de l’institut et quand le cinquantenaire avait passé le pas de la porte, elle l’avait pris en embuscade. Elle avait promis qu’il y aurait bien des cupcakes et un super fondant au chocolat à emporter, mais pas avant qu’elle lui ait annoncé la nouvelle. Pendant les trente secondes où elle avait cherché son angle d’approche, le pauvre avait dû s’imaginer tout et n’importe quoi. Puis l’air de rien, elle avait juste dit quelque chose comme : « Rien de grave, je suis juste enceinte. » Pas croyante pour un sou, Evie avait quand même adressé une petite prière rapide à tous les dieux de la création, les suppliant d’aider la nouvelle à passer comme une lettre à la poste. Avec Selen, ça aurait pu, pour peu qu’elle y mette les formes et un timbre prioritaire. Si elle l’avait fait venir seul, ce n’était pas pour le plaisir de distiller la nouvelle au compte-gouttes. Evie n’était pas très douée pour garder des secrets, elle était du genre à gâcher une surprise parce qu’elle ne savait pas tenir sa langue. Mais là, il s’agissait tout de même de prendre des pincettes, pour éviter à Gabriel un second infarctus. Elle comptait sur Selen pour l’aider à avaler la pilule, arrondir les angles, l’empêcher de partir en vendetta contre le responsable de sa condition. Il fallait dire qu’Evie, elle n’avait parlé de Duncan à personne. Enfin si, un petit peu à Lua, mais sans trop en dire. Parce qu’elle la connaissait, sa sœur. Elle était du genre à lâcher une information croustillante comme ça entre le plat de résistance et le dessert, juste pour voir la tête que leurs parents feraient. Evie imaginait sans peine Selen murmurer un petit je suis contente pour elle pendant que Gabriel s’emparerait du couteau le plus aiguisé du tiroir.

Pour adoucir le choc, Evie avait donc décidé d’en informer Selen d’abord, avec le vif espoir qu’il sache préparer psychologiquement sa tendre (si, si) moitié à l’annonce. Elle lui avait demandé deux jours, le temps de remettre un peu d’ordre dans ses idées et… Elle aussi, il fallait qu’elle se prépare. L’annoncer à toute la famille, ça rendait la chose concrète. Pour le moment, ça lui faisait encore l’effet d’une mauvaise blague. Elle avait d’ailleurs ri, nerveusement certes, quand le premier test de grossesse avait affiché les deux petits traits qui signifiaient un résultat positif. Parce que ce n’était pas au programme de sa vie. À tort, sans doute, elle n’avait jamais pensé à ce qu’elle ferait si ça lui arrivait un jour. La maternité, elle n’y pensait pas, ça ne faisait pas partie de ses plans, que ce soit sur le court, le moyen ou le long terme. Elle avait sa boutique, ses amis, sa petite vie tranquille… Et Duncan. Elle avait à peine eu le temps de se dire que ça pourrait être sérieux entre eux qu’elle se retrouvait en cloque. Elle ne lui avait toujours rien dit, elle l’évitait un peu à vrai dire, mais elle l’imaginait sans peine s’étouffer avec son espresso du matin quand elle le ferait. En parlant de café, avant de se rendre chez ses parents, elle avait demandé à Selen d’éloigner Gabriel de toute source de caféine pour la journée, histoire qu’il ne soit pas déjà prêt à démarrer au quart de tour quand elle ouvrirait la bouche. L’histoire dirait s’il avait réussi ce tour de force ou si elle n’avait plus qu’à s’en remettre au destin.

