You can see them ? | Salem

Dans ma vie, je n’ai jamais rencontré de mutants comme moi. Je suppose que nous ne sommes pas légions. Ça explique sans doute que je sois si demandé par les défunts, si les autres répondeurs sont coupés. Aujourd’hui ne fait pas exception. Je marche dans l’Underapple, les mains dans les poches, capuche sur la tête et écouteurs dans les oreilles quand une chose attire mon attention. Ce n’est pas rare, dans les faits, qu’un spectre attire mon attention quand je me balade dans la rue… ce qui l’est plus en revanche - pour ne pas dire que ce n’est jamais arrivé - c’est qu’un fantôme que j’ignorais avec toute ma bonne volonté se détourne de moi pour jeter son dévolu sur un tiers. Choqué par ce que je vois, je me fige au milieu de cette rue de l’Underapple quasi déserte. Roger - il s’appelle Roger, le fantôme - est désormais en train d’harceler un jeune homme et si je ne m’abuse, il… il le voit ? Je reconnais cette lueur dans les yeux. L’agacement ou la façon dont on aimerait ne pas être témoins de cette existence au-delà de la vie.

Ma curiosité est piquée et je presse le pas dans la direction de l’étranger, le vivant. Essoufflé, je me stoppe devant lui, cherchant comment dire les choses simplement mais en soit… est-ce simple de parler de ma mutation ?

— Pardon mais… vous… vous l’voyez aussi ?

Je pointe du doigt le fantôme, celui qui s’offusque que je l’ignore et surtout, que j’ai eu le culot de l’interrompre dans sa requête.

— Oh ! J’étais là avant le Palpitant !
— Roh ça va, t’es mort, t’as l’éternité devant toi, Roger, que je peste, avant de reporter mon attention sur l’étranger. Alors ? Vous l’voyez aussi ?

Peut-être que je suis trop agressif dans mon approche, mais je pensais vraiment être le seul dans ma situation. Des années à ne pas savoir comment gérer tout ça, alors peut-être que cet homme possède des techniques ?

« Mais si vous me voyez, faites pas genre ! »

Je me renfrogne, rentre la tête dans mes épaules. Il est insupportable. Et pour une fois, papa n’est pas là pour intimider l’opposant. Je pousse un gros soupir avant de lui adresser enfin un regard. Je peste entre mes dents.

« C’est parce que vous nous harcelez comme ça dans la rue qu’on est incapables d’avoir une vie normale ! Ça donne pas très envie de vous aider. »

Je plisse les yeux. En plus, c’était pas quelqu’un de très sympa de son vivant, son halo est plutôt marron foncé. Je le jauge un peu réprobateur avant de sursauter brutalement lorsqu’un jeune homme m’apostrophe. Une aura blanche m’éblouit soudain. Mes yeux s’arrondissent de surprise. Est-il un ange ? Son discours pour le coup m’étonne. Je regarde autour de moi avant de murmurer discrètement.

« Oui. »

A quoi bon faire semblant devant un ange ? Mais il semblerait que je me fourre le doigt dans l’oeil. A peine a-t-il pointé le fantôme de son index que ce dernier l’interpelle d’un surnom qui ne laisse place à aucun doute.

Mon cœur bat à toute allure. Ça alors. Quelqu’un d’autre qui est capable de les voir. Je le fixe avec de grands yeux pendant qu’il répond à ce fantôme comme s’il parlait à un ami un peu chiant.

« Wow. C’est ptet bête à dire, mais ça fait plaisir de pas être le seul. »

J’essaie de me détendre un peu. Mon cœur reprend un rythme moins rapide, mais reste agité face à cet homme, qui en plus de partager la même faculté, est plutôt agréable à regarder. J’aperçois la silhouette de mon père derrière l’inconnu. Il hoche la tête à mon égard, comme s’il me donnait son assentiment. Alors je tends la main vers le beau brun, avec un sourire jovial, bien que, l’expression encore ahurie.

« Salem, et t .. vous ? »

Restons polis. Après tout, la même faculté ne fait pas de nous les meilleurs amis du monde.

Je suis surpris de voir l’homme plisser les yeux et me demande, un peu bêtement, si je pue. Après tout, on peut aussi plisser les yeux face à une forte odeur, pas vrai ? Ha non… c’est le nez. C’est le nez qu’on plisse quand les gens pues, et on se met parfois une main devant le visage, pour tenter de se soulager un minimum sans passer pour des rustres. J’aimerai vraiment suivre le cour de ses pensées, voir ce qui l’agite et pourquoi d ‘un coup, il ouvre de gros yeux, comme s’il n’en revenait pas. Ha, oui, c’est ça… il confirme donc qu’il pensait - un peu comme moi - être le seul avec ce genre de capacité.

— Ha ça, je ne vous le fait pas dire. Je croyais vraiment être le seul avec la possibilité de les voir !
— Et pourtant, vous m’ignorez tous les deux ! pesta Roger, ce qui me fit rouler des yeux.
— On aurait peut-être plus envie de t’aider si tu n’étais pas un connard nombriliste. T’es pas là parce que ta mort est injuste, juste parce que t’es un enfoiré. Aller, zou !

