Brighter days. || ft. Dani

Le corps s’arrête brutalement. Les yeux se lèvent de l’écran du téléphone. Oui, c’est bien ce qu’elle pensait. Un ballon vient de traverser un mur et poursuit son chemin sur la route. Tranquillement. Comme n'importe qui traverserait la route. Pour s’arrêter quelques mètres devant elle. Personne en vue pour lui courir après. Il n’y a que le ballon. Tout seul. Elle s’en approche. Les sourcils se froncent. Ça a tout l’air d’un film d’horreur. Elle va récupérer le ballon, vouloir le ramener à ses propriétaires et finir éviscérée dans une cave. Personne ne la retrouvera jamais. Le téléphone est remballé. Le regard fait des allers et retours entre le ballon et le muret troué, fissuré. Le cerveau cherche des explications plausibles. Histoire de la rassurer un peu. Parce qu’elle en est encore à se demander si elle va rentrer chez elle en vie ou pas. Ça peut être une nouvelle arme discrète, développée pour éliminer les personnes dangereuses. Ça peut aussi être un nouveau genre de ballon intelligent, développé pour revenir à ses propriétaires automatiquement. Ou juste un ballon. Avec un type qui vient le récupérer.

Et c’est ce qu’il se passe. Le gars sort de nulle part (enfin, si, il sort de derrière le muret) et file tout droit vers son objectif. Le ballon. Ou elle. Elle va donc probablement finir enlevée dans 5, 4, 3, 2, 1… Ah non. Tout. Va. Bien. D'ailleurs, c'est ce qu'il demande. Plutôt que d'offrir une réponse franche et parfaitement détaillée, elle se contente d'un “Oui, oui, tout va bien.” Elle croit. Si on passe le traumatisme de voir un ballon traverser tout seul la route après avoir créé un trou dans un mur. Elle devrait s’en remettre. Au pire, elle en parlera à sa psychologue. Dani évoquera également ce moment gênant où l’inconnu la dévisage. Mais au jeu du dévisageage, Dani est également forte. Quand Rafael était encore là, ils jouaient à se regarder pendant plusieurs minutes jusqu’au premier qui cillait. Elle gagnait toujours. Croyez-moi qu’elle peut fixer quelqu’un longtemps. Même un inconnu.

Puis d’un coup, la lumière éclaire son visage. Elle sait exactement où ils se sont déjà vus. “Le 90’s ! Vous m’avez filé des conseils parce qu’apparemment je suis nulle en musique.” Elle lève les yeux au ciel, en se disant nulle. Ne voit pas du tout de quoi on parle quand on lui dit qu’elle n’y connaît rien. Ses parents l’ont élevée avec Céline Dion, Mariah Carey et Robbie Williams. Une culture musicale qui a autant de mérite que n’importe quelle autre. Peut-être pas assez pointue pour une personne censée tenir un magasin de musique, cela dit. Heureusement, la gérante lui demande seulement d’accueillir et d’encaisser. Pas de débattre pendant des heures de la manière dont X joue de la guitare ou de la symbiose entre les musiciens de tel groupe. “Je suis Dani, la meuf derrière son comptoir toute la journée.” qu’elle précise. Histoire de l'aider à mieux la situer.

Contente de le retrouver aussi inopinément soit la rencontre. Parce qu’elle a profité de ses connaissances. Des connaissances très utiles qui lui ont permis de marquer des points auprès de la clientèle. D’ailleurs, elle s’attendait à le revoir dans la boutique. Pas en pleine rue. À courir après un ballon. Ça aurait été tout de même plus probable, vous l’admettrez. “Et vous, vous balancez des ballons à travers la ville ?” Ce sera son surnom maintenant. Le connaisseur en musique qui balance des ballons. Est-ce seulement un métier ? Un passe-temps ? Une erreur de parcours ? “Ça vous arrive souvent ? De tirer dans des ballons ?” Faut qu’elle sache. Peut-être qu’elle envisagera de déménager, si la réponse est positive. Vu les dégâts causés par le ballon, elle n’a pas très très envie de se trouver sur sa trajectoire.



