Some of us like to fuck things up | EDGAR

Some of us like to fuck things up

“ Je ferai le voyage avec toi si tu le souhaites… ” La proposition s'était finalement changée en promesse ; tel un baume fait pour apaiser la crainte et soulager la tourmente. Fatalement, une nuit de murmures avait suffi à faire baisser les armes à Cara. Car dans le regard d'Edgar, elle avait pu y lire toutes ces autres promesses qui avaient créé un sentiment de confiance en elle. Dès lors, un espoir s'était ultimement frayé un chemin jusqu'à la toucher en plein cœur.

Et finalement, Cara y avait presque cru.
Cru que cette fois-ci, tout serait différent.
Parce qu'ils le voulaient ; parce qu'ils le désiraient.

S'en était suivi un voyage en solitaire où la journaliste avait attendu la venue de l'avocat. Face au corps usé de son ainée à bout de souffle, elle avait espéré – tout à fait naïvement – trouver la main du Pearson afin de la rassurer. Parfois, en fermant les yeux, elle était même allée jusqu’à s’imaginer le réconfort de ses bras alors qu'elle lui murmurait ses craintes. Et lui, plus qu'un autre, il l'aurait tout simplement rassuré.

Il lui aurait montré qu'elle n'était pas seule.
Seule avec sa peine.
Seule avec sa douleur.
Seule avec son deuil.

Puis les jours étaient passés, s'étirant dans une petite éternité à laquelle succomba l'ainée Marlowe. Cara la vit s'éteindre alors que finalement, aucune main n’était venue la retenir pendant que son monde s’écroulait. L'intérieur dégringolant dans le silence de ses larmes ; Cara avait longuement observé le visage ridé de sa grand-mère dans le repos, jusqu’à détourner le regard.

Une fois.
Deux fois.
Plusieurs fois.

Vers le vide, vers le portable silencieux et puis finalement vers sa solitude. Et elle avait ainsi comprit que la promesse n'était plus ; non, pire encore..  Qu'il n'y en avait jamais eu.

Et que face à son désarroi, elle était à nouveau seule.
Seule et glacée.

D'autres jours s'étaient écoulés jusqu'à lui figer le cœur dans un étau polaire ; et ainsi, Cara s'était faite la promesse silencieuse d'anesthésier le deuil dans la glace de ses sentiments.

La colère distillée par son espoir s'infusa dans son esprit alors qu'elle reprenait la direction de New Blossom. Et ainsi, pendant des semaines, elle décida d'incarner l'absence d'Edgar.

Parce qu'il n'avait pas été là.
Elle n'avait pas à être là pour lui en juste retour des choses.

Pendant des semaines, il se heurta à son silence.
A son mépris muet.
A son absence exclusive.

✧✧✧

Et puis, un beau jour, la nouvelle était tombée. Celle d'une attaque terroriste sur Icarus Inc. Si la chose voilât ses lèvres d'un sourire rouge dénué d'empathie, elle fut néanmoins frappée en plein cœur à la découverte du nom de Pearson parmi la liste des victimes.

« L'enfoiré. » Gronda Cara, la colère rugissante déchirant la réalité de son bureau tandis qu'une rivière de sang faisait vibrer chacune de ses fibres capillaires.

Elle lui en voulait d'avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment.
Elle s'en voulait de crever d'inquiétude pour l'avocat.

Il ne le méritait pas.
Il ne méritait pas ce nœud qui lui broyait les entrailles, la poussant à prendre les clés de sa voiture afin de se rendre à l'hôpital.
Il ne la méritait pas.

✧✧✧

La rage brulante muée en colère polaire, Cara pénétrait finalement dans le service hospitalier qui s'était vu accueillir Edgar ; elle s'arrêta devant l'infirmière et porta sur elle un regard vert contrarié.

« Où est Edgar Pearson ? » Demanda Cara sans prendre aucun détour.
« Mh.. Bonjour Madame. Vous êtes ? »
« Je souhaite voir Monsieur Pearson. »
« Soit, vous êtes une proche ? » Tenta avec beaucoup de patience l'infirmière.

Cara plissa les yeux à sa question ; dans le silence de sa réflexion, plusieurs scénarios se déroulèrent simultanément. Celui d'un refus, celui de la méfiance, celui de l'escorte jusqu'à la sortie et finalement..

