(em)brace for impact

« Dispatch to EMS team on duty, sector 437. Are you receiving ?
— Chen from EMS team sector 437, receiving loud and clear. Paramedic Chen and EMT Lopez on duty. Go ahead, dispatch.
— We have a 10-37 code 3, request for ambulance. 25 years old male patient called 911 after falling in the stairs at home and hit his head. Possible head and arm trauma.
— Roger. We’re on it.
— I’ll send you the address. »

La nuit est tombée depuis quelques heures déjà quand la radio se met en veille et que Ryan finit d’enfiler sa veste d’uniforme, son gobelet de café à moitié rempli abandonné sur la table de la salle de repos. Les mouvement sont assurés, efficaces, car chaque seconde est précieuse même lorsque la mission n’implique pas d’urgence vitale, comme c’est le cas ici. Il a vu suffisamment de cas où la victime, en état de choc, sous-estimait grandement ses blessures au moment de composer le 911 et dont l’état se serait irrémédiablement dégradé si les secours l’avaient prise en charge avec cinq minutes de trop. Il n’aime pas prendre de risques inutiles, Ryan.

Xavi, son partenaire, est déjà installé derrière le volant de l’ambulance quand Ryan ouvre la portière opposée, suspendant sa montée pour gratouiller Red derrière les oreilles. Il ne l’emmène jamais dans le camion, évidemment, mais la chienne se fait mission depuis toujours de l’accompagner de la salle de repos où elle a son panier jusqu’au garage. Ses collègues s’amusent à la comparer à une dame des années soixante dont le mari s’en va à la guerre. « Stay here, ok ? »  En réponse, Red couine avec un bâillement et s’assoit tranquillement tandis que son maître grimpe à l’avant de l’ambulance.

Ils ont de la chance, les routes sont peu fréquentées à cette heure de la nuit, leur trajet encore simplifié par les bruyantes sirènes colorées trônant sur le toit. Un œil gardé sur le GPS par sécurité, Ryan observe les décorations de Noël accrochées un peu partout sur les façades des bâtiments, un défilé de lumières qui lui semble arriver un peu plus tôt chaque année.

« You’re doing something for Christmas ? demande Xavi comme s’il lisait dans ses pensées.
— You mean apart from working ?  
— Oh shit you didn’t manage to get days-offs ? Haha, that sucks man.  
— Fuck off, Xavi ! rigole Ryan en retour.
— Sorry sorry !
— What are you doing for Christmas then ? Sell me a dream.
— I’m taking Laura to Mexico for a few days. See the family, go to the beach, have a nice break… It’s been a while y’know ?  
— Yikes, that’s so cute it’s disgusting… I’m kidding, enjoy it man. Ah, that’s the next corner on the left. »

Comme une horloge bien huilée, le duo n’a besoin d’aucune indication pour que chacun remplisse son rôle une fois la maison en vue. Alors que Ryan s’extirpe du véhicule à peine le moteur coupé, sa mallette de premiers-secours en main, Xavi monte à l’arrière pour préparer le matériel dont ils pourraient avoir besoin. C’est donc seul que Ryan se dirige vers la porte d’entrée et ignore toute règle de politesse pour directement actionner la poignée. A son plus grand soulagement, c’est ouvert. « Hello this is 911, somebody called for a fall injury ? » lance-t-il à l’aveuglette une fois dans l’entrée. Sans réponse dans les prochaines secondes, il ne se gênera pas pour inspecter chaque pièce à la recherche de son patient, espérant que celui-ci n’est pas tombé dans l’inconscience.

Les sourcils qui se froncent quand la réponse tarde à arriver. L’inquiétude, forcément, face à la possibilité que le patient soit tombé dans les pommes depuis son appel aux urgences et que son état ce soit empiré. L’appel mentionnait une chute dans les escaliers, mais personne ne se trouve sur le palier directement à sa droite, alors peut-être s’agit-il d’un autre endroit. Alors avec un dernier « Hello ? Is someone there ? », Ryan se hasarde à l’intérieur de la maison d’un pas d’abord hésitant, passant une tête dans le salon, puis la cuisine, avant qu’une voix ne s’élève enfin. Seulement, Ryan a à peine le temps de tourner les talons pour retourner au niveau des escaliers qu’un bruit de verre brisé à réveiller les morts résonne à l’étage. « Fuck. » Pas bon signe, ça. « Hey hey ! Don’t… » Un grognement frustré et le pas qui se presse tandis que Ryan garde la tête froide, bloquant de son esprit les images de scénarios catastrophes avant de constater les dégâts de ses propres yeux.