  @Seth Avery   

À deux doigts de devoir mimer son rôle de vendeuse pour aider le bonhomme à la remettre. C’est qu’il n’est jamais aisé de croiser les gens hors de leur contexte. Alors, quand il arrive à se rappeler, elle secoue la tête de haut en bas. Grand sourire ancré sur les lèvres. Oui, c’est elle ! Dani, la vendeuse ennuyée du 90’s. Un poste ô combien valorisant et incroyable. Le sourire fane rapidement. Il remue le couteau dans la plaie de sa non-culture. Comme s’il était nécessaire de le répéter tout le temps. À chacune de leur rencontre. Ce qui reste une remarque totalement injuste, selon Dani. “Hey !” D’accord, peut-être qu’elle ne connaît pas tous les artistes et groupes vendus dans la boutique. Peut-être que ses styles musicaux sont plutôt éloignés de ceux des années 90. Peut-être. Est-ce que ça fait d’elle quelqu’un de nul musicalement parlant ? Oui, bon, d’accord. Elle est complètement nulle. Elle serait plus douée dans une pizzeria, à conseiller sur les recettes plutôt que chez un disquaire, à vendre des disques. Le principal est que ça convienne à Grace. Et si ça convient à Grace, ça convient à Dani. L’une comme l’autre sont gagnantes. L’une encaisse l’argent. L’autre en dégage un petit salaire.

Puis il y a des personnes comme lui qui apparaissent dans la boutique et lui filent des conseils. Ce qui lui permet d’acquérir tout doucement une culture musicale digne de ce nom. Une culture musicale bien basse. Pas au point de confondre une marque de lessive avec un groupe de musique, quand même. Pas vrai ? Sourcils froncés, elle semble prise dans un calcul mental difficile qui va bientôt dégénérer en mal de crâne intense. “Attends… Led Zeppelin, c’est un groupe ? Je croyais que c’était les Red Hot Chili Peppers, mais c’est vrai qu’ils ont plus le nom d’une sauce pimentée qu’autre chose.” Aucune honte à piétiner le nom d’un groupe aussi mythique juste pour la blague. Ils ne lui en tiendront pas rigueur, n’est-ce pas ? De toute manière, ils doivent probablement être morts depuis le temps. Ils ont quoi ? Un siècle de vie ? Beaucoup trop long.

Le bougre n’est pas qu’un passionné de musique. Il est aussi un tireur hors-pair qui ferait des dégâts lors de n’importe quel match. La preuve en est avec les rues traversées et les dommages occasionnés sur son chemin. Il a un peu abusé, effectivement. “Un tout petit peu.” qu’elle enchérit. D’ailleurs, il ferait mieux de fuir les lieux du crime, avant que les propriétaires ne viennent hurler ou qu’une sirène de police ne retentisse. Parce que c’est sûr, ce sera pour venir l’arrêter, lui. Le délinquant qui ose détruire les murets des autres. Un criminel qui saura faire son trou dans une prison de haute sécurité. À moins qu’il n’arrive à s’enfuir en créant des trous, justement, à l’aide d’un ballon. Une fuite qui surprendra tous les gardiens. Maintenant que Seth se présente à elle, est-ce que ça fait de Dani une complice ? Peut-être. En tout cas, elle ne pourra nier connaître son identité. Ça en est fini pour elle. Il n’y a qu’une échappatoire possible : retenir son prénom afin de coopérer au maximum avec la police, le moment venu. “Seth, le connaisseur de musique. C’est bien noté !”

Est-ce justement pour cela que Seth l’invite à rejoindre le tournoi de rue ? Histoire d’avoir un autre bouc-émissaire à fournir ? C’est vicieux, mais Dani saute dedans à pieds joints. Bien trop éloignée de ces doutes pour s’interroger. “Il y a des bonbons à gagner, au moins ?” Ils doivent bien en avoir, ces gamins. Ça part sur un rackettage de bonbons sur des enfants qui ont probablement quinze ans de moins qu’elle. Est-ce qu’il y a une infime lueur de honte en elle ? J’aimerais dire que oui. La réalité est toute autre. Elle n’a pas de pitié quand il s’agit de récupérer des bonbons. Même si en l'occurrence, Dani doit être approximativement aussi grande que les gamins. Ce n’est pas avec sa taille qu’elle va pouvoir leur faire peur. Il faudra la jouer à la loyale, donc.

Ça va lui rappeler les heures passées à jouer au foot avec son frère. Ça fait une éternité. Elle doit être rouillée, Dani. Il faut mettre toutes les chances de son côté afin de décrocher la victoire. “On peut faire une alliance ? Les vieux contre les jeunes ?” Les enfants n’ont pas besoin de savoir. Ils ont seulement besoin de voir. À quel point ils se font martyriser par deux adultes parfaitement responsables et dépourvus d’une once d’empathie pour eux. Ce n’est pas rendre service à tous ces enfants que de les laisser gagner tout le temps. Il faut les préparer à la dure réalité de la vie. La dure réalité, c'est Seth et Dani qui vont les battre.