Oui, pour une fois qu’il y en a un comme moi, je compte bien ne pas me laisser emmerder par un défunt, surtout Roger. Salem. Il s’appelle Salem et me tend la main. Je vérifie instinctivement que mes gants sont bien en place - ça jetterait un froid de voir sa mort, vraiment - avant de lui serrer la main.

— Ether, Ether Slaughter… et je pense que vous pouvez me tutoyer… si je peux aussi ?

Parce que clairement, même si nous ne sommes pas amis, j’ai bien envie de ne pas mettre cette barrière entre-nous quand nous pouvons sans doute nous entraîder

— Comment ça se manifeste chez v— toi ? Je peux peut-être te payer à boire, et que nous en parlions tranquillement ? Ce sera mieux que de rester planté là et… je tourne la tête : Non Roger, t’es pas invité.

Lui aussi me confirme l’impression de s’être senti seul au monde avec les morts. Je me surprends à sourire, attendri d’une certaine manière. La solitude que l’on éprouve avec cette faculté est terrible. La remarque dudit Roger me fait lever les yeux au ciel et je ricane lorsque le brun le rembarre brutalement. Est-ce qu’il voit aussi l’intensité et la couleur des halos autour des défunts ?

« A une autre fois Roger ! »

Comme si je disais « sans rancune ! » ! Je fais un signe de tête discret avant de me concentrer sur le jeune homme qui se présente enfin. Un drôle de nom, il faut le dire, pas des plus joyeux, cela dit, le mien ne l’est pas non plus quand on y pense. J’entends avec soulagement qu’il veut qu’on se tutoie. Tant mieux, le vouvoiement met une distance pas vraiment agréable. Puis dans notre cas… c’est carrément plus engageant. Sa question, d’emblée me surprend, je ne sais pas si je suis prêt à tout révéler comme ça, d’un coup. Mais finalement il enchaîne avec la proposition d’aller boire un verre sous le nez de notre fantôme commun qui essaie d’en placer une, sans succès.

Mon regard se porte une fois de plus derrière Ether, avant de répondre, vers mon père. Le voit-il aussi ? Je suppose que oui. Je suppose aussi, que je devrais faire les présentations, alors, je fais signe à mon père d’approcher et je réponds enfin.

« Avec plaisir pour le verre. Mais avant ça, je voudrais savoir si tu le vois aussi. »

Je désigne mon père, un grand brun dans sa vingtaine. Si j’ai les yeux de ma mère, tout le reste, c’est lui. Je suis son portrait craché et ce qui nous distingue actuellement, c’est que j’ai les cheveux décolorés.

« Bonjour Ether. Je suis Noah, le père de Salem. »

Il a l’air grave, mais un léger sourire pointe à la commissure de ses lèvres. J’aimerais le prendre plus souvent dans mes bras mais…. C’est compliqué.

*

Nous nous installons à la table d’un café bondé où les vivants et les morts se mêlent, mais où notre discussion passera inaperçue au moins.

« Généralement j’évite les lieux bondés, mais je pense que c’est préférable. Tu bois quoi ? »

Je m’engage sur un chocolat chaud couvert de marshmallow. Ça me rappelle un peu ma première rencontre avec ma meilleure amie.

« Je ne saurais pas vraiment répondre à ta question. Ils sont là, comme n’importe qui d’autre et si je croise leur regard, je suis à peu près sûr qu’il vont me demander de l’aide. »

Je soupire. Est-ce que je dois parler des halos de couleur ? Peut-être pas tout de suite. Je ne sais pas du tout si je peux lui faire confiance après tout.

« Et toi ? »

Salem est sympathique de prime abord. En même temps, je suis passablement du genre à apprécier les personnes qui acceptent de venir boire un verre avec moi. Si je vois qui ? Intrigué, je prête alors attention à ce qui nous entoure et me rend compte qu’un autre homme est là. Il est jeune, sans doute dans la vingtaine et est plus ou moins identique à mon interlocuteur. Son frère ? Qu-quoi, son père ? J’ouvre de gros yeux, surpris, et aussi peiné en comprenant que pour avoir un père si jeune en apparence, il est sans aucun doute partit très tôt dans la vie de Salem.

— Enchant également, M’sieur. Wahou… c’est impressionnant comme vous vous ressemblez tous les deux !

Le fils avait-il vécu plus longtemps que le père ou pas ? Non. Trop déplacé comme question. C’est triste. Un orphelin aussi, comme moi. Quand même… le fait que nos mutations soient liées à la mort et que nous ayons un parent au minimum dans l’autre monde.

* * *

En attablés, j’esquisse un sourire en l’entendant décrire sa façon d’éviter les foules en temps normal… je me reconnais bien là aussi.

— Pareil. Fréquenter les gens, c’est prendre le risque de passer pour quelqu’un de dérangé par accident. Tu crois parler à un vivant, et tu te rend compte que personne d’autre ne le voit et qu’on te dévisage très bizarrement. J’vais prendre un Irish Coffee.

Le serveur prend nos commandes, je passe sans doute pour celui qui ne peut pas se passer d’alcool ici, mais qu’importe, pas vrai ? Quand nous sommes servis, je remercie l’employé et hoche la tête en prenant une gorgée de mon breuvage. Ha ça… je vois très bien de quoi il parle. Les morts sont là, et c’est tout. Fin de l’histoire.