Justement, c’est quand il arrive en bas de la cage d’escalier que son regard se pose sur son patient pour la première fois, debout en haut des marches. Et le voir debout et conscient aurait pu être rassurant s’il ne semblait pas littéralement sur le point de défaillir. « That’s alright, I’ll come up. Don’t move, ok ? » Sans perdre un instant de plus, Ryan monte les marches deux par deux, ralentissant juste devant lui pour ne pas lui rentrer dedans (et amortir sa chute s’il venait vraiment à faiblir). Il dépose ensuite sa mallette sur le côté – notant le craquement des bouts de verre sous son poids – avant de doucement tendre les bras vers le jeune homme qu’il n’a pas lâché des yeux. « Ok, can you sit down for me ? » propose-t-il d’une voix posée pour ne pas accroitre la panique qu’il perçoit dans ses membres tremblants. « Slowly… Yes like that, grab my arm if you need to. »

Y’a ses yeux qui se promènent, qui analysent et qui notent. Les ecchymoses sont nombreuses sur sa peau pâle, principalement localisées sur ses bras et le côté gauche de son visage. L’un de ses bras a également l’air atteint, probablement fracturé vu l’angle anormal au niveau du coude, et Ryan n’apprécie pas particulièrement la trace de sang qu’il aperçoit à peine au milieu des mèches colorées. « Alright, that’s better. I’m Ryan, I’m a paramedic for the fire department. What’s your name ? » Un sourire avenant s’installe sur ses lèvres tandis qu’il s’accroupit pour rester à hauteur. Il s’appelle Eli Smith, selon les infos qu’on lui a données, mais la question a davantage vocation à dépister une éventuelle commotion cérébrale que de s’informer sur son identité. « Can I check your injuries while you tell me what happened ? »

Ryan ne se formalise pas du mouvement de recul esquissé par l’autre homme lorsqu’il arrive à sa hauteur, un certain degré de méfiance étant parfaitement normal – voir attendu – dans de telles circonstances. Il ralentit son geste, plutôt, note la grimace et les tremblements en laissant son bras être utilisé comme soutien alors qu’Eli s’assoit fébrilement. L’angoisse est palpable dans tout son être, de ses doigts qui s’agrippent à sa manche comme si sa vie en dépendait jusqu’à son souffle irrégulier, et le secouriste ne peut qu’espérer que ce ne soient les prémices d’une crise liée à l’état de choc. Il a l’air déjà assez mal en point comme ça.

« Nice to meet you, Eli. » Une première inquiétude en moins sur sa liste mentale, c’est déjà ça de pris. A la question suivante, Ryan s’empresse de secouer la tête pour le rassurer. « You called the right number, don’t worry. I work with the FDNB but I don’t deal with fires, only people. I would make a terrible firefighter actually… I’m scared of heights. » qu’il ajoute sur le ton de la confidence avec un clin d’œil complice. L’humour est souvent le meilleur moyen de détendre un patient nerveux ou, a minima, de le distraire suffisamment pour se rapprocher d’un rythme cardiaque acceptable. Alors il continue de faire la conversation, Ryan, prêt à parler dans le vide au besoin pourvu que sa voix posée puisse être un point d’ancrage à un esprit qu’il sait embrouillé. Le pauvre doit être complètement paumé. Et vu ses blessures, il a de quoi.

Brusquement libéré, Ryan récupère son bras, surpris par la violence du geste et la façon dont Eli s’est recroquevillé sur lui-même en s’excusant. Le secouriste ne peut s’empêcher de le comparer à une chose fragile, précieuse mais craintive, et ça lui donne juste envie de l’emballer dans un plaid et de lui fourrer un chocolat chaud dans les mains pour lui remonter le moral. Pas sûr qu’il apprécie. « It’s okay. » Il le répètera autant de fois que nécessaire, ça au moins il peut le faire.

