Not the diamonds, not the pearls: that girl

Cachée dans une alcôve du Crowclub, un verre qu’elle fait semblant de boire posé devant elle, Rhea observe la foule. Accoudé au bar, faisant de même, Destruction surveille, scanne, son regard inquisiteur prenant soin de l’ignorer, se posant néanmoins sur elle quand il pense qu’elle ne le voit pas. Un soupir. La vie n’est pas facile depuis leur séparation, cinq ans auparavant. On pourrait croire qu’ils ont appris à vivre avec, à se parler sans qu’une tension se fasse sentir entre eux, mais non. Toujours, ces arrière-pensées, ces souvenirs, qui parasitent chaque moment passé ensemble. La familiarité, la complicité, qui existaient entre eux ne fait aujourd’hui que les encombrer ; rend leurs échanges difficiles. Ils ont pourtant besoin de s’entendre, pour assurer la bonne marche de la locomotive infernale que sont les Deadcrows. Sans cette entente, ils foncent droit dans le mur. Et Rhea a travaillé trop dur pour laisser s’effondrer les efforts d’une vie comme un château de cartes.

Alors qu’elle baisse les yeux sur son verre, envisageant de l’engloutir d’une traite avant de remonter dans les étages, une voix la hèle. Surprise, elle redresse la tête, pour découvrir Livia, sculpturale en noir. Esquissant un sourire, Rhea incline légèrement la tête pour la saluer. Hi, susurre-t-elle en glissant une mèche de cheveux derrière son oreille. So do I. Come, have a seat. Sans attendre de réponse, elle s’écarte, laissant de la place sur la banquette à ses côtés. Elle est sincère, la septuagénaire. Il faut dire que Livia l’a intriguée, lors de leur dernière rencontre. Assez, en tout cas, pour qu’elle repense à elle une ou deux fois depuis, se demandant si elle allait la revoir. Le Destin semble en avoir décidé ainsi.

Elle reste silencieuse un instant, avant d’attraper son verre et de le vider d’un coup. Now you can. La précision amène une lueur amusée dans son regard sombre. Don’t worry, I would’ve let you buy me that drink anyway. A girl can’t get enough free drinks, Imma right? Sourire carnassier, qui s’efface froidement dès lors que Livia tourne les talons à la recherche de ce verre. Le regard de Rhea dévie sur Destruction, qui semble se contenir de toutes ses forces pour ne pas la sortir d’ici, à bras le corps s’il le faut. Une inclinaison de la tête lui ordonne de rester à distance. Elle est intriguée, certes, mais surtout, elle se méfie. Ce n’est pas souvent que les clients du bar osent lui adresser la parole, même parmi les habitués. Si personne ne sait réellement qui elle est, tous se doutent que la protection du Cerbère des lieux n’est pas accordée sans raison. Alors que quelqu’un comme Livia daigne lui parler, et revienne à la charge… Rhea n’est pas assez vaniteuse pour croire que seul son visage intéresse la curieuse.

La femme qui se tient devant elle a autant d’assurance que la dernière fois qu’elles se sont vues, sinon plus. Un petit sourire flotte sur ses lèvres, manifestement sûre et certaine de plaire à Rhea. Sûre et certaine qu’elle ne sera pas renvoyée sur le champ. Et, parce que sa curiosité la titille, la septuagénaire ne se fait pas prier. Elle vide son verre, flirte gentiment. Observe la silhouette qui s’éloigne à travers la foule, croise le regard de Destruction. Tout va bien, semble-t-elle dire. Et si tout devait dégénérer… elle compte sur lui. Toujours, quoi qu’il arrive. Il a sa confiance pleine et entière. De la même façon qu’elle a la sienne – du moins, elle l’espère.

Livia revient vers elle, les deux verres à la main, et Rhea n’esquisse pas un geste pour se lever, pour récupérer le sien. Impériale, impérieuse, comme toujours. Une reine qui reçoit son dû, et rien d’autre. La femme prend place sur la banquette, assez loin pour ne pas la toucher, assez près pour qu’elles puissent discuter à un volume normal, malgré la musique et les rires. Le double martini est levé, et Rhea incline légèrement la tête face à l’hommage. I’m flattered, really. Tho I must confessed, and with great humility, that is… It’s the kind of impression I tend to make on people. A nouveau, ce sourire félin, carnassier, qui étire ses lèvres. Le visage d’une femme habituée à plaire, et qui en joue avec lassitude. Elle connaît les règles du jeu depuis trop longtemps maintenant pour être encore véritablement excitée par la partie.

Une gorgée est avalée, lentement. Vider son verre d’un coup avait été une erreur, si elle espérait garder les idées claires. Heureusement pour elle, Rhea avait acquis une certaine tolérance à l’alcool au fil des années. Mais elle devait néanmoins se montrer prudente, méfiante. Son regard croise celui de Livia, avant qu’il ne dérive vers la foule mouvante devant elles. D’instinct, ses yeux sombres cherchent Kain, comme attirés par un aimant. Elle se force à regarder à nouveau la femme à ses côtés, et hausse un sourcil. A few years, I think, dit-elle, évasive. Au courant, mais pas trop. Comme si elle-même ne se souvenait pas exactement depuis quand. Une autre question, plus pointée cette fois. Un petit rire sans joie, au travers d’un soupir et d’un haussement d’épaules. A few years. A nouveau, comme si elle ne se souvenait pas. Ou n’avait pas l’intention de révéler cette information. Le regard trouve Destruction. Méfiante pour de bon. Too many questions.

Le compliment, à peine déguisé, ne l’atteint pas pour autant. Elle aurait aimé qu’il en soit autrement, naturellement. Aurait aimé pouvoir flirter innocemment, sans arrière-pensées, avec Livia. Mais Rhea n’est pas devenue celle qu’elle est grâce à sa naïveté. Humectant ses lèvres, elle prend le temps d’une nouvelle lampée avant de répondre. You sure asks a lot of questions. Didn’t remembered that about you. Se renfonçant dans la banquette, Rhea plonge une main dans la poche de son pantalon et en sort son briquet, jouant avec la molette sans déclencher d’étincelle. Pas menaçante, juste un moyen de ne pas se jeter sur son verre. Garder l’esprit clair, plus que jamais. And how did you came to know about this place, uh? Did someone told you about it?