something died within a soul - rin

‘Give me a hug’ Il s’accroupit, pour être à sa hauteur. L’enfant sourit, et tombe dans les bras de son père qui referme ses bras dans son dos, et le serre fort. Ferme les yeux, et tâche de garder l’étreinte dans son esprit. Le câlin est trop vite brisé, Deon sourit à l’enfant et ébouriffe ses cheveux courts. “Love you” Un baiser déposé sur le front avant de se relever. “You be good with your dad, yeah?” Un hochement de tête de D qui lui offre un sourire, un nouveau rapide câlin, avant de passer rapidement devant Ruben qui se tient sur le seuil de la porte, pour disparaître dans le nouvel appartement juste derrière. “Come on Dad, can we play?” Deon pose soigneusement son regard sur le visage de son mari. C’est son mari, encore. I love you, il a envie de dire, comme à chaque fois. I miss you so fucking bad I can’t sleep. I can’t focus. I can’t work. I haven’t used my camera for days. Mais il ne dit rien, Deon, parce que c’est peut être vrai, tout ça, mais ce n’est plus assez, pour réparer ce qui a été brisé. Tout ce qui pouvait être dit a été dit. Tout ce qui pouvait être fait a été fait. Il l’observe, juste, quelques secondes. ça ne s’en va pas, ce besoin de mémoriser ses traits comme si, un jour, il parviendra à tromper le sort et s’en souvenir. Il sait bien, pourtant, que cela s’effacera de sa mémoire quelques minutes après que la porte se sera fermée. C’est inéluctable. Comme tout le reste. Comme la fin, leur fin. “Let me know when you want to drop D next week” Il fait, simplement.  Leur enfant restera la priorité.

Bien vite, trop vite, Deon commence à descendre les escaliers, et la porte s’est refermée. La scène est désormais presque habituelle. Elle devrait s’ancrer dans ses habitudes. Pour autant, elle est toujours aussi déchirante. How did we get to this point? La question qui hante tout. Il sait, pourtant, Deon, mais son cœur, lui, refuse de l’assimiler. ça le hante au petit déjeuner, quand il se lève à quinze heures parce qu’il n’a pas dormi de la nuit et s’est assoupi à dix heures du matin, quand il prend sa douche, quand il fait des courses, quand il regarde D jouer avec ses dinosaures, quand D lui raconte quelque chose qu’il a fait avec son père, quand le regard s’égare sur les photos de famille encore partout dans l’appartement. Il voit Ruben dans chacune des pièces. Il voit les disputes, aussi, dans chacune d’entre elles. Les pleurs et la fatalité. Tout ça, sans se souvenir de son visage. Chaque petit éclat de leur relation brisée, fichée résolument dans son cœur meurtri.

Il ne peut jamais rentrer dans l’appartement Deon, après avoir laissé son enfant à Ruben. C’est trop douloureux. Les mains dans les poches de sa veste en cuir, il observe la grande jetée. Le vent souffle fort. Il inspire, profondément, et ferme les yeux, les larmes ont été retenues, encore, aujourd’hui. Rin lui a envoyé sa location, quelques minutes plus tôt. Pendant un moment, Deon a eu envie de se défiler. Est ce que c’était vraiment une bonne idée, de revoir cette personne devant laquelle il s’était tant donné en spectacle? Mais il se sent trop faible, aujourd’hui. Et Rin aussi, il a besoin de quelqu’un. Peut-être qu’ils peuvent se soutenir l’un l’autre, encore. encore un peu. Il l’aperçoit un peu plus loin, assis sur le rebord de la jetée. Il le rejoint, rapidement.

Comment est-il supposé le saluer? A vrai dire, comment devrait-il se comporter, en général? Encore une fois, il a envie de fuir, mais c’est trop tard, il est presque à sa hauteur. “Hi” La salutation est maladroite. “Sorry I'm a bit late. I got.. Stuck into traffic.” Un mensonge éhonté. Il y a eu une crise d’angoisse, un peu plus tôt. ça, et l’envie de ne pas se pointer. Mais pour faire quoi, honnêtement? Se morfondre dans l’appartement? Il l’imite, et s’assoit à côté. Il n’y a presque personne aux alentours, ce qui est rassurant. “Haven’t been here for ages” Il commente, et se trouve stupide.

La situation paraît un peu surréaliste. C’est pas son genre à Deon d’accepter de voir des gens qu’il ne connaît pas, ou si peu, et surtout en aussi peu de temps. Si profondément anxieux, il a besoin de se préparer psychologiquement à chaque rencontre, si elle n’est pas dans son cercle proche et direct. Et Deon, il renferme tout tout le temps, il ressasse et ressasse jusqu’à ce qu’il soit au bord de l’implosion. Il sait bien que c’est pas bon. Mais il est difficile de faire autrement. Avant, il parlait à Levi. Mais Levi, il est mort. Avant, il parlait à Ruben. Mais Ruben et lui, c’est fini. A sa mère, il ne peut pas parler. Y a son père, et elle a assez à penser. Alors Deon il parle plus des choses. Il enterre, et il espère que ça disparaisse, sauf que ça revient toujours. Il sait pas mettre de côté, jamais. C’est partout, tout le temps.

Mais aujourd’hui, il a dit oui. Il a dit oui à Rin qui souffre comme lui. Sans doute qu'il en avait besoin. Sans doute qu’ils ont autant besoin l’un et l’autre de quelqu’un. De quelqu’un qui peut écouter. Et puis, il est difficile pour Deon de refuser d’aider quelqu’un, ou tout simplement d’être au moins une oreille attentive. Il a trop d’empathie pour ça. Et s’il a pas les meilleurs conseils, il sait écouter.

Deon dit rien pendant un moment. Il observe la mer, comme l’homme à ses côtés. Il regarde l’horizon, puis il regarde la mer et il regarde les vagues. Et celles qui s’écrasent doucement, juste sous ses pieds. Il pense aux sorties à la plage, avec Ruben et D. Les voyages en Grèce, aussi. Il faisait si beau. L’eau avait bien plus de gueule que celle-ci. Ils étaient heureux. Il ferme les yeux, comme pour chasser la vision. Mais c’est pire, comme ça. Alors, il réouvre les paupières. Fixe ses baskets. Et reste silencieux.

C’est embarrassant comme situation. L’un comme l’autre semble incapable de savoir comment vraiment se comporter. Il y a une neutralité voulue dans chacun de leurs mots, et pourtant elle transpire les non-dits et la douleur qui a dégueulé ce soir-là quand l’alcool avait fait des siennes.

Il lève la tête un peu brusquement, aux mots de Rin. Rin, il semble sur le point de craquer, de pleurer. ça soulève son coeur. Il a toujours été difficile pour lui de voir les gens pleurer. Deon il chiale facilement. Il prend une inspiration nerveuse et secoue la tête aussitôt, lève une main mais s’arrête à mi-chemin, ne voulant imposer un contact qui serait peut être malvenue. “Don’t be, please.” Il exhale. “Rin. I can’t be in the apartment now, it’s too…” Il secoue la tête. “Don’t be. Here is good. Here’s the sea. I’ve always loved the sea.” Il fait, tout maladroitement. Il a toujours trouvé l’océan apaisant Deon, mais il sait pas si là, ça sera assez. “We can be miserable together?” Une voix blanche, une voix fragile. Un sourire triste sur les lippes et la douleur dans le regard. “Maybe… Maybe it’s better, like that.” Il exhale. “You can… talk. If you want. I’m a good listener... at least i’ve been told. but you can not talk too. i’ll be here.”

Deon, il relève une de ses jambes, pour poser son pied sur le rebord et encercler le genoux de ses bras. C’est qu’une histoire de préservation. Et de réconfort aussi, quelque part. Les mots de Rin, il ne les comprend que trop bien. Ses problèmes de couple, ils en ont discuté en long en large et en travers avec Ruben, pendant leur thérapie de couple aussi. Et puis, il en a parlé à son psy aussi. Celui qui le suit depuis plusieurs années maintenant. Depuis le décès de Levi, surtout. Mais depuis le divorce, Deon n’en a pas discuté. A vrai dire, il a repoussé ses rendez vous, parce que ce n’est pas quelque chose dont il est prêt, encore, à mettre des mots sur cette fin que son coeur ne parvient pas à assimiler. Si la chose a été acceptée et qu’il l’a comprise comme inévitable, ce n’est pas pour autant qu’il ne souffre pas. Au contraire. En arriver à ce stade-là, il n’aurait jamais pu l’imaginer. Pourtant, Deon, il n’avait pas vraiment d’idéaux de mariage ou de famille, avant de rencontrer Ruben. Il pensait surtout que ce n’était pas fait pour lui, et c’était ok. Il pouvait faire son propre chemin, et ne pas nécessairement le partager avec quelqu’un d’autre. Ruben avait tout bouleversé. Avec lui, il avait eu envie de tout ça. Et maintenant qu’il en est privé, il ne sait plus comment être. Comment exister sans cette part si indissociable de lui-même. “Yeah.” La voix est faible. “I know what you mean.” Il le regarde, un instant. Il ne sait pas s’ils ressentent les mêmes choses, si la peine est même comparable. “It’s like.” Il ferme les yeux quelques secondes et puis le regard retrouve l’horizon. “How do I even move on from that one thing in my life that was just… obvious? ” Ruben, ça a toujours été une évidence. Et maintenant ça ne l’est plus? “Those are just so few in my life.” Elles se comptent sur les doigts d’une main. Deon, il est rarement sûr des choses. Ruben il en était si certain. Et putain, ça lui donne envie de chialer qu’une fois de plus, il n’y ait que des certitudes brisées.

Il ne sait pas quoi lui dire à Rin. Il ne connaît pas sa situation, se souvient à peine de leur discussion alcoolisée. Il sait juste qu’il souffre autant que lui. Peut-être même plus que lui d’ailleurs, il ne sait pas. Il baisse la tête, presse ses yeux sur son avant bras, inspire longuement. Il relève la tête et dans son coeur ça saigne toujours. “The thing is…” Sa main s’élance un peu, comme en colère, face à lui. “it’s fucking real, and we can’t escape it” ça lui donne envie de hurler. Mais pourquoi? Y a rien à dire, y a rien à faire.  Il pose son visage sur son genou, observe son interlocuteur avec une supplique dans le regard. Pourquoi, il ne sait pas. “I just want to forget about it all the time. But it’s here. In front of me, every day.” Il le rejoint. D’une façon différente, peut être, mais dans les faits, c’est sans doute la même chose.

Deon ne croit pas en l’amour. Ou il n’y croit plus, plus précisément. Il n’y croyait pas, avant que Ruben arrive dans sa vie - l’amour, et l’attirance physique. La chose n’était simplement pas pour lui. Il y avait eu des questionnements, beaucoup, de la frustration et de la peine, aussi, de ne pas être comme les autres, et puis il avait accepté la chose et n’avait pas cherché plus loin. Et puis Ruben était arrivé et Deon avait appris ce que c’était. C’était Ruben, et personne d’autre. Il avait récupéré son coeur et l’avait fait sien, dans tous les sens du terme, et Deon était heureux, ainsi. Heureux, il l’avait été si profondément. Mais la chose n’est plus. Elle a été balayée par les mensonges et les egos meurtris et les colères, et d’elle il ne reste plus grand chose. Qu’une douleur immense qui lui tord le ventre à chaque seconde. Deon, il ne veut plus croire en l’amour. Il pense de toute façon que ça ne pourra jamais lui arriver de nouveau. Ruben était un cas particulier. Ruben était l’exception qui confirmait la règle, et personne ne saura le remplacer.

Là, aux côtés de Rin, Deon se sent bien démuni. Il ne saurait comment le consoler quand lui-même ne sait plus comment fonctionner sans l’autre partie de lui-même. Pourtant, Deon, même enfermé dans ses propre démons et parfois sortant difficilement de ses propres ressentis, peine à voir les gens dans une situation douloureuse. Rin, il ne le connaît pas, mais il partage sa peine, et il a l’envie, oui, de l’aider, sans savoir comment le faire. Il lui semble si fragile, ainsi, et Deon n’a jamais été très doué avec les mots, il a peur que la moindre de ses paroles finissent par briser l’autre homme au lieu de l’aider. Mais Rin pleure. Rin semble au bord du gouffre. “It won’t” la voix est rauque, l’émotion bloquée dans la gorge, il semble vouloir s’en convaincre, lui aussi. “I felt it before. That pain” Pas la même, mais tout aussi dévastatrice. Pire encore. Pire encore. La perte à jamais d’une partie de soi. “It stays but-” Deon se contredit, mais se corrige. “It’s not the same. You can live with it. You find ways, you - laugh again” Il ne parle pas de la difficulté face à la chose, du sentiment immonde de culpabilité, des rechutes, des envies d’addiction et tout le reste aussi. Du courage qu’il faut.

Rin pleure. Rin sanglote, et Rin s’excuse. Deon secoue la tête, se mord la lèvre douloureusement. “d’you-” Une pause, il exhale. “Do you want a hug, Rin?” Loin de lui l’envie d’étouffer son espace vital mais parfois - parfois, la chose est salvatrice. “Time. Time will happen- you just have…You have to bear the pain - for now. i’m sorry Rin, I’m so sorry” et il pleure aussi un peu Deon, porté par sa peine et celle de Rin, par leur peine là, qu’ils déposent devant l’océan.