Parce qu’elle ne se pointait jamais les mains libres, et que ça la détendait de pâtisser (stress baking, anyone?), elle avait préparé un red velvet cake de folie, qui serait probablement englouti de dépit au cours de la soirée. Elle avait aussi mis son téléphone sur le mode silencieux, au cas où l’application liée à son implant aurait la merveilleuse idée de trahir sa nervosité en l’alertant sur le rythme élevé de sa fréquence cardiaque (elle oubliait un sacré détail – Selen et Gabriel l’avaient aussi). Sourire nerveux collé sur la figure, elle frappa à la porte et attendit sagement qu’on vienne lui ouvrir. C’était déjà le signe qu’il y avait anguille sous roche, ou baleine sous gravillon, comme aurait dit sa mère. En général, elle se contentait de sonner pour annoncer qu’elle était là et faisait aussitôt une entrée fracassante. Au lieu de ça, elle resta bien à sa place sur le perron, jusqu’à ce que Gabriel vienne lui ouvrir. Elle aurait préféré que ce soit Selen, histoire de prendre la température en étudiant son expression et sa démarche, mais tant pis, dommage. « Bonsoir, bonsoir, livraison express du dessert ! Avec double dose de cream cheese pour les gourmands. Il vaut mieux le garder au frais, sinon le glaçage va faire la tronche. » Et avec toute la délicatesse dont elle était capable (c’est-à-dire, aucune), elle colla le carton contenant le précieux gâteau dans les bras de son père, avec l’espoir qu’il irait vite le mettre au frigo. Elle sautilla jusqu’à Selen, et avec le prétexte de déposer un baiser bruyant sur sa joue, posa la question fatidique, en serrant un peu les dents. « Il est de bonne humeur, alors ? » La vérité importait peu, au fond. Si la réponse était non, pour son bien, il fallait qu’il mente. Un tout petit mensonge de rien du tout, pour lui éviter de perdre tout son courage, à la façon d’un soufflé au fromage qui retomberait d’un coup.    

made by valkyrja

“I believe that what we become depends on what our fathers teach us at odd moments, when they aren't trying to teach us. We are formed by little scraps of wisdom.” @Gabriel Mehrmann & @Selen Mehrmann

TW : grossesse surprise et ses symptômes.

Ça n’allait pas être de la tarte, cette histoire. Selen était plus tendu que la corde d’un arc et Gabriel avait beau être dans le flou, il n’était pas complètement à côté de la plaque pour autant et finirait bien par réaliser qu’on lui cachait quelque chose. Ce qui laissait à Evie une fenêtre d’action relativement mince. Pour autant, lâcher sa bombe comme ça, comme si de rien n’était ? Mince alors, elle n’oubliait quand même pas que l’un de ses parents était cardiaque. Elle avait beau avoir demandé à Selen de tâter le terrain et de préparer sa moitié à l’annonce, ça promettait de ne pas être une mince affaire. D’abord parce que Selen était aussi doué qu’un gamin de deux ans pour mentir à Gabriel, et ensuite parce que la tâche n'était pas franchement évidente. Comment était-il censé le préparer à la chose sans rien lui dire ? Il ne pouvait pas lui dire qu’Evie avait un truc d’ultra important à leur annoncer sans détailler la chose. Son père était bien du genre à le presser comme un citron pour lui faire cracher le morceau. Elle voulait bien y aller en douceur, mais… Elle n’était pas sûre de savoir comment. Ni sa mère ni son père n’étaient délicats, donc Evie ne possédait pas cette qualité non plus. Son genre à elle, c’était de foncer dans le tas, de la même façon que son paternel avait tendance à cogner en premier et à poser les questions ensuite. Tel père, telle fille. Si on cherchait de la délicatesse, ce n’était pas chez eux qu’on allait la trouver. En temps normal, Evie était plutôt contente de son caractère franc et affirmé, mais là… Là, elle aurait bien aimé posséder ne serait-ce qu’un tout petit peu de tact. Mais d’une façon ou d’une autre, il faudrait bien qu’elle finisse par cracher le morceau. Ce n’était pas comme si elle pouvait cacher à Gabriel sa grossesse infiniment, déjà parce que ça finirait vite par se voir, ensuite parce qu’elle ne se voilait pas la face : elle aurait besoin du soutien de sa famille, même si elle ne doutait pas de la présence de Duncan. Elle évitait de trop penser à Victoria, mais elle ne se faisait pas d’illusions sur le sujet. Son absence finirait par beaucoup lui peser, son enfant ne connaîtrait jamais sa grand-mère et ça… Ça, c’était une chose qu’elle ne parvenait pas à avaler, tant pis pour les années écoulées, elle restait coincée dans sa gorge.

