The World Ender || ft. Rhea & Kain

tw : pensées suicidaires (passées) - coups et blessures - mention recel de drogues (Red et autres)

Ils étaient tombés avant lui.
Il en était certain.
Trois hommes étalés au sol avant que le monde ne s'éteigne.

Les allées sombres bardées de néons ne le trompaient plus depuis longtemps. Il avait été témoin de la naissance et de la décadence de l'Underapple au lendemain même du cataclysme ayant fait sombrer New-York. De la fumée dans le ciel avant que l'on n'ensevelisse les rescapés, appauvris d'espoir et de vie, sous une chape de béton élimée par les progrès scientifiques.
Il s'en était tiré vivant.
Alors qu'il ne souhaitait que mourir, enfin.
Et c'est l'avènement d'une société nouvelle qui l'a accueilli à la place, loin des damnés de la surface.

Il connait les lieux.
Presque aussi bien qu'il connait ses propres capacités.

Alors, il se demande pourquoi.
Pourquoi il n'a pas senti venir ce coup derrière sa tête.
Pourquoi il ne s'est pas méfié plus tôt de ces pas rapides.
Pourquoi il n'a pas été en mesure de savoir d'où ils pouvaient bien venir ?
Les questions successives se bousculent dans son esprit sonné. Il n'y a que cette voix lointaine, grinçante comme des ongles griffant un tableau noir, qui le ramène à la réalité.

Deviendrais-tu tout simplement trop vieux, mon cher ?

Un rire moqueur le suit, reliquat amer de vieux souvenirs, et s'étiole dans les pans de la mémoire, s'affaiblit au fur et à mesure que les paupières vacillent vers la conscience.
Gregory ouvre les yeux sur l'inconnu.
Sa nuque le lance, sa tête bourdonne, le regard est brouillé par un peu de sang séché provenant d'une plaie au front. Il l'aurait bien essuyé si ses poignets n'étaient pas retenus dans son dos, noués serrés derrière le dossier d'une chaise contre laquelle on l'a forcé à s'assoir dans sa torpeur.
Manifestement, son assaillant ne s'est pas contenté de le laisser pour mort dans la ruelle.
Il a été ramené quelque part. Retenu dans une pièce étriqué.
Une cellule ?
L'endroit est impossible à déterminer.
Pas assez de données à exploiter, pas assez de force pour réfléchir.

Seul, dans ce lieu à peine éclairé par la lumière d'un plafonnier grésillant, le Cafard tente de reprendre possession de toutes ses facultés.
La ruelle.
Les trois dealers de Red.
À terre, et puis...
Plus rien.

Il n'y a pas à se refaire la scène bien longtemps pour comprendre que ces éléments sont forcément liés. Si ce bourdonnement contre son crâne voulait bien s'arrêter...

Pourtant, pas de répit de prévu. La porte en face de lui, qu'il vient à peine de remarquer, s'entrouvre sur un couple. Deux silhouettes ombrées, découpées sur un rayon de lumière.
Une femme et un homme, venus le rejoindre, à l'aura imposante de ceux qui ont le contrôle, qui savent très bien dans quelle situation leur détenu se trouve.

Gregory relève la tête en dépit de la douleur. Il les fixe sans détour, le regard ne cille pas. Le regard ne cille jamais.
Si ces personnes sont celles ayant commandité son enlèvement, alors il est prêt à les affronter.

Ce ne seront pas les premiers à vouloir l'éliminer.

C’est fait.

L’homme se tient dans l’encadrement de la porte, à une distance respectueuse. Mains croisées dans le dos, regard suffisamment bas pour ne pas les fixer ostensiblement. L’un de leurs capitaines, qui, s’il s’entretient régulièrement avec Destruction, n’a que peu l’occasion de rencontrer Destiny.

Elle pourrait presque le voir trembler.

Lui adressant un hochement de tête, Rhea l’informe silencieusement qu’il peut se retirer, avant de se tourner vers Kain. Scanne son visage, à la recherche de la plus petite information. Une indication, n’importe laquelle, qui pourrait lui en dire plus sur l’état d’esprit de l’homme. Est-il prudent de l’emmener avec elle ? Oui. Indéniablement. Il est le seul en qui elle puisse avoir confiance pour mener à bien cet interrogatoire, pour la protéger le cas échéant. Si tout devait voler en éclat ce soir, elle pourra compter sur lui.

Tu es prêt ? demande-t-elle, impassible. Comme s’ils ne s’apprêtaient pas à dégringoler les étages, à rejoindre le sous-sol, pour rencontrer celui qui, depuis trop longtemps déjà, semble en avoir après eux.

Pour l’instant, le problème ne concerne vraiment que le trafic de Red, qu’elle dirige pour le compte du Fight Cercle. Mais qui dit qu’il ne s’en prendra pas à eux ensuite. À sa famille. Elle ne peut pas laisser passer ça. Refuse de prendre le risque. Alors elle en a fait part à Kain, réclamant son aide pour endiguer l’invasion avant que les cafards ne pullulent de toutes parts.

Quittant son fauteuil, Rhea prend la direction des ascenseurs, Kain à ses côtés. Son esprit tout entier est concentré sur ce qui se trouve dans les entrailles de l’Empire. Un homme. Un seul. Susceptible, néanmoins, de mettre en péril son œuvre. À l’intérieur, une colère froide, implacable, bout. Elle ne laissera rien arriver aux siens. Le serment, passé avec elle-même et avec Kain des décennies auparavant, la tient debout chaque jour qui passe. Aujourd’hui ne fait pas exception.

Les uns après les autres, les étages défilent, la boîte métallique les emportant inexorablement vers le sous-sol de l’immeuble. Là, un couloir à la lumière vacillante les guident vers l’une des cellules aménagées par leurs prédécesseurs. Touchante attention. L’un de leurs hommes de main, arme à la ceinture, se tient devant une porte close. Leur invité se trouve derrière. Un dernier regard échangé avec Kain, avant que la cellule ne s’ouvre, et qu’ils pénètrent à l’intérieur.

Attaché à une chaise, une traînée de sang séché maculant son visage, Gregory Tremblay lui semble d’un coup bien inoffensif. Mais Rhea ne commet pas l’erreur de croire à cette illusion. Elle n’a pas hissé sa famille au sommet en faisant preuve de naïveté. Ni sans se salir les mains. Soigneusement dissimulées, les lames sont néanmoins prêtes à sortir si le besoin s’en fait sentir.

Monsieur Tremblay, merci de vous joindre à nous. Froide, sans aucune expression. J’espérais que nous pourrions avoir une petite discussion.