I'm fine, I swear [PV Imran]

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi

Hugh avait commis une erreur. Une terrible faute. Cela n'aurait pas dû arriver, mais il était trop tard pour le regretter. Depuis cette mission confidentielle qui l'avait obligé à se confronter au vrai visage d'Icarus, Hugh ne parvenait plus à se relever. L'homme était hanté par la culpabilité, l'horreur vis-à-vis de ce travail qu'il devait continuer à accomplir, et la peur de ce que ces doutes impliquaient.

Hugh ne pouvait parler à personne : sa soeur cadette n'hésiterait pas à tout faire pour rendre publique les secrets d'Icarus Inc., ce qui la mettrait tout autant en danger que Hugh ne le serait. Il était obligé de prétendre que tout allait bien, de mentir constamment, lui qui n'avait jamais été doué pour cet exercice, et de ravaler encore et encore cette boule qui ne quittait plus sa gorge.

Hugh avait craqué : il avait suffi du bruit de l'alarme incendie, déclenchée par un (ex) employé ayant eu la brillante idée de fumer dans les toilettes comme un lycéen, et voilà. C'était ainsi que Hugh se retrouvait à attendre devant le bureau d'Imran Qureshi, psychiatre pour Icarus Inc, pansement sur le front dissimulant une plaie qu'il s'était infligée, après avoir perdu le contrôle.

Hugh avait son propre thérapeute : c'était donc la première fois qu'il consultait celui d'Icarus. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était potentiellement surveillé, qu'ils voulaient s'assurer qu'il tiendrait sa langue et que sa loyauté ne faillirait pas. Même dans un environnement supposé être "sauf", Hugh n'était pas à l'abri du danger. On ne quittait pas impunément Icarus quand on connaissait ses entrailles...

L'homme était donc nerveux, d'une façon qu'il avait renoncé à essayer de cacher. Il n'avait pas assez d'énergie pour masquer ses comportements ET fonctionner un tant soit peu au quotidien, actuellement. Ses doigts étaient occupés à plier et déplier un cube Infinity, tandis que Hugh s'était laissé aller à un mouvement de balancier, dont la régularité l'aidait à conserver son calme.

Ses altérations faisaient le reste : sa vision était légèrement assombrie, filtre UV lui permettant de mieux supporter les lumières de la salle d'attente, et ses écouteurs intégrés diffusaient une musique relaxante, répétitive, parfaite pour le garder focalisé sur l'instant présent et non la myriade de doutes qui l'habitait.

Le regard de Hugh était fixé sur son cube, son attention accaparée par l'objet, tant et si bien qu'il ne réalisa pas immédiatement qu'on lui avait demandé d'entrer. Il fut secoué d'un sursaut quand le thérapeute rentra dans son champ de vision, s'empressant d'éteindre la musique qu'il était seul à entendre, se levant pour saluer l'homme :

"Bonjour. Pardon de m'être montré distrait."

La voix était atone, le regard fuyant. Hugh n'avait pas les ressources pour essayer de dynamiser son discours, ou de maintenir un contact visuel. Pas s'il voulait être en mesure de communiquer verbalement. Il serra brièvement la main du thérapeute, avant de se retirer de ce toucher aussi vite que possible. Ses doigts effleurèrent ses lèvres, rapide coup de dent donné à la chair sans y penser, avant qu'ils ne recommencent à triturer son fidget toy, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.

Suivant l'homme dans son office, il s'exprima à peine assis, mots se bousculant les uns les autres dans un discours trop rapide :

"Ils m'ont dit qu'il fallait que je vienne vous voir, mais je vais bien. Je n'ai fait de mal à personne. Il y a eu l'alarme incendie, et j'étais fatigué, et... et..."

Et il avait crié. Il avait frappé le mur. Abattu son crâne contre la surface la plus proche. Une rougeur le saisit, en repensant à ce moment précis, quelques jours plus tôt. Ils avaient été obligés d'appeler sa sœur pour venir le chercher, car Hugh n'était pas en état ni de se déplacer sans aide ni même de communiquer clairement, et sa cadette était sa référente auprès de l'entreprise, spécifiquement en prévision de ce genre de problèmes.

Il aurait préféré qu'elle ne sache rien. Qu'elle ne le voit pas dans cet état. Mais c'était trop tard. Il insista auprès du thérapeute, conscient de ne rien pouvoir lui dire de ce qui l'angoissait de la sorte, fatigué d'avance à l'idée de devoir mentir, encore une fois :

"Je vais bien. Si on me laisse retourner à mon poste de travail, je n'embêterais personne. Et je ferais très bien mon boulot. Comme je l'ai toujours fait."

Malgré tout, Hugh ne pouvait s'empêcher de laisser entendre cette note de fierté vis-à-vis de ses compétences. Il était un atout dans son domaine, et il le savait. Et c'était probablement ce qui le répugnait plus encore : qu'il aimait et soit bon à son travail, quand il ne pouvait désormais plus ignorer ce à quoi il contribuait.

Mais ça, M. Qureshi n'en savait probablement rien. Les secrets d'Icarus étaient si bien gardés, au sein même de l'entreprise : Hugh lui-même était persuadé de n'en avoir gratté qu'une fine surface, mais c'était assez pour ne pas risquer de le laisser s'échapper. Quoi que cela puisse coûter...

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : mention d'automutilation, validisme internalisé

M. Qureshi semblait gentil. Dans d'autres circonstances, Hugh se serait probablement senti suffisamment à l'aise pour s'exprimer franchement, étant généralement plutôt bavard et ouvert lors de ses sessions avec son thérapeute habituel. Mais la situation qui était sienne n'était pas ordinaire. Et Hugh ne parvenait donc pas à se détendre, ni à accorder sa pleine confiance à l'homme qui lui faisait face.

Regard fuyant, il lui avait signalé d'une petite voix, tout en réfléchissant à ce qu'il pouvait dire et ce qu'il ne devait surtout pas révéler :

"Hugh. Vous pouvez m'appeler Hugh."