— Ça se passe pareil pour moi. Et ça, c’est que pour la partie sympa de ma différence… est-ce que toi aussi, si tu les écoutes pas, ils sont capables de faire un bordel monstre pour te faire péter un câble ? Certaines fois, j’en ai un qui joue de la cornemuse, même si là, il est partit hanter quelqu’un de sa famille. J’sais pas toi, mais j’ai souvent l’impression de perdre la tête.

Sans doute pas la chose à dire à un étranger, mais si une personne peut comprendre, ce sera sans doute Salem.

— À côté de ça, quand on voit que des gens nous méprisent, ou qu’ils voient en nous une menace… j’me dis qu’ils tiendraient pas une heure dans nos baskets.

Mon père est si discret que Ether a mit beaucoup de temps à s’apercevoir de sa présence, ça m’amuse je l’avoue. Lui aussi d’ailleurs. Je crois que sans mon père, les choses auraient été encore plus difficiles à encaisser. Entendre Ether dire que mon père et moi nous nous ressemblons comme deux gouttes d’eau nous fait sourire. Nous échangeons un regard complice. Je ne sais pas si c’est beau ou triste, mais mon père a une idée de ce qu’il serait devenu, si avait vécu plus vieux, en me regardant vieillir.

« C’est comme si je l’avais fait ! »

Mon père glousse, ravi de sa plaisanterie, me filant un coup de coude qui me provoque un léger mouvement, comme s’il m’avait vraiment poussé, pourtant à peine perceptible . Il doit apprécier de pouvoir parler à quelqu’un d’autre pour une fois. Je crois que ça me fait vraiment plaisir pour lui.

*

Installés, nous échangeons nos premières impressions sur nos états respectifs. Je souris à Ether.

« Oui c’est ça, j’ai l’impression de passer régulièrement pour un fou. J’ai tellement peur qu’on m’enferme pour ça un jour, alors je fais toujours mine d’être au téléphone. Généralement ça passe. Même si...comme tu dois t’en douter, les conversations avec nos chers amis ont des sujets parfois très étranges. »

Parfois hors d’époque même. Je me rappelle encore de ce soldat qui voulait que je lui ramène son cheval, sans quoi il ne pouvait pas rentrer chez lui. J’ai fini par l’emmener dans un centre d’équitation et là, il a disparu. Nos boissons sont rapidement servies et je constate qu’Ether n’a toujours pas retiré ses gants. Moi qui pensais que c’était pour le froid, je me pose désormais des questions. A-t-il une maladie de peau dont il a honte ? Est-il mysophobe ? Non, ils n’aurait pas été aussi relax vis à vis de sa boisson… ça me rend curieux.Je sirote distraitement mon chocolat chaud tout en regardant le beau brun m’expliquer sa façon de vivre sa mutation. Je me demande à quelles points nos mutations se ressemblent et diffèrent. Je pouffe à la mention de la cornemuse.

« Excuse-moi de rigoler.. mais c’est loufoque comme situation. En réalité je suis désolé pour toi. De mon côté c’est pas tant qu’ils foutent le bordel, il leur arrive d’être bruyants, mais ils sont surtout oppressants. Au point que je ne peux vraiment plus faire semblant de ne pas les voir.  Ils sont là. Heureusement que mon père m’aide parfois à les chasser. »

J’adresse un regard reconnaissant à mon père installé à côté de moi sur la banquette avant de revenir à Ether dont la remarque me fait vivement hocher la tête.

« En effet ! Et puis… je ne sais pas quels contre coups tu subis mais je me paye des migraines à répétitions avec tout ça.. sans parler des cauchemars. D’ailleurs si t’as besoin d’un bon anti migraine, j’en fabrique. »

Mon père me fait les gros yeux. Je crois qu’il pense que j’en dis trop.

« Je suis pharmacologue de profession et toi ? »

Je pouffe aussi en entendant le père de Salem plaisanter. Ha ça, pas de doute, le facteur n’est pas passé par là lors de la conception. Ou alors, l’homme a un jumeau qui est aussi le facteur. J’ai rarement eut l’occasion de me retrouver face à des personnes - mortes - ne me donnant pas l’envie de me foutre la tête dans le sable. Un chouette gars, même si ça reste triste de se dire que le fils vivra plus vieux que le père. Oui les parents doivent toujours mourir en premier, mais il y a une limite quand même.

*

La peur de se faire enfermer, je la connais. D’ailleurs, je pense franchement que certaines personnes, plus faibles au niveau de l’esprit, pourraient perdre la raison avec une telle mutation.

— Oh oui, je suis parfaitement au courant… à croire qu’ils n’ont pas conscience, pour les plus vieux, que les époques défilent et que les choses ne sont plus les mêmes que dans leur jeunesse, pour dire les choses. Ça revient un peu à tenter d’expliquer à un écureuil comment faire du tricot.

Encore moi et mes comparaisons loufoques, ce n’est pas si grave, pas vrai ? Je ne prête pas attention à la curiosité que mes gants peuvent créer. J’ai l’habitude et ne fais plus cas de ce genre de détail. Ce n’est pas comme si, de toute manière, je pouvais difficilement expliquer à la plupart des gens la vraie raison derrière cet accessoire présent en toutes circonstances. Pas que j’y pense dès lors que Salem se met à rire à cause du cas de la cornemuse. Je peux me tromper, mais je crois avoir vu un rictus amusé étirer les lèvres de son père aussi à ce moment-là. Un père présent et protecteur.

