Darius & Ira

Correspondances

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le 16 mars 1980

Monsieur,

Vous ne me connaissez sans doute pas, je suis la nièce d'Hilda. Je ne pourrais expliquer quoi ni pourquoi, mais quelque chose m'a poussé à profiter de son absence pour fouiller dans ses correspondances. J'ai alors découvert vos nombreux échanges, et l'aide qu'elle vous apporte. J'ai toujours réfléchi à écrire un journal intime, mais quel intérêt à se lancer dans une écriture qui n'aura pour seule lectrice que moi-même ? Je connaitrais déjà toutes les péripéties, tous les obstacles, tous les moments difficiles, les quelques joies. Il n'y aurait aucune surprise, aucun soulagement. Juste le replay de ce qui me ronge déjà. J'ai donc pensé en parler à ma sœur, parce qu'elle ne me jugera jamais, parce que je crois que quoique je dise, quoique je fasse, elle n'arrêtera jamais de m'aimer. Mais j'ai peur que quelque chose se brise entre nous, et je ne peux pas prendre ce risque. Elle est la seule chose capable de me maintenir hors de l'eau.

Tante Hilda s'occupe de nous du mieux qu'elle peut, et j'imagine que se retrouver du jour au lendemain avec deux jumelles sur les bras n'est pas facile. Et je l'aime, mais je ne peux pas entièrement me confier à elle, je ne peux pas lui dire tout ce que j'ai sur le cœur, je ne peux pas partager avec elle tout ce que je subis dans mon propre esprit. Ce serait trop cruel pour elle, et je ne veux pas être cruelle avec elle. Elle fait déjà ce qu'elle peut.

Nous ne nous connaissons probablement pas. Mais vous connaissez ma tante, et elle vous aide. Elle semble vous faire confiance, et cela me suffit. De votre part, je n'aurai besoin que d'un service : acceptez d'échanger avec moi, gardez mes malheurs secrets, et devenez le lecteur de mon journal.

Ed Pandora.

Correspondances

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le 20 mars 1980

Chère Pandora,

Puisque vous êtes la nièce d’Hilda, je présume que vous êtes l’une des jumelles que ma chère amie a prises sous son aile suite au décès de votre mère en 1974. Bien que vous et moi sommes en effet des étrangers, Hilda se plaît parfois à me donner des nouvelles des jeunes Edda et Edana à sa charge — ce que vous avez sans doute déjà pu remarquer en lisant mes nombreux échanges avec votre tante adorée.

Je me dois d’ailleurs de vous informer que ce quelque chose que vous mentionnez vous ayant poussée à fouiller des correspondances qui ne vous sont pas adressées s’appelle communément de l’indiscrétion. Il s’agit d’un acte peu louable témoignant d’un manque d’honnêteté et de bonnes manières, et je ne peux le cautionner. Par respect pour votre tante Hilda ainsi que pour ma propre personne, je vous prie de ne plus recommencer.

Ceci étant dit, je perçois votre sincérité dans votre inquiétude au sujet de votre soeur ainsi que votre intention de ne pas vouloir davantage encombrer votre tante. J’en déduis que vous m’écrivez car vous n’avez nul autre vers qui vous tourner. Vous avez de la chance : je suis présentement en mesure de vous accorder de mon temps, ne serait-ce que pour vous décharger du fardeau qui semble vous peser.

Vous avez raison, Hilda et moi nous échangeons plus que des lettres. Son aide m’est précieuse et je m’assure de lui retourner la faveur. Toutefois, si j’accepte de devenir votre correspondant, c'est simplement parce que je salue l’audace de votre initiative et que je ne pourrais, en toute bonne conscience, refuser de vous tendre la main.

Qui que vous soyez, vos secrets seront en sécurité avec moi.

Cordialement,
D.S.

