pretty in the dark

Elle secoue la tête avec douceur, Suni. Oh, il n'est pas question d'aller mal pour pleurer. Les larmes, dans son cas, viennent dans de multiples situations. C'est l'émoi qui devient grand, qui cherche à sortir. Peut-être qu'elle devrait apprendre à faire autre chose, crier et casser des trucs, mais Suni n'a jamais été comme ça. Pourtant, la petite abeille écrit de vilaines choses sur le web depuis un moment. Elle perd sa colère ailleurs que dans les larmes, même si les cils sont parfois humides de colère lorsqu'elle écrit ses mots venimeux qu'elle vient à regretter quand les heures passent.
Elle ne les efface pas, pourtant.
Elle n'efface rien, Suni.
Car elle sait, quelque part, qu'elle en pense chaque mot.
- Ne t'inquiètes pas, Arcelia , qu'elle lui dit, bienveillante. Suni ne veut pas l'inquiéter. Suni ne veut pas devenir un problème. Oh, la petite créature qu'elle est aimerait apporter que le bonheur aux gens. Mais les gens ne lui apportent pas que le bonheur. C'est la vérité ; celle qui fait mal. Suni ne saurait dire, vraiment, qui lui fait plaisir. Même Liam et June la blessent, dernièrement. Ils kidnappent des bouts de ses rêves et Suni sourit, petite et douce, cache ses blessures et leur apporte un soutien qui la fait saigner de l'intérieur.
Au travers des herbes hautes, Suni guide l'héroine jusqu'à l'étang et les fleurs. Là, les canards paressent au soleil et dans l'eau. Dragon nettoie ses plumes tandis que Bernardo dort, tout simplement.
Un regard curieux coule vers Arcelia avant qu'un sourire doux ne plane sur ses lèvres. Il est accompagné d'une rougeur qui se pose contre ses joues.
- Tu n'avais pas besoin d'être - Oh, Arcelia. C'est gênant. Elle possède ce rire pur, Suni. Quelque chose qui sonne comme un carillon, comme le bruit du vent dans les feuilles d'arbre. Cachée derrière sa main, elle contient sa gêne et son amusement et lui dit : Tu sais à mes yeux, tu étais loin d'être un glaçon. Tu étais un peu - oh, tu étais impressionnante, énormément. À un tel point. Les lèvres se tordent, Suni passe une main dans ses cheveux pour s'emparer ses mèches voltigeant au vent. Tu faisais battre mon coeur si fort, par moment. Je me demande encore si c'était un simple crush ou si j'étais amoureuse. Mais un amour de jeunesse, c'est toujours très fort et très bouleversant. Elle rit encore, Suni. D'un geste doux, elle quitte les doigts d'Arcelia.
Elle regarde sa demeure, et lui ment. Mais surtout ; elle se ment.
- Être malheureuse ne me dérange pas. Pour autant qu'il s'agisse de mon émotion. Pour autant qu'il s'agisse de ma vie, tu vois ? Une vie triste et douloureuse. Les rires y sont présents, comme les sourires. Mais à quel prix ? Elle possède une faim immense dans son ventre, Suni. Une faim qui ne sait pas se taire.
- Oh. Je suis désolée de te dire ça comme ça. C'est gênant un peu, tu ne trouves pas ? Mais je pense que tout le monde savait... Et elle rit, encore, avant de reprendre le pas. Avant de marcher vers sa demeure. Il y a de la limonade dans le frigo, quelques petites choses à manger. Peut-être qu'Arcelia aimera.

pretty in the dark
« Ne t’inquiète pas, Arcelia. » Si, justement, elle s’inquiète. Elle n’est qu’un tourbillon d’inquiétudes et d’incompréhension depuis qu’elle a passé le pas de la porte du sanctuaire, parce qu’elle ne comprend pas. Elle a l’impression d’avoir découvert une faille spatio-temporelle et qu’elle n’est plus elle-même. « Tu sais que c’est avec ce genre de phrase que les gens s’inquiètent encore plus ? » Mais Arcelia ne veut pas gratter, ne veut pas la mettre plus mal à l’aise qu’elle le fait déjà, car elle sent que sa venue est un petit remous dans un lac auparavant calme (en apparence, en tout cas). Elle a tellement l’impression de dénoter, aussi, comme une épine dans le pied. Désagréable.

Suni l’emmène près d’un étang, auréolé de fleurs colorées. Des canards profitent des rayon du soleil, se nettoient les plumes, ne s’éloignent même pas à leur arrivée. C’est bizarre mais Arcelia s’attend presque à soulever une branche et tomber sur une licorne. Les lieux sont tellement beaux. « Oh, Arcelia. C’est gênant. » Un sourire amer étire ses traits. Ouais, elle est souvent gênante, elle le sait. Mais elle n’est pas certaine que Suni parle d’elle-même, de Lia ou de la situation. Cette dernière étant la plus gênante de toute, évidemment.

Et la suite le devient d’autant plus, car des mots doux, toujours doux évidemment avec Suni, s’échappent de ses lèvres pour tenter d’apaiser les plaies d’Arcelia. Impressionnante ? Oui, le genre d’impression qui donne envie de s’éloigner. Mais la suite détruit le cœur de la géante de glace plus assurément que des balles. « Tu saisi battre mon cœur si fort, par moment. » Arcelia se fige, car ces mots, elle ne s’y attendait pas. « Je me demande encore si c’était un simple crush ou si j’étais amoureuse. » Qu’est-ce que… quoi ? Arcelia a envie de fondre, mourir et revivre, renaître et rire et se briser. Elle ne pensait pas que Suni pourrait lui faire un tel effet. Les mots l’ont arrêtée en pleine course. « Mais un amour de jeunesse, c’est toujours très fort et bouleversant. » Les mots lui manquent. Les mots meurent sur ses lèvres, en réalité, et elle ne peut s’empêcher de se tourner vers Suni, qui rit, comme si elle ne venait pas de détruire et reconstruire son monde en quelques lettres. Et leurs doigts s’éloignent et alors, elle sent le vide, un vide intersidéral qu’elle n'était même pas certaine de pouvoir encore posséder.