— Tu as bien de la chance ! Je suppose que nous avons tous nos alternatives, plus ou moins efficaces, pour les garder à distance.

Les miennes ne sont juste pas tout à fait légales, et elles m’ont coûtées mon premier job. Les mains autour de ma boisson, je profite de la chaleur dégagée par la tasse et écoute Salem. Des cauchemars et des migraines hein ? Bizarrement, je crois que je préfèrerai ça, sans vouloir faire le concours de celui qui morfle le plus.

— C’est plus d’être plus froid que les gens normaux, une grosse fatigue. T’as des gens qui disent que j’ai littéralement l’air mort… c’est assez cocasse je trouve. Tu… quoi ?

Même son père a l’air de ne pas approuver, et je ris en l’entendant alors m’avouer qu’il est pharmacologue. Et moi qui pensait être tombé sur un dealer à la gueule d’ange !

— J’suis cartomancien. J’sais que c’est assez original comme profession, mais j’avais besoin de quelque chose où je ne suis pas en contact avec des gens de manière trop… comment dire… chargée. J’ai même opéré des changements majeurs dans ma vie pour ça.
— En gros, il a planté son mec y’a cinq ans, sans rien dire.
— Ouais, c'pas faux.

Ha tient, voilà mon petit spectre attitré.

Ça me fait un bien fou. Je ne l’aurais jamais cru si on me l’avait dit la veille. Je dévisage Ether du regard tandis qu’il parle, cherchant à voir son aura. Chose qu’il m’est étonnamment difficile. Peut-être parce que sa mutation est comme la mienne ? Impossible à dire, la mienne non plus je ne la vois pas. Je laisse échapper un petit rire à la comparaison de l’écureuil et du tricot. Décidément, Ether a l’air d’avoir de l’humour à revendre. Je devine une forme de carapace par ce biais, face à ce qu’il vit au quotidien. Il a raison. Je lance à nouveau un regard à mon père qui ricane en douce. Il est beaucoup plus doué que moi pour se maîtriser, même si au final, il n’a pas besoin de paraître bien en public.

Lorsque j’évoque mon père, j’ai l’impression de sentir une pointe d’envie chez Ether, mais peut-être que je me fourvoie. Je ne sais rien de la vie de cet homme. S’il est seul, s’il a toujours ses parents, si.. je n’en sais rien. Il me suggère qu’il a d’autres méthodes pour maintenir les esprits à distance et j’avoue que ça attise ma curiosité.

« On pourrait échanger nos méthodes de temps à autres, on innovera sûrement plus à deux cerveaux. Si tu veux de moi dans ta liste de contacts évidemment. »

J’en profite pour sortir mon téléphone, histoire de penser à lui demander son numéro. Il poursuit, évoquant la fatigue, la distanciation avec les vivants. Je lui offre un sourire compatissant avant d’avoir la mâchoire inférieure qui manque de rencontrer la table à la réplique d’Ether. Je ne sais pas si je dois rire ou non.

« T’as l’air bien vivant pour moi. »

Je t’ai même pris pour un ange. Je manque de laisser cette information s’échapper mais je me retiens. Je change de sujet et visiblement ça l’amuse encore plus que le fait que je sois pharmacologue. Je me me demande bien pourquoi et pourtant, je ris avec lui. Nerveusement, je dois le reconnaître avant de retrouver mon sérieux lorsqu’il m’annonce être cartomancien. Je l’écoute avec attention, m’expliquer les choses jusqu’à ce que la voix de Roger me fasse sursauter. Là, juste dans mon oreille.

« C...comment ça planté ? »

Oh. Qu’est-ce que j’allais m’imaginer ? Il n’a pas la tête d’un meurtrier. Je finis par rire de ma bêtise et me calme en plongeant dans mon chocolat chaud pour m’occuper. Lorsque je redresse la tête, je lance, un peu penaud.

« Enfin, ça ne me regarde pas, t’es pas obligé d’en parler. »

Je repose ma tasse et joue avec les marshmallow du bout de ma cuillère. Je crois que je vais devoir recommander une boisson.

Échanger nos méthodes… si je suis consommateur, je n’irais cependant pas donner le nom de mon dealer à Salem, car je resterai client, pas rabatteur pour rendre une autre personne addict. Il mérite mieux que ça, le petit Salem, et je ne veux pas m’attirer les foudres de son père en faisant sombrer son fils dans la drogue. Si le mien avait eut son mot à dire dans toute cette histoire, maman aussi d’ailleurs, leurs fantômes seraient sans doute occupé à hanter la personne qui, pour la première fois, m’a donné le nom des produits et des personnes en mesure de me fournir tout ça.

— Je pense que tes façons de faire sont plus louables sur les miennes. Si tu en as qui sont efficaces et légales, je suis tout ouïe.

Ce n’est pas que je ne veux pas m’en sortir après tout, juste que je ne maîtrise pas du tout ma mutation et qu’en attendant, il me semble plus aisé de procéder de la sorte. Bien sûr, s’il a ses petits tips, il me faudra quand même du temps - et de l’aide - pour ne plus dépendre de mes béquilles chimiques. Mon corps est habitué maintenant, et ne sais plus comment exister sans. Je suis même étonné de ne pas déjà être mort d’une overdose depuis tout ce temps. J’déconne pas mal parfois. Notant qu’il a sorti son téléphone, je griffonne sur un bout de papier - le ticket de caisse - mon numéro et le lui donne. Il pourra ainsi me joindre quand bon lui semble.