Il avait tenté de faire comprendre qu'il allait bien, un mensonge qu'il avait répété à d'autres et à lui-même continuellement, semaine après semaine. Hugh était malgré tout toujours aussi peu doué pour tromper son interlocuteur, son anxiété encore plus évidente après sa prise de parole. Il brûlait de se recroqueviller sur le siège sur lequel il était assis. Au lieu de cela, Hugh s'enlaça de ses bras, léger mouvement de balancier pour tenter de s'apaiser, tandis qu'il écoutait la réponse de M. Qureshi.

Bien évidemment, il pensait que Hugh était obligé de prendre part à cette session pour son propre bien, et non pour vérifier qu'il n'était pas susceptible de trahir Icarus et ses secrets après cette mission de terrain chaotique. Hugh se mordilla la lèvre inférieure, son sourcil se haussant malgré lui lorsque le thérapeute lui fit savoir que la confidentialité était de mise, et que rien ne sortirait de la pièce. Le scepticisme de Hugh était évident, il était incapable de le dissimuler correctement.

Ce n'était pas parce qu'il ne voyait pas de caméras ou de micros qu'ils n'existaient pas pour autant. M. Qureshi pouvait très bien lui mentir, comme il pouvait penser lui dire la vérité, mais avoir été trompé par leurs supérieurs hiérarchiques. Hugh ne pouvait pas croire qu'il n'était pas surveillé d'une quelconque façon, durant cette séance mandatée : il était membre du laboratoire secret d'Icarus Inc., avait pris part à une mission dont personne ne devait connaître les tenants et aboutissants (et en était ressorti profondément traumatisé)...

En plus de cela, sa sœur s'était déjà fait connaître pour avoir porté son affaire en justice, des années auparavant, et ne pas avoir hésité à rendre public des données qui auraient pu compromettre Theseus Corp, s'ils n'avaient pas pris soin de se détacher formellement de la mère de Hugh et des expériences qu'elle avait pu mener sur lui. C'était un risque que les supérieurs de Hugh ne pouvaient pas se permettre de prendre.

Hugh donnerait tout pour oublier ce qu'il avait vu, et pouvoir reprendre son travail sans que sa conscience ne le torture, mais ce n'était pas une possibilité. Et, même si ça l'était, ce serait déshonorer la mémoire de l'homme qu'il avait contribué à appréhender pour le compte d'Icarus Inc. Hugh n'avait pas le droit de se permettre un tel confort. Il devait vivre avec ce qu'il avait fait.

L'homme lui demanda des précisions sur l'alarme incendie, et Hugh s'exécuta, le sujet lui semblant suffisamment sauf pour ne pas avoir à hésiter à en parler :

"J'étais fatigué. L'alarme incendie s'est déclenchée, et ce n'était pas un exercice. Je le sais, parce que je suis généralement prévenu quelques minutes avant, pour pouvoir me préserver et être en mesure de reprendre le travail après avoir procédé à l'évacuation."

Etre prévenu pour un exercice incendie pouvait sembler aberrant, mais c'était nécessaire pour Hugh. Ce n'était pas l'évacuation qui lui posait problème, après tout, mais le fait de devoir retourner travailler après avoir dû supporter le bruit assourdissant de l'alarme, l'interruption soudaine de ses tâches, et l'anxiété de la foule. Durant un vrai incendie, Hugh ne devrait pas retourner à son poste pour travailler, c'était certain.

Mais il s'agissait là d'un accident. Quelque chose qui n'avait pas pu être prévu, et qui n'avait interrompu qu'un instant leurs tâches. Avec l'anxiété dont souffrait Hugh, il n'avait pas eu l'énergie nécessaire pour supporter cette épreuve.

"Je n'avais pas beaucoup dormi, c'est pour ça que j'ai eu cette crise. Que je me suis fait du mal, et qu'ils ont dû appeler ma sœur pour venir me chercher. Ça ne s'est pas produit avant, et ça ne se reproduira plus. Je sais me gérer."

La dernière crise de ce genre remontait justement à sa mission pour le compte du laboratoire Synergie et la cellule D. Hugh détestait qu'on le voit ainsi, et plus encore qu'on essaie de l'aider (sans avoir les clés de compréhension nécessaires pour le faire). Il avait appris à contenir ses crises, à les intérioriser ou à les déclencher dans la sphère privée, là où nul n'avait à l'entendre ou à le voir de la sorte. Autant qu'il le pouvait, il cherchait également à préserver sa sœur de le voir ainsi : elle faisait déjà tellement pour lui.

Si Icarus Inc. l'avait forcé à cette session avec M. Qureshi, c'était très certainement parce que cette crise était on ne peut plus révélatrice de son état mental à l'heure actuelle, un danger potentiel pour leurs intérêts. Hugh devait les convaincre qu'il préférait encore s'épuiser et se malmener jusqu'à mort s'ensuive, plutôt que de les trahir.

"Vous n'avez jamais été fatigué, vous ? Je suis sûrement loin d'être le seul employé d'Icarus Inc. à me retrouver épuisé de la sorte. Ce n'est pas parce que j'ai un diagnostic et des manifestations plus visibles que cela doit en être pour autant plus préoccupant. Je n'ai fait de mal à personne. J'ai juste besoin d'une bonne nuit de sommeil. Je vais bien.

Hugh s'entêtait à répéter ces derniers mots, comme s'ils finiraient par devenir vrais à force de les articuler. Mais son anxiété et son état d'épuisement généralisé étaient trop évidents pour que ses paroles aient un semblant de vérité. Des traits creusés, une tendance à antagoniser son entourage qui lui était si peu ordinaire, des tics plus prononcés, des difficultés visibles à masquer ses gestes d'auto-stimulation, des tendances autodestructrices... Hugh cochait toutes les cases d'un burnout autistique, mais prendre du repos durablement n'était pas envisageable.

Cela ne ferait que rendre plus difficile son retour. Cela ne rendrait que plus tentant le désir de parler, de vider son sac, de se libérer de cette fichue culpabilité. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était faire semblant, prétendre que tout allait bien dans le meilleur des mondes, et qu'il était toujours aussi satisfait et fier d'accomplir son travail.

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : mention d'automutilation, validisme internalisé, mention d'abus

S'il n'avait pas été aussi anxieux, Hugh aurait ri des inquiétudes de M. Qureshi, tant elles étaient éloignées de ses préoccupations. Le bureau aurait pu être dénué de tout mobilier que Hugh l'aurait à peine remarqué : ce n'était définitivement pas la raison ou la source de son angoisse. Il parvint à esquisser un frêle sourire, un court instant, si rare sur son visage ces derniers temps, avant de hausser les épaules :

"J'aime les lieux dépouillés. Pas de fourmillement de détails pour détourner mon attention. Votre bureau n'est pas le problème."