Arcelia ne dit rien de plus, écoute la jeune femme à qui elle a donné si peu d’intérêt, le réalise-t-elle. Peut-être aussi parce qu’elle avait peur. Peur d’être rejetée, peur de ne pas être à la hauteur, peur de s’attacher et d’être brisée par la suite. « Mais enfin, Suni, pourquoi tu… pourquoi tu ne m’as rien dit ? Je suis aveugle, je ne comprends pas les émotions des gens, tout se ressemble. Pour moi tu étais… enfin… et Elvira ? Bon sang, Suni, tu veux du gênant ? Eh bien j’étais jalouse de ce que vous partagiez, de ce que l’écran renvoyait, vous étiez si… belles. » Elle espère que sa comparse va comprendre le sous-entendu. Elle ne parle pas de beauté physique, bien sûr, elle parle de bien plus. D’un monde qu’elle ne pouvait qu’effleurer du bout des doigts. « Tu n’aurais pas dû perdre ton temps avec moi. Tu avais le monde à tes pieds. » Et maintenant… maintenant tout a été détruit. En partie par la faute d’Arcelia. Une boule remonte le long de sa gorge, et au moment où elle veut effleurer Suni pour vérifier si elle est bien réelle, celle-ci reprend sa marche pour l’emmener jusque chez elle. Dans sa maison. Son foyer. Son intimité.  « Personne ne souhaite être malheureux. Tu n’as pas envie de hurler, des fois ? De te débattre ? De briser toute cette perfection qui semble t’entourer ? » La question de sa sœur la hante encore depuis la dernière fois qu’elle la vue. Leurs masques finiront-ils par tomber un jour ? « Je ne connais que la colère. Je n’ai toujours connu que ça. Et je me demande parfois si je serai jamais en mesure de connaître l’amour. » Elle hausse les épaules, se demandant si ce genre d’aveu est aussi considéré comme gênant par l’ancienne apprentie. Peut-être qu’Arcelia n’est finalement qu’un pêle-mêle de gênance entremêlée.

ft.  @Suni Park

Il est délicat, le coeur. Il s'est épris de plusieurs visages, au fil du temps. Suni a toujours aimé dans le plus grand des silences, les yeux immenses et une gêne discrète dans les gestes. On ne lui disait pas de tomber amoureuse, de toute manière. On ne lui disait pas de faire ceci ou cela, très clairement. Alors, elle taisait ses sentiments et se concentrait sur le travail, sur le tournage, sur l'entrainement. C'était plus important, plus sensé également. Dans la fragilité de son coeur d'adolescente, la chose était plus facile. Surtout lorsqu le regard du monde entier était tourné vers elle, il lui semblait, après l'annonce de son orientation sexuelle. On lui attendait une romance, un grand amour, une histoire digne du cinéma.
Elle n'a pas peur, la petite abeille. Avoir la peau vierge de bien des choses ne la dérange pas particulièrement. C'est léger et délicat, et puis il y a d'autres traces. Des traces très lourdes à porter aujourd'hui qui ne lui donne pas spécialement envie de se déshabiller et d'offrir sa chair à d'autres. Suni a honte des marques qu'elle possède. De ces traces reflétant ses échecs, ses défauts. Elle a perdu des parts importantes d'elle-même. Il suffit de regarder sa chair pour le savoir. La peau blanche et parfaite se trouve malmenée, déformée par endroit. On l'a passé sur la table, et on a laissé des traits peu délicats, par endroit. C'était une question de vie ou de mort.
Une question de vie ou de mort.
Elle se demande, dernièremnet, si c'est la vérité.
Elle ne sait pas, elle ne sait plus. Les doutes sont virulents, agonisants.
- Oh tu sais -- Tout n'a pas besoin d'être dit. Je ne pense pas hm. Je veux dire, je ne pense pas qu'une confession aurait changé grand chose. Ce n'était pas dans le contrat. Le contrat avait choisi Elvira, justement. Une autre héroine plus vieille, plus populaire, aussi. Suni se souvient l'observer avec une certaine admiration, mais avoir le regard coulant souvent vers Arcelia, malgré tout. Elvira a eu droit à son premier baiser, celui sur l'écran, mais la petite abeille a longtemps rêvé que Arcelia goûte le premier et les suivants aussi.
Un doux sourire se glisse sur ses lèvres et Suni se tourne vers elle, avance à reculons vers la demeure. Par le vent, des mèches de cheveux forment un halo autour de son visage. Elle les chasse d'une main discrète.
- Ce n'était pas une perte de temps. C'était de bons sentiments. Oh tu sais - - j'ai aimé t'aimer. C'était très doux. Le sourire s'accentue et le regard va ailleurs, accompagné d'une petite gêne. Elle souffle un semblant de rire, et ajoute : Qui a besoin du monde quand une seule personne suffit ? Une personne, c'est bien assez pour être heureuse à mes yeux.  Un dernier regard, et elle se tourne de nouveau, continue sa quête vers la demeure.
Heureusement, oui.
Heureusement, car une ombre se pose dans ses prunelles. Suni pince ses lèvres sous les questions d'Arcelia, chasse les démons qui tissent des arabesques obscures en son être. Elle n'aime pas ces pensées. Elle n'aime plus ses pensées, dernièrement. C'est une faim qui la ronge et qui n'arrête pas.
- Je - Oui, Dernièrement, oui, qu'elle avoue, souffle. Une première confession sur la chose, bien qu'elle ne creuse pas. Elle ne veut pas montrer à quel point elle est laide, en dedans.
Le pas s'arrête, une fois rendue sur le perron. Suni y monte et se tourne vers Arcelia, une douceur attristée dans le regard.
-  Oh, Arcelia... Elle aimerait la consoler, la prendre dans ses bras. Suni secoue sa tête avec délicatesse. Je n'y crois pas un mot, tu sais. Tu n'es pas que colère tu es - tu es bien plus que cela, à mes yeux. Tu as toujours été beaucoup de choses. La colère c'est oh - La colère est un mur très grand, et très large, et dur à monter, mais derrière ? Derrière, tu es tant de choses, Arcelia. J'en suis profondément persuadée. Mon coeur ne s'éprend pas de n'importe qui, tu sais. La dernière phrase est dite avec légereté, et Suni lui tend la main pour qu'elle monte sur le perron à son tour. Viens voir l'intérieur, qu'elle l'invite.