— Vivant ? Tu m’as pas vu le matin, je t’assure. J’suis aller chercher mon courrier une fois, au réveil. La voisine a cru que les zombies attaquaient quand j’suis remonté… ou alors, c’est parce que j’étais en slip… j’sais pas.

En même temps, une personne normale aurait au moins enfilé un pantalon et une veste avant de sortir, à défaut de mettre ses chaussures. Roger a jeté un froid cela dit. Je vois que Salem ne sait pas trop comment prendre ce que le fantôme vient de lui balancer. Il ne s’enfuit pas en courant, je suppose donc qu’il comprend - ou espère - que le sens du mot planté n’inclue pas un poignard, mais même s’il me dit que je suis libre ou non d’en parler, il me semble logique de lever les doutes possibles. Une loi du silence à ce sujet pourrait donner de mauvaises impressions sur la vérité.

— Disons que j’ai eu un léger… accident il y a environs cinq ans. Ça a réveillé une nouvelle déchirure… une que je souhaite à personne, c’est pour ça que j’suis autant couvert… que j’explique, agitant ma main gantée comme pour prouver que je suis juste du tissus avec une tête. J’étais en couple à l’époque, pour pas lui imposer ça, j’ai juste disparu dans la nature, sans jamais lui donner de nouvelles.

Je me demande ce qu’il devient, mais je sais que je n’ai pas le droit de me le demander, alors que je suis en tort dans cette affaire.

— Enfin, c’est du passé maintenant. En vrai, faut juste se faire à l’idée que certaines mutations condamnent à la solitude, et c’est pas si mal.

« C’est gentil de me voir comme quelqu’un de bien. A vrai dire, à part réussir à bloquer la mutation, je ne vois vraiment pas ce qu’il est possible de faire. Question légalité… je crois que c’est impossible. Question efficacité, pour le moment j’ai qu’un bon médoc contre les migraines si t’es intéressé. »

Je lui fais un petit sourire.

« Et il ne rend pas accro. Enfin, si à ses bienfaits, mais médicalement parlant, il ne provoque pas de manque. »

Je ne précise pas que j’en suis le créateur, je verrais surtout comment il prend la chose, et puis se livrer d’un coup est rarement une bonne idée. Je le vois griffonner son numéro sur un papier et me le tendre. Je le prends avec un haussement de sourcil surpris.

« J’aurais pu directement le noter sur mon téléphone.. Mais merci. »

Je glisse le papier qui s’avère être un ticket de caisse entre mon téléphone et la coque de protection, histoire de ne pas le perdre et je repose le tout sur la table, pour l’écouter. J’éclate de rire, de concert avec mon père.

« Je crois que c’est définitivement le slip. »

Hilare, j’essuie le coin de mes yeux et je hèle un serveur pour avoir un autre chocolat chaud. J’en profite pour demander à Ether.

« Tu veux autre chose ? J’invite. »

Là dessus, il me parle davantage de lui. Ma mauvaise interprétation vient sûrement de l’intervention de Roger qui n’ose pas trop la ramener pour autant quand mon père le foudroie du regard. Je ne sais pas s’il y a une hiérarchie entre les fantômes, mais je crois que mon père se trouve parmi les plus hauts gradés. Ma curiosité l’emportant sur le reste, j’invite Ether à en dire plus. Ma compassion prend aussitôt le pas sur l’impression laissée par ma gêne.


« Oh merde, vrai que les déchirures ça fout bien le bordel. »

Je regarde à nouveau ses mains gantées. Qu’est-ce qu’il peut bien faire avec ses mains pour qu’il soit amené à quitter son compagnon. Je déglutis. Moi aussi je suis célibataire et c’est pas ma mutation qui arrange les choses, c’est sûr. Bon. Et le fait que j’attends le même gars depuis des années et que ce dernier a disparu.

« Tu trouves ça vraiment pas si mal ? D’être obligé à la solitude ? »

Mes yeux se plongent dans les siens, et enfin, je pointe à nouveau ses mains.

« Il se passe quoi si tu touches les gens sans tes gants ? »

Je ne l’oblige pas à me répondre, mais j’espère qu’il le fera. Je suis devenu beaucoup trop curieux soudain.

Est-ce que j’ai dis que je le voyais comme quelqu’un de bien ? Peut-être. Je n’ai pas fait attention en réalité, mais si ça lui fait plaisir, je ne vais pas lui dire que j’ai juste pas fait gaffe… de toute façon, je me concentre sur ses paroles, sur l’idée qu’un médicament existe, contre les migraines, mais possiblement capable de faire taire aussi mes déchirures sans me provoquer de manque. Un manque que je connais, avec lequel je vis au quotidien, conscient qu’un jour ça risque de me pousser à aller trop loin et crever.

— Ça pourrait être intéressant, oui… ça pourrait me pousser à changer mes habitudes, si j’veux vivre vieux. autrement, je ne me donne pas dix ans, maximum, en étant né un jour de bonne fortune et avec des tas de portes-bonheur sur moi. Y’a vraiment des génies dans ce monde, pour penser à des trucs comme ça… quand on sait que t’en a qui sont encore au stade de foutre leurs doigts dans une prise de courant.

