Summer days drifting away (ryseok#1)

Ryan accepte la bouteille tendue avec gratitude, pas contre l’idée de se rafraichir un coup sous cette chaleur écrasante. Essuyant son front d’un revers de poignet, le secouriste garde un œil sur sa chienne qui s’éloigne en trottinant (et qui vient d’ignorer royalement son semi-rappel pour lui proposer de l’eau), truffe aux aguets et langue pendante, toujours très fière de marcher en tête de la petite meute.  Ryan ne s’inquiète pas trop : Red n’est pas du genre à faire la timide lorsqu’il s’agit de réclamer quelque chose, nourriture ou boisson comprise ; elle saura bien lui faire savoir quand elle aura soif.

« On est comment niveau chrono ? » s’enquiert Ryan entre deux gorgées. « J’ai bien envie de faire mieux que l’autre fois, même si bon vu la chaleur on part avec un sacré désavantage… »  Parce qu’ils sont pas venus cueillir des fraises, comme dirait l’autre. Un regard en bas vers Li-Seok lui apprend pourtant que son ami n’a rien écouté de ses préoccupations sportives, plutôt scotché à l’écran de son téléphone avec un sourire niais parfaitement visible malgré la casquette. Amusé, Ryan secoue la tête et se remet à boire. Inutile de se demander à qui les messages sont destinés.

« Avec plaisir, bro. » Aussitôt la gourde échangée avec la crème solaire que Ryan se rapproche d’un pas pour se placer derrière l’autre homme et s’atteler à la tâche avec toute la serviabilité qui le caractérise. Il en profite pour effacer une trace blanche mal étalée derrière l’oreille de Lili. « Alors il raconte quoi d’beau, Nuage ? Il s’en sort avec ses lapins ? » Une nuance moqueuse dans sa voix, parce que c’est son devoir de bro de se chambrer quand l’un des leurs est visiblement piqué. En l’occurrence, Nuage va quand même beaucoup mieux au teint de Li-Seok que son ex gothique – littéralement. « Et voilà, tout beau ! » Une petite claque sur une fesse vient conclure en beauté cette mission réussie tandis que Ryan se retourne à son tour, usant le reste de crème entre ses doigts pour s’en réappliquer une couche sur le nez. « Tu m’fais la même ? »

Le bonheur de Li-Seok fait plaisir à voir. Pas la peine d’être un fin observateur pour remarquer les sourires niais, les paillettes dans ses yeux sombres ou encore la pointe de ses oreilles qui rosie quand Hae-Un est ne serait-ce que mentionné. C’est assez adorable. Et ce serait mentir que de prétendre ne pas se sentir un peu attristé de ne pas encore avoir pu rencontrer ce fameux Nuage, mais Ryan a conscience des circonstances particulières qui l’en empêchent. Il faut dire que leur connaissance commune est un sujet sensible – pour ne pas dire tabou – qui ne concerne aucunement Lili ; l’impliquer ne résulterait qu’en complications… indésirables. Alors pour le moment, le secouriste se contente de montrer son soutient et son approbation à distance à grands renforts de ricanements immatures et de taquineries affectueuses, comme il en fait sa spécialité.

La main au cul est inattendue mais non moins appréciée, Ryan se mettant à rire à son tour. « Parfait ouais. » Il grimace au contact froid de la crème sur sa nuque, puis suit du regard l’exclamation de son ami : la doberman s’est visiblement prise d’intérêt pour une énorme branche qu’elle grignote avec ardeur. Un peu plus en avant, Red a relevé la tête et trottine curieusement vers la commotion, telle la commère invétérée qu’elle est, la queue en panache et la langue pendante.

« Aww… Tu devrais être fier d’avoir une fille si forte et ambitieuse dans cette société si insupportablement patriarcale. Go Riri ! » Alors que Li-Seok l’abandonne pour aller jouer son rôle de père, Ryan finit d’étaler le reste de crème à l’arrière de ses bras, insistant sur ses épaules et la zone de peau dénudée par les manches échancrées de son haut. Chose faite, il range le tube dans une des poches de son sac de trail avant de consulter sa montre connectée qui émet un bip joyeux lorsqu’il fait défiler le menu pour trouver l’information demandée. « Dix-huit dans trois-cents mètres… on attaque bientôt la meilleure partie. » informe le secouriste en jouant des sourcils. Comme s’il ne s’agissait jusqu’ici que de l’échauffement. Impatiente de reprendre la promenade ou peut-être plutôt très intéressée par le jeu improvisé de tir-à-la-branche, Red se met à aboyer sur les deux participants en remuant la queue avec enthousiasme. « Laisse, chérie. » Ryan reprend la chienne d’un ton ferme, préférant éviter le risque d’une bagarre – aussi bon enfant soit-elle – pour un vulgaire bout de bois. Il se rapproche à son tour, observant la scène avec un sourire amusé jusqu’à ce que Lili réussisse à faire lâcher prise à Rihanna.  

Si son portable n’était pas enterré au fond de son sac sous la trousse à pharmacie et les gels énergétiques, Ryan ne se serait pas privé d’immortaliser la scène : nul doute que les chiennes qui aboient joyeusement et courent partout, en contraste avec l’air faussement contrarié de Li-Seok tel le père célibataire et dépassé qu’il est, auraient bien fait rire Lou et Saehee. Le secouriste accueille son ami d’un grand sourire amusé une fois le jeu terminé, un de ceux qui creusent de petites rides aux coins de ses yeux, tandis que Red fait mine de courser ses copines sur quelques mètres en claquant des mâchoires, comme pour leur reprocher d’avoir dévié du chemin.

« Ça me paraît carrément déséquilibré vu le ratio de départ m’enfin, j’imagine que les poils longs comptent double ? » Même si le ton y est, la question n’est pas vraiment sarcastique : toiletter Red n’est jamais une mince affaire, d’autant plus si elle décide de faire un saut dans le lac, quelques kilomètres plus loin, et de se rouler dans le sable juste après. A croire qu’elle le fait exprès, la gueuse. Le secouriste ricane en esquivant Sally qui dévale le sentier avant de se remettre à trottiner, sur les talons de Lili. Sa question lui arrache un rire : c’est si purement Li-Seok. Comme quoi, l’agent de probation a bien choisi ses études et sa voie professionnelle. « Ma vie est une infinie succession de tracas, mon ami. Va falloir être plus précis si tu cherches du croustillant. » qu’il répond avec un humour naturel. Il a beau savoir que Li-Seok met toute sa sincérité et son affection dans ces questions, Ryan n’a jamais trop aimé l’inquiéter – lui ou n’importe qui – avec ses problèmes ou les détails moins reluisants de sa vie. Le mois de juin qui se profile a une saveur amère, il préfère se concentrer sur de plus belles choses – comme leur rando et le beau temps qui l’accompagne. « Pourquoi cette question, les cernes sont si visibles que ça ? T’sais que ça m’empêchera pas d’te fumer au chrono, Dae. »

L’oreille attentive et le bon conseil toujours paré, Lili est un excellent confident. Ryan n’en a jamais douté, lui comme tous ceux qui ont eût la chance de croiser son chemin. Ce n’est pas pour rien que Li-Seok est souvent le premier vers qui il se tourne lorsque le secouriste a besoin d’évacuer un peu de pression. Il ne le fait pourtant pas avec plaisir ; Ryan n’aime pas s’épancher sur ses problèmes – problèmes… quel grand mot – alors qu’il côtoie bien pire au quotidien. C’est un grand garçon, il sait compartimenter et séparer les choses importantes des tracas voués à disparaître éventuellement.

A la taquinerie, Ryan affiche un air exagérément blessé avec une main sur le cœur. « Tes mots sont des poignards, Dae. » L’âge, non mais. Il secoue la tête et puis sourit. « Je sais je sais… mais t’inquiètes pas pour moi, va. » Involontairement, ses pensées vont à Xavi, dont c’est le mois d’anniversaire de la disparition, et vers son remplaçant auquel il n’arrive toujours pas à s’habituer. Il a beau se dire que c’est normal, que ce sont de vieux automatismes à régler différemment, il peut pas s’empêcher de s’en vouloir pour ça aussi. Ils ont prévu une sorte de soirée de commémoration pour Xavi et l’autre pompière décédée lors des attentats, à la caserne. Ryan accélère le pas tandis que le rire de Lili le sort de ses pensées. « Miraculeux oui. » Le sourire de Ryan tire sur la grimace à la mention de Nuage. Sans même l’avoir rencontré, le petit-ami de Li-Seok nourrit une rancœur farouche à son égard et, même s’il en comprend les causes, Ryan ne peut s’empêcher de la trouver exagérée. Ça le chagrine un peu par rapport à son pote, coincé entre les deux, mais que peut-il y faire ? Eli n’est plus un sujet, en ce qui le concerne. « Peut-être qu’il acceptera de m’adresser la parole dans quelques années. » qu’il renchérit en roulant des yeux. « Quoique 'faudrait pas qu’il se rende compte que j’suis pas qu’un connard toxique, il s’en remettrait pas. » A peine les mots prononcés que Ryan regrette la pointe de venin qui s’y est immiscée : il n’en veut pas à Nuage pour sa réaction, il est juste agacé par la situation – et sûrement plus fatigué qu'il ne le pensait.

Les yeux qui roulent au ciel et Ryan qui pousse un soupir dramatique à la réplique de son pote, toujours aussi pragmatique. De son point de vue, il n’a rien à se reprocher vis-à-vis d’Eli mis à part le fait d’avoir été foutrement naïf. Pour le reste, il estime sa réaction parfaitement légitime et si c’était à refaire, rien ne changerait. Eli était aveuglé par son admiration pour Icarus et le soi-disant "bien" qu’il faisait pour la communauté grâce à eux, il n’y avait tout simplement rien à en tirer. Nuage peut bien s’imaginer ce qui lui chante pour se donner bonne conscience à lui ou à son pote, Ryan n’en a rien à foutre. Il a pas ce genre de tolérance – malgré ce qu’aimerait croire Li-Seok. Au final, tant mieux si sa réaction a pu secouer Eli et le faire redescendre de sa tour d’ivoire made in Icarus, c’est même tout ce qu’il lui souhaite. « J’ai rien à me faire pardonner auprès de Nuage. » Un haussement d’épaules. « S’il veut parler ce sera avec plaisir, tu l’sais, mais qu’il s’attende pas à ça de ma part, c’est tout. » En vérité, ça le dépasse qu’Hae-un, vu sa vie compliquée dans l’Underapple, soutienne et défende aussi farouchement un fanboy des corpos, m’enfin. Si Ryan a des principes inébranlables, il a bien compris qu’essayer de les imposer à des inconnus était très souvent une cause perdue – et une limite à ne pas franchir en ce qui concerne ses potes… s’il veut les garder. « Je sais. Ça m’emmerde que tu sois coincé au milieu, juste. » Il lui offre un sourire et une pression affectueuse de sa main sur son épaule.

Au final, Lili se montre moins insistant que ce qu’il craignait, bien que la comparaison subtile avec les chiennes le laisse pensif. Tant mieux, le secouriste n’a pas la tête à se replonger dans cette histoire et encore moins à débattre sur ses positions. « Ouais carrément. » Ryan accepte la proposition avec naturel. « J’trouverai du temps cet été pour caser ça. On pourra refaire notre tournoi de basket, ça avait bien marché l’année dernière. » Le souvenir le fait rire, ses épaules détendues. Ils avaient même réussi à faire participer Lou sur une demi-journée : son équipe de gnomes était dirigée à la baguette, de vrais terreurs sur le terrain.

« Ah j’vois le lac… » Alors que Ryan lève le nez, un concert d’aboiements familiers résonne dans le sous-bois et le fait se mettre à courir. « Et merde- RED ! TU ATTENDS QUE J- » C’est au coup de sifflet strident – et pas avant – que la sauvageonne freine enfin des quatre fers, à quelques mètres à peine du plan d’eau. « Et elle a l’audace de me regarder comme ça, cette gourgandine. » râle Ryan, attendri contre sa volonté face à sa chienne qui trépigne, langue pendante, et couine d’impatience à l’idée de se jeter à l’eau.

Malgré la remarque de Lili et l’air particulièrement misérable de sa chienne, Ryan ne cède pas immédiatement, accélérant plutôt le pas pour lui retirer son harnais avant de le retrouver trempé. Red s’ébroue avant de se remettre à piétiner en couinant tel le chien le plus malheureux du monde. Comme le secouriste le dit souvent, il ne lui manquerait que la parole à celle-là, aucun problème à se faire comprendre. Ne souhaitant pas la torturer plus longtemps, Ryan se redresse et sourit. « Allez vas-y, chérie. Go ! » A peine l’ordre prononcé que la chienne bondit en l’air comme si montée sur ressors et saute à l’eau, éclaboussant généreusement son maître au passage, avant de se mettre à nager avec ardeur pour rejoindre sa copine. Mains sur les hanches, Ryan la suit des yeux un moment. « Et va pas trop loin, j’irai pas t’chercher ! » La menace n’a aucun poids, personne n’est dupe, vraiment, mais c’est le genre d’humour de daron qui l’amuse beaucoup.

Ryan finit par se détourner pour rejoindre Lili sur son rocher, geignant de façon exagérée sous les protestations de ses muscles au moment de s’assoir, puis étend ses jambes devant lui avec un soupir satisfait. La pierre chauffée par le soleil est très agréable, ça lui donnerait presque envie de faire une sieste. La question de son ami est considérée une petite seconde mais n’est pas si surprenante. « Ma réponse risque d’être assez redondante, non ? » Vu la conversation qu’ils viennent d’avoir, pas étonnant que les corpos vont y perdre quelques plumes. A part ça, ses pensées convergent directement en une seule, et pas des moindres : s’il pouvait faire n’importe quoi, il changerait le monde, Ryan. Rien qu’ça, ouais. Il soupire, pensif, remue le bout de ses baskets. « J’sais pas si j’pourrais choisir qu’un seul truc, honnêtement. La paix dans l’monde ? La répartition des richesses ? La disparition définitive des Sept et de l’emprise des corpos ? » Un sourire amusé qui creuse ses fossettes. Des rêves bien utopiques, des rêves néanmoins. « Ce s’rait un bon début. » Il rêve pas de gloire ni d’argent ou encore moins de pouvoir, Ryan, simplement que le monde soit meilleur – aussi niais que ça puisse sonner. Il sait que Lili se moquera pas. Après tout, s’ils ont bien un trait de personnalité en commun, c’est leur altruisme inébranlable. « Et toi tu ferais quoi ? »

Vu la tête qu’affiche son pote, sa façon de feindre la réflexion avec le regard qui se perd à l’horizon, Ryan aurait dû se douter qu’il allait se prendre une petite tape derrière la tête. Ça ne loupe pas. Les yeux qui se plisse à entendre la réponse de philosophe de Li-Seok, et puis le moment de doute à se demander si c’est une attaque personnelle ou pas du tout… suivi d’une seconde embarrassante à se dire qu’il ne se sentirait pas si vexé s’il n’avait rien à se reprocher. Ryan pince les lèvres, peu impressionné, détaillant le profil de son ami avant de le reporter sur Red qui s’amuse à plonger pour choper des poissons (sans succès). « T’as un sacré bol que j’sois super empathique alors, sinon t’aurais fini à l’eau. » Le ton est à moitié sérieux, une façon détournée de demander une trêve sur le sujet. Il n’aime pas spécialement se disputer avec Lili, Ryan – ni avec aucun de ses bros en réalité, mais, contrairement à Lou, l’agent de probation partage souvent ses opinions alors les divergences sont d’autant plus dérangeantes. Parce qu’il respecte l’avis et l’expérience de Li-Seok, et ça lui met un peu le nez sur ses contradictions, parfois, et Ryan n’aime pas ça. En l’occurrence, il voit très bien où Lili veut en venir (tout le monde a une histoire et juger c’est mal nanani nanana…) mais faut pas abuser non plus. Les corpos et leurs fans ne méritent pas sa patience ni son empathie. Chacun est libre de ses choix et doit les assumer, c’est aussi simple que ça.

Ryan se détourne vivement à l’approche de Louisa, anticipant les éclaboussures – à raison. Son rire fait écho à celui de Lili alors que la chienne vient les tremper avec enthousiasme, s’installant entre eux en haletant joyeusement. De son côté, Red est elle aussi sortie de l’eau et s’applique à présent à se recouvrir entièrement de sable, enchaînant les rouleaux sur la rive. Ryan la laisse faire, un sourire amusé au coin des lèvres. Un silence confortable s’installe quelques minutes, à peine perturbé par le bruit des chiennes qui jouent et de la brise légère dans les arbres, avant que le secouriste ne s’ébranle finalement. « On bouge ? » Debout sur ses pieds, il tend la main vers Lili pour l’aider à se relever.