  @Seth Avery   

Le regard qu’elle lui balance est outré. Envisager un match de football très sérieux sans aucune récompense derrière est une hérésie. Il faut toujours un gain à la fin. Sinon, à quoi bon s’opposer ? Autant jouer ensemble. Ce qui a tout de suite moins de saveur. Heureusement, Seth sait être raisonnable et s’adapter aux exigences. Bonbons, il y aura. “Marché conclu !” Le marché est scellé. Plus possible pour Seth de se défiler. Pour Dani non plus. L’esprit de compétition fait surface. À fomenter des plans machiavéliques afin de renverser la puissante jeunesse. Mais comme dirait Seth : il n’y a pas de vieux ici. Ils sont encore dans la fleur de l’âge (l’une plus que l’autre). Ils ont des ressources pour vaincre les plus petits. À moins que… “C’est clairement de la triche ! Ils ne devraient pas avoir le droit de jouer en dehors des matchs !” La révolte gronde. En tant qu’adultes, ils n’ont pas ce temps dédié au foot, eux. Ils doivent seulement se contenter de matchs improvisés. Alors que les enfants, ils ont tout le temps. À croire qu’ils ne vont jamais à l'école. Il doit y avoir un moyen de les pénaliser. Peut-être en les obligeant à courir en marche arrière ou à lacer leurs chaussures entre elles. Quelle merveilleuse idée qui causera une multitude de chutes.

Le chemin jusqu’au lieu du match lui laisse le temps de réfléchir. Quand ils arrivent sur place, Dani en arrive à la conclusion que c’est une très mauvaise idée. Ce ne serait pas fair-play. Même si le plus vieux des gamins fait sa taille. Voire est plus grand. Ça, ce n’est pas fair-play. Au final, c’est elle la gamine dans le lot. Et puis, le nombre ! Ils sont beaucoup. Beaucoup trop. L’équivalent d’une armée. Une minuscule armée. Ouais, bon, ils ne sont même pas une classe. Mais quoi ?! Elle n’a plus été entourée d’autant d’enfants depuis… l’école. C’est ça. Elle en est presque impressionnée. Cependant, l’objectif reste dans un coin de sa tête. Elle est ici pour gagner, pour remporter des bonbons. Confiseries qui resteront dans un coin de son appartement comme trophée, dans l’attente d’une quelconque personne pour les manger. Très peu pour elle, les sucreries. En attendant, elle reste en retrait, Dani. Faudrait quand même pas que les gamins la mordent avant même qu’elle ait été présentée. La présentation arrive, justement. Exigée par le plus âgé du groupe. Le géant. Est-ce qu’elle était aussi directe à son âge ? Probablement. “Heeey, salut !” Elle fait un geste de la main. Grand sourire affiché sur son sourire, alors qu’elle s’avance. Opération séduction de toute cette marmaille pour ne surtout pas leur montrer à quel point elle est impressionnée. Il ne faut pas leur donner une infime petite chance de voir sa vulnérabilité. Sinon, ils se glisseront à l’intérieur et la détruiront.

Elle retire son manteau et pose ses affaires dans un coin. Faut se mettre dans de bonnes conditions. Des conditions parfaites. Rien ne doit être laissé au hasard. Ça en est fini de rigoler. Parlons stratégie, faiblesses, attaques. Mais avant tout, elle doit connaître les gens de son équipe. Ce serait dommage d’envoyer le ballon à Timothée, alors qu’il est dans l’équipe adverse. “Alors, je suis avec qui ?” Des mains se lèvent. Des prénoms sont balancés les uns après les autres. Elle en retient trois, pas plus. Et elle serait incapable de les associer aux bonnes personnes. Dans quoi est-ce qu’elle s’est embarquée ? Il est encore temps de fuir. Non. Ah non. Trop tard. Seth lui fait comprendre qu’il faut y aller. Le terrain de bataille les attend. Elle embrasse le groupe du regard. Yep. Elle est prête. Pour eux, elle le fera. Ils sont une équipe, maintenant. À la vie, à la mort. “Toujours quand il s’agit de battre des enfants contre des bonbons.” Les gamins, aussi. Ils sont exaltés par la récompense, maintenant qu'ils savent. Le match serait encore plus rude. Ça lui fait regretter bien des choses. Comme d'avoir parlé de bonbons plutôt que de convenir d’un signe d’au secours. Comme par exemple si elle se met à 1. suffoquer 2. avoir envie de faire des croche-pieds aux gamins 3. voler le ballon pour que la partie s’achève maintenant. Ce qui risque d’arriver.