Tiens, d’ailleurs, ça fait longtemps que j’ai pas vu ce type là… Claude François. Je crois qu’il est partie en tournée mondiale pour les morts. Depuis qu’il brille dans le noir à cause du courant électrique l’ayant traversé à sa mort, il se prend pour une lumière dans le monde des artistes. Salem me sort de mes pensées, expliquant qu’il aurait juste pu noter mon numéro directement dans son téléphone et je hausse les épaules, penaud et en même temps l’air de dire que maintenant, c’est fait de toute manière. Père et fils - et le saint esprit, Amen ta fraise - se foutent surtout de ma gueule à cause de cette histoire partagée avec eux. Je ne m’en offusque pas. Il fallait bien s’en douter de toute façon, quand j’ai commencé à raconter cette histoire. D’ailleurs, je décide d’en rajouter une couche, après tout, il n’y a pas crime à rire.

— Il était pourtant bien beau ce slip. C’était écrit : ‘Coucou, tu veux voir ma frite ?’, de très bon goût. oui, bon, d’accord, de très mauvais goût en fait. Mais c’était le seul encore propre, après une flemme intense pour mes machines à laver. Un chocolat chaud aussi, s’il te plaît. On va éviter de finir beurré aussi tôt dans la journée. Ça ferait mauvais genre.

Tout. Je lui raconte tout ce que je peux, sans pour autant partager l’ensemble de ma vie avec lui. Salem reste un inconnu dans l’ensemble. Il comprend en tout cas, bien entendu, que les déchirures peuvent foutre la merde dans nos vies. On ne choisit pas sur quoi nous allons tomber, autrement nous choisirions sans doute de changer l’eau en vin, de marcher sur l’eau ou encore d’écarter une mer pour créer un chemin à sec. Hum… je confond avec un ouvrage de fiction là, non ? Ça me dit vaguement quelque chose. Une fois encore, ses yeux se posent sur mes mains et je devine le fourmillement de questions. Alors je ne suis pas étonné de le voir finir par craquer, demander, en même temps qu’il m’interroge sur ma solitude.

— Je pense que c’est bien. Pas de comptes à rendre, tu manges quand tu veux, tu peux regarder des dessins animés et te gaver de bonbons sans qu’on te juge… non, c’est chouette. Puis… pour répondre à ta question… disons que ça m’évite aussi de voir la mort des gens en les touchant. mais je décide de préciser quand même : Si ma peau entre en contact avec celle de n’importe qui, je vous l’instant exact de sa mort. Chouette hein ? Ça met l’ambiance.

Un rire secoue mes épaules à sa remarque, mais je note qu’il est intéressé. La prochaine fois, je lui dirais que c’est moi qui fabrique ce médicament. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de l’inviter dans ma boutique.

« Je te ramènerais ça la prochaine fois qu’on se verra alors. Tu pourras tester. »

Je continue de rire à ses histoires. Décidément, pour quelqu’un qui affronte régulièrement la mort et qui a l’air de porter une solitude plus grande que la mienne sur les épaules, il a réussi à tourner les choses en dérision assez facilement. Je ricane en secouant la tête, désapprobateur.

« Non non, c’est de très mauvais goût. »

Les blagues de mauvais goûts comme celles-ci me font plus rire que fuir et c’est hilare que je propose une nouvelle tournée de chocolat chaud. Au moins, ce n’est pas risqué. Je crois. Je n’ose pas imaginer ce qu’il raconte quand il est bourré.

« Il font peut-être des Irish Hot Chocolate qui sait ? Je me demande quel alcool irait bien dans le chocolat chaud tiens !. »

Je ne suis pas un grand buveur d’alcool de base, ça m’arrive, mais, j’ai rarement l’occasion de sortir pour ça. Et puis, je déteste perdre le contrôle. La nouvelle boisson en main, mon regard posé sur Ether, je le laisse me raconter ce qu’il a envie de dire sur lui. Je me surprends à compatir plus que je ne l’aurais cru, me rendant compte à quel point nos vies sont similaires.

« Je comprends ce que tu veux dire, mais, je t’avoue, que si j’avais pas le Metaworld, je me sentirais vraiment trop seul. En tout cas, si t’as envie de compagnie pour mater un truc sans jugement, j’suis ton homme. J’regarde de tout, surtout les trucs gnangnans je crois, ça me permet de déconnecter avec la réalité, le boulot, les gens, les morts. Le cerveau en fait. »

Il me répond enfin sur ses mains, les gants qu’il porte et je le regarde avec de grands yeux concernés. Je crois que je suis à la fois impressionné et désolé pour lui. C’est pas n’importe quel poids sur les épaules.

« Ouais, je comprends mieux du coup. Wow, pas cool, et dire que je pensais que les migraines, la fatigue, les cauchemars et passer pour un fou était déjà conséquent…. »

Mon regard se balade sur son visage, ses traits tirés par la fatigue et sa peau pâle. Je demande encore.

« T’as déjà essayé de changer le destin de quelqu’un comme ça ? »

Curieux, je retiens mon souffle en attendant sa réponse. Ce serait fascinant, de pouvoir combiner les informations des morts avec une telle connaissance.