Il aurait aimé continuer cette phrase, mais il ne pouvait pas. Pas sans exprimer en toute franchise sa loyauté défaillante envers Icarus Inc., et ainsi creuser sa propre tombe. Et probablement celle de sa sœur. C'était ça qui le terrifiait, plus encore que tout le reste. Qu'elle ait à payer le prix de ses actes et de son allégeance, elle qui avait toujours été là pour lui.

Au lieu de cela, Hugh garda le secret, s'exprimant plutôt sur l'incident qui l'avait mené dans le bureau de M. Qureshi. Mais la réponse qu'il lui donna n'était pas celle que le bio-informaticien espérait. L'homme était exigeant, particulièrement envers lui-même, et laisser transparaître ainsi sa vulnérabilité sur son lieu de travail était définitivement source de déception pour Hugh. Il y avait aussi de la honte, née d'un validisme internalisé tout autant que d'un manque d'estime de soi. Et la peur du regard d'autrui, du traitement qui lui serait réservé par ceux qui avaient été témoins de ses failles.

"Ca ne se reproduira plus."

Hugh s'entêtait, contrarié, son anxiété rejaillissant de mille manières. Il ne comprenait pas comment il pouvait être à la fois répugné du travail qu'il faisait et, pourtant, si désireux d'être toujours perçu comme compétent par ses supérieurs. Cela ne faisait pas sens pour lui, et cela le frustrait d'autant plus. Mais il ne pouvait pas non plus en parler, pas sans trahir ce qui s'était passé, ce à quoi il avait assisté et contribué.

"Je peux me maîtriser, me contenir, pour que ça ne pose de problèmes à personne. J'ai su le faire jusque là, et je continuerai à le faire. J'en suis capable. Je n'ai pas besoin d'aide, ou de suivi sur mon lieu de travail, ou quoi que ce soit dans le genre."

Outre ce qu'il s'efforçait de contenir actuellement, il y avait aussi les traumatismes du passé qui s'exprimaient. Une mère abusive qui l'avait traité comme un cobaye pour mieux le contrôler, assumant sa tutelle bien au-delà de son enfance, le réduisant à un rat de laboratoire sous prétexte de "l'aider".

S'extirper de cette tutelle et acquérir une vie ordinaire, indépendante, avait été une lutte difficile, aussi bien pour Hugh que pour sa sœur, qui avait bataillé avec la justice pour faire reconnaître les droits de son aîné. Il ne pouvait pas s'imaginer à nouveau être manipulé de la sorte. Devoir donner les clés de son autonomie.

M. Qureshi insistait tout autant que lui, pour qu'il reconnaisse le mal qu'il s'était infligé et qu'il cesse de nier son niveau d'anxiété. Outre cela, l'homme essayait de l'inviter à s'ouvrir sur la cause de son angoisse, et Hugh était coincé. Incapable de parler, et pourtant si désireux de se libérer. Condamné à subir cette anxiété dont ils ne pouvaient résoudre la cause, puisque sa seule option de sortie était la mort. Icarus ne laissait pas partir les employés de Synergie si facilement...

Alors qu'il persistait à se refermer comme une huître, les derniers propos du thérapeute attisèrent sa curiosité malgré lui. Hugh était passionné par son travail et, par extension, par les mutations et ce qu'elles pouvaient faire. Comment résister à la tentation ?

Son regard se leva vers M. Qureshi, incapable de faire taire son appétence pour la science bien longtemps. Icarus ne pourrait pas lui reprocher d'avoir voulu étudier une mutation en action, n'est-ce pas ? Et il s'assurerait de garder sous clé tout ce qui devait l'être. Il ne laisserait pas son... aura, ou quoi que cela puisse être, dévoiler une vérité qui devrait rester cachée. S'imaginer contrôler cela était probablement naïf de sa part, mais c'était tout le prétexte dont il avait besoin pour agréer, hochement de tête hésitant :

"Vous pouvez faire ça ?"

Hugh se mordilla la lèvre, avant de demander d'une petite voix :

"S'il y a certaines choses que je ne veux pas que vous voyez, vous ne les verrez pas, n'est-ce pas ?"

Hugh voulait l'entendre dire cela. Même si ce n'était pas vrai. Même s'il ne pouvait pas le lui assurer pleinement. Pour la première fois de sa vie, Hugh souhaitait que son interlocuteur lui mente. Pour soulager sa conscience. Pour le libérer de sa peur, et lui permettre de s'ouvrir, ne serait-ce qu'un peu.

"Je ne manque pas de confiance en vous, M. Qureshi. Je veux que vous le sachiez."

Hugh ressortit son cube Infinity, jouant avec pour occuper ses mains, éviter de se griffer. Le bio-informaticien était en équilibre sur un fil, et il risquait d'en tomber à tout moment, s'il en disait trop. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était communiquer à demi-mot, ce qui était loin d'être sa spécialité. Hugh ne faisait pas les choses à moitié : il parlait, ou il ne parlait pas.

La situation, pourtant, l'obligeait à faire usage de nuances avec lesquelles il n'était pas familier. Qu'il maîtrisait bien mal. Pour faire comprendre au thérapeute que ce n'était pas lui le problème, ou son bureau, ou quoi que ce soit d'autre. Que le souci était ailleurs, et qu'il n'était pas en mesure de le verbaliser. Pas sans les mettre en danger, tous deux. Et sa sœur également.

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : automutilation, mention de maltraitance scolaire, validisme

M. Qureshi en arriva très rapidement aux sujets complexes. Difficiles à exprimer. Sa relation avec ses collègues de travail. C'était... compliqué, et même bien plus que cela encore. Hugh n'avait pas été martyrisé comme il avait pu l'être durant sa scolarité, mais il n'en restait pas moins seul, la plupart du temps. Et il n'ignorait pas non plus les surnoms qui pouvaient lui être attribués, ou la manière dont on pouvait le traiter. Parfois comme un enfant. D'autres fois comme un robot.

Il songea brièvement à Damian, qui s'était montré si patient avec lui lors de leur mission, en dépit des circonstances. Qui s'était assuré qu'il rentre chez lui sauf, qui ne l'avait pas abandonné durant sa crise, malgré son ignorance évidente vis-à-vis de son handicap. Malgré tout, pouvait-il le qualifier d'ami ? Hugh ne l'avait pas revu, depuis ce moment maudit. Et peut-être que Damian n'avait pas la même perception de la situation que lui-même l'avait... Peut-être l'avait-il trouvé ennuyeux. Une charge à gérer, dans une affaire déjà ô combien délicate.

Hugh réalisa qu'il était resté silencieux, plongé dans ses pensées, beaucoup trop longtemps, et, après une brève grimace et un haussement d'épaules, il finit par répondre :

"Nous avons des relations cordiales. Ils me sollicitent si besoin, je communique avec eux si j'ai besoin de davantage de précisions pour faire mon travail. Je sais qu'ils m'appellent Rain Man quand ils parlent entre eux, mais, au moins, ils sont relativement polis quand nous devons interagir. Et ils ne sabotent pas mon travail."

Après un mouvement de cou qui tenait du tic nerveux, Hugh ajouta :

"Je ne suis pas payé pour perdre mon temps à discuter, de toute façon. Mon travail demande beaucoup de concentration. C'est préférable que mes collègues ne souhaitent pas me fréquenter plus que nécessaire."

Si cela sonnait comme des excuses, c'était probablement parce que c'était bien cela. Au fond, Hugh se sentait envieux, parfois, d'interactions qu'il observait entre ses collègues. Il aurait aimé que tout cela lui vienne plus naturellement, ou qu'on lui accorde la patience dont il avait besoin pour pouvoir trouver sa place. Mais c'était probablement mieux comme ça. Au moins, ses collègues n'étaient pas assez attachés à lui pour se montrer curieux et fouineurs sur des sujets desquels il était préférable qu'ils restent à l'écart. Tout ce dont Hugh avait à s'inquiéter, au sein d'Icarus Inc., c'était ses supérieurs hiérarchiques. Et son thérapeute.

M. Qureshi, et son pouvoir qui, malgré Hugh, attisait sa curiosité, le poussant à négliger une prudence pourtant nécessaire. Un pouvoir qui risquait de dévoiler ce que Hugh s'efforçait désespérément de garder secret... Plus M. Qureshi s'approchait de la vérité, plus l'angoisse de Hugh grandissait. L'homme se referma comme une huître, regard définitivement fuyant, alors qu'il marmonnait en guise d'excuse :

"Mon travail est de nature délicate."

Hugh ne craignait pas que M. Qureshi soit témoin d'une journée ordinaire à Icarus Inc. : il doutait que le thérapeute ait la formation nécessaire pour comprendre les programmes qu'il codait à longueur de temps pour les scientifiques et expériences qui en avaient le besoin. C'était cette journée en particulier que Hugh était terrifié qu'il puisse voir : celle-là même qui avait créé tous ses troubles. Qui le menait en ce lieu aujourd'hui. Hugh était tenté de fuir, mais le faire risquerait d'éveiller la suspicion et la curiosité de M. Qureshi : deux traits qui pourraient le mener à sa perte.

Sa question suivante le poussa à se refermer un peu plus, se focalisant plus encore sur son cube pour éviter de partir en courant ou de réagir vivement à la situation. Bien sûr qu'il y avait des choses qu'il ne pouvait pas dire ! Il ne serait pas dans cet état, s'il était simplement en mesure de se confier. S'il n'était pas menacé, ainsi que ses proches et ceux auxquels il parlerait, s'il venait seulement à évoquer quoi que ce soit.

Il ne répondit pas, pas même par un hochement de tête, un son nerveux et guttural glissant malgré lui hors de ses lèvres. Il parvint tout de même à articuler un bref "Oui." quand M. Qureshi lui posa une dernière question sur son cube. L'instant d'après, ses leçons d'habileté sociale lui revenaient en tête, et, mû par l'idée que, peut-être, la question de M. Qureshi sous-entendait qu'il serait intéressé de voir l'objet de plus près, il posa le cube devant lui, à portée de main pour le thérapeute.

Dépouillé de l'objet sur lequel il concentrait toute sa nervosité, ses doigts revinrent instinctivement trouver ses cheveux, son visage. D'une main, il tirait une mèche, par à-coups, tandis qu'il glissait son index entre ses lèvres et le mordait, son regard allant de M. Qureshi à son cube, avant de s'aventurer sur le reste de la pièce, à la recherche de caméras, de quoi que ce soit qui pourrait lui indiquer que leur entretien était surveillé. Ne rien trouver ne faisait rien pour l'apaiser, bien au contraire.

Hugh cessa brièvement de maltraiter son index, traces de dents marquant la chair, assez longtemps pour souffler d'une petite voix :

"Je vais bien. J'ai juste besoin de retourner travailler."

L'instant d'après, Hugh revenait à son comportement auto-destructeur, à ses tics douloureux, la seule technique dont il disposait à cet instant pour ne pas s'en prendre à son environnement, ou perdre définitivement son calme. Instinctivement, il bâtit un mur entre le reste du monde et lui-même, regard s'égarant dans le vide, gestes et mouvements tenant plus de l'automatique que du conscient. Une manière pour lui de se préserver, et tout autant de protéger le thérapeute, qui n'avait pas la moindre idée du danger auquel il s'exposait...

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : automutilation, validisme

Hugh avait haussé les épaules, expression d'indifférence sur le visage, lorsque M. Qureshi lui avait fait savoir que l'appeler "Rain Man" n'était pas très gentil. Il le savait, mais il avait subi bien pire de la part d'autrui, Hugh avait appris à s'en accommoder. Il préférait largement le soupçon de mépris et de condescendance que certains de ses collègues pouvaient montrer à son égard que l'agressivité ouverte dont il avait été victime plus d'une fois durant son enfance.

Même si une part de lui se languissait d'autre chose. De se sentir vraiment sur un pied d'égalité avec ses collègues, de ne pas être constamment regardé à travers le prisme de son handicap, comme si c'était là la seule chose qui le définissait. Hugh était un être à part entière, avec ses intérêts et ses valeurs. Valeurs qu'il persistait d'ailleurs à trahir, en continuant à travailler pour Icarus en dépit de la torture que lui faisait subir sa torture...

"Je ne peux pas les forcer à m'apprécier. Et je suis fatigué de faire semblant d'être ce que je ne suis pas pour avoir une chance de m'intégrer. Ça se voit, de toute manière. Les gens le sentent."

Avant même qu'il n'ait un label à poser, ses camarades savaient que Hugh était différent. Différent d'une manière qui dérangeait. Qui perturbait. Et cela continuait à ce jour. Hugh s'y était résigné, principalement parce qu'il n'avait pas la force de se battre contre la société dans son entièreté et ses préjugés. Il avait sa sœur. Quelques personnes proches de son cœur. C'était tout ce qui comptait, non ?

Imran Qureshi se rapprochait dangereusement de la vérité. Les yeux de Hugh cherchèrent en vain des caméras, des micros, mais il ne trouva rien, ce qui ne participait pourtant pas à le rassurer. L'homme secoua ses jambes, luttant contre l'envie de s'enfuir de cette pièce pour ne plus y retourner. Ses mots venaient à lui manquer : il ne put qu'acquiescer d'un geste, avant de rentrer la tête dans les épaules, comme si le simple fait de reconnaître cela pourrait lui valoir la guillotine.

"Hmm."

A peine un bruit de gorge. Par la suite, Hugh ne parvint guère à prononcer plus de quelques paroles, pour faire savoir avec entêtement qu'il avait besoin de retourner travailler. Il les sentait, les fissures dans son masque, la vérité qui voulait sortir, avec toute cette souffrance qu'il contenait, qui le dévorait de l'intérieur, menaçait de le réduire à néant. Ses dents se refermèrent un peu plus violemment sur son index, son corps se tendant tandis que M. Qureshi s'approchait, comme s'il craignait qu'il ne le touche, s'effrayant de cette proximité et de la tentation qu'elle représentait.

Ses yeux étaient perdus dans le vide, mais il écoutait, alors que M. Qureshi lui expliquait ce que son pouvoir pouvait accomplir. Les mots se détachèrent dans son esprit, prenant lentement sens, tandis que son regard se brouillait, larmes glissant le long de ses joues. Il savait que la solution proposée par le thérapeute ne convaincrait nullement Icarus, s'ils venaient à les observer. Qu'il devrait refuser. Mettre fin à cette mascarade.

Mais Hugh était fatigué. Il était fatigué d'être seul à porter ce poids qui l'écrasait un peu plus chaque jour. De n'avoir personne pour lui donner le courage de continuer, lui rappeler ce qu'il risquait, le soutenir dans ce chemin qu'il ne pouvait tout simplement pas quitter. Egoïstement, il songea brièvement que, au moins, M. Qureshi n'était pas sa soeur. Qu'elle n'aurait pas à souffrir sa faiblesse.

La pensée l'horrifia, mais il se contenta de hocher la tête, reniflant, essuyant d'un geste maladroit ses larmes. Hugh entrouvrit les lèvres, une fois, deux fois, avant de parvenir à articuler d'une voix étranglée :

"D'accord."

Verrait-il ? Verrait-il les tourments de Cadmus Scott, en proie à un pouvoir qu'il ne contrôlait pas, enlevé de son existence sous prétexte de l'aider ? Enfermé dans un laboratoire pour le restant de ses jours, si tant est qu'il soit encore vivant ? Et Hugh, spectateur de l'horreur, participant actif à cette mission inhumaine, le verrait-il, recroquevillé dans son coin, traumatisé, mais ne pouvant que collaborer, participer à cet enlèvement, au traumatisme profond de Cadmus ?

Assisterait-il aux expériences, celles auxquelles, par ses programmes et ses logiciels, Hugh avait contribué, en réussissant à se convaincre qu'il agissait pour le plus grand bien ? Verrait-il le lâche, le monstre, l'instrument naïf qui n'était désormais que trop conscient de ce à quoi il participait ? A cette pensée, Hugh se recroquevilla un peu plus sur son siège, jusqu'à dissimuler son visage dans le creux formé par ses genoux serrés contre son torse, tremblements secouant ses membres. Quittant la morsure de ses dents, ses doigts se réfugièrent dans ses cheveux et tirèrent, maltraitèrent, tandis que Hugh se préparait à l'inévitable.

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : automutilation, validisme, traumatisme

Il avait espéré. Bêtement, il avait espéré qu'Imran Qureshi ne soit pas témoin de cet événement. Il y avait tant de choses auxquelles son cube avait pu "assister", après tout, pourquoi faudrait-il que ce soit ce moment spécifique dont il devrait être le spectateur ? Mais, bien qu'il ne soit pas doué pour interpréter les expressions, Hugh avait immédiatement su ce que M. Qureshi avait vu. Il avait relevé la tête de son refuge, et avait souhaité ne jamais avoir quitté le réconfort de ses ténèbres.

Hugh plaqua ses mains sur ses oreilles, secouant la tête, tandis que les questions commençaient déjà à fuser, inévitables face à l'horreur. Toutes ces interrogations que sa sœur aurait pour lui, s'il venait à partager son secret. Il ne pouvait rien dire. Il ne devait rien dire. Sa première tentative de communication ne dépassa guère le stade de la plainte, un gémissement incohérent franchissant le seuil de ses lèvres, avant qu'il ne parvienne à articuler, frappant ses oreilles de la paume de ses mains :

"Non ! Non, c'est secret ! C'est secret !"

La protestation fut répétée encore plusieurs fois, alors que Hugh comprenait qu'il ne pouvait pas échapper plus longtemps à la situation, à ce qu'il avait fait, et aux conséquences potentielles de ses actes. Il avait participé au pire et il n'avait pas su le cacher. Et maintenant... Maintenant...

Le visage de sa sœur s'imposa à son esprit, et Hugh frappa ses oreilles une nouvelle fois, avant que sa langue ne se délie, que les mots ne sortent de son être comme une vérité qu'il lui fallait vomir, les syllabes se chevauchant et se confondant. Hugh avait l'impression de hurler, mais ce n'était pourtant qu'un filet de voix qui s'extirpait de sa gorge, à peine plus qu'un murmure :

"J'ai pas l'droit, c'est dangereux, dang'reux pour tout l'monde. Secret, c'est secret, il faut rien dire."

Le monologue se poursuivit sans que Hugh ne songe à reprendre son souffle, regard rivé vers le sol, mains crispées sur ses oreilles :

"Bon travail. Bon travail, silence, et tout va bien s'passer. Pour la bonne cause. Icarus m'a sauvé, ils m'ont sauvé, et, et, et je travaille pour eux. Si je parle, c'pas du bon travail, c'est dangereux."

Hugh lâcha ses oreilles, et pressa ses yeux du bout des doigts, paupières fermées, ajoutant en hyperventilant :

"J'veux oublier ! Mais j'peux pas. Si j'oublie, c'est... c'est... c'est..."

Hugh reprit son souffle enfin, une longue inspiration rauque, qui le sapa de toute son énergie. Il réalisa à l'instant qu'il était tombé de sa chaise, incapable de déterminer précisément à quel moment ça s'était passé, inconscient de l'état de son corps, ou du mal qu'il se faisait subir. Regard perdu dans le vide, Hugh termina enfin sa phrase, avant de sombrer dans le silence, un silence lourd de sens :

"C'est lui que j'trahis."

Et là était le nœud du problème. L'horreur de la situation. Hugh était incapable de réconcilier la loyauté et le respect qu'il éprouvait pour Icarus Inc. avec sa propre conscience. Il ne pouvait pas imaginer faire effacer de sa mémoire ce qui s'était passé, seul témoin qu'il était conscient que ce que Cadmus avait subi n'était pas juste.

Dès lors qu'il tentait de se convaincre qu'il agissait pour le mieux, préservant les intérêts de sa compagnie, le visage de Cadmus Scott lui revenait, ce regard terrifié outre-mesure, celui d'un homme brisé par la peur, tandis qu'on le menait (cela devenait de plus en plus clair, même si Hugh ne voulait pas l'admettre) à l'abattoir.

Il voulait tout quitter et, pourtant, une part de lui ne pouvait s'y résoudre. Et ce n'était pas simplement pour préserver ses proches, même si cela restait la raison principale. Non, c'était sa fidélité et sa reconnaissance envers l'entreprise qui le guidaient également. Envers ceux qui lui avaient permis de développer son autonomie, de gagner son indépendance, après une existence passée sous le contrôle de sa mère, à subir ses abus.

Et, malgré l'horreur de ce à quoi il avait assisté, malgré tout ce dont il avait pris conscience depuis cet événement, cette gratitude demeurait. Et imaginer franchir définitivement le pas, prendre le risque de quitter Icarus, lui inspirait une nausée infinie. Hugh s'était roulé en boule, glissant ses doigts entre ses lèvres pour les mordre avec virulence, pour faire taire ce hurlement qui voulait monter, s'extirper de son être.

Et maintenant ? Peut-être qu'il était déjà trop tard. Si leur entrevue était surveillée, alors ils savaient déjà. Et sa sœur cadette... Et M. Qureshi, il... Hugh devait les prévenir, les protéger, mais il ne parvenait pas à se tirer de sa stupeur, ne pouvant que se mordre, recroquevillé sur lui-même à s'en faire mal, comme s'il cherchait vainement à se fondre avec ce sol dur contre lequel il reposait. Silhouette tremblante d'un homme brisé.

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : automutilation, validisme, traumatisme

Le silence. C'était tout ce que Hugh pouvait offrir à M. Qureshi, tandis que celui-ci digérait ses propos et lui donnait réponse, avec une patience que Hugh n'avait pas l'impression de mériter. Pas après ce à quoi il avait assisté. Pas avec ses choix de vie. Recroquevillé sur lui-même, Hugh se mordait les doigts, regard fuyant systématiquement celui du thérapeute, tandis que sa cervelle absorbait chaque mot, chaque parole.

Il ne pouvait pas oublier. Il ne devait pas oublier. Pour Cadmus. Et, il devait l'admettre, pouvoir en parler pour la première fois depuis tout ce temps avait allégé quelque peu le poids qui pesait sur son cœur, sur son âme. Mais cela n'effaçait pas ce qu'il avait fait, et encore moins la peur qu'il éprouvait à l'idée que ses doutes puissent impacter ses proches. A une place comme la sienne, à travailler pour un laboratoire top secret, l'hésitation n'était pas permise. Et peut-être était-il déjà trop tard, maintenant qu'il avait parlé. Mais... Mais...

Il ne put que secouer la tête silencieusement lorsque M. Qureshi lui proposa une friandise, incapable de s'imaginer l'avaler et pouvoir la garder dans son estomac noué. Et s'il comprenait ce que son thérapeute voulait lui dire, Hugh avait toutefois du mal à l'accepter. L'homme avait toujours vécu avec une vision très binaire, une approche du bien et du mal qui gagnerait à être nuancée. Icarus l'avait sauvé, il travaillait pour cette compagnie, elle devait donc être "bonne". Et si ce n'était pas le cas, qu'est-ce que cela faisait de lui ?

Hugh prit une profonde inspiration, s'efforçant de rassembler ses pensées, d'évacuer la panique. La dernière question d'Irman Qureshi ne l'aida guère dans ce processus, toutefois. Il entrouvrit les lèvres, laissant échapper ses pauvres doigts sur lesquels des traces de dents pouvaient être devinées, et entreprit d'articuler un premier mot, en vain. La capacité de verbalisation se refusait à lui, épuisé qu'il était par cette tempête d'émotions.

"Hmm."

Parler à voix haute n'était plus au programme pour le bio-informaticien. Au lieu de cela, ce fut son altération qui prit le relais, un implant de Communication Alternative Améliorée, et une voix robotisée entreprit de traduire ses pensées, non sans une certaine lenteur :

"Je ne les vois jamais. Ces personnes que mon travail affecte."

C'était la vérité. Hugh passait son temps devant son ordinateur, à concocter des programmes ou améliorer des logiciels pour répondre aux demandes des scientifiques de son laboratoire. Des vies humaines qu'il pouvait impacter, Hugh n'avait jamais vu que des chiffres, des labels, rien de concret. Jusqu'à ce qu'il soit mis sur cette mission. Jusqu'à ce qu'il ne rencontre Cadmus.

"Maintenant, j'ai un visage en tête. Quand je travaille. J'ai son visage en tête. Et je me sens coupable."

Hugh renifla, serrant un peu plus ses genoux contre sa poitrine. Coupable, oui. Envers Cadmus. Envers tous les autres qui n'avaient ni nom ni visage pour lui. Envers sa compagnie, à qui il avait juré fidélité. Envers sa sœur, qui n'avait pas la moindre idée de ce à quoi il pouvait contribuer. Et envers M. Qureshi, qui n'aurait jamais dû à partager son secret.

"J'ai des doutes. Et je n'ai pas le droit de les avoir. Parce que mon travail est sensible, et top secret. Là où je travaille, je n'ai pas le droit au doute. C'est risqué."

Risqué pour lui. Pour les gens qu'il aimait. Pour les personnes qu'il fréquentait. Hugh prit une inspiration, essuyant ses yeux humides, levant enfin son regard vers Imran Qureshi. Ces mots-là, il voulait les dire par lui-même. Pas avec l'aide de son implant. Alors, il s'y reprit plusieurs fois, mais il parvint finalement à articuler, le coeur battant :

"Pardon... d'vous avoir impliqué."

Hugh n'avait aucune idée de la manière dont Icarus traiterait son cas, leur affaire, s'ils venaient à savoir qu'il s'était confié de la sorte. Ne pas pouvoir prédire leur prochain mouvement, c'était affreusement anxiogène pour le bio-informaticien. Pour ses paroles suivantes, ce fut son implant qui reprit le relais :

"Que feriez-vous à ma place ? Si cela n'impliquait que moi, je pourrais me permettre de réfléchir, mais je ne veux pas que ma sœur ait à payer le prix."

Mais il n'y avait pas que ça. Si seulement il n'y avait que cela...

"Ils m'ont sauvé, vous savez. Icarus. Ils ont été les seuls à me donner une chance, après tout ce qui m'est arrivé. Un travail. Une place. Je serais ingrat de douter d'eux."

Et pourtant, il doutait. Oh, qu'est-ce qu'il doutait...

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : validisme, traumatisme

Hugh s'était redressé tant bien que mal, reprenant place sur son siège. Son corps dans son entièreté était endolori, comme s'il venait de courir un marathon. Il était... fatigué. Physiquement et mentalement. Et, plus que tout, il persistait à s'en vouloir, malgré les propos compatissants de son thérapeute. Il n'avait rien fait, c'était bien ça le problème.

"Je lui ai donné de l'espoir. Je lui ai promis de l'aider. Et j'y croyais vraiment."

Hugh se sentait tellement stupide. Bien entendu qu'ils n'étaient pas venus pour Cadmus. Pas pour le secourir, en tout cas. Il n'était rien d'autre qu'un potentiel sujet d'étude aux yeux d'Icarus, de ses supérieurs hiérarchiques. Il était le seul à s'être convaincu du bien-fondé de leurs actions, à s'être persuadé qu'ils étaient là pour l'aider à guérir, et que l'homme reviendrait ensuite à son quotidien, comme si de rien n'était. C'était une belle histoire qu'il s'était raconté, à laquelle il s'était accroché pathétiquement, jusqu'à ce que la réalité ne le détrompe violemment.

La manière dont M. Qureshi le rassurait sur son propre bien-être n'était qu'une illusion de plus. Hugh en était on ne peut plus conscient, et ce fut la raison pour laquelle il ajouta, en réponse à l'homme et à sa tentative de le soulager :

"Je ne les laisserais pas vous faire du mal. S'il y a quelqu'un qui doit payer pour tout ça, c'est moi."

Même si cela le terrifiait. Même si l'idée d'un tel constat d'échec l'horrifiait au plus profond de son être. Hugh aimait profondément sa compagnie, qui lui avait donné l'opportunité d'être autonome et respecté comme cela n'avait jamais été le cas auparavant. Le doute qu'il éprouvait désormais le rongeait profondément, tout autant qu'imaginer l'idée de les décevoir au point qu'ils puissent le punir. Hugh fut traversé d'un frisson à cette idée, se balançant un peu plus sur sa chaise.

Ce serait plus simple s'il pouvait simplement tout effacer de sa mémoire. Prétendre que cela n'était jamais arrivé. Et il supposait que cela était techniquement possible, et qu'Icarus avait bien à sa disposition un mutant qui pourrait l'aider, mais l'idée lui inspirait une profonde nausée. Faire ça à Cadmus, ce serait... ce serait comme le tuer à nouveau. Lui qui semblait être le seul à se rappeler pleinement de lui, et à savoir que ce qui lui était arrivé n'était pas normal ou acceptable.

Malgré sa nervosité, Hugh écouta attentivement M. Qureshi, les yeux résolument baissés vers le sol. C'était la meilleure manière pour lui de pouvoir comprendre pleinement ce que l'homme lui disait, plutôt que de se laisser distraire par ses expressions ou son langage corporel. Il en avait profité pour essuyer vaguement ses larmes, et ses doigts étaient actuellement occupés à déchiqueter méticuleusement le mouchoir tendu.

Parler à quelqu'un, Hugh avait essayé de l'éviter autant que possible. Il n'avait plus aucun contact avec les personnes impliquées dans cette affaire, et c'était bien les seules auprès de qui il aurait pu se confier librement. Mais les circonstances l'avaient mené dans le bureau de M. Qureshi, et tout était sorti malgré lui.

Il n'aurait pas dû, il le savait, mais cela lui avait fait du bien. Même si le poids sur ses épaules était toujours présent, il s'était définitivement allégé. Aux dépens de la sécurité de son thérapeute.

Les derniers propos de l'homme lui firent enfin relever la tête, tandis que M. Qureshi promettait à demi-mot de le couvrir. C'était probablement la meilleure solution pour se protéger tous les deux, mais Hugh ne put s'empêcher de penser que son thérapeute aurait pu être tenté de le vendre pour se sauver. Au lieu de cela, l'homme acceptait de tout risquer pour les préserver tous deux. Hugh n'était pas certain d'être digne de sa gentillesse.

