actor: liar with a budget - June

Seeker se regarde brièvement dans son miroir de poche, tire sur sa pommette altérée. Le reflet de l’autrice la regarde brièvement et puis, elle reporte son attention sur le journaliste qui termine de se présenter. C’est un marathon de plus, Seeker repousse les limites de l’écran de fumée, tisseuse de l’invisible.
Sayer est adapté au cinéma, l’écrit rendu visible, incarné.
Personne ne sait que ce n’est pas la première fois.
Seeker en avait eu des sueurs froides, à l’idée d’être entouré d’acteurs, de professionnels du trompe l'œil. Mais personne n’avait vu sous son jeu. Maintenant que le tournage est terminé, le montage bouclé, la promotion reste la partie la moins passionnante. Elle n’en reste pas importante.
A. ne choisit pas, elle n’est qu’une marionnette articulée sous la volonté d’Alice.
Ça reste un rêve d’enfance qu’elle effleure du bout de ses ongles manucurés. Son image est parfaite, pour ce que l’on attend de Seeker: un col roulé noir, deux belles broches à sequin sur son pull discret, sa parfaite prothèse dissimulée, un bic à portée de main pour signer les exemplairs des courageux à la recherche d’un autographe.
A. sait qu’ils ne sont pas là pour la voir, elle. Elle se prétend, néanmoins, qu’ils sont là pour elle au sommet de son art, actrice adulée. Elle n’a jamais été aussi proche.
Il y aura toujours ce pas qu’elle ne pourra jamais franchir. A. s’empêche d’y penser. Elle est Seeker, autrice ravie de l’adaptation, qui reste évasive sur son prochain roman, tait la page blanche et les troubles qui envahissent Alice.
Elle tait Alice.
Dans ce monde imaginé de toute pièce, Alice n’existe pas, et parfois A. se demande si ça doit être ainsi pour qu’elle puisse exister pleinement: que la mutante qui lui a sauvé la vie à maintes reprises ne soit plus.
Ce n’est pas le moment.
Alice n’existe pas, mais A. veut l’appeler entre deux interview, pour la tenir au courant, entendre sa voix, ôter brièvement ce masque irréel.
Seeker s’échappe dans une chambre allouée pour la journée, s’arrête. Héméra est là, sublime mascotte d’Icarus. Seeker lui sourit, de ce sourire doux fin, qui s’arrête à la limite de l’inconscience de ce qu’elle a décidé était le sourire de l’autrice. “Pardon, je ne voulais pas te déranger.” Elles sont seules. Il n’y a pas d’attaché de presse, ni de caméra. “Est-ce que je peux me cacher ici pour un coup de fil? J’ai besoin d’un break”, confesse-t-elle dans son image fabriquée de toutes pièces.

Il y a cette expression sur la folie, qu’A. ne retrouve pas tout de suite, pas sans l’usage de sa mémoire interne. A défaut d’une remarque littéraire, elle sourit doucement, choisit un des fauteuils confortables de la chambre. “Pourtant, n’est-ce pas la même chose, les tournages et les interviews? Il y a des caméras, une armée autour de nous et c’est répété ses lignes constamment.” Le rôle est peut-être la différence entre la création fantastique et la simple réalité de n’être qu’une personne, de chair, de sang, de V, de métal.
Peut-être est-ce là où ça cloche.
Être forcé à se rappeler qui l’on est et pointer du doigt le faux, le rêvé, le joué. A. navigue aussi cette fine ligne. “Non, ne t’inquiète pas, ce n’est rien de personnel.” Il n’y a jamais rien de personnel, en Seeker. Le rôle est calculé, taillé à la perfection en un costume de mensonges. Même son coup de fil à Alice est instrumentalisé, que ce soit avec le téléphone qu’elle utilise, le wallpaper, les numéros enregistrés, ou ce qui se dira à l’autre bout du fil.
Ainsi, la personne derrière le doux sobriquet de A. est la première dans ses contacts, celui qui est le plus souvent appelé. “C’est moi… Tout se passe bien, les journalistes sont tous très polis…” Seeker balade son regard sur la pièce, passe sur Héméra un instant, puis la laisse à sa discrétion. Elle se permet d’enlever ses chaussures à talon, fait rouler ses chevilles - même celle qui n’en a pas besoin-, puis cale ses pieds sous ses jambes en une position plus confortable. “Oui, je leur ai demandé de m’envoyer le montage final.” Alice en profite pour lui raconter sa dernière mésaventure et Seeker garde ce sourire doux, détendu. Le masque ne tombe pas, malgré ce rappel de sa vraie vie. “Bien, bien… D’accord, je te rappelle quand c’est terminé.”
Seeker raccroche et elle exhale longuement. “Je suis d’accord de dire que la promotion est ce qui semble le moins réaliste en tout cas. Je suis bien mieux derrière mon ordinateur, qu’ici.”

A chaque ligne que je répète aux journalistes, j’ai l’impression de me perdre moi-même. Le soir, quand Andrea se repassera l’échange à l’aide de son implant mémoriel, elle butera contre cette phrase. Pour Andrea, ces répliques répétées à tue-tête sont ce qui lui a donné vie, rendu une personnalité quand elle fut brisée dans les mains de son ex-mari. Et elle comprendra, aussi, ce que veut dire June. La répétition soit ancre, soit antagonise; sort prononcé, souhait énoncé.
Seeker ne répond pas: elle a un coup de fil à passer et après avoir recharger ses batteries à l’aide de la voix à l’autre bout du fil, la conversation reprend.
“Il n’y a rien de fatiguant, quand il est question de passion.” Pas du jeu d’acteur. Seeker écrit, ne joue pas. “C’est communicatif.” Elle sourit, ses yeux s'illuminent avec ce qu’elle pense. “Je ne me serais pas imposée. Je ne sais pas comment, en tant qu’acteur, vous aimez ou non être influencé par un regard extérieur.” Seeker marque une pause. “Même si mon regard peut avoir un certain point dans la balance.” Elle rit alors, fausse autrice qui se rend compte un peu de la sottise.
Sans Anabelle Seeker, les deux femmes ne seraient pas dans cette pièce à discuter. Le rôle est un fantôme, mais ce qui en découle est vrai, sincère.
“Je suis contente que tu aies incarné Sylvia, le personnage te va à ravir.” Même si ce n’est qu’un rôle secondaire, que quelques minutes à l’écran. Les petits noms sont importants au tissage du réel.
Seeker jette un coup d'œil à ses broches, les remet droit sur son pull. Son pouce effleure distraitement les sequins colorés. “Quels sont tes projets pour après?” Seeker n’oublie pas qu’elles prennent toutes les deux une pause, dévier du film ne leur fera aucun mal.

Le temps passé avec Héméra est agréable. Il n’y a pas d’embûche, de question piège, ni de caméra. Andrea serait tentée de se détendre pleinement. Mais elle n’oublie pas. Elle porte le masque de Seeker, les implants faciaux déforment ses traits sous les mimiques imprégnées de Seeker.
Andrea n’oublie pas, actrice née.
Le rire de Seeker fait écho à celui d’Héméra, qui lui parle de ses projets immédiats. Seeker ne s’attendait pas à cette réponse et c’est ce qui démarque de la jeunesse de la super, de cette absence de plan, de ce futur à faire,
De ces risques à prendre.
Andrea aurait tendance à l’oublier, qu’Héméra est de celles et ceux qui risquent leurs vies pour s’assurer que le monde tourne.. Mais Andrea ne s’en veut pas, elle ne fait pas partie de ceux qui ont un cœur.
Le sien a été brisé il y a longtemps.
Seeker offre un peu de considération, à l’image de celle qu’elle doit être. “Tu feras attention lors de tes missions? Je sais que c’est ton rôle, mais j’ai toujours peur de voir les gens que j’apprécie être blessés.” Les mots sont choisis avec soin, improvisatrice de génie. Revêtir un rôle humain est parfois plus facile pour Andrea dont les émotions sont émoussées, coeur brisé.
L’expression apparaît sincère.
Andrea connaît le goût des poings, des bleus, de la défaite.
Seeker s’étire à la question qui lui est renvoyée, ses bras se tendent devant elle et elle articule ses doigts. “Pas de vacances de prévues. Il y a la promotion du film en Europe.” Seeker reste factuelle, Andrea s’empêche de penser à la promesse qu’Alice lui a faite, de venir avec elle. “Il y a toujours un autre livre.” Elle tait la page blanche, son ombre qui se dessine un peu plus sur les traits d’Alice. “C’est pour ça qu’il n’y a jamais de vacances.” Elle sourit doucement Seeker, toujours installée dans le fauteuil confortable de l’hotêl. “Mon cerveau enregistre tout ce qui peut être utile, un détail, une sensation, une idée, la plus simple des conversations.” Elle marque une pause, alors, fait mine de réfléchir à quelque chose juste pour elle. “J’ai encore quelques recherches à faire. Ça m'apprendra à faire une archéologue détective”, qu’elle conclut alors avec légèreté.

Le vieux continent est soufflé, comme une promesse d’un monde meilleur. Pour Andrea, ça l’a été pendant des années, être loin de l’Amérique qui l’a vu souffrir sans battre des cils. Seeker sourit tendrement devant l’émerveillement léger d’Héméra. “Si tu veux, je t’enverrai une carte postale de toutes les villes que nous visiterons. Une maigre compensation, je sais.” Seeker marque une pause, hausse un sourcil. “Si ça parle toujours aux jeunes ? Le virtuel a le vent en poupe.” L’idée fait sourire Andrea. Elle n’a jamais eu de personne à envoyer ses cartes postales. Elle reste sur sa lancée, tait le metaworld qui n’est pas un sujet lié à Seeker. “Je n’ai pas besoin de beaucoup de repos. Mais j’apprécie le neuf sous l’image du vieux: les créations qui utilisent des techniques ancestrales.” Elle pointe ses broches du doigt, séquins et points de croix. “Ce genre de choses.”
Seeker ne rate pas le changement de posture chez Héméra et elle se repasse en tête ce qu’elle vient de dire, qui pourrait justifier ce shift léger chez l’actrice. Rapidement, elle s’excuse. “Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Tu n’es pas responsable de mon choix éditorial”, qu’elle explique avec un sourire. Le point est volontairement manqué, pour détourner l’attention. Seeker n’est pas là pour créer des tensions, mettre les gens sur leurs gardes.
Elle n’est pas là pour poser les questions des sujets qui l’intéresse vraiment, ne prolonge pas sa curiosité sur les rôles compliqués dont fait mention June. L’envie est là, elle tourne et elle se promet de garder ça en tête, littéralement.
L’image parfaite de l’actrice apparaît amusée au mensonge qu’elle s’apprête à déblatérer. “Je n’ai pas de caméra espion, Héméra.” Seeker rit un peu, ses doigts jouent avec la couture du fin tissu du fauteuil. “Ce qui me marque, je l’écris dans un carnet, comme ça je peux revenir plus facilement dedans après, feuilleter ce qui a retenu mon attention des années auparavant. Je ne compte pas le nombre de fois que j’ai oublié une idée, parce que je ne l’ai pas marqué. C’est un peu le défi de l’écrivain, attraper l’éphémère pour l'emprisonner sur le papier.” Seeker lève son index, pareille à ces professeurs appréciés par les élèves. “C’est pour ça que je suis toujours alerte, d’où l’absence de repos.” La boucle est bouclée, l’autrice apparaît satisfaite.
“Tu as parlé de rôles compliqués.” Elle penche un peu la tête sur le côté, d’un geste gracieux se lève du fauteuil. Pieds nus, elle arpente la chambre jusqu’au mini-bar où elle sort une bouteille d’eau fraîche, en propose une au passage à l’apprentie héroïne. “Quel est ton rôle de rêve?” Et Seeker rompt la distance pour aller s’installer au bord du lit où s’est blottie Héméra, toujours à distance raisonnable.