Bah alors ça, si on m’avait en sortant ce matin que je finirais par me faire proposer des médocs juste comme ça, j’aurais misé sur le trip. Enfin bon, ça va peut-être me tuer son truc hein ? Ce serait dommage quand même. Enfin d’un sens, sauf erreur, ça me débarrasserait des morts. Je ne compte pas m’éterniser dans le coin une fois que ma vie sera terminée. Pas de message à laisser, pas d’attaches, c’est l’idéal ! Au moins, le souvenir de mon humour subtil - non - restera. Je ris de voir Salem s’amuser des écrits de mon slip. Ce n’est pas souvent que mes yeux se plissent sous le coup d’un amusement sincère. La preuve que, peut-être, je ne suis pas fait que pour la noirceur et le froid ?

— D’accord, d’accord, c’est de mauvais goût je l’admet. sans doute autant que l’idée de mélanger du chocolat avec de l’alcool. Je me demande ce que ça peut donner, mais j’avoue que l’image me fait grimacer de dégoût. J’suis le pro des mélanges bizarres, mais même pour moi là, c’est franchir une ligne.

Quelle horreur ! Enfin, je suppose que les alcooliques le feront sans hésiter, et mine de rien, ne suis-je pas un ivrogne également à mes heures ? Je l’écoute parler de la solitude. De ce Meta dans lequel il aime se perdre parfois pour en fin de compte trouver une forme de sociabilisation. Je pourrais sans doute céder aussi à ces sirènes. Si j’en possédais les moyens financier en tout cas… ce qui n’est pas le cas. Je serais sans doute rapidement addict à ça de toute manière, pour échapper à ma mutation, et on finirait par me retrouver dé-séché dans mon siège. Le seul destin que je changerai alors serait le mien…

— Tu seras le bienvenue chez moi pour mater n’importe quel film ou série. Et enfin… si tu veux bien, je pourrai un jour passer chez toi, pour que tu me fasse découvrir ce métaworld ? Au moins, j’crèverai pas idiot quoi. seuls les idiots jugent sans connaître quelque chose. Par contre, je n’ai jamais tenté de stopper le destin d’une personne… je… enfin… je me dis, et si en la sauvant, je laisse dans ce monde quelqu’un qui, en vieillissant, fera du mal à quelqu’un ? Genre futur dictateur ou tueur ? J’pourrais pas vivre avec ça.

Alors même si ça paraît cruel, je laisse faire… et puis, en évitant les visions mine de rien, je m’en sors bien.

Je glousse encore lorsqu’il admet que sa blague était de mauvais goût. C’est vraiment agréable, de rire comme ça, au moins un peu. Il m’affirme que mon idée de chocolat à l’alcool est terrible. Je le regarde avec des yeux ronds.

« Oh pourtant, y’a des tas de chocolats avec de la liqueur dedans, ça ne peut pas être si mauvais. Tiens, les Mon Chéri français là, c’est de la liqueur de cerise dans du chocolat noir non ? Je serais curieux de voir ce que tu appelles mélanges bizarres si pour toi c’est la limite à ne pas franchir. »

De nouveau, je pouffe. Puis je démarre rapidement sur le Metaworld et tout le reste. Je déballe quasiment toute ma vie à Ether, alors que je le connais à peine. Mais je crois que pour la première fois de ma vie, je suis en compagnie de quelqu’un qui me comprend vraiment. Et là à cette table, avec nos fantômes, je me sens enfin normal. Si bien que je lui propose déjà de se revoir et il accepte ! Mes joues se réchauffent d’avoir osé. Cette spontanéité est assez rare chez moi et il l’a déclenchée sans mal.

« Ouais bien sûr ! Tu pourras essayer ! »

Il faudra que je prévienne Luka que ce n’est pas moi mais, y’a pas de mal à laisser Ether essayer ! Ma question plus personnelle encore ne semble pas dérouter mon vis à vis. Il m’explique son point de vue. Je le regarde longuement, avant de lancer.

« Je ne veux pas faire l’avocat du diable mais, est-ce que t’as déjà pensé que tu pouvais avoir cette faculté pour une raison ? Celle d’aider les gens justement ? »

Je baisse le ton, me penchant vers lui.

« J’ai remarqué que depuis que j’aide les morts à passer de l’autre côté, c’est moins horrible à vivre. »

Je me redresse doucement.

« Mais je comprends le poids d’une telle responsabilité et je ne la souhaiterais à personne. Je comprends pourquoi tu évites de toucher les autres. »

Je frissonne. Et si un jour, on ne fait pas attention et il découvre ma mort ? Va-t-il le garder pour lui ? Je rougis un peu et demande timidement.

« Hum… c’est juste quand tu touches avec tes mains ou c’est tout ton corps ? »

Des tas de chocolats avec de la liqueur à l’intérieur. Ce rappel de l’existence de telles immondices culinaires me fait frissonner d’effroi. Je n’avais pas besoin de m’en souvenir. Non merci. Et alors ce truc français ! Les Frogs ont beau avoir la réputation d’être les rois de la cuisine, ils se sont foiré sur ce coup. Non. Ils ne me feront pas manger cette chose qu’ils osent appeler une confiserie. Plutôt mourir.

— Oh je pense que certains de mes mélanges peuvent dégoûter les gens. C’est juste qu’à mon sens, l’alcool doit soit être dans un verre, soit dans un gâteau à la rigueur. J’ai tente les Mon Chéri une fois, j’ai recraché le truc. Le mélange avec le chocolat ne passe pas du tout.