Pas les premières minutes. Dani doit se mettre dans le bain. Elle observe plus qu’elle ne joue. C’est à peine si elle fait un appel pour avoir la balle. Non, ce qu’elle fait, Dani, c’est regarder comment jouent les concurrents. Mal, évidemment. Son équipe est la meilleure. Mais on peut jouer mal et s’en sortir quand même. Triste injustice de la vie. Rapidement, elle se laisse gagner par leur excitation communicative. Jusqu’à adopter le même rythme. Jusqu’à chercher une opportunité d’aider son équipe. Et elle la trouve. Main agitée dans les airs. “Ici ! Iciiii !” Sentiment d’urgence. La fenêtre de tir va se refermer. Question de secondes avant que les rangs se resserrent devant le but. Heureusement, le ballon lui parvient. Coup d'œil échangé entre le ballon, la cage, le ballon, la cage. Le pied vient frapper la balle. Elle roule, roule, roule. Vers l’extérieur du but improvisé. “Nooon ! C’est injuste !” Le ballon doit être mal gonflé. Ou la rue n’est pas droite. Ou le but n’est pas assez grand. Ou juste, elle est nulle. Son regard croise celui de Seth. “Me vire pas tout de suite de l’équipe, hein !” Elle est juste rouillée, Dani. Faut lui laisser quelques minutes. Quelques heures. Peut-être quelques semaines. Elle reviendra plus forte. En attendant, elle doit trouver d’autres façons de faire le poids dans le combat. “Est-ce que tous les coups sont permis ?” Sait-on jamais.


  @Seth Avery   

S’il vous plaît ? Oui, vous ! Avez-vous vu passer le cardio de Dani ? Il est petit. Il est rouge. Il porte une perruque blonde. Il a deux petits bras. Et il a un sourire un peu de travers. C’est possible aussi qu’il siffle très fort à chaque respiration. Non ? Non. Okay. Dani a à peine couru sur la moitié du terrain qu’elle sent déjà ses poumons s’enflammer. L’endurance n’a jamais été son truc. Elle en a la preuve aujourd’hui. Et les années de boxe n’ont pas aidé à lui faire apprécier la discipline. Elle déteste ça. Encore plus quand elle est en galère. D’ailleurs, elle sent un point commencer à s’installer dans son flanc droit. C’est déjà l’heure de la mi-temps, vous pensez ? Au bout de cinq minutes de temps de jeu, ça semble raisonnable, non ? Dani ne doit pas être la seule aussi fatiguée. Il doit bien y en avoir d’autres. Mais parmi les gamins, tous semblent être remplis d’énergie. Seth a l’air d'aller bien, lui aussi. Et ne parlons pas de cette gamine qui est littéralement en train de traverser le terrain, le ballon entre les pieds, alors que personne n’est encore prêt à reprendre la partie.

Dani l’observe passer, sans même penser à réagir. Cette technique de triche est tellement honteuse qu’elle est dans le déni. L’adolescente ne peut pas être en train de marquer un but, là. Impossible. Et si. Bien sûr que si. C’est ce qu’elle est en train de célébrer. C’est grave de détester une gamine ? Est-ce que ça fait de Dani un monstre ? Un peu, peut-être. Tant pis. Elle arrivera à dormir avec cette culpabilité cette nuit. “Ah ?” qu’elle balance à Seth. Faut éviter de casser des jambes. Dommage, cela faisait partie de son plan. Maintenant, elle est obligée de se rabattre sur son autre idée : kidnapper chaque enfant et les coincer entre ses bras pour ne plus qu’ils puissent jouer. Combien peut-elle en tenir ? Deux. Idée nulle. Va falloir compter sur ses jambes et sa rapidité. Ou pas. Elle a d'autres idées, Dani.

Poings qui se rencontrent en un check magique. Sûr et certain qu’un mélange d’énergie s’est fait avec ce contact qui va leur permettre de vaincre face à leur impitoyable adversaire. La jeