i wanna live inside your mind next to your favourite song (ryli#3)

fin août 2026

« Ma it’s okay, I told you I don’t eat them… You should give them out to the community, they need them more than me. » Malgré ses protestations, Ryan se retrouve avec un Tupperware plein à ras bords de moon cakes entre les mains. Y’a tous les parfums, du haricot rouge à la purée de sésame en passant par le thé vert. Ça fait des années qu’il n’en mange plus – rien que d’imaginer la dose de beurre à l’intérieur de ces petites bombes caloriques le fait grimacer – mais chaque année sa mère insiste pour lui refourguer sa part de la préparation traditionnelle, ou bien fait semblant d’avoir oublié les habitudes alimentaires de son fils et les lui donne quand même, "pour pas gâcher". Ryan soupire, vaincu, avant d’étreindre sa mère de son bras libre. Les biscuits finiront comme d’habitude refourgués à sa voisine ou à ses collègues.

« Bye Ma, love you. Tell Frank I’ll come by later this week to fix the AC. Don’t let him try to do it himself, okay ? » Par chance, les inondations n’ont pas encore atteint le quartier et l’appartement de sa mère est encore épargné. Ça n’a pas empêché Ryan de venir vérifier de ses yeux, prétextant de devoir prendre une douche après ses efforts de la matinée pour resserrer quelques vis et combler des interstices avec des linges propres, faute de mieux. Il reviendra plus tard avec des planches, ça ne fera pas de mal. Avec un dernier aurevoir et une dernière léchouille de Red, le secouriste ferme la porte derrière eux et descend les escaliers de secours en trottinant, son Tupperware sous le bras. Red le dépasse et l’attend en bas, les oreilles bien droites alors qu’ils remontent la ruelle en direction de la nouvelle adresse d’Eli.

Il y a du monde dehors, ces derniers temps. Y’a une tension dans l’air, une angoisse palpable qui se manifeste par des regards inquiets vers le "ciel" sombre de l’Under, traquant la moindre goutte d’eau, comme si ça allait bientôt s’effondrer. Ryan est nerveux, lui aussi. Les inondations qui sévissent à Manhattan et dans le Bronx n’augurent rien de bon pour les quartiers voisins, malgré l’effort collectif des nombreux volontaires pour isoler les murs et les toits. A l’approche de sa destination, le secouriste se force pourtant à détendre la ligne tendue de ses épaules et à secouer la tête : chaque chose à la fois. Eli l’attend. La pensée ramène un sourire fatigué sur ses traits et réchauffe son cœur. Il a hâte de le revoir.

Après avoir sorti son portable pour vérifier l’adresse, Ryan tourne à gauche et lève le nez pour admirer l’immense verrière poussiéreuse qui surplombe la ruelle et les quelques bâtisses qui s’alignent de part et d’autre. La maison qu’il cherche a une porte jaune et une façade en mélange de bois et de tôle mais semble bien entretenue, comme le prouvent ces pots de fleurs pastel et ce paillasson bariolé pour accueillir les visiteurs. Ryan toque à la porte, Red assise à ses pieds.

Y’a un petit trac indéniable, à attendre ainsi derrière la porte alors que le bruit caractéristique des griffes qui moulinent sur le plancher résonne de l’autre côté, bientôt suivi des aboiements excités de Flea. Ryan se redresse, tirant sur les plis invisibles de son hoodie et recoiffant en vitesse et à l’aveugle ses cheveux encore humides de la douche. Du trac, ouais, il l’admet. Il faut dire que le moment n’a rien d’anodin : bien que de l’eau ait coulé sous les ponts depuis, sa dernière rencontre avec Eli lui a laissé un goût amer et un sentiment de culpabilité dont il a du mal à se débarrasser – probablement devra-t-il apprendre à vivre avec – alors ce nouveau départ est important.

Et puis soudain la porte s’ouvre et ses beaux discours (ainsi que ses neurones, visiblement) se font la malle, parce qu’Eli apparaît dans l’entrebâillement comme un ange tombé du ciel et que Ryan n’est qu’un pauvre homme faible. « Hi ! You look- wow. » qu’il lâche avec toute l’éloquence d’un mérou fraichement pêché. Bravo Chen, tu marques des points là. Continue c’est parfait. Heureusement, Flea déboule à la rescousse pour lui faire la fête et l’interrompre dans son admiration silencieuse, l’obligeant à se pencher pour la caresser. « Ah yes, hi to you too, precious… hi, hi ! » Aussi énergique et adorable que dans ses souvenirs, Ryan éclate de rire lorsque la petite chienne tourne sur place et ne semble plus savoir où donner de la tête entre lui léchouiller la main ou aller renifler Red – qui n’a clairement pas ce problème et préfère se laisser papouiller par Eli que d’inspecter la furie tachetée entre ses pattes. A sa question, Ryan secoue la tête, un sourire de bienheureux sur les lèvres. Si ses efforts de la matinée ont pu atteindre son moral, la fatigue, elle, s’est évaporée de ses muscles aussitôt Eli apparût. « Ah well, not anymore ! I’m really happy to see you. » Le sourire s’adoucit, ses yeux se posant enfin sur le visage de l’autre homme sans que ses neurones ne partent en vrille. Il pourrait probablement passer un temps assez embarrassant rien qu’à l’admirer. « Sorry. You look  very handsome. My brain had to reboot it seems. How are you ? » Le nez qui se fronce en une petite grimace pour se moquer de sa propre réaction alors que Ryan se redresse à la verticale. Il a très envie de le toucher aussi, de l’étreindre, mais il se retient et porte finalement son regard à l’intérieur de la petite maison, curieux. « So that’s where you live now… It looks cozy ? » Autant que peut l’être une demeure de l’Underapple, bien sûr, mais l’appartement a l’air bien fourni et décoré avec soin. L’œuvre de sa sœur, il suppose. Ryan serait rassuré de savoir qu’Eli est aussi confortable que possible, dans ce nouveau foyer.