Seeker n’est qu’un rôle, qu’une image. Mais Andrea sait pourquoi elle plait aux gens autour d’elle, pourquoi elle inspire, pourquoi on continue de l’inviter sur les plateaux. Seeker est attachante, au-delà de ce qui est écrit par Alice.
Seeker est calculée, précautionneusement travaillée, mise en scène. Andrea sait que les broches sont belles, qu’elle donne de bons conseils, qu’elle est patiente, attentionnée… Elle n’est qu’une construction, et Seeker sera plus humaine qu’Andrea ne puisse l’être.
Parce que Seeker n’a jamais été brisée.
Elle sera toujours aimée.
Peut-être est-ce ce dont le monde a besoin, de mensonger pour les guider et leur donner un peu d’espoir? Pareil à religion qui soulève les foules et les esprits, il ne faut parfois pas être nommé dieu pour inspirer.
(non pas qu’Andrea se considère à ce niveau. Elle n’est qu’humaine, faite de chair et de sang et de métal et de mal)
S’il ne suffit que d’un rôle, d’une image, alors le cinéma est pour Andrea la religion qui l’a gardé à flot. Héméra est pareille, elle inspire même un large sourire à Seeker à la mention du personnage de rêve. Andrea pourrait nommer les personnages et les actrices qui ont incarné ce que décrit la super, mais elle ne le fait pas. Car ça ne collerait pas à l’image de Seeker, toute cette connaissance du cinéma.
Seeker hoche simplement la tête. “Ce n’est pas un rôle anodin mais je suis sûre que tu l’incarnerais à la perfection.” Seeker marque une pause, porte son doigt à son menton, pousse l’interrogation. “Bien que je ne t’ai pas encore vu jouer de vilains malgré elle.” Elle marque une pause. “Quel est l’intérêt des rêves, si ce n’est de les faire en grands? Il n’y a pas d’échelle de mesure et je pense que tu es sur le bon chemin.”
Seeker songe encore. “Surtout, venant de la non-jeunesse”, commence-t-elle, en référence à June qui doutait d’être encore jeune. “Il n’y a pas de date de péremption pour ses rêves. Ils peuvent arriver à n’importe quel âge. Ce sont ceux qui se font le plus attendre, qui sont les plus doux à vivre.”
Elle sourit doucement, la fausse autrice. C’est une véritable leçon de vie qui n’appartient qu’à ceux qui se sont forgés avec la patience du monde.
C’est qu’est Andrea, ce qu’est Seeker.
Enfin un point où le vrai et le faux se rejoignent.  

C’est toujours étrange, pour Andrea, de voir ce que Seeker inspire. Ce n’est pas elle. Ce n’est pas elle. Seeker n’est qu’un rôle, un mensonge qui donne des espoirs au monde. Sont-ils valides, s’ils sont basés sur du faux? Qu’est-ce que Seeker a de plus, qu’Andrea ne possède pas, pour émouvoir ainsi les personnes commes Héméra, à la recherche d’un quelque chose que Seeker inspire.
Ou est-ce quelque chose de moins?
Seeker est un principe, une idée. Elle ne peut être blessée, détruite par la vie.
Le monde a besoin de mensonges pour vivre, comme Andrea avait besoin du cinéma pour vivre.
La réalité est immonde, il n’y a rien d’étonnant à ce que les gens aient besoin de super-héros fabriqués de toute pièce pour continuer de tourner.
Seeker sourit, joue l’émotion qui brille dans son regard, Andrea observera tout ceci d’un oeil critique le soir, quand elle visualisera à nouveau la scène.
“C’est à toi, surtout, que tu dois faire cette promesse, Héméra.” Car le plus important est de ne jamais se perdre de vue. Seeker échappe un petit “ah”, comme si la jeune June venait de mettre le doigt sur quelque chose de plus intéressant encore.
Seeker sourit, joue d’une autre émotion. Celle de la confidence, de ces vieilles âmes qui ont navigué le monde (trop?) longtemps. “Les rêves sont capricieux.” Elle s’étire un peu la nuque, retient de se masser la pommette où l’implant la transforme. “Je suis à l’après.” Andrea sourira, quand elle observera d’un oeil critique le soir la scène. Ce n’est pas une question qu’on lui a posé, à l’exception d’Alice. Personne ne la voit, elle la souillure cicatrisée. Les gens s’intéressent à Seeker parce qu’elle est visible, qu’elle est importante, qu’elle inspire. “Je cherche à le poursuivre, c’est pour ça que je continue d’écrire. Mais qu’advient-il des rêves après? L’éveil?” Elle fait mine de réfléchir, cherche un point invisible contre le papier-peint de luxe de la chambre d’hotel.
Quelqu’un toque à la porte, qui s’ouvre sans prévenir. “Tu es là!” Le responsable presse l’a retrouvé, elle grimace à moitié. “Grillée”, qu’elle adresse complice à Héméra. “On t’attend pour la prochaine. Tu es prête?” Ses chaussures lui sont déjà tendues, l’autrice soupire doucement. “Merci de m’avoir abritée. Bon courage pour le reste.” Seeker se lève lentement, offre un dernier geste de la main à June, tout en rassurant le chien de berger venu pour la rappeler à la réalité.
Pour Seeker, ce n’est pas encore la réalité, un pied toujours dans le rêve.