Une fois le feu vert obtenu pour commencer à inspecter ses blessures, Ryan se détourne brièvement pour ouvrir sa mallette et en sortir une mini lampe-torche. « You did ? » Un genou est posé à terre – après avoir écarté d’un revers de main prudent les bouts de verre – afin que le secouriste puisse se grandir suffisamment pour pouvoir jeter un œil à la tâche de sang qui coagule dans les mèches colorées d’Eli. La tête est une priorité, toujours. « Hmm. That sounds like a pretty nasty fall. » Et ça en a tout l’air, également. Délicatement, Ryan écarte quelques mèches et éclaire la zone de l’autre main, attentif à ne pas appuyer où ça pourrait faire mal. « Why not ? The hospital might be a good idea considering… y’know, the blood. And your arm won’t fix itself either. » Techniquement, Ryan n’est pas habilité à établir de diagnostic médical mais il est à peu près sûr que le bras en question est pété et requiert au moins un plâtre. Le laisser comme ça serait complètement inconscient et stupide. Il y a bien le problème de l’assurance qui serait une toute autre histoire mais, vue la baraque, ça l’étonnerait que ce soit ça qui coince.

« The bleeding has stopped at least, that’s a good sign. I’m just wondering how come this guy is turning blue already… » réfléchit le secouriste à voix haute, sourcils froncés, avant de se détourner pour attraper un rouleau de bandages, du sparadrap et une paire de ciseaux dans sa mallette. L’hématome en question se situe sur la pointe de sa pommette gauche, légèrement enflé et débordant jusqu’à la racine de ses cheveux au niveau de la tempe. Encore une fois, il n’est pas médecin, mais le secouriste a vu assez d’ecchymoses dans sa carrière pour être plus ou moins capable d’établir une chronologie des faits en fonction de la couleur, or celle-ci devrait être rouge et pas déjà bleutée. Ce n’est pas forcément anormal, mais suffisamment étrange pour être relevé. « Do you live alone, Eli ? » reprend Ryan sur le ton de la conversation, sans autre arrière-pensée qu’un potentiel proche à contacter plus tard pour l’informer de la situation, si ça n'a pas déjà été fait.

Attentif à chacune des réactions de son patient, Ryan ne manque pas de noter sa nervosité grandissante lorsqu’il s’approche pour inspecter sa blessure. Dans sa position, Ryan ne peut observer l’expression de son visage, mais la ligne tendue de ses épaules ne trompe pas. Il ne lui en tient pas rigueur, supposant que l’homme n’est pas grand amateur des contacts physiques d’inconnus – ce qui est clairement valable, surtout lorsqu’on se trouve dans une position si vulnérable. Ryan s’applique donc à ne pas faire de mouvements brusques, délicat dans son toucher tout en continuant à entretenir la conversation. Il n’est pas vraiment surpris qu’Eli lui révèle être trop anxieux pour se rendre à l’hôpital, bien que cette réponse lui serre un peu le cœur. « Ah, it’ll be fine, yeah ? Don’t worry, I’ll make sure you’re treated like a prince in there. Won’t even need to lift a finger, I promise. » Il ne le voit peut-être pas mais le sourire est sincère, autant que ses mots.

Les sourcils qui se froncent pourtant quelques secondes plus tard lorsqu’Eli explique l’hématome sur sa pommette par une agression, le tout sur le ton de la blague – qui ne fait rire personne. « Bad luck indeed… » se contente de marmonner le secouriste en continuant de préparer le bandage. A tous les coups il n’est pas allé voir le doc pour ça non plu. Ryan se doit de rester professionnel en toutes circonstances, bien sûr, mais si ça avait été Ludvig ou un autre de ses proches qui lui aurait fait le même coup, il n’aurait clairement pas hésité à râler de tout son saoul en récitant une ou deux leçons de morale pour la route. Ces gens qui ne prennent pas soin d’eux ou se foutent allègrement de leur santé… Le drame de sa vie.

Soudain, Ryan a un mouvement de recul surpris quand son patient est pris d’une quinte de toux, se demandant bêtement s’il ne lui aurait pas fait mal sans le faire exprès. « Careful there… You alright ? » Il n’ose pas le toucher ou lui frotter le dos, de crainte d’aggraver la situation, alors il reste immobile sur ses genoux, un pli inquiet entre les sourcils, le temps que ça passe. Un ou deux cachets d’antalgiques ne feront pas de mal, une fois installés dans l’ambulance… « I see. Well he doesn’t have to worry, we’ll take good care of you. » assure le secouriste une fois qu’Eli a retrouvé son calme. Intérieurement, il ne peut s’empêcher de se mettre à la place du fameux petit-copain qui va regretter d’avoir coupé son téléphone lorsqu’il apprendra la nouvelle ; d’autant qu’Eli serait certainement moins angoissé avec sa présence à ses côtés. Ryan hésite à sa question suivante, hume brièvement entre ses lèvres fermées. Il ne veut pas l’inquiéter plus que nécessaire, mais il ne veut pas mentir non plus. Il opte pour un entre-deux. « Not at all. You might have a little scar but nothing the hair won’t easily hide, if that’s what you’re worried about. » D’un point de vue personnel, Ryan n’a jamais trouvé une quelconque cicatrice inesthétique chez personne : c’est un témoin de vie, une expérience, une trace du passé. Parfois tristes, certes, mais jamais laides.

Le talkie-walkie accroché à son épaule émet un grésillement familier. « Lopez to Chen ; you okay, man ? Did you find the patient ? » Le bandage terminé, Ryan se rassoit sur ses talons avant d’offrir un sourire à Eli, une main sur le petit appareil. « I’m good, Xavi. He’s conscious and responding. I’m patching him up a bit and we’ll be going. » Et puis, à l’attention de l’homme devant lui, dorénavant coiffé d’un joli pansement blanc tout autour du crâne : « The head is done. Can I check your arm ? »

Ça lui fait mal au cœur de constater la détresse d’Eli sans réussir à le rassurer. Ryan a beau offrir volontiers sourires et sujets de distraction, rien ne semble parvenir à détendre le jeune homme ni effacer les plis inquiets sur son visage. Ses yeux sont humides de larmes contenues, et ça aussi, le secouriste aimerait les effacer du bout du pouce. Mais ce n’est pas sa place et le geste serait malvenu pour plus d’une raison. Y’a quelque chose qui l’emmerde quand même dans cette histoire, une sensation dérangeante qu’il n’arrive pas à identifier tel un insecte invisible qui lui tourne autours. Probablement son dernier café – le cinquième depuis le début de son service – qui fait déconner son adrénaline.  

Sans perdre plus de temps à tergiverser, Ryan laisse son talkie-walkie se remettre en veille avant d’avancer doucement les mains vers le bras de son patient, prostré le long de son abdomen. Une grimace et l’avertissement qui meurt sur sa langue quand Eli gémit de douleur après un mouvement malheureux. « Ah no need to apologize, I should’ve warned you… Don’t move, ok ? And tell me if I’m hurting you. I’ll try not to. » Il s’arme de toute la délicatesse dont il est capable, Ryan, lorsqu’il retrousse la manche de l’autre homme et examine la zone blessée, dévoilant un hématome encore léger mais qui lui donne toutes les informations dont il a besoin. Quatre-vingts pourcent de chance que l’os soit pété. « I can’t confirm nor deny. » répond le secouriste, contrit, face à la douleur pourtant évidente qui traverse Eli à chaque mouvement. « But it looks serious. » Pas pour la première fois de sa carrière, Ryan se retrouve à pester intérieurement contre sa condition d’humain incapable de soigner n’importe quelle blessure d’un simple claquement de doigts – avant d’aussitôt chasser cette pensée stupide de son esprit. Il ne veut pas de mutation et il n’en voudra jamais. Malgré tout, il ne peut nier qu’un tel pouvoir serait bien pratique dans cette situation, même un réfractaire tel que lui est forcé de le reconnaître.

« Ok, » commence Ryan une fois sa courte inspection terminée. Il se redresse sur ses genoux et tourne légèrement les épaules pour fouiller dans sa mallette tout en gardant un contact visuel régulier avec Eli. « what I’m gonna do is put a temporary splinter on your arm so it doesn’t move on our way to the hospital. Does it sound ok ? It’s gonna be alright, I promise. You have nothing to worry about. » Qu’il soit si réticent à aller à l’hôpital est un vrai problème – et Ryan n’a pas l’intention de le forcer, mais il espère réussir à le faire changer d’avis. Sans même compter la très probable fracture, ce serait imprudent de faire trainer les choses plus que de raison avec cette blessure à la tête qui mérite une auscultation en bonne et due forme.

Ce n’est jamais facile, de voir un patient craquer. On ne s’y habitue jamais ; et on a beau prévoir tous les scénarios, toutes les réactions, on a beau user de toutes les techniques enseignées en formation ou apprises sur le terrain, on a beau savoir, la réalité est telle que chaque cas, chaque individu, est une nouvelle situation avec son lot d’imprévus. Il avait beau s’y attendre et se préparer comme à chaque fois qu’il embarque dans l’ambulance, Ryan se retrouve aussi démuni qu’il peut se le permettre lorsqu’Eli éclate en sanglots et le supplie de s’en aller. Ça lui brise le cœur, honnêtement. Il ne lui en veut pas, évidemment – ce serait comme en vouloir à un chien blessé de montrer les dents face à un inconnu – et si sa réaction lui semble tout de même disproportionnée, il ne se permettrait pas de faire le moindre commentaire. Parce qu’il ne sait rien d’Eli, finalement, il ne sait rien de ses angoisses – même s’il commence à avoir sa petite idée de l’ampleur – ou de son passé, de ses craintes ou de ce qu’il a pu endurer pour que la simple idée de l’hôpital le mette dans de pareils états.

Sans geste brusque, Ryan repose sur le côté le matériel sorti de sa mallette pour accorder toute son attention à son patient. « Eli, shhh- it’s okay, it’s okay… Breathe, it’s alright. It’s okay to be scared, I won’t force you to do anything, don’t worry. I’m here to help you- I want to help you. Breathe, Eli… » Ses sourcils sont froncés par l’inquiétude tandis que le secouriste adopte un ton de voix le plus calme et posé possible, cherchant des yeux à accrocher ceux d’Eli, en vain. Il pince les lèvres, frustré, mais refusant d’abandonner. Eli tremble de tout son corps, ses épaules secouées de sanglots irréguliers, et Ryan meurt d’envie de le prendre dans ses bras pour le réconforter. Peut-être s’il trouvait une couverture à lui mettre sur les épaules, quelque part… Son regard vole brièvement sur le côté, vers le couloir et les portes entrouvertes, avant de se reposer sur Eli. Il rechigne à le laisser là tout seul, ne serait-ce que pour quelques secondes. « Can I- » Il lève une main hésitante, pause son geste, replie ses doigts aussitôt. Vues les précédentes réactions d’Eli à ses rares contacts physiques imprévus, le toucher ne ferait probablement qu’empirer les choses. Il ne peut pas le laisser comme ça pourtant… En plein dilemme, Ryan opte pour un compromis – risqué, toujours : « I’m gonna hold your hand. » La voix est chaude et assurée – bien plus qu’il ne se sent à l’intérieur, lorsque le secouriste lève à nouveau la main pour la poser sur celle d’Eli. Avec une douceur infinie, il décroche doucement ses doigts du bandage pour ne pas l’abîmer, sans cesser de parler. « Breathe with me, yeah ? Slowly, in… and out… in… there you go, you’re doing great Eli. And out… Very good… Take all the time you need, I’m not going anywhere. » Une pause, un faible sourire. « I’m not leaving. »

Les secondes se transforme en minutes et le pire de la crise semble être passé. Ryan exerce toujours une légère pression sur la main libre d’Eli, serrant ses doigts en rythme avec ses inspirations pour l’encourager à se caler sur sa respiration. « Are you cold ? Here. » demande-t-il en notant les tremblements qui parcourent encore le corps du plus jeune. Il lâche sa main avec une note de regret puis se redresse pour retirer sa veste d’uniforme avant de la glisser sur ses épaules pour l'envelopper telle une cape.

La main d’Eli ne cesse de trembler entre ses doigts. Ryan serre un peu plus fort, déterminé à lui faire sentir sa présence, solide à ses côtés. Pas un instant il n’envisage de le laisser là, tout seul, même pour simplement quelques secondes le temps d’aller chercher un plaid ou un vêtement chaud. Ryan a bien une couverture de survie dans sa mallette mais, pour une raison qui lui échappe, c’est sur sa propre veste d’uniforme que se jette son dévolu. Et tant pis pour le protocole. « It’s alright, focus on your breathing. » Un sourire, toujours. Un encouragement sans se vouloir trop pressant. A ce stade, chercher à aller trop vite serait complètement contre-productif. Eli a déjà l’air de respirer plus facilement, bien que ses joues mouillées de larmes soient toujours aussi dures à voir. La seconde main du secouriste s’aventure dans le dos du jeune homme, frotte doucement entre ses omoplates, et s’arrête. La surprise traverse les traits de Ryan à sa question. « Would that make it easier for you ? Yes, yes of course. I’ll stay with you. » Une réponse donnée bien trop vite, vraiment, mais il n’en a que faire, trop soulagé – et honoré ? fier ? attendri ? – qu’Eli place suffisamment de confiance en lui pour lui demander un tel service. Il était loin d’y croire – même s’il le voulait si sincèrement. Le sourire s’agrandit sur ses lèvres tandis que son regard cherche à attraper le sien. « We’ll go together, yeah ? »