pretty in the dark
Si elle s’était attendue à ça. À mourir et renaître si loin d’Icarus. Dans un lieu dont elle ne connaît rien et ne pensait vouloir rien connaître. Elle se sent… déphasée, dépaysée, comme si elle n’était plus dans son propre corps mais qu’on lui avait arraché le cœur pour lui coller dans une autre enveloppe. Trop grande, dans laquelle elle nage, se noie, car pour une fois, elle se retourne violemment en arrière, comme quand elle était ado et que les doigts crochus de la rancœur s’enroulaient dans sa poitrine pour lui déchirer le palpitant. Arcelia était tellement, tellement égoïste. Comme si elle était la seule capable de souffrir, d’aimer, de jalouser, de ressentir. Elle se pensait de glace mais elle mourrait noyée sous ses propres émotions, refusant de croire que d’autres pouvaient aussi souffrir. Et voilà qu’elle semble s’excuser, que pour elle ça n’avait pas d’importance. Mais pour Arcelia ça en a. Tellement plus qu’elle ne saurait jamais l’exprimer. Le contrat. Peut-être même qu’elle répète ces mots à voix haute, elle ne sait plus, perdue. Sentiments ambivalents envers sa déesse des enfers, qui pourtant l’avait sauvée de la noyade à tant de reprises…

Quand un sourire étire les traits pourtant attristés de Suni, dont les joues baignent encore de ses larmes étouffées, Arcelia ne peut s’empêcher de scruter ces lèvres, ces si fines lèvres, et se demander quel goût elles auraient eu. Est-ce qu’elles aussi lui auraient rappelé la cendre, comme la majorité des baisers qu’elle a échangé jusque-là ? Ou aurait-elles pu lui offrir des arcs-en-ciel, quitte à lui en faire tourner la tête ? Ses cheveux claquent comme autant de drapeaux autour de son visage pâle, ce bijou d’ivoire qu’elle aurait pu cueillir entre ses mains. Y-a-t-elle seulement pensé, à l’époque ? Non, elle était… piégée dans sa haine, dans une gangue de glace que même le sourire de Suni ne parvenait pas à faire fondre. Rien n’en était capable.

« J’ai aimé t’aimer. » Les mots finissent de lacérer son cœur. Ils se plantent en elle comme des hallebardes, avec la violence d’un train qui l’aurait percutée. Et alors ses yeux s’humidifient, pour la première fois depuis… depuis des mois, si ce n’est des années. Parce qu’Arcelia ne pleure pas, ne pleure plus, depuis qu’elle a fait la promesse à Valkyrie Ière du nom. Ses larmes, elles étaient pour les faibles. Arcelia est une guerrière, Angrboda, faite de sang et de glace. Rien de plus, rien de moins. Et dans sa volonté de retenir cet élan douloureux de sentimentalisme, une goutte s’échappe de ses paupières, perle salée qui glisse le long de sa pommette, avant de se geler en pleine course. Petite stalactite qui attrape les rayons du soleil. « Tu trouves ça peut-être gênant, inutile, superflu. Ce n’est peut-être qu’un souvenir pour toi, mais… » Elle ne sait pas quoi faire de sa peine et de ses maux. « On ne m’a jamais dit une chose pareille. » On l’a souvent haïe, repoussée, malmenée, on l’a frappée et trahie, on l’a utilisée et délaissée, on a fait d’elle une passerelle vers les autres. Même Elvira, aime la vision qu’Arcelia lui renvoie. Même June, aime l’idée d’être amie avec une Sept. Personne, jamais, n’a jamais aimé simplement l’aimer.

Et bien sûr. Cela doit venir de Suni.
Petite abeille.
Petite abeille aux ailes brisées.

La culpabilité n’est pas une amie chère à son cœur, elle est bien souvent éphémère et délétère, un émotion passagère, qui semble, cette fois-ci, plonger ses crocs dans sa peau. Arcelia, pour quelqu’un, un jour n’a pas été une perte de temps.  Et alors son cœur se gonfle, gonfle, comme une montgolfière. Et elle a envie de vomir de lui avoir causé tant de mal, elle ne peut… elle ne peut pas lui avouer, n’est-ce pas ? Pas maintenant. Cela ruinerait tout. Elle doit conserver ce secret encore, pour quoi, pour qui, pour… pour son égoïsme crasse, car Suni est, aussi étrange que cela puisse paraître, devenu un petit rayon de soleil dans son monde de noir et blanc. Et une bouffée de colère envers elle-même et envers Icarus l’étreint.

« Qui a besoin du monde quand une seule personne suffit ? Une personne, c'est bien assez pour être heureuse à mes yeux. » J’étais… je pouvais être… seulement… cette personne ? Aux yeux de quelqu’un ? Et je l’ai laissée tomber. Pire, j’ai détruit son présent et son avenir d’un coup de talon rageur et vengeur, bien contente de pouvoir passer mes nerfs sur quelqu’un. Je suis un monstre. Qui ne mérite pas un tel rayon de soleil. Arcelia est cassée, ça y est. Quelques mots l’ont totalement déréglée, comme un automate dont on aurait modifié quelques lignes de code.

