If I were to kiss you then go to hell, I would (Cashu#5)

Un sourire fleurit sur ses lèvres en entendant la sonnerie de son réveil. Il prend le temps d’inspirer, expirer, pour calmer les battements de son cœur un peu idiot. Il est réveillé depuis une heure au moins, mais a voulu être raisonnable puisqu’il s’est couché tard. Après le départ de Luv de leur soirée les mecs c’est nul – quelque peu transfigurée –, doublement heureux pour son petit frère et lui-même, il a passé sa nuit à cuisiner le dîner pour Wangshu et n’a pas réussi à réellement s’endormir ensuite, beaucoup trop impatient de revoir l’architecte. La vérité, c’est qu’il est impatient de le voir depuis longtemps, mais cette journée marque peut-être le début de quelque chose et il ne peut que sourire bêtement en y pensant. Il se fait beau, aussi beau que sa combinaison de travail le lui permet – il mise tout sur son visage et sa coiffure, en somme. Il sort confiant pour aller prendre le bus, récupère la camionnette de son entreprise et se rend chez Wangshu, comme chaque semaine.

Comme chaque semaine, sauf qu’il y a une petite pointe de nervosité qui se glisse le long de son échine alors qu’il tape le code connu par cœur sur le boîtier de la porte. Il aurait peut-être dû relire ses messages et vérifier que l’appel d’hier existe bien dans son historique, pour s’assurer que ce n’était pas un rêve. Il secoue la tête pour chasser ses pensées absurdes et il pousse la porte d’entrée. Si lui-même est nerveux, il ne peut qu’imaginer l’état de Wangshu. Peut-être est-il cruel de lui faire subir cela aujourd’hui au lieu de lui laisser le temps de se préparer mentalement. Même si Wangshu a affirmé que cela lui convenait, Cappie a un peu peur que l’architecte se terre dans son bureau. Il ne le prendra pas personnellement, il n’a pas envie de l’embarrasser non plus. (L’embrasser, oui, par contre, mais il tâche de ne pas trop y penser pour l’instant). Hello, I’m there, il lance simplement en entrant dans la cuisine, n’ayant pas croisé le sujet de son affection jusque-là. Il dépose ses affaires, range soigneusement la nourriture dans le frigo et se met en quête de l’aspirateur – il reste professionnel, quoiqu’il arrive, se dit que ça ne sert à rien de stresser Wangshu en le cherchant au travers de toute la maison.

Capable ne pensait pas retomber amoureux de sitôt. A dire vrai, lorsqu’il s’est retrouvé avec les papiers du divorce entre les mains, il a même pensé que sa vie amoureuse était terminée. Assez dramatique, sans doute, mais se remettre d’une relation de quatorze ans, sa première relation qui plus est, lui paraissait insurmontable, à l’époque. Quand bien même aurait-il envisagé l’idée, jamais il ne se serait dit que cela arriverait aussi vite. Le divorce n’a été prononcé qu’en janvier et peut-être qu’il espérait naïvement encore pouvoir sauver son mariage, après ça. Quand bien même aurait-il envisagé l’idée, jamais il n’aurait imaginé tomber pour un homme et surtout que celui-ci l’apprécierait assez pour envisager l’idée avec lui. Une part de lui peine à y croire et serait sûrement plus sereine de croiser Wangshu dans la maison. Pour avoir un semblant de certitude qu’il lui plaît aussi, en face à face. Il y a repensé cette nuit, évidemment, s’est demandé si la nervosité de Wangshu depuis tout ce temps était identique pour tout le monde ou s’il en était en partie la cause.

Pourtant, malgré ce petit tourment, il suffit que Wangshu apparaisse dans son champ de vision pour qu’un sourire conquis se glisse sur ses lèvres. I see. Hi, il répond, doux, se retient de lui décocher un clin d’œil dans la seconde. Son cœur fait l’idiot. Sorry, I’m not really fit to be seen, il annonce en lissant son bleu de travail de la paume de sa main, une moue légère sur les traits. Le sourire revient rapidement. I like your shirt, dit-il le plus naturellement du monde, pour éviter de le gêner avec un compliment plus personnel. Il a encore les mots échangés la veille avec son petit frère à l’esprit, et Capable doit se forcer à cligner des yeux pour détacher son regard de l’architecte et chasser les pensées peu convenables. I’ll go get the vacuum cleaner, il lance avec un mouvement de bras très vague pour justifier son départ de la pièce. Un soupir lui échappe dès qu’il franchit la porte, se rappelle mentalement qu’il est sur son lieu de travail et qu’il devrait rester un minimum professionnel. Il revient une minute plus tard avec l’aspirateur et, à nouveau, son visage s’illumine d’un sourire sans qu’il puisse s’en empêcher. Il rit un peu. This is weird, right? Désamorcer la situation avant que l'un d'entre eux meure de gêne (en particulier Wangshu) lui semble être une bonne idée.

Sa mémoire lui fait défaut, alors que son regard s’attarde sur les traits de Wangshu ; aux grimaces et aux soupirs qui se posent sur sa bouche. Peut-être ne devrait-il pas trop regarder ses lèvres, pour aujourd’hui au moins. Il aimerait se souvenir de ses premiers jours avec Alessia, pour savoir quoi faire pour le mettre à l’aise, mais sans doute que la chose était bien différente, alors. Son ex-femme a toujours eu beaucoup d’assurance, et lui-même ne laisse jamais vraiment l’embarras le gagner. Son enthousiasme a tendance à prendre le dessus. Il tente cependant de le réprimer un peu, pour le bien-être de Wangshu. Il n’a pas envie qu’il prenne peur avant d’avoir leur véritable rendez-vous.

Le problème, c’est que l’architecte est absolument adorable et qu’il n’a probablement pas conscience de malmener le cœur de Capable en lui demandant d’arrêter de le regarder. Stop… what?, il souffle, incrédule, obligé de pincer ses lèvres à son tour pour retenir un rire attendri. Quelques bribes lui échappent, malgré tout, et il colle sa main sur sa bouche jusqu’à se calmer, le rouge venant doucement colorer ses joues. Il faut dire que cette simple phrase doublée de l’attitude terrible de Wangshu vient de lui injecter une double dose de papillons dans le ventre. Et cela fait quatre mois qu’il attend.

I don’t know if that might help, but I’m not so used to it too, il avoue avec un sourire, les prunelles qui reviennent s’accrocher à son visage, un bref instant, avant d’aller se perdre au plafond pour respecter son souhait. Where should I look, then?, il demande, un rire dans la voix, pas moqueur, mais complètement sous le charme, oui. And will you allow me to look at you on Friday? Because I don’t think I can keep that up that long.

Il doit se concentrer pour ne pas reposer ses yeux sur Wangshu dès l’instant où il reprend la parole. Ce n’est pas seulement une habitude bien ancrée de par ses manières irréprochables, c’est aussi une envie irrépressible de regarder l’homme dont il est amoureux. La chose est compliquée, alors, mais Cappie résiste, les yeux qui se perdent au sol après s’être levés au ciel, un sourire qu’il peine à ravaler sur ses lèvres. Même en se les mordillant, le sourire y revient sans cesse et il finit par s’avouer vaincu au moment où l’architecte se lève soudainement. Son cœur fait un bond dans sa poitrine et il manque de le regarder, mais pose savamment ses prunelles sur le mur derrière lui, à la place. Jusqu’à ce que Wangshu lui demande de le regarder. Il réprime vivement une plainte, qu’il se montre si adorablement contradictoire, et obéit, le sourire si grand que ça lui tire dans les pommettes.

Quelques secondes de silence ; Capable incline simplement la tête, pour ne pas rompre l’instant d’un de ses bavardages inutiles. Les joues de Wangshu sont rouges, et le bonheur est immense de savoir qu’elles le sont pour lui. Il y a quelque chose de terrible, aussi, de le voir perdre ses moyens, lui qui est toujours si sérieux et professionnel. Quelque chose qui enfonce encore Capable dans ses sentiments, et qui lui fait lâcher l’aspirateur pour attraper la main de Wangshu, le retenir près de lui, alors qu’il se retourne pour aller se rasseoir. Il pince les lèvres en réalisant son geste, croise à nouveau son regard, espère ne pas l’avoir heurté. Please, forgive me, il demande, sans pour autant se défaire de sa main, qu’il tient avec toute la délicatesse du monde. Il se rapproche d’un pas, réduit la distance entre eux à un grain de poussière. Is this… okay?, il murmure, à quelques millimètres de ses lèvres.