Elle dut dévisager Selen comme s’il était dément quand il lui proposa de boire un verre ; un verre d’alcool. Puis les neurones se reconnectèrent et il se reprit en lui proposant plutôt un jus d’orange. Evie afficha un sourire crispé, le genre qui voulait dire : au secours. Évidemment, ça ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd et Gabriel s’empressa de reprendre sa moitié en proposant une bière à la place du jus d’orange. Sourire crispé aux lèvres, Evie secoua la tête. « Non, non, le jus d’orange c’est très bien. Je suis un peu fatiguée, je préfère éviter l’alcool ! » Ce n’était qu’un demi-mensonge. Après tout, elle avait passé la matinée la tête dans la cuvette des toilettes, à vomir son maigre petit déjeuner et à maudire ce pauvre Duncan et en jurant à qui voulait bien l’entendre (les plantes de son appartement, donc) qu’elle ne le laisserait plus jamais, jamais, la toucher. Elle n’était pas en grande forme, mais elle faisait pour le moment encore illusion. Sans doute pas pour bien longtemps ; c’était reculer pour mieux sauter. Encore heureux que Lua ne soit pas dans les parages, à tous les coups sa sœur aurait craché le morceau sans même s’en rendre compte. Balancer l’équivalent de grenades dégoupillées en plein milieu d’une conversation avant de décamper, c’était bien son genre. Evie regarda son jus d’orange avec un drôle d’air et se retint d’exploser de rire quand son père insista pour trinquer malgré tout. Elle avait envie de rire au moins autant qu’elle avait envie de pleurer. Les deux, nerveusement. « Hein ? Oh, bah euh, je vais bien ! Métro, boulot, dodo. Enfin, je prends pas le métro, mais tu vois le genre hein ! Enfin si, je prends le métro, quand même un peu, mais euh… La boutique va bien et j’ai presque fini mes illustrations pour le livre de contes donc… Oui, oui, ça va, hein. » Parfait. Personne n’allait se douter qu’elle était complètement à côté de la plaque et que les odeurs de la pâtisserie lui avaient plusieurs fois donné envie de vomir, elle qui d’ordinaire était la première à se rouler dans le sucre.

Comme pour se donner du courage, et tant pis pour le ridicule de la chose, Evie avala son verre de jus d’orange cul sec. Puis son regard fit l’aller-retour entre Gabriel et Selen, elle prit une profonde inspiration, s’éclaircit la gorge. Ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Enfin, en partant du principe que son géniteur ne ferait pas une nouvelle crise cardiaque. Au cas où, Evie était presque tentée de taper 911 sur son téléphone. Juste histoire d’anticiper. « En fait, je… J’ai un truc super important à te… Vous dire. Un truc super important à vous dire. » Elle s’était reprise, histoire de ne pas mettre Selen dans la sauce, dans laquelle il pataugeait déjà depuis quelques jours. Elle avait pitié, tout de même. « Mais pas de panique, hein ! Rien de grave. Je vais bien, je suis en pleine forme, je pète le feu. » Quand elle n’avait pas l’impression qu’elle allait vomir tout ce qu’elle avait avalé en vingt-huit ans de vie, mais ça, c’était un détail qu’ils n’avaient pas besoin d’entendre. Evie prit une profonde (pour ne pas dire interminable) inspiration avant de se lancer. « Papa… Et papa… Je suis, euh… Je veux dire, vous… Attendez, je recommence. » Elle souffla un grand coup, passa une main dans ses boucles désordonnées et afficha son plus beau sourire. « Félicitations, vous allez être grands-pères ! » Et santé, hein.   

made by valkyrja