Je vais lui épargner les détails. Disons juste que le corps retient très bien ce qui nous rend malade et, dans le cas où on veut retenter le coup… on en paye le prix. Malgré tout, je passe un excellent moment en compagnie de Salem. J’aurai bien envie de le revoir. Rencontrer quelqu’un avec la même mutation que moi est assez rare. Pour une fois, je me sens presque normal, en paix avec cette facette que je passe plus de temps à rejeter qu’embrasser. Sa théorie se tient aussi, pour mon plus grand malheur. Après, je ne vois pas en quoi sauver ceux qui m’ont tabassé, par exemple, aurait apporté du bon en ce monde. Je ne regretterai sans doute jamais de ne pas l’avoir sauvé celui là.

— Moi ? Aider les gens ? Dans ce cas, je pense que la destinée à un drôle de sens de l’humour. Je ne suis pas doué avec les étrangers. Plus que maladroit même. Je vais faire quoi ? Les approcher et leur annoncer qu’à moins de m’écouter, ils vont bientôt mourir ?

Très bon moyen de finir à l’asile psychiatrique. Vu l’idée que j’ai de ces endroits, je ne suis pas tenté par ce scénario du tout. Pourtant je l’écoute et, si venir en aide aux défunts – ou aux vivants aussi – pouvait m’aider à moins subir ma mutation… quel fou serais-je à refuser cette opportunité ? Je ne demande que la paix, qu’elle vienne des médicaments du marché noir ou de conseils dont j’avais besoin depuis tellement longtemps. Pour une fois, ma peau devient écarlate à sa question. Hum… voilà qui va être très intéressant.

— N’importe quelle partie du corps. Pour te dire, au début, j’étais terrifié à l’idée de me la tenir quand je devais aller aux toilettes. J’me disais que ce serait le comble de voir ma mort pendant que je pisse, tu vois ? puis de rajouter, amusé : Heureusement, ce talent ne semble pas me concerner. Pas à son plein potentiel en tout cas.

Ou plutôt, je crois avoir eu des bribes de flashs une fois, mais ils changent tout le temps. C’est plutôt rassurant je crois. Ça veut dire que l’avenir peut, en effet, évoluer. Même si j’avais le même âge, en apparence, à chaque fois.

Visiblement, évoquer les chocolats à la liqueur plonge Ether dans un vrai malaise. Je n’arrive pas à savoir si je suis désolé d’avoir lancé un tel sujet ou si ça m’amuse de le voir réagir ainsi. En tout cas, il est déterminé à démonter toutes mes suggestions comprenant du chocolat, et j’arrive à cours d’arguments.

« Je suppose que ça dépend de chacun. »


Mon sourire se fait chaleureux avant que mon visage ne retrouve son sérieux pour évoquer l’idée qu’il pourrait peut-être non pas forcément les morts, mais les vivants. Il me rétorque qu’il risque de passer pour un fou. Je hoche la tête.

« Oui, je comprends ce que tu veux dire...peut-être que tu pourrais tenter la suggestion, pour les pousser à être ailleurs qu’à cet endroit fatidique ce jour-là ? Après, je ne dis pas que tu dois sauver tout le monde. Mais il y a bien des gens qui t’ont touchés plus que d’autres ? Enfin, même si au final, c’est toi qui les touche haha...pardon. Je ne suis pas très doué pour les blagues… »


Je me sens un peu con, je baisse les yeux avant de les relever, cherchant dans les iris océan d’Ether le pardon. Je finis par ajouter.

« Ce n’est que des suggestions, j’ai pas à te dire quoi faire, c’est toi qui décides. »

Cette fois je souris plus franchement avant que mon esprit ne divague sur la mutation de mon nouvel ami et que je pose une question qui peut potentiellement paraître gênante. Visiblement, en tout cas, il l’est autant que moi. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de rire quand je l’entends raconter son anecdote.

« Je comprends, c’est trop cocasse pour un sujet aussi sérieux ! Tant mieux si t’es épargné. »

La précision qu’il mentionne me reste en tête, alors j’ajoute, curieux.

« Pourquoi pas à son plein potentiel ? T’as déjà eu des flashs ou un truc comme ça ? »

J’ajoute en agitant les mains.

« T’es pas obligé de répondre si c’est trop personnel. J’suis curieux, mais, vraiment, je ne me vexerais pas si tu préfères garder ça pour toi. »

Je plonge dans le reste de ma boisson. Puis reviens à la charge.

« Désolé...j’ai une autre question en fait. Est-ce que...quand t’as touché quelqu’un et que tu as déjà eu flash pour sa mort, si tu retouches cette personne tu en as encore un ? Ou passé une première fois, tu peux toucher la personne tranquillement ? Je suppose que ça refroidit dans certains cas mais….wow, je suis désolé c’est super intrusif. T’es pas obligé de répondre. »

Je ne sais plus où me mettre, voilà. Et mon père qui me fait les gros yeux. Je sais, j’ai chié dans la colle. Mais, c’est incroyablement fascinant. Nos mutations se ressemblent et pourtant se différencient tellement. J’ai le sentiment que de mon côté, c’est beaucoup moins lourd à porter soudain. Avec toutes ces questions, il ne voudra probablement même plus me revoir ….