Suni se détourne, lui arrache la vision de son visage endeuillé. Quand elles arrivent finalement sur le perron, Suni s’arrête et se tourne vers Arcelia, à quelques centimètres d’elle. Tout le monde semble alors seulement beau dans le creux de ses prunelles, dans l’orfèvre délicat de ses iris colorés. « Je n’y crois pas un mot, tu sais. » Arcelia renifle, désabusée. Elle n’est que rage qui s’est solidifiée pour devenir cet épais mur qu’elle met entre elle et le monde. « Mon cœur ne s’éprend pas de n’importe qui tu sais. » Elle veut attraper son poignet, la retenir, mais voilà que la fluette abeille continue de danser sur une mélodie qu’elle ne semble pas percevoir, l’invite à pénétrer chez elle. « Suni, tu es tellement adorable que… que tu ne vois pas. Mais je suis un monstre, façonné par Icarus, au cœur dur et froid, qui ne peut aimer. Enfin si, mais qui n’aime que dans le tourment, la jalousie, l’incompréhension et les quiproquos. Je ne suis qu’un cœur cassé qu’on a essayé de mettre dans une enveloppe qui fonctionnait encore à peu près. J’ai fait des choses… en ai accepté d’autres… Ce que tu ne sais pas ne peut pas te faire de mal, mais je ne peux pas te laisser dire que j’étais une femme à aimer. Que je le suis, aujourd’hui, plus que jamais. Même si tes mots sont le plus doux baume que l’on ait apposé sur mes plaies… mon Dieu, il suffirait seulement que tu te regardes dans un miroir, vraiment, pour comprendre combien tu vaux mille fois plus qu’un dixième de mes soupirs. » Elle serre les mâchoires, les poings aussi, car tout son corps s’est presque gelé sur place, pour jeter cette tirade à ses pieds, offre brûlante de tout ce qu’elle a toujours retenu. « Je te suis tellement reconnaissante de ne partager qu’un dixième de ce que tu penses, ressens vis. Et je suis très sincère quand je dis ça. » D’un coup rageur, elle efface les dernières traces de gel qui émaillent ses joues.

Car Arcelia ne pleure plus.
Elle a compris.

Que Suni était une autre épreuve, une autre douleur à traverser et à supporter. Car à l’époque, si elle avait vu, si elle avait essayé de regarder au-delà de sa douleur et de sa couleur… Peut-être alors que le monde aurait été totalement différent. Peut-être que Suni aurait révolutionné le sien.
Et c’est peut-être désormais son plus grand regret.

ft.  @Suni Park

Elle a le coeur tendre, Suni. Il est si tendre, oui. C'est que dans sa vie, on l'a piétiné souvent ; comme de la pâte, comme une patisserie quelconque ; on a pétri encore et encore et elle est devenue tendre. Impossible pour être d'être dure, d'être solide et difficile ; trop de choses ont été cassé, les cassures ont été caché au travers de sa douceur trop présente te qu'elle n'en a plus conscience. Pourtant, il en vient des moments où elle se coupe. À chaque fois, elle s'arrête, surprise. Elle observe la plaie les yeux grands ouverts, l'interrogation dans les yeux et elle se demande comment une telle chose peut être possible. Elle ne comprend tout simplement pas. Et elle saigne, pourtant, la petite abeille. Elle sent le sang qui lui coule entre les doigts, la blessure si minuscule qui fait énormément de ravage et juste, elle ne comprend pas. Elle ne réalise pas qu'elle a été brisé milles fois, qu'on l'a faconné qu'une certaine manière et qu'elle ne peut rien y faire, tout simplement. Il y a un moule qui porte son nom et Suni en possède encore la forme. Comment pourrait-elle faire autrement ? Impossible de se demander, de ce questionner ce qu'elle serait sans se moule, sans sa vie d'idole. Suni ne s'est jamais rendue jusque là, de toute manière.
Suni possède son moule.
Arcelia possède le sien.
Il y a des fissures, pourtant. On voit au travers comme on voit les étoiles, au travers de la nuit.
Suni a vu certaines choses, quand elles étaient plus jeunes. Elle en est certaine, encore aujourd'hui.
La douceur est un sourire sur ses lèvres ; la douleur est un éclat au creux de ses yeux. Elle secoue sa tête, doucement, l'abeille. Elle accepte les mots et en refuse d'autres. Arcelia est emplie de larmes ; elles sont trop lourdes à porter, elles tombent comme des mouches.
- Arcelia ... , qu'elle souffle, dit, avant de s'approcher et de prendre ses mains dans les siennes. Un sourire se pose sur ses lippes, délicat, et elle ne la quitte pas ses yeux tandis qu'elle apporte ses mains à ses lèvres et pose un baiser, léger, sur chacune. Ne me dis pas ce que je ressens. Ce que je ressentais. S'il te plait, oui ? Ils l'ont assez fait. Ne sois pas comme eux. Il n'y a aucune accusation dans sa voix, que la vérité. Ou du moins, sa vérité. Personne ne m'a dit de t'aimer. Je l'ai fait de mon plein gré. Ne me vole pas la seule liberté que j'ai eu il y a tant d'années. Un coeur qui a battu avec timidité pour une autre, pour la première fois. Suni s'est défait depuis bien longtemps des sentiments, mais ils restent une grande part de son adolescence, voire de sa vie de jeune adulte.
. - Suis moi, oui, s'il te plait ? Ne reste pas dehors ; le vent s'est levé. Il commence à faire froid

pretty in the dark

Suni sourit, mais celui-ci ne grimpe pas jusqu’à ses prunelles. Ses prunelles qui semblent mortes depuis son départ d’Icarus. Arcelia ne peut se demander si elle a jamais été heureuse, même lorsqu’elles étaient adolescentes. Est-ce que l’aile rassurante du mastodonte était agréable pour Suni ? Regrette-t-elle ses œillères ? Arcelia, en tout cas, ne pourrait lui en vouloir. Elle ne saurait pas quoi faire sans la main qui la nourrit. Elle ne saurait pas qui choisir, si on jour on devait lui poser le choix sous les yeux. Alors elle se contente de se laisser porter, en espérant que cela n’arrive jamais. Naïve Arcelia.