Correspondances

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le 25 mars 1980

Monsieur D.S.,

Tante Hilda pointe souvent mon manque de manières. Elle me conseille souvent de prendre exemple sur ma sœur qui est un véritable petit ange. Elle l'est, et je sais que je ne le suis pas. Je ne pense pas le devenir un jour, parce mon rôle n'est pas de le devenir, je suis juste celle qui fait en sorte que ma sœur le reste. C'est pour ça que je ne peux pas tout lui dire et que cela me ronge de plus en plus. Et vous avez raison, je n'ai personne d'autre à qui en parler. J'ignore où vous vivez, j'ignore ce que vous faites, j'ignore même qui vous êtes... Vous ne pouvez me juger pour ce que j'ai fais, et si vous le faisiez, il me suffirait de brûler vos lettres. Vous ne pourriez en parler à ma tante, car je nierais avec une crédibilité qui vous surprendrait (peut-être ainsi auriez-vous raison au sujet de mon manque d'honnêteté).

Vous savez donc que ma mère est morte il y a un peu plus de cinq ans. Vous savez probablement beaucoup de choses sur la façon dont elle est morte, car j'imagine que tante Hilda vous a donné les détails qu'elle connaissait. Ma mère était une sorcière, et elle travaillait avec un homme pour enfermer une boîte. Et moi, où qu'elle allait, je l'accompagnais. Il y avait une petite salle aménagée pour moi, où je dessinais pendant qu'elle travaillait. Et petit à petit, j'ai commencé à les enten Si ! entendre. C'était tout doucement au début, je ne comprenais pas ce qu'elles disaient. Et c'est devenu de plus en plus fort, de plus en plus limpide. Elles étaient enfermées dans une cage, elles souffraient, et elles avaient besoin de moi. J'ai fini par les retrouver, coincées dans une boîte étrange. Elles me suppliaient de l'ouvrir, de les libérer de leurs tourments. Elles pouvaient nous protéger, Na et moi, si je les libérais.

Il y avait un sort autour de la boîte, et je me suis retrouvée coincée dedans. Ma tante a du vous dire à quel héroïque sacrifice s'est livrée ma mère pour me sortir de là au prix de sa propre vie. C'est à moitié vrai, et elle ne sait pas tout. Personne ne sait tout, à part moi et peut-être cet homme avec qui ma mère travaillait. Na mériterait de le savoir, parce que c'est elle qui m'a consolé après la mort de maman. C'est elle qui m'a nourri parce que je ne pouvais plus le faire moi-même. C'est elle qui m'a aidé à ne pas sombrer. J'avais un monde imaginaire, il était si beau que je pouvais y passer des heures et des heures. Je crois que la mort de ma mère l'a fait sombrer, lui aussi, dans le chaos. Ou peut-être est-ce mon propre chaos ? J'ai encore du mal à comprendre mon pouvoir et ses limites.

Mais je m'égare. Je n'ai jamais donné cette vérité à ma sœur, parce que je sais que ça la détruirait. Et ça me détruirait. Comme je l'ai dis, je dois tout faire pour qu'elle reste l'ange qu'elle est, quitte à ce que cela éteigne ma propre lumière.

Je suis arrivée près de la boîte, je l'ai touchée. Et j'ai senti tout ce qu'elle contenait, je l'ai vu se transférer à l'intérieur de mon Wonderland, s'infiltrer dans un coin de mon royaume. Je ne m'en étais pas rendu compte jusque-là, mais j'avais un couteau dans la main. Je ne sais pas d'où il venait. Et quand ma mère a tenté de me libérer du sort, les voix étaient si fortes, si insistantes... J'en avais mal à la tête, et je ne sais pas comment tout ça s'est passé, mais j'ai senti ma mère s'appuyer de tout son poids sur moi.

Peut-être suis-je un monstre, au fond. Peut-être étais je censée le devenir. Mais elle me manque, et je la pleure encore régulièrement. Elle était mon modèle, mon héroïne. Et je l'ai perdue, par ma faute.

Pandora.