Les mots furent lentement forcés hors de sa gorge, articulés méticuleusement, comme si Hugh devait réapprendre à parler :

"Je... vous... aime... bien."

Comment pourrait-il songer autrement ? M. Qureshi voyait qui il était, ce qu'il avait fait, et avait choisi de se montrer compréhensif, de faire preuve de compassion à son égard. Comment Hugh pourrait-il le détester dans ces circonstances ? Le bio-informaticien ne pouvait pas même l'imaginer.

M. Qureshi lui avait prescrit des jours de repos, et, si l'idée le répugnait, il savait pourtant que c'était définitivement nécessaire, aussi bien pour appuyer leur petite histoire que pour son propre bien-être. Les yeux gonflés, le corps tremblotant, à peine capable de parler, Hugh n'était définitivement pas en état de travailler sur quoi que ce soit. Sur qui que ce soit. La pensée lui tira un sanglot étranglé, et les larmes revinrent briller dans ses yeux.

"Fatigué..."

C'était plus que cela encore. Hugh était épuisé, abattu par l'effort déployé pour vivre avec sa culpabilité, mentir à longueur de temps, autant aux autres qu'à soi-même. Il cligna des yeux, et un message fut transmis à sa petite soeur pour demander de bien vouloir venir le chercher sur son lieu de travail. Elle ne poserait pas de questions : elle savait combien les séances thérapeutiques en tout genre pouvaient être éprouvantes pour lui.

"Est-ce que je vous reverrais ?"

Une part de lui en avait envie, égoïstement. Parce que M. Qureshi était gentil avec lui, mais également parce qu'il connaissait la vérité, et qu'il pouvait lui parler librement, ce qui lui était impossible avec qui que ce soit d'autre.

Mais Hugh ne pouvait pas le blâmer s'il en décidait autrement. M. Qureshi devait penser avant tout à sa propre sécurité. Et Hugh était un danger pour lui.

I'm fine, I swear

@Hugh Reid et @Imran Qureshi
TW : validisme, traumatisme

Lui contre Icarus. L'idée même lui inspirait une profonde nausée, rejetant la notion du plus profond de son être. Il aurait presque pu en vomir, tant le concept le répugnait. C'était contraire à ses principes. Contraire à cette profonde loyauté qu'il accordait à l'entreprise depuis qu'Icarus l'avait recueilli en son sein. Depuis qu'elle avait donné sens à sa vie. Et pourtant... Pourtant...

Son agitation se traduisit par un tic incontrôlable et douloureux, son épaule remontant malgré lui pour aller rencontrer durement le côté de sa tête, tandis qu'un "Hmmm" contrarié faisait son chemin hors de ses lèvres pincées. C'était tout l'être de Hugh qui était en conflit, pris en sandwich entre ses convictions profondes et sa fidélité corporatiste. Et ce n'était pas de sitôt que cette bagarre interne trouverait une réponse claire et nette à suivre...

Yeux obstinément rivés vers le sol, Hugh se concentra sur sa respiration et laissa libre cours à ses gestes d'auto-stimulation pour conserver son calme. Il n'avait plus l'énergie de craquer. Plus la moindre réserve pour mener cette lutte des deux côtés. Au lieu de cela, il se concentra donc sur l'instant présent, sur ce thérapeute qu'il avait avoué bien aimer, et qu'il avait promis de protéger.

Noble, c'était ainsi qu'Imran Qureshi l'avait qualifié, avant de lui demander de promettre de ne "rien tenter". La notion était vague, beaucoup trop vague pour Hugh, qui se contenta de hausser les épaules en guise de réponse. Ce n'était pas exactement une promesse qu'il pouvait faire ou tenir : si M. Qureshi se retrouvait dans leur collimateur, Hugh se devrait alors d'assumer ses défaillances. C'était ainsi que les choses étaient supposées se passer. Hugh était celui qui portait la responsabilité de ces vies brisées. Pas M. Qureshi.

Hugh persistait à éviter le regard du thérapeute, trop fatigué pour tenter d'emprunter les codes du langage visuel et corporel des neurotypiques. Les yeux, c'était si... intense. Et plus encore lorsqu'il était dans cet état. Hugh n'était pas même certain de pouvoir soutenir son propre regard, s'il venait à croiser son reflet dans une glace. Il continua donc à fuir continuellement le regard du psychiatre, l'inconfort le poussant à se tortiller nerveusement sur sa chaise.

Dans ces circonstances, il lui devenait de plus en plus difficile de répondre, même avec l'assistance de son implant de Communication Alternative Améliorée. Dans toute autre situation, Hugh se serait volontiers épanché sur les passions qu'il partageait avec sa sœur (avec plus ou moins de réciprocité de sa part). Au lieu de cela, l'homme cligna lentement des yeux, confusion visible, tandis qu'il tentait de mettre des mots sur ses souvenirs et ses ressentis.

Au final, il se retrouva principalement à répéter les mots de son thérapeute, dans un réflexe écholalique déployé dans un dernier effort de communication :

"Passer du temps avec ma sœur. Quelque chose qu'on aime faire ensemble. Jouer aux échecs."

Ils faisaient bien plus que cela lorsqu'ils pouvaient passer du temps ensemble, mais Hugh ne pouvait pas mobiliser l'énergie nécessaire pour exprimer tout cela. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était demander à M. Qureshi s'il le reverrait. Et prendre le temps de comprendre sa réponse. Une réponse positive. Hugh tenta d'étirer un sourire, mais ne put présenter qu'une vague grimace expressive. Le bio-informaticien avait l'impression de flotter dans son propre corps, tandis qu'il se levait avec difficulté, prêt à quitter le bureau du thérapeute, et à retrouver sa sœur qui était probablement sur le point d'arriver.

Les gestes et mouvements de Hugh étaient aussi lents que maladroits, tandis qu'il devait reprendre le contrôle d'un corps dont il se sentait profondément étranger à cet instant. Pourtant, en dépit de cet épuisement, Hugh trouva l'énergie et la présence d'esprit d'adresser un signe de main à Imran Qureshi sur son départ, doigts recroquevillés, geste maladroit, mais significatif. Même sans ses mots, Hugh tenait à exprimer sa gratitude à l'homme qui était le premier à qui il avait pu se confier. Et qui avait fait l'effort de vouloir le comprendre.