Suni secoue la tête, désabusée. S’empare de ses mains, et le froid de ses doigts devient chaleur contre celle de sa comparse. Jusqu’à ce qu’elle embrasse avec tendresse sa peau, baiser-papillon, baiser-abeille, bien loin de piquer comme elle aurait pu vouloir l’attendre. Et enfin, voilà que la coquille se craquèle un peu, voilà que Suni lui impose quelque chose. Et Arcelia acquiesce, parce qu’elle comprend. Ne sois pas comme eux. « C’est trop tard, je suis déjà comme eux. Mais d’accord, je suis désolée si je t’ai heurtée. » Encore et encore et encore, désolée d’avoir été l’instigatrice de sa chute, le couteau qui a déchiré ses ailes fragiles, la dernière signature sur un contrat rompu. Ce désolé recèle tellement de choses dont Suni n’a même pas vaguement conscience. « Ne me vole pas la seule liberté que j’ai eu il y a tant d’années. » Nouveau coup au cœur, parce qu’elle ne peut concevoir que l’aimer ait été une liberté. C’est ridicule. Mais soit. Il y a tant de choses ridicules dans la vie qu’elle a pourtant accepté sans se questionner…

Et voilà que Suni veut poursuivre la visite. Arcelia acquiesce, laisse tout ce qu’elle vient de ressentir, ce maëlstrom dévastateur derrière elle. Elle le laisse avec l’ondée au loin. Se contente de suivre la petite abeille, qui lui monstre sa ruche. Elle pénètre dans la maison, prête à accepter un thé de l’amitié, et de goûter tout ce qu’elle voudra lui offrir. Elle ne pensait pas. Qu’une rencontre fortuite pouvait soudainement être si salvatrice. « Je rentre. Tu veux que je retire mes chaussures ? » Voilà une question si étrange. Elle n’est plus certaine d’être allée chez qui que ce soit d’autre depuis… tellement, tellement longtemps. En dehors de ses séances de tatouages, elle ne voit pour ainsi dire personne. Les gens viennent chez elle, ça oui, mais elle… Elle se contente de suivre la vague. De vivre. De survive.
Comme Suni.
Comme tout les sépare.
Comme tous les rapproche.

ft.  @Suni Park

Sous ses pieds délicats, le bois craque. La maison est vieille et froide, souvent, en hiver. Heureusement, il y a un foyer que Suni peut remplir de bûche. Un homme vient lui livrer une certaine quantité avant que le froid s'installe et pendant plusieurs jours ensuite, elle s'occupe de tout corder, d'en couper une certaine quantité en préparation, et souffre de quelques maux de dos, ensuite. L'absence de ses ailes la fait souffrir, par moment. Les muscles sont encore là, quelque part. Ils cherchent à quoi s'accrocher, outre que le vide, et Suni souffre quand le corps fait des choses qui étaient si aisées, parfois.
Pour le moment, il ne fait pas trop froid, heureusement. Dans quelques semaines, elle s'occupera du bois. Elle pourra allumer le foyer et en faire danser la chaleur à l'intérieur de sa demeure.
Pour l'heure, son coeur est chaud, juste assez. Le froid reste en dehors ; il vient seulement la nuit, la plupart du temps. L'abeille reste sans mouvement, transie et trahie.
De l'entrée, on peut voir les armoires de sa cuisine peinturées d'un jaune doux, son ilot malmené et la table ronde, près de la porte, pour sa part.
Suni virevolte quand Arcelia pose la question.
- L'un ou l'autre, ce n'est pas bien grave. J'aime bien être en chaussette, mais le plancher est vieux et il n'est pas sablé, tu sais. Tu pourrais te blesser. L'abeille, de son côté, est déjà terriblement blessée. Une blessure de plus ne la dérange pas. Elle porte constamment le fardeau de ses maux, après tout.
- Tu préfères les thés ou les tisanes ? Oh, j'ai aussi. Un petit rire, et Suni ouvre une armoire en se hissant sur la pointe des pieds, et sort une boîte en acier colorée d'un bleu profond. j'ai du chanvre séché, aussi. C'est très reposant, promis. Kyoka aime particulièrement en boire, certains soirs. Ceux-ci, Suni l'accompagne et laisse ses doutes partir loin, comme ses peurs et ses douleurs. La chose l'aide, pour son pauvre dos.
D'un pas léger, elle semble danser tandis qu'elle va jusqu'à la bouilloire qu'elle remplit puis, met sur le feu. Suni chantonne en se déplaçant, avant de tourner son regard vers Arcelia, de nouveau.
Souvent, il y a Liam à sa place. D'autres fois, il y a June.
Il n'y a jamais eu Arcelia.
- Si tu pouvais réaliser n'importe quoi, peu importe le souhait, tu ferais quoi ? qu'elle lui demande, de nulle part. je voudrais de nouveau voler, pour ma part.

pretty in the dark

La maison a l’air encore plus magique de l’intérieur. Arcelia n’est plus habituée, et elle a honte de le réaliser ; tous ses « amis » (ou ce qu’ils prétendent être en tout cas), vivent dans des villas hors de prix et ridiculement immenses. Ici c’est… plein de vie. D’histoire. Pas une coquille vide comme les autres. Et Arcelia se sent un peu mal aussi d’envier une fille qui n’a eu le choix sur rien ; et à qui tout le monde a toujours menti. Et surtout, dépossédée de ses pouvoirs. Elle ne sait pas ce qu’elle deviendrait si Angrboda lui était arrachée. Pas grand-chose, certainement. Autant que Suni.