« Je suis sa femme. Cara Pearson. » Osa-t-elle finalement, certaine que c'était la version la plus censée dans la folie de sa venue. Pour autant, le nom vibrait étrangement sur sa langue ; Cara Pearson.
« Ah.. Madame Pearson. Bien, il est chambre 314.. Mais.. »
« Merci. » La coupa Cara en prenant la direction des chambres sans écouter la suite de la tirade tandis que l'infirmière la suivait, prise dans le sillage de sa détermination.
« Mais ! Mais attendez ! Monsieur P.. MADAME ! »
Cara lui adressa un signe de la main afin de la réduire au silence tandis qu'elle s'engouffrait dans le bon couloir ; celui qui la mènerait à Edgar.

« Vous ne pouvez pas le voir ! Il se repo.. » L'infirmière pila, manquant de percuter une Cara furieuse qui s'était arrêtée devant la chambre de l'avocat ; alors que les regards se croisaient, la femme compris que la soi-disant épouse n’accepterait aucun refus.
« Je vais voir Edgar. » Articula la furie rousse avant d'entrer dans la chambre d'hôpital.

De quelques pas, elle arriva face au lit de l'avocat sur qui elle porta son regard contrarié tandis que l'infirmière continuait de la suivre : « Madame Pearson ! Je dois insister.. ! »

Son sang ne faisant qu'un tour, Cara porta aussitôt un regard en biais sur l'infirmière tandis que sa chevelure s'infusait de rouge sang. Dans la chambre, la réalité se déchirait sur un grondement menaçant qui figea la pauvre infirmière qui ne tarda pas à reculer, puis à fuir à toute jambe.

Cara, elle, reporta son regard sur Edgar et l'observa dans son ensemble tandis que la fissure de la réalité se colmatait.

Qu'avait-elle à dire à l'avocat ?
Ses lèvres se pinçaient. Bien.

Il lui fallut bien quelques secondes jusqu'à ce que sa langue claque contre son palais : « Qu'est-ce qui t'as pris de te mettre en danger ?! » Gronda-t-elle finalement.

Bien, il n'allait avoir aucun mot doux.
Non. Juste la contrariété de Lilith.
Parce qu'elle était furieuse.. Furieuse d'avoir eu autant peur pour lui.

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Dans la chambre d'hôpital, la porte se refermait sur le cri effrayé de l'infirmière ; Cara lui jeta un bref coup d'œil avant de porter toute son attention contrariée sur l'avocat alité. La vue de son corps allongé dans le lit d'hôpital raviva une angoisse enfouie quoiqu’encore vive chez Cara qui prit tout juste la mesure de son impulsivité.

Mais bon sang..
Pourquoi était-elle venue ?

Elle qui n'aurait jamais voulue remettre les pieds à l'hôpital se retrouvait à nouveau entre les murs aseptisés d'une chambre médicale. A l'entente de son prénom, elle gronda sa colère alors qu'Edgar ne tardait pas à lui renvoyer au visage son audace.

Entre eux, tout n'était finalement qu'une question d'orgueil mal placé et de foutus sentiments refoulés ; du moins, cette pensée Ô combien rationnelle aurait dû être celle de Cara. Au lieu de cela, elle eut envie de maudire son amant absent.. Enfin, de le secouer, puis de le maudire et surement de le secouer à nouveau.

Après tout, si elle l'avait ignoré, c'était parce qu'il l'avait mérité.
Parce qu'il l'avait laissé tomber à un moment où elle avait eu besoin de lui.

« Tu n'as pas remarqué ? J'aime me rendre à l'hôpital pour voir ceux que j'aime mourir. » Cracha-t-elle avant de laisser filer un rire sans joie. « Oh wait, non, tu ne sais pas. »

Tu ne le sais pas, parce que tu n'étais pas là.
Tu n'es jamais venue.

Ses mots restaient coincés dans sa gorge ; parce qu'elle les percevait comme un aveu de faiblesse. Or, là-bas, elle s'était faite la promesse de balayer ses sentiments et de gommer ses faiblesses. Elle n'en avait pas besoin pour exister et encore moins pour exceller.

Pour autant, si la vie était aussi simple, surement que l'invitation franche d'Edgar à la voir partir ne l'aurait pas atteint comme elle le faisait tandis qu'elle prenait ses mots de plein fouet.

Instinctivement, ses yeux se plissaient tandis que pendant un instant, elle était partagée entre trois solutions simples : Celle de partir, celle de rester et celle d'ouvrir une brèche pour envoyer Machin dévorer la jambe d'Edgar. Si toutes les options étaient pesées de manière égale, elle finit par faire son choix.. Le choix ultime s’étant fait entre le fait de rester et le fait d’appeler Machin. Il était important de le noter.

« On n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie. » Décida-t-elle en s'avançant finalement pour attraper le dossier accroché au pied du lit. Son geste lui sembla étrangement familier sur l’instant et la figea quelques secondes. Puis finalement, elle se focalisa sur les écritures illisibles. « Qu'est-ce qui s'est passé ? » Demanda finalement Cara sans pour autant porter son regard sur Edgar.