Inutile d’avoir un diplôme de psychologie ou d’échanger des textos quasi quotidiennement depuis plusieurs mois pour comprendre qu’Eli est une personne angoissée de nature et qu’il ne faut pas le prendre personnellement – en mal, en tout cas. Aussi, Ryan ne lui tient pas rigueur de sa réponse et adopte au contraire un sourire doux qu’il espère rassurant, content malgré tout que l’autre homme soit heureux de le voir. Il a bien l’intention de déployer tous les efforts possibles et imaginables pour qu’Eli parvienne à se sentir pleinement à l’aise en sa présence. Aujourd’hui, demain ou dans un mois, plus s’il le faut ; Ryan n’est pas pressé, déjà comblé par la simple présence d’Eli à ses côtés.

Saehee lui a fait remarquer il y a longtemps que les conversations en face-à-face pouvaient être assez vécues de façon oppressante, l’attention de l’interlocuteur étant focalisée sur soi et donnant l’impression que chaque mot, chaque "erreur", pourrait être vu au microscope… il lui a aussi glissé à demi-mot qu’il avait "l’intensité d’un jeune golden retriever" quand il essaye de plaire ou de se faire remarquer. Pas si con, Ryan a vite compris le sous-entendu et, depuis, tente (assez vainement) de freiner ses ardeurs lorsqu’il s’agit d’Eli. Alors histoire de désamorcer ce qu’il y aurait potentiellement à désamorcer avant même que la mèche ne prenne, Ryan détourne l’attention de façon presque naturelle sur la maison et sa décoration intérieure.

Acceptant l’invitation, il émet un petit sifflement admiratif en passant la porte, son regard ne sachant trop où se poser entre les multiples fresques murales colorées, les plantes miraculeusement vertes et les innombrables babioles qui donnent à l’espace une atmosphère confortable et chaleureuse. « It’s really nice in here… One could forget we’re underground. How does she manage to keep the plants so green ? » s’interroge-t-il tout haut en effleurant une feuille du bout des doigts. Ça le fascine. Une mutation, peut-être ? Il se souvient vaguement de Suni et de sa mutation d’abeille, ça ferait sens qu’il y ait un pouvoir de pollinisation qui traîne ou un truc du genre… Sous les indications d’Eli, ses yeux se posent sur la fresque qui recouvre l’entièreté de la cage d’escalier et Ryan ne peut s’empêcher de s’approcher de quelques pas pour en observer les détails de plus près. « She painted that ? Damn, that’s cool. » En tant qu’individu dénué de tout talent artistique (si ce n’est celui de taper comme un bourrin sur une batterie), Ryan ne peut qu’admirer ceux qui en ont. Il éclate de rire à la mention des canards. « What I’m hearing is you have lots of quality company now. » C’est dit d’un ton léger, mais constater de ses yeux qu’Eli est aussi bien installé que possible dans l’Under est un soulagement indéniable. « Short is ok, it’s the heart that counts. » Grand sage, Ryan acquiesce avec lui-même sur cette déclaration à double-sens, ne manquant pas de faire planer un silence dramatique avant de lâcher le personnage avec un sourire et l’air exagérément enthousiaste. « Are you gonna be my tour guide ? Exciting. » C’est la première fois qu’il a l’occasion de visiter l’espace d’Eli, l’occasion de mettre des images sur les anecdotes racontées et d’en découvrir un peu plus sur le biochimiste qui a élu résidence dans ses pensées. « Let me just leave Red outside, I don’t want to risk any unfortunate harm to those ducks. She’s erhm… not used to them. » Elle n’est pas méchante pour un sou mais Ryan l’a déjà vue courser un écureuil sur cent mètres et le pauvre a eu beaucoup de chance de trouver un arbre sur son chemin. Évitons de donc de causer un malheur. Danger écarté, le secouriste retourne auprès d’Eli. « After you ! »