La jeune femme n’est pas claire quant à la marche à suivre alors dans le doute, elle préfère garder ses bottes. Peut-être aussi parce qu’elles sont un morceau de l’armure qui la protège encore un peu. Et elle ne peut s’empêcher de sourire devant Suni, qui semble si heureuse de lui parler de chanvre séché. « Eh bien, j’imagine que ça ne fait pas de mal d’avoir encore quelques premières fois. Essayons le chanvre séché, ça m’a l’air… » Parfait pour ce que j’ai. « Exquis. » Aucune idée du goût que ça doit avoir, aussi. Et puis au pire, elle a l’habitude d’avaler des choses qu’elle déteste ; des couleuvres, parfois pire. Un peu plus ou un peu moins…

Et voilà qu’elles changent de sujet, qu’elles volètent vers quelque chose de bien plus sensible. Et Arcelia réalise qu’elle n’a pas parlé autant à cœur ouvert depuis… depuis jamais, en fait. Même avec Elvira, elle doit garder son armure, de peur que son amie n’y voit les failles. Qu’elle réalise combien elle est faible, en dessous. « Je voudrais de nouveau voler, pour ma part. — Je ne devrais pas dire ça, mais tu n’as pas songé à… prendre du Red, par exemple ? Pour retrouver tes dons ? Je crois que si j’en étais dépossédée… peut-être que j’aurais changé d’avis sur bon nombre de choses. » Pour le bien qu’on fait en tant que super-héros… En tout cas, elle ne la jugerait jamais pour ça. « Et je n’ai jamais songer à une telle chose. J’aurais trop peur des réponses que cela m’apporterait. » Et puis certaines de ses idées qui lui passent par la tête en premier ne sont pas celles qu’on veut partager… M’effacer de la surface de la planète. Sans douleur. Plus de douleur. Jamais. Ouais, moyen de péter l’ambiance avec ce genre de choses. « J’imagine que j’ai tout ce dont je pourrais rêver, pour le moment. » Sauf une face, apparemment. Car elle ment, encore et encore, auprès de Suni. Et auprès de tous les autres.
Quelle fichue mascarade.

ft.  @Suni Park

On pourrait croire que la fleur est séchée, par moment. Qu'elle a perdu un peu de vie, un peu de couleur. Il suffit de porter un regard plus creux, attentif, pour voir. Pour voir la manière dont certaines goûttes d'eau y reflètent légèrement. Elle est toujours là, la fleur. Elle est toujours vivante, oui, un peu. Suni s'accroche encore, qu'importe si elle est fanée. Qu'importe si certaines de ses pétales lui ont été arraché au fil des années. Que pourrait-elle faire autrement, après tout ? Suni ne sait rien faire d'autres qu'être là, qu'exister et continuer.
Que sourire, simplement, comme elle le fait à Arcelia tandis qu'elle accepte un peu de son chancre. Au creux de ses fines menottes, la boite bleue est ouverte et la petite abeille remplit deux orbes métalliques d'herbes. Elle observe bien au fond du pot, s'assure qu'il en reste assez pour Kyoka, plus tard. La chose est importante, primordiale, même. Suni ne voudrait pas, après tout, la rendre triste. Il a été si difficile, après tout, lui retirer sa main, son corps, son coeur, il y a quelque mois. C'est que Kyoka aime grand, plusieurs personnes en même temps, et Suni n'a jamais aimé de la sorte. Elle n'a jamais été aimé en retour, tout simplement, et elle ne sait pas comment être dans une relation, peu importe laquelle. L'idée de partager, aussi inconnue que tout le reste, la chamboule énormément.
Elles attendent que l'eau soit chaude quand Arcelia, elle fait mention de la red.
Dans un geste lent, si lent, Suni se tourne vers elle. On pourrait croire qu'elle a peur, tant son corps est figé. Elle l'observe avec un certain recul, une ombre de retenu.
- oh je - tu sais, Arcelia. Je n'aurais pas l'impression de les mériter. J'ai - J'ai besoin que ce soit eux qui me redonnent la permission, tu vois ? De toute manière. Léger rire, comme si les paroles n'étaient pas terriblement graves. Je dois faire des prises de sang chaque semaine, tu sais. Ils veillent à ce que je ne prenne pas l'un ou l'autre. Ma santé, aussi, j'imagine. Je suis persuadé qu'il s'agit seulement d'une épreuve à traverser, tu sasi. Je tiens bon, et je serais récompensée.
Des années.
Des années qu'elle se répète la chose. Elle ne sait plus, maintenant, Suni. Les mots sont devenus vites depuis si longtemps, elle ne saurait pas dire quand.
Parfois, elle s'observe dans le miroir. Son propre regard lui semble si vide.
- Ah -- tu as peur de ton propre coeur, Arcelia ? La question est posée avec innocence. Suni comprend, aussi, dans un sens. Elle a peur du sien également. Alors, elle hoche de la tête et sort deux tasses, ses préférés. Celle qu'elle porte dans son coeur, elle décide de la partager avec Arcelia. Ainsi, l'eau enfin chaude est versée. Il suffit d'attendre un peu, maintenant, que le tout soit bien infusé.
Une tasse dans chaque main, Suni marche jusqu'à la table et prend place. Sa chaise grince faiblement.
- Il y a du lait, du sucre, et du miel. Mets ce que tu préfères. Tout en parlant, elle avait mis les choses sur la table, un peu plus tôt.

pretty in the dark

Suni semble paralysée à l’évocation du Red. Arcelia se demande si c’est parce qu’elle y a déjà pensé, ou parce que c’est illégal. Après tout, jolie Suni, douce Suni, qui ne ment pas et s’excuse toujours, ne ferait certainement rien d’illégal. Mais l’explication qu’elle lui offre semble plus étrange encore, plus… alambiquée. Qu’ils lui redonnent la permission. Comme une enfant qui aurait mal agi.

« Et tu crois que ça va arriver un jour ? » Ce n’est pas une critique dans la bouche d’Arcelia, elle est vraiment curieuse d’avoir son avis à ce sujet. Car elle, craint que ce ne soit pas possible. À moins… à moins qu’ils reviennent sur leur décision ? Et qu’ils lui avouent ce qui s’est réellement produit ? Non, Icarus ne se trahirait pas lui-même. À moins qu’une mission ne le nécessite.