Ce n’est qu’une fois Eli suffisamment apaisé que Ryan s’écarte un peu pour récupérer l’attelle et l’installer – avec toute la délicatesse dont il est capable – autour du bras cassé. L’articulation est déjà enflée ; le secouriste se fait une note mentale d’y mettre de la glace une fois dans l’ambulance, pour limiter l’inflammation. « Shall we go ? » Ses outils récupérés et sa mallette refermée, Ryan se redresse sur ses pieds avant de tendre son bras à Eli. « I’ll help you get up. Grab my arm if you need. Do you feel confident enough to walk down the stairs on your own ? I’ll be right next to you of course, but I can also hold you if you prefer. Up to you ! » qu’il propose aisément, aucunement perturbé à l’idée de porter un homme adulte dans ses bras jusqu’en bas des escaliers.

Dans le couloir, son regard tombe sur un cadre-photo à la vitre brisée, les bouts de verre éparpillés au sol. Il tend le bras pour récupérer l’objet, ne peut s’empêcher de sourire en voyant la photo du jeune couple en son centre – Eli est adorable avec cette expression – puis le place sur un meuble, à côté du vase. « I’ll put it here, ok ? » Une question qui n’attend pas réellement de réponse, alors Ryan reporte son attention sur son patient – c’est lui le plus important en ce moment.

Ryan observe le jeune homme se redresser sur ses deux pieds avec une attention redoublée, prêt à le soutenir en cas de douleur ou de vertige. Quand Eli faiblit, son bras amorce automatiquement un geste pour l’empêcher de tomber tête la première dans l’escalier et le secouriste pince les lèvres, imaginant sans difficulté la sensation désagréable qu’il est certainement en train de subir. Les chocs à la tête ne sont pas à sous-estimer, alors accessoirisés d’une bonne dose d’angoisse… ça doit être un beau bordel dans son système, en ce moment.

Les marches sont prises une par une, sans précipitation, et Ryan en profite pour actionner son talkie-walkie et prévenir Xavi qui les attend toujours dans l’ambulance.

« Chen for Lopez.
— Receiving. Everything ok, man ?
— Yeah, we’re all done. Give a call to SHC, tell them we’re on our way, ETA... » Une pause, un coup d’œil sur sa montre. « 2243. Head and left arm trauma, possibly fractured. Patient is conscious and responding. »
— Roger. »

La communication se coupe dans un grésillement familier tandis qu’ils atteignent le bas des escaliers et qu’Eli commence à rassembler ses affaires. « The doctors at SHC are pretty efficient, it shouldn’t take too long. » Pas si étonnant lorsque la moitié du personnel est un mutant doté de pouvoir régénératifs, songe Ryan avec une certaine amertume. « Let’s go ? » l’encourage-t-il doucement. Le camion est prêt et déjà ouvert lorsqu’ils sortent de la maison, le gyrophare silencieux éclairant la rue. A le voir débarquer en t-shirt, Xavi lui lance un regard curieux et ses yeux font aussitôt un aller-retour sur Eli et la veste d’uniforme qui lui couvre les épaules, mais se garde de tout commentaire. Ryan l’apprécie beaucoup. « All good ? » Le secouriste hoche la tête et grimpe à l’arrière de l’ambulance avant d’aider Eli à le rejoindre puis de l’installer sur la civière. A la lumière blanche, les hématomes sont encore plus visibles sur sa peau pâle, tâches de peinture qui se colorent de bleu. Ryan détourne les yeux avant qu’Eli ne remarque son air soucieux, lui offre plutôt sa main et un sourire chaleureux. « You can relax now, I’ll take care of the rest. »