Bonjour monsieur, nous allons procéder à un rapide contrôle d'identité : qui suis-je ? / Ryan

Elle a pas l’air hyper convaincue, Red. Le nez par terre tel un véritable aspirateur à odeurs, la chienne berger allemand ne semble écouter que d’une oreille les explications détaillées du pauvre Lamar qui a visiblement pourtant très envie de jouer au bâton avec elle. Ryan ne peut s’empêcher de souffler un petit rire navré, attendri par tant d’efforts voués à rester vains. Parce que comme le fait si justement remarquer Lou, Red n’a jamais été particulièrement intéressée par les jeux de lancer : Madame est trop bien pour ça, forcément. « Pas flic, chien pompier. » corrige Ryan par automatisme, tout comme les cent-soixante-douze autre fois où Lou a prétendu ignorer la différence juste pour l’emmerder. Foi de Chen, il n’y aura jamais de flic sous son toit, qu’il soit à deux ou quatre pattes. Naméo.

La cigarette proposée récolte une grimace qui ne dupe personne, les doigts aussitôt refermés autour de la fine tige blanche. Un jour il arrêtera. Ce jour n’est pas encore arrivé. Profitant du briquet de Lou, Ryan se penche pour allumer sa clope à l’abri du vent, exhalant sa première bouffée autour d’un rire quand son ami mentionne la tendance qu’a sa deuxième sœur aînée de se retrouver dans les emmerdes au pire moment. « Et ce serait pas la première fois qu’elle nous fait l’coup… » Noël dernier est encore trop frais dans leur mémoire ; le procès pour trouble à l’ordre public (évité de peu) n’est pas une expérience qu’il tient à renouveler de sitôt.

« Nah j’fais rien de spécial cette année, j’bosse le lendemain. » qu’il répond finalement avec un soupir fatigué, pour la forme, et ignorant inconsciemment l’amalgame entre la fête coréenne et son équivalent chinois. Il a l’habitude depuis le temps, avec Lou. « J’irai sûrement passer la soirée en bas avec ma mère et Frank et Irene, histoire de. » Ryan ne se sent pas particulièrement investi dans les traditions culturelles, de toute manière, voyant ça plutôt comme un prétexte pour passer du bon temps avec ses proches qu’une occasion de célébrer une spiritualité quelconque. Sa mère se contente de cuisiner quelques gâteaux de lune, en général, et la soirée se termine autour d’un film dans le salon familial. Ça lui suffit.

Écartant sa clope de ses lèvres, Ryan siffle brièvement pour attirer l’attention de Red qui s’est un peu trop éloignée devant eux. Autant éviter le risque que Lamar ne tombe à l’eau en essayant de la suivre sur le bord de la jetée. « Et toi ? Tu vas à Newark avec Lili ? Ou t’as déjà un truc de prévu avec ton mec ? »

Ryan se contente d’un haussement d’épaules et d’un sourire amusé face à la remarque de Lou à propos de son emploi du temps trop chargé. Il ne dira pas le contraire – suffit de voir son taux de caféine dans le sang quand le secouriste amorce sa vingt-quatrième heure de garde de la journée – mais il ne se plaint jamais non plus, autrement que pour la forme. C’est un métier exigeant qu’il s’est choisi et les heures de sommeil sont le minimum qu’il est prêt à sacrifier. D’autant que, clairement, Lou n’est pas le mieux placé dans leur groupe de potes pour faire ce genre de réflexion : le courtier ayant la sale habitude de consulter sa boîte mail à chaque fois que son téléphone se retrouve entre ses mains (soit plusieurs fois par heure en période de creux).

« Ouais c’est ce que j’avais cru comprendre aussi. » acquiesce Ryan en soufflant sa fumée sur le côté. « ‘Faudrait qu’on s’organise un weekend pour retourner le voir à Detroit un d’ces quatre, d’ailleurs. » C’est toujours un peu compliqué de rassembler le gang au complet, comme à l’époque : entre les obligations professionnelles de chacun, les copain.e.s, les gosses… ça laisse peu de marge de manœuvre, mais Ryan est de ceux qui n’aiment pas rester trop longtemps sans voir ses proches et qui privilégieront toujours le réel au digital.

Y’a un rire chaleureux qui répond en écho à celui de Lou lorsque ce-dernier lui explique son programme pour Chuseok. « Hmm, roadtrip ! Par contre vous allez être cozy dans la voiture, nan ? Ça fait quoi, cinq personnes et trois gros chiens ? Heureusement qu’la route est vite faite. » Du peu qu’il sait de MinHo – et surtout de ce qu’ils en ont déduit avec Li-seok, le type n’est par hyper fan des autres gens et semble tenir davantage du chat sauvage que du golden retriever. « C’est quand que tu nous l’présentes, au fait ? » qu’il enchaîne naturellement, un lueur taquine dans le regard. « Officiellement, j’entends. » Parce que dans l’genre secret, Lou pourrait faire concurrence à un agent de la CIA – du moins, c’est ce qu’il aimerait croire. Ryan et Lili ne sont pas non plus complètement aveugles et les pièces du puzzle s’emboîtent un peu trop facilement pour que ce ne soit qu’une coïncidence.

Les connaissances que Ryan possède à propos de MinHo se limitent à ce qu’il voit sur l’Argo et les souvenirs qu’il en a du temps de l’université. Le reste n’est que théories élaborées en compagnie de Li-Seok et basées sur l’observation et de pures suppositions. Ils ne pensent pas être trop loin de la vérité, pourtant, en ce qui concerne la personnalité élusive du copain de leur meilleur ami. Un chat sauvage entouré de mystères qui titillent leur curiosité et leur soif de gossips. Et puis, ce serait tellement plus simple de taquiner Lou sur son couple s’ils arrivaient à mettre la main sur d’avantage d’infos croustillantes.

« Ouais carrément ! » acquiesce aisément le secouriste. Comme quoi, il suffisait de demander. « Préviens-moi une semaine à l’avance que je m’organise avec le boulot et ce sera bon. » Ryan ne peut s’empêcher d’éclater de rire quand Lou se met à hésiter, un pli sérieux entre ses sourcils. « Quoi, t’as pas confiance en notre savoir-vivre et notre délicatesse à toute épreuve ? Choqué, Lou, je suis choqué. » Ça l’amuse, cette facette de Lou. Il ne la montre pas souvent, sauf peut-être quand il s’agit de ses enfants. « Plus sérieusement, tu fais comme tu l’sens, dude. Ou plutôt, ce qui est le plus confortable pour MinHo. » assure-t-il en haussant une épaule. La rencontre officielle n’a pas à être pressée non plus – ils ont attendu des années, ils peuvent bien encore attendre quelques semaines – et, même s’il est curieux, Ryan ne l’est pas assez pour risquer de se mettre MinHo à dos en forçant les choses. C’est important que ça se passe bien, Lou le mérite.

Y’a un petit temps de silence confortable qui s’installe, à peine ponctué par le cri lointain des mouettes, et puis un sourire qui étire le coin des lèvres de Ryan lorsqu’il observe son ami de biais. « C’est marrant d’te voir comme ça. Tout prévenant et attentif aux besoins des autres. Ça te va bien. »

Une fois tous les trente-six du mois, Lou a ce genre de réflexion altruiste et sincèrement désintéressée qui fait Ryan métaphoriquement s’arrêter sur ses pas. Il se demande si son ami en a conscience. C’est étonnant et un peu touchant, aussi, quand on remarque que ces accès de générosité sont bien souvent réservés à quelques rares élus. Sacré Lou. S’il n’existait pas ‘faudrait l’inventer.

Ryan ricane à l’évocation des parties de Just Dance intempestives. Ce n’est pas comme s’il pouvait en toute honnêteté réfuter cette accusation : c’est déjà arrivé, et ça arrivera probablement à nouveau. « On saura s’tenir, promis. » le rassure-t-il finalement avec un sourire. Il a bien compris que MinHo n’était pas spécialement à l’aise en compagnie d’inconnus, ce n’est pas un problème, ils iront à son rythme. Rien ne sert de forcer les choses.

« J’me moque pas, au contraire ! » Un éclat de rire suivit d’une pression affectueuse sur l’épaule de Lou. « Mais disons que j’ai plutôt l’habitude de te voir foncer tête baissée quand t’as une idée en tête, ça change. En bien, évidemment. Ton mec a réussi en quelques mois ce qu’on a pas pu faire en dix piges, j’peux qu’être impressionné tu comprends. » Au minimum, MinHo mérite une médaille (et un chèque de compensation).

Un peu plus loin sur le chemin, Red a visiblement réussi à s’emparer du bâton de Lamar et s’amuse à esquiver les tentatives de ce-dernier pour le lui reprendre. « Comment ça se passe avec les gamins au fait ? J’me fait pas de soucis pour Lamar, mais j’imagine que Jia a été plus difficile à convaincre, nan ? La connaissant… » Du haut de son mètre vingt, la petite terreur possède déjà un caractère bien trempé et ne se laisse pas amadouer aussi facilement que son frère.