« Je dois faire des prises de sang chaque semaine, tu sais. » Cage savamment choisie, piège intelligemment orchestré. La petite abeille ne peut pas quitter la ruche, jamais. « Je suis persuadée qu’il s’agit seulement d’une épreuve à traverser, tu sais. Je tiens bon, et je serais récompensée. » Comme dans la Bible ? Pas qu’Arcelia soit très religieuse, mais elle avait l’impression que c’était la seule chose à retenir de ses enseignements. « J’espère que tu y arriveras, alors. » Je ne veux pas la mettre à défaut, ni la blesser. Au moins, elle s’accroche à quelque chose.

« Ah – tu as peur de ton propre cœur, Arcelia ? » Rire caustique, désabusé. Voilà une discussion plus aisée à tenir pour elle, certainement ; ce n’est pas un champ de mine comme les croyances de Suni. « Si j’en ai encore un, ce qui reste à prouver… » La question peut se poser. Elle a parfois l’impression qu’il s’est lui aussi recouvert de glace, il y a longtemps. « Tu n’as pas peur de passer ta vie à pourchasser un rêve impossible ? » Parce qu’elle a déjà été trop bloquée par ses propres envies, ses propres rêves brisés, foulés au pied par sa famille violente. « Je crois que je préfère poursuivre ceux des autres. C’est plus simple. » Ceux d’Icarus, d’Elvira, de June… de n’importe qui, pourvu que ce ne soit pas elle.

Suni lui offre alors une tasse, s’assied. Arcelia hume l’odeur, a soudainement l’impression d’être dans une dimension parallèle, à boire du chanvre avec Suni ici. Elle attrape du sucre et du lait, avant de touiller lentement dans sa tasse, cherchant presque l’avenir dans son fond.

ft.  @Suni Park

Elle aime le sucre léger, la petite abeille. Juste un peu de miel, oui, qu'elle glisse dans sa tisane au chancre. Son regard se lève et parcourt le plafond, son cou se tend vers l'arrière et regarde dans l'autre pièce où se trouve l'escalier. Est-ce que Kyoka dort encore ? Parfois, elle peut rester des heures durant dans son lit lors des journées difficiles. Oh, la petite abeille aimerait l'aider, mais ses jambes sont tremblantes depuis tant d'années. Elle ne sait pas si elle possède la force pour aider qui que ce soit à se relever. Elle lui proposera une tisane plus tard, oui. Peut-être un petit plat chaud, mais léger, quand Arcelia ne sera plus là. Kyoka voudra peut-être aider à cuisiner. Elle aime le faire, très souvent. Suni est toujours surprise de la découvrir dans la cuisine. Les première fois, la panique a été un monstre au creux de son ventre et elle s'est forcée à prendre une bouchée avant de s'excuser et de pleurer. Depuis, elles ont trouvé un terrain commun.
La tasse chaude entre les doigts, le souffle léger effleurant celle-ci, Suni se demande si Arcelia cuisine, parfois. L'Idée est un peu idiote. Après tout, Arcelia ne doit pas en avoir le temps. Elle est si occupée, mine de rien.
- Oh - Arcelia. Ses frèles doigts serrent la tasse, le regard monte vers l'autre et s'y pose, tel un papillon. Tu es si dure envers toi-même. Il faudrait être un peu plus douce, tu ne crois pas ? Après tout, la première personne qui doit nous aimer, c'est nous même. Suni essaie d'être douce avec elle-même constamment. La chose est difficile. Parfois, elle aimerait se détester. Parfois, elle se garde dans le mirroir et n'aime pas ce qu'elle voit.
- Un rêve reste un rêve, tu ne trouves pas ? Je veux dire - une chose reste impossible jusqu'à temps qu'on prouve le contraire, non ? Léger sourire, presque un fantôme. Suni essaie de convaincre Arcelia comme elle essaie de le faire avec elle-même, certains jours. Dernièrement, cela se fait de plus en plus fréquemment.
- hm... peut-être que tu as besoin de temps pour trouver les tiens, de rêves ? Un autre souffle, sur l'infusion. Suni y porte ses lèvres avec douceur, mais le liquide est encore terriblement chaud. La douleur est légère et Suni y passe sa langue, garde la tasse entre ses doigts. je suis sure que tu en possèdes un, quelque part. peut-être qu'il est tout léger, peut-être qu'il est encore très délicat, comme une plume ? il faut juste lui laisser un peu de place, Arcelia. Un peu de soleil, un peu d'eau, et il pourra fleurir comme n'importe quoi. Elle pourrait presque le lui promettre, mais Suni se refuse de mentir, bien souvent.

pretty in the dark

« Tu es si dure envers toi-même. Il faudrait être un peu plus douce, tu ne crois pas ? » Elle ne peut s’empêcher de sourire, un fantôme de sourire, un peu amer, un peu fade. « C’est toi la plus douce du duo. Et c’est amusant, parce que tu n’es pas très tendre envers toi-même non plus. Comme quoi, on est peut-être le pire des juges pour nous-mêmes. » Elle se demande si c’est inné, ou si Icarus sait repérer ses proies. S’il enroule ses griffes autour des âmes prédisposées pour le servir au mieux.