Non.
Elle l’évitait au profit du dossier.

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Auréolée de son aura de contrariété, Cara s'habillait de son assurance incorruptible tandis que son arrivée tonitruante avait fait son petit effet. Le regard porté sur Edgar, elle avait tout fait pour ravaler l'émotion de le voir alité afin de mieux la recracher avec colère et ressentiment.

Car la colère avait quelque chose de facile, de confortable.
De rassurant.

La colère mentait avec une aisance terrible ; bien assez pour faire passer Cara pour la démone qu'elle se plaisait à incarner. C’était d’ailleurs ainsi qu’elle se saisissait du dossier de son amant-pas-si-amant et le consulta sans l'ombre d'un scrupule ou d'une hésitation. L'index levé, elle arrêta l'avocat dans ses vociférations, comme si sa seule autorité suffisait à calmer son fiel.. Mais bien sûr. Est-ce que cela n'allait pas plutôt mettre un peu d'huile sur le feu plutôt ?

« Arrête de t'agiter comme ça. Ce n'est pas bon pour ce que tu as. » Osa-t-elle même lui conseiller, grinçante, le regard vert le fixant finalement avec une froideur contrariée. Qu'est-ce qu'elle le maudissait pour s'être fait du mal ; qu'est-ce qu'elle se maudissait pour être si inquiète pour lui. C’était terrible.

Et alors même qu'il faisait le choix de ne pas répondre à ses questions, elle l'entendait redoubler d’effort afin d’appeler – n’importe qui – à la rescousse. D'un geste sec, Cara reposa le dossier et porta son attention sur l’embrasure de la porte ainsi qu’au-delà. Une silhouette passa, croisa son regard et traça tout aussi vite.

C'était une évidence.
Personne n'allait venir.
Dommage Ed.. Dommage.

La rouquine fit même quelque pas pour aller soigneusement fermer la porte, le tout dans un mouvement calculé alors qu'elle provoquait du regard l'avocat immobilisé. Il ne pouvait rien faire contre sa volonté ; c'était pas de chance !

A son soupir d'exaspération, elle lui adressa un sourire rouge en s’approchant du lit. « N'inverse pas les rôles, tu veux ? Moi, quand tu as besoin, je suis là.. Que tu le veuilles ou non. » Argua-t-elle, en bonne garce rancunière qu’elle était, avant de finalement le voir saisir son téléphone et entendre les gros titres auxquels elle n'avait pas échappé.

Evidemment qu'elle avait vu ces saletés de tabloïds ; évidemment qu'elle avait maudit leurs auteurs.

Mais le tout était de savoir ce qu'elle comptait en faire devant Edgar. Alors qu'il crachait son amertume et .. Sa jalousie (?), la journaliste l'observa longuement, impassible et surement encore un peu contrariée.

A dire vrai, Cara était ambivalente ; car prise dans les filets d'un amusement malsain, elle ne parvenait pas pour autant à se départir de sa colère. Parce que cette colère avait muté ; d'abord orientée vers l'inquiétude qu'Ed avait suscité en la mutante, elle était désormais alimentée par l'idée même qu'il puisse la penser capable d'entretenir une idylle avec Action Man.

« Et j'ai gagné quoi ? C'est quoi mon lot ? Mh ? » Demanda-t-elle finalement, toujours indécise quant à la marche à suivre. « Une crise de jalousie ? Que je vais devoir te pardonner parce que tu es hospitalisé ? »  Un rire teinté d'ironie lui échappa jusqu'à ce qu'elle enchaine tout aussi rapidement. « Laisse-moi deviner.. Tu vas me dire que ce n’est pas une crise de jalousie ? Que tu constates ? Mh ? » Elle attrapa le portable de l’avocat pour le balancer plus loin.. Sans le briser, ce qui fut un miracle. « Et qu'est-ce que tu constates ? Qu'on forme un couple parfait ? C'est vrai qu'on est beaux tous les deux.. » Railla-t-elle en dégageant une mèche de cheveux rousse. Et puis finalement, son sourire se perdait, se déliait et Cara retrouvait son expression contrariée.

« Les excuses ne sont que des mots, mon ange. » Conclue Cara alors qu'elle révélait à demi-mot combien les mots n'avaient pas leur pareil face aux actes. Et dans leur cas, tout n'était qu'une affaire d'actes manqués.

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Les excuses tombaient, grinçantes et dissonantes ; elles martelaient le derme glacé de Cara qui, dans sa prise de distance, s'était forgée une carapace contre l'émotion. Comme pour se préserver et survivre ; comme pour avancer avec les armes qu'elle gardait à sa disposition. Et parmi ces mêmes armes, la colère demeurait son instrument favori. Echarpée et venimeuse, elle octroyait à Cara un profond sentiment de réconfort ; lorsqu’elle ne prenait pas la forme d’une antichambre artificielle cherchant à isoler une sentimentalité que la mutante se sentait incapable d'assumer.

Alors, face à l'agacement d'Edgar qui bravait la colère de Cara, l'armure se fendillait.

« Ferme-la. » Claqua-t-elle, aussi impérieuse que colérique, comme si tout ordre sortant de sa bouche possédait sa propre souveraineté. Jamais, jusqu'à là, la journaliste ne s'était permise une telle attitude avec Edgar ; mais en cet instant, elle ne pouvait supporter ses mots, elle ne pouvait supporter son émotion, ni même ses péchés. Fatalement, tout ce qui auréolait l’avocat serrait la gorge de la SinEater.

Jamais elle n'avait laissé le contrôle lui échapper pleinement ; au-delà de la mesure limite et de l'acceptable. Pourtant, progressivement, sa chevelure perdait son roux flamboyant pour se changer en rivière pourpre alors que des veines noires creusaient sa peau blanche.

Et plus il parlait.
Plus le phénomène se propageait.

Plus il partageait sa vérité.
Plus elle réalisait que cette vérité n'était pas la sienne, à elle.

« .. Les choses vont bien ? » Articula-t-elle, grinçante alors que l'émotion rampait jusqu'à son regard. En y regardant de plus près, elle semblait avoir les larmes aux yeux ; en y regardant de plus près, il semblait évident que pour elle, rien n'avait été bien. Et c'était parce qu'elle avait refusé de révéler cette vérité-là qu'elle avait soigneusement esquivé Edgar.

Parce que ce qu'elle ressentait pour lui déverrouillait des portes qu'elle voulait garder closes.
Parce que sa seule présence fendait son armure de givre.

« .. Me connais-tu seulement ? » Demanda-t-elle, forcée de faire face au constat douloureux de leurs dissonances. « Me connais-tu vraiment ? » Insista-t-elle, dans un étrange mélange de colère et de mélancolie. L'un cherchait inévitablement à dissimuler l'autre. « Rien ne va, Edgar. » Tenta-t-elle de lui faire comprendre, en appuyant sur chaque mot. « Elle est.. était une mère pour moi, elle est celle qui m'a sauvé, qui m'a offert un avenir. Et je l'ai mise en terre. Seule. » La dureté flanchait par moment ; et par instant, Cara reculait. Comme pour demeurer hors d'atteinte de l'avocat. Elle aurait voulu dire que l'absence de son ainée avait créé un trou noir dans sa poitrine ; et que peu à peu, il dévorait tout. Il la dévorait toute entière. Mais elle n'y arrivait pas. Au lieu de cela, elle tentait de reprendre la main sur ses émotions et leur expression physique.

Mais sur sa peau, ses veines noires rampaient. Encore.
Elles lui rappelaient qu'elle ne pouvait échapper à ses démons intérieurs.
Fatalement.

« .. Alors, dis-moi, j'en fais vraiment tout un plat ?! » Cracha-t-elle d'un coup, frustrée par sa tentative de contrôle saboté par ses propres émotions. Son regard s'arrimait à celui d'Edgar alors que pour autant, elle ne l'approchait pas. « Ça nous dépasse. Ce n'est pas juste toi et moi. C'est mon univers qui s'est brisé. » Verbaliser ces mots-là lui faisait du mal, parce qu'ils cristallisaient une vérité à laquelle elle avait voulue échapper. « Alors, est-ce que ton égo en ressort finalement indemne ? » Ironisa-t-elle, dans un élan de cruauté qui lui revenait finalement.

« Je n'avais pas envie de te faire face. Pas pour que tu me rappelles ton absence et par extension ma solitude. Je n'avais pas envie que tu me rappelles son absence et sa mise en terre. Je n'avais pas envie de souffrir. » Enchainait-elle, se retenant de lui demander comment il trouvait cette excuse ? Est-ce qu'elle lui convenait ? Est-ce qu'elle soignait encore son égo bafoué ?

« Tu ne me connais pas. » Conclut-elle, dans une forme d'abattement contenu. « Tu ne connais qu'une version idéalisée de moi, celle que tu t'es façonnée, celle que tu te prends à aimer lorsque tu as envie d'essayer.. » D'essayer d'aimer sans demi-mesure ; d'essayer de se livrer à l'autre. « Mais cette version idéalisée, elle est destinée à te décevoir. » Parce que Cara ne tentait pas de l'incarner, de l'être pour plaire à Edgar.

Elle était plutôt elle.
Tout simplement.

Peu à peu, l'expression de l'émotion refluait alors que les veines noires disparaissaient avec lenteur. Puis progressivement, le roux de la chevelure de Cara revenait, effaçant le sang de ses intentions.

Et à la place de la colère, il y avait désormais une forme étrange de lassitude et de déception. Elle aurait pu offrir les clés de sa version la moins idéalisée à Edgar, mais à la place de cela, elle revint plutôt à son sujet initial.

« .. Je te le redemande, qui t'as fait ça ? » Interrogea-t-elle. « Réponds-moi et je dégagerais d'ici. »

Un parfum de promesse flottait dans l'air.
Dès lors, il ne suffisait plus que d'une réponse.
Pour clore un chapitre qui les usait l'un et l'autre.

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« Depuis quand sommes-nous capables de parler sentiment, mon ange ? » D'un reproche à une question rhétorique, Cara ne s'offusquait plus. Elle se rendait plutôt à l'évidence ; leurs failles lui apparaissaient désormais clairement, comme des fissures enténébrées creusant la bulle de leur réalité gonflée de mensonges. Ils s'étaient trop longtemps amusés à incarner des rôles pour se conquérir et de s'éviter ; et finalement, leurs petits jeux étaient devenus si écharpés qu'ils laissaient aujourd’hui des cicatrices dans leurs foutus cœurs supposément absents.

Cara aurait aimé lui dire qu'elle était elle-même dans le noir.
Et que c'était sa manière, à elle, de lui avoir fait comprendre sa détresse.

Mais c'était bien trop poétique, bien trop sentimental. La SinEater n'était pas prête à laisser son cœur parler.. Parce qu'elle n'était pas prête à en assumer l'existence. Pourtant, il était bien là, à la faire souffrir ; au nom de l'absence d'une figure maternelle, au nom de l'absence d'Edgar.

Cela faisait quelques minutes que Cara était dans la même pièce que l'avocat et déjà, elle avait la sensation que sa colère se déliait au profit d'un certain abattement. Si elle avait combattu ce sentiment depuis son retour, il lui semblait désormais insurmontable. Pour autant, elle se raccrocha à sa colère tandis que les noms responsables de l'état d'Edgar tombaient.

Naturellement, dans le sillage de Cara, un grondement se fit entendre, comme un témoin de sa rage muselée ; malgré tout, la réalité demeura intacte, comme contenu par la seule volonté vacillante de Lilith. Elle inspira d'ailleurs profondément, prête à se détourner afin de respecter sa promesse faite. Celle de son départ lors des informations recueillis.

Intérieurement, Cara maudissait Orion pour ses implications diverses et variées. Pour la première fois depuis toujours, elle rêvait de le tuer, de l'envoyer dans le voile, de le donner à manger à ses créatures de péchés. Pour la première fois, Lilith se sentait prête à tâcher ses mains de sang pour venger quelqu'un d'autre, pour chasser définitivement sa peur.

Dans le ficelage primaire de sa vengeance, Cara fut pourtant arrêtée alors qu'Edgar reprenait la parole. Déjà, elle s'était tournée vers la porte mais s'arrêta pour lui adresser un regard lourd de sens. « Tu es sûr de vouloir connaitre celle que je suis ? » La mutante avait l'étrange certitude que son très cher ange ne pourrait aimer le démon qu'elle cachait dans ses veines. Rebroussant chemin, elle s'approcha enfin du lit d'Edgar sans pour autant le toucher ; comme si c'était une limite qu'elle s'imposait, un besoin qu'elle se fixait pour ne pas flancher. « Selon toi, que vais-je faire de l'information que tu m'as donnée ? » Lui demanda-t-elle dans un murmure en rivant son regard vert dans le sien. « Ce Clay Barton et Orion.. Je veux les tuer pour ce qu'ils t'ont fait. » Confessa Cara avec une douceur qui aurait pu murmurer les plus beaux sentiments. « Je veux leur faire mal.. » Pourtant, Edgar le savait ; Orion était l'ami de Cara. « Voilà qui je suis, comment j'aime, comment je ressens. » C'était absolu et brutal, aussi noir que l'obscurité dans laquelle elle les avait laissés jusqu'à là, d'une certaine manière. « Orion est peut-être mon ami, mais ce n'est pas la première fois que ses actes blessent. J'ai toujours su m'en accommoder. Mais pas avec toi.. Avec toi, ça ne passe pas. » Justifia la journaliste avant de soupirer. « Comment veux-tu que je sache ce que je peux vouloir de toi quand j'ignore si tu es capable de m'accepter telle que je suis ? » Conclut-elle avec simplicité.

Ensemble, ils vivaient dans un cercle vicieux.
Celui de leurs passions.
Celui de leurs attentes.  

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Drapée de certitudes froides, Cara avait désormais la sensation de se retrouver noyée au milieu d'incertitudes brulantes. A chaque bousculade, leurs flammes marquaient sa peau ; elles s'imprimaient et s'engouffraient jusqu’aux tréfonds de son âme inerte. Tant et si bien que dans un jeu étrange de circonstances, l'entrevue furieuse se changeait progressivement en croisée des chemins. Et alors qu'ils auraient simplement pu se séparer une fois de plus auréolés de leurs fiertés et habillés de leurs colères ; les deux amants se retrouvaient plutôt à se dévoiler.

D'abord, il y avait ce pas de la part de Cara. Un pas improbable qu'elle s'expliquait par un assemblage hasardeux de contradictions, persuadée qu'il aurait pour effet de briser définitivement ce lien qui l'unissait à l'avocat.

Parce qu'il réaliserait celle qu'elle était ; celle qu'il ne pouvait accepter.
Dans sa noirceur.
Dans sa cruauté.

Et ensuite, il y avait cette réponse de la part d'Edgar. Une réponse que Cara trouva d'abord lunaire de la part d'un homme de loi. Une réponse qui la prit à revers et la figea durant de longues secondes. Puis, le regard vert sensiblement plissé, elle analysa les traits du Pearson, comme pour s'enquérir du mensonge.

Parce que cela ne pouvait être qu'une manigance.
Une manigance du beau diable ; une manigance de l'avocat.
Avant d'être un souhait de l'homme.  

Pourtant, au fil des secondes, l'esprit de la journaliste sembla prendre peu à peu conscience de l'entrée en résonnance de leurs objectifs. Cependant, elle ignorait encore si elle pouvait le croire, lui faire confiance et au-delà de cela, elle ne saisissait pas encore toute la signification de ses mots ainsi que leur portée. Malgré cela, une part d’elle ne put réprimer cette chaleur qui irradiait au dedans, comme une prise de conscience portée par l’inconscience, une évidence silencieuse enchevêtrée de déni et de peur muselée.

Parce que, c'était un peu fou.
C'était déviant.
C'était.. C'était.

« Ça t'es égal ? » Répéta-t-elle machinalement en s'approchant d'un pas. Elle était désormais à portée mais ne le touchait pas ; toujours pas. Comme dans un besoin de contrôler la raison et de maitriser Le Sentiment. « Tu dérailles. Surement que c'est à cause des médicaments. » Oui, voilà. C'était une excellente explication.

Le genre d'explication que son esprit tolérait tant elle possédait sa logique. Pour autant.. « Que comptes-tu leur faire ? » Osa-t-elle demander, tout de même.

Cara était aussi curieuse que défiante.
Après tout, elle ignorait si elle pouvait le croire.
Si elle devait le croire.

Pourtant, elle espérait pouvoir le croire. Au-delà de cela, elle espérait qu'il puisse la comprendre ; qu'il puisse comprendre la mesure de ce qui l'habitait, de celle qu'elle était. De ce qu’elle pouvait ressentir malgré elle.

Animée par la mécanique rouillée de son cœur, Cara laissa cet espoir s'exprimer par ses doigts qui vinrent effleurer ceux d'Edgar. Les mains s'effleurèrent sans se saisir et s'accrocher. Les doigts touchaient avec une douceur que les mots esquivaient habilement.

Pourtant, ce simple geste. Cette simple attention était pleine d’intention.
C'était un début de promesse.
Celle d'être là.
Tout simplement.

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C'était à elle que tout cela aurait dû être égal ; Car Cara n'aurait jamais dû s'ébranler à la vue d'un Edgar blessé. Tandis qu'un murmure lointain résonnait en elle afin de la ramener sur le chemin de la raison, la journaliste se rappelait soudain combien l'hiver s'était enraciné dans le paysage de ses sentiments. Et malgré cette drôle de vérité qui fit frissonner ses intentions, elle demeura immobile, auréolée de son incompréhension alors que son regard vert analysait l'expression de l'avocat.

Pour la première fois depuis que leurs routes s'étaient croisées, Cara semblait enfin percevoir l'homme derrière le costume ; elle semblait percevoir l'humain derrière le rôle.

Perturbée par ce petit constat silencieux, la Marlowe réalisa alors qu'elle n'était pas la seule à être une inconnue dans l'équation de leur relation. A eux deux, ils avaient construit une pièce de théâtre bourrée de mensonges avec des personnages jouant des actes tous plus absurdes les uns que les autres ; l'ensemble, à lui seul, suffisait d’ailleurs à signer la reddition de leur mascarade. Et pourtant, Cara ne parvenait pas à se satisfaire de cette idée, comme si, dans le fond, elle attendait davantage de ce qu’ils pouvaient s’offrir.

Après tout, n'étaient-ils pas d'avantage que les masques qu'ils se donnaient ?
N'étaient-ils pas davantage que leurs mensonges ?

La rousse perçue l'hésitation d'Edgar ; elle comprit son mouvement de recul autant que son saut de l'ange lorsque leurs doigts s'effleurèrent. Elle comprit, surement pour la première fois, l'attitude de son amant.

Et quelque part, au cœur de l'hiver, cela réveilla une douleur lointaine.
Parce qu'elle réalisait enfin combien elle s'était laissée dupée par ses propres craintes.
Parce que fatalement, elle réalisait qu’elle s'était faite avoir par leur théâtre de menteurs.

Leurs mains liées créèrent à leur insu une ancre qui empêcha la Marlowe de partir à la dérive dans son silence tandis qu'elle absorbait chaque parole prononcée par Edgar. En cet instant, elle l'écoutait et le percevait au-delà du prisme du connu. Et ainsi, peu à peu, ce qu'elle découvrit dans la nouveauté résonna dans un écho familier ; lui rappelant son appétence – à elle – à surmonter toute cruauté, à se satisfaire de moyens justifiés par la fin.

« Toi et moi, je crois que nous nous ressemblons. » Murmura-t-elle enfin, d'un timbre absent tandis que son regard continuait d'analyser les traits d'Edgar. « Je ne devrais pas le réaliser qu'aujourd'hui. »

Non, elle n'aurait pas dû.
Car elle qui se targuait de posséder un instinct de tous les diables se retrouvait à saisir l'essentiel avec des années de retard.
Et elle détestait cela.
Non.. Elle haïssait plutôt cela.

Une inspiration fébrile coincée dans la gorge, elle abaissa son regard jusqu'à leurs mains liées et décida enfin de sortir de son immobilisme afin de se rapprocher encore.

Oui, les fautifs méritaient de payer.
Clay, Orion, tous les autres.

C'était une évidence qui passait néanmoins momentanément au second plan alors que Cara relâchait la main de l'avocat. Les doigts fourmillant d'une hésitation qu'elle contrôla au mieux, elle se rapprocha encore jusqu'à se pencher au-dessus du Pearson. Les yeux dans les yeux et le silence pour témoin, ses lèvres rencontrèrent celle du blessé le temps d'une reddition.

Comme à chaque fois qu'ils se retrouvaient, Cara avait la sensation de déposer les armes et de s’abandonner à la déraison sans succomber aux péchés ; ce qui, pour la Sineater, avait quelque chose d’ironique. Dans la douceur d'un baiser timide, elle retrouva instinctivement le besoin de posséder, de ressentir, et de s’aliéner aux sentiments qui pulsaient dans sa poitrine ; et elle se laissa guider par le torrent de ses émotions vivides. Entre ses lèvres, elle laissa filer tous ces mots qu'elle ne prononçait jamais ; elle avouait qu'elle s'était inquiétée, qu'il lui avait terriblement manqué et qu'elle avait eu besoin de lui. Elle lui avoua tout ce que sa pudeur muselait avec froideur.

Et puis, tandis que les bouches se détachaient à peine, Cara laissa filer un soupir libérateur. Dans son esprit encore bouleversé, une question demeurait néanmoins en suspens.

« Est-ce que tu me fais confiance ? » Demanda-t-elle fatalement pendant que sa main redessinait les contours de la mâchoire d'Edgar. Son pouce vint ôter les traces de rouge laissées par ses lèvres tandis que son regard rencontrait le sien.

S'il lui faisait confiance, elle pourrait avoir confiance en retour.
S'il lui faisait confiance, alors peut-être que les choses pourraient changer.
Enfin.

Mais pour les deux créatures de méfiances qu'ils étaient sous le masque de leur bienséance, la confiance était une chose complexe, difficile à posséder et terriblement facile à égarer.

Alors, elle demandait.
Elle demandait pour leur laisser l'opportunité de fermer définitivement les portes de leur théâtre amoureux.  

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L'évidence enfin mise à jour, c'était un nouveau crépuscule qui se posait sur l'orgueil mal placé de la Marlowe. Elle qui se targuait de tout savoir, de saisir l'information au vol ; elle avait pourtant été incapable de capter ce qui bourdonnait entre Edgar et elle. Malgré tout, c'était diablement évident et peut-être était-ce là le fond du problème.. Parce que tout avait été trop évident.

Leurs ambitions résonnaient, leurs fiertés s'entrechoquaient et leurs égos se froissaient sur la même fréquence. Certains auraient pu penser qu'ils étaient faits pour se trouver ; Cara, elle, avait cessé de croire à ce fantasme depuis longtemps.

Le sang glacé par un pragmatisme qui la prenait constamment à la gorge, la journaliste s'était pourtant parfois prise à espérer qu'une étincelle viendrait embraser le foyer éteint de ses sentiments. Et cette étincelle avait finalement trouvé une identité, une réalité et un regard qui se rivait sur le sien. Edgar avait toujours eu ce quelque chose qui l'avait consumé tantôt de rage, tantôt de passion. Il incarnait un éclat devenu brasier ; un rien qui avait entamé le plus coriace des glaciers.

Malgré elle, Cara ne put s'empêcher de laisser filer un brin de rire lorsqu'il constata qu'inévitablement, elle et lui, ils se ressemblaient. « C'est exact, mon ange. » Le menton qui acquiesçait, elle continua sur la droite lignée de son humour retrouvé. « C'est ce qui fait notre charme, finalement. Tu ne penses pas ? Je suis certaine que tu ne m'aimerais pas tant si j'étais aussi douce qu'un agneau. » Evidemment, parce que Cara préférait s'incarner dans la figure d'une louve. Terrible et territoriale.

Dans toute cette histoire, avaient-ils encore besoin de nier les sentiments qui les enchainaient l'un à l'autre ? La Marlowe refusait de se poser la question tandis qu'elle se focalisait sur ce qui importait davantage encore.

La confiance.
Car la confiance faisait tout.
La confiance était la constante qui bouleversait toutes les relations.

C'était le nœud de toute chose, le cœur qui pulsait au-delà de l'amour. La confiance rendait la passion viscérale et aveugle ; elle la rendait mortelle. Ainsi, lorsque l'Avocat lui affirma qu'il avait confiance en elle, elle l'observa longuement et un sourire fit mentir l'éclat fugace de tristesse qui passa dans son regard.

« Moi aussi. » Répondit-elle. Inévitablement, cela sonna comme une vérité absolue. « Moi aussi je te fais confiance. » En cet instant, Cara s'octroyait le droit de céder une part de son silence et de ses mystères au Pearson ; elle s'octroyait le droit de baisser la garde en sa présence.

Pour sceller cet accord tacite, elle revint capturer ses lèvres avant de soupirer contre l'instant suivant. Posant son front contre le sien, elle ferma les yeux quelques secondes tandis que ses pensées la ramenaient à ses craintes passées. Finalement bousculée par ses angoisses brouillons, Cara rouvrit les yeux tandis qu'elle redressait par la même l'échine ; le regard vert s'accrocha à la jambe plâtrée de l'avocat qu'elle détailla longuement dans sa réflexion.

Que se serait-il passé s’il avait été plus grièvement blessé ?
Que serait-il passé, si tout ne s’était pas résumé à une jambe cassée ?

Brisant son silence dans un bruit de gorge, elle croisa le regard d’Edgar et détacha d’une main son manteau afin de le déposer sur un siège adjacent. Sa robe noire lui arrivait aux genoux tandis que des détails raffinés de broderie en surpiqure se laissait apercevoir.

Naturellement, la journaliste s'installa sur un bord de lit à côté d'Edgar ; elle était visiblement déterminée rester un peu à ses côtés. Ses mains attrapèrent celle de son amant afin de les poser sur ses genoux.

« ..Je ne sors pas avec Action Man. » Lâcha-t-elle finalement sans préambule aucun en remontant son regard sur Ed. « Et je ne suis pas sortie avec lui. » Ajouta-t-elle avant de claquer la langue contre son palais. « J'étais contrariée, je l'ai donc invité à m'offrir un diner. » Par invité, elle sous-entendait qu'elle lui avait.. Ordonné. « Il m'en doit encore un. » Au moins, Edgar était prévenu.

C'était obscur comme manière d'amener les choses, pourtant, pour Cara, cela coulait de source. Car, elle ne semblait guère encline à s'amouracher du superhéros en chef d'Icarus.

« Je préfère mes hommes en costume. » S'amusa-t-elle alors que son regard dévorait les traits du Pearson. Elle aurait tout aussi bien pu dire qu'elle préférait son homme en costume que la phrase aurait été bien plus sensée, pourtant, elle n'avait pas songé à l'ajustement.. Même si toutes ses pensées ne se tournaient que vers l'avocat.