« Une chose reste impossible jusqu’à temps qu’on prouve le contraire, non ? » Elle acquiesce, plutôt d’accord avec cette définition. Peut-être qu’elle a souvent mal analysé ce concept – car selon Icarus, les rêves sont faits pour être embrassés, et vite. Ce n’est pas quelque chose de lointain et d’inatteignable.  « Hm, peut-être que tu as besoin de temps pour trouver les tiens, de rêves ? » Oui, peut-être. En tout cas, cette conversation ravive des plaies qu’elle croyait fermées. Toute cette rencontre est comme l’arrachage d’un pansement bien collé. Et les gentils mots de Suni pourraient presque faire éclore quelques fleurs dans le cœur d’Arcelia – elle qui pensait qu’il ne s’agissait que d’une toundra sèche comme un désert. « Peut-être que c’est le cas. Ou qu’Icarus préfère ceux qui n’ont pas trop de rêve – de peur qu’ils se brûlent les ailes pour les atteindre. J’imagine qu’on peut vivre, même sans rêve, mais si jamais je le trouve… je te le ferai savoir. »

Elle boit une petite gorgée de la décoction, consciente que cette première rencontre va bientôt toucher à sa fin. Les minutes, et les heures sont passées sans qu’elle ne les voit, et elle se sent comme dans une bulle, hors du temps, hors de son quotidien douloureux. « Est-ce que je peux te laisser mon numéro de téléphone ? Si tu as envie qu’on se revoit à un moment donné… » Chez toi ou chez moi, comme tu veux. Mais elle aurait trop peur que la petite abeille soit blessée de voir tout ce qu’elle a perdu dans l’Aérium. Et Arcelia serait une menteuse si elle disait qu’elle n’appréciait pas les lieux qu’elle vient de découvrir. « Je suis contente d’être tombée sur toi, Suni. Vraiment. » Malgré tous les mensonges qui frétillent encore sous sa langue, et tout ce qui les séparera toujours. Suni lui rappelle qu’elle a peut-être encore un bout de cœur qui bat, quelque part.

ft.  @Suni Park

Elle est plein d'espoirs, Suni. La petite abeille ne peut pas se permettre de se perdre dans le noir, après tout. Elle ne serait pas retrouvée son chemin ; il faut dire qu'elle a volé si longtemps. Maintenant, elle marche et elle marche, mais elle suit des chemins et des sentiers précis. On pourrait croire qu'elle possède une liberté mais au final, Suni suit un courant de vie terriblement ennuyant depuis des semaines, mois, années maintenant. Sa cage est simplement un peu plus colorée. Tellement différente de ce dont connait Arcelia que tout semble nouveau et beau. La liberté possède une odeur d'inconnu et pour l'autre, tout de la vie de la petite fleur l'est, inconnu.
Suni lui espère un rêve, des baisers, des douceurs. Elle lui espère toutes ces choses qu'Arcelia cherche peut-être sans en connaître les noms, encore. De son côté, elle s'espère la même chose, qu'importe si une peur gronde au fond de son ventre. Elle doit s'écouter ; s'écouter elle et non les autres. Depuis trop longtemps maintenant, la petite abeille attend qu'on lui dise quoi faire ; qu'on lui tende les doigts et qu'on lui désigne sa place.
Au creux de son ventre, il y a des envies.
Des désirs, aussi.
Suni a besoin de tendre l'oreille, de comprendre.
Une gorgée est prise, douce et légère. Suni y ferme les yeux et savoure, hume doucement.
Quand elle les ouvre, la surprise y danse. Une petite rougeur danse sur ses joues, et un sourire s'étire lentement:
- Oh - Vraiment, Arcelia ? Il y a une main délicate qui est portée à ses lèvres, cachant son sourire et sa gêne. Les yeux brillent, pourtant. J'en serais profondément ravie, oui. Je n'avais pas réalisé, tu sais - à quel point ta présence m'avait manqué. Le manque est si présent, parfois, qu'on ne remarque pas sa présence. Il prend toute la place, il se mèle avec l'horizon.
Un hochement de la tête, léger. La main redescend et le sourire fleurit en toute liberté.
- Moi aussi, Arcelia. Je ne pensais pas mais - oh, j'en suis juste heureuse, tout simplement. Elle oublie ses démons, Suni. Elle oublie sa haine et sa vengeance, sa jalousie dansante à l'intérieur d'elle, doux venin envoutant. Un délicat sourire sur les lippes, elle tend l'une de ses mains, la pose contre celle de l'héroine et la serre avec toute la bonté qu'elle possède.

pretty in the dark

Elle boit la tisane, se laisse bercer par le chuchotement du vent qui épouse la maison de Suni. C’est ironique, au final. De voir combien leurs rêves ont été brisés, refaçonnés, et qu’elles espèrent des choses qu’elles possèdent l’une l’autre. Arcelia ne sait même pas si elle serait heureuse dans ce genre de vie-là (peut-être pas, elle qui a été tant habituée à l’oisiveté à la maison, à ne rien faire si ce n’est être servie, à tout obtenir sur un plateau d’argent), à la recherche certainement de quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs, mais qu’on trouve plutôt en soi. Mais Suni aussi, doit réaliser combien elles chassent des chimères, toutes les deux, à rêver de quelque chose de fondamentalement brisé.

Mais le sourire de Suni quant elle lui demande son numéro vaut peut-être tous les soleils du monde. Elle se cache toujours derrière ses doigts, comme surprise de la demande de la Super. « J’en serais profondément ravie, oui. Je n’avais pas réalisé, tu sais – à quel point ta présence m’avait manqué. » Arcelia rit, se remémorant combien elle avait pu être garce à l’époque, mais au final, peut-être n’est-elle capable que d’aimer comme ça – dans la noirceur et les taquineries. « J’avais oublié aussi. » Parce que le temps passe, efface les souvenirs, apaise les douleurs. Mais ce n’est pas douloureux de se remémorer ces moments, pour Lia, qui possède encore tout ce pour quoi elle s’est battue.

« Mais – oh, j’en suis juste heureuse, tout simplement. » Ces mots sont comme un baume apaisant sur le cœur d’Arcelia. Qui cache encore tellement de choses, de crevasses et de mensonges, qui éclateront peut-être au grand jour (ou peut-être pas, car elle sait se museler, les lèvres cousues par les ronces d’Icarus). Mais elle se sent presque pardonnée, à l’insu de Suni, évidemment, quand la petite abeille vient poser sa main sur la sienne.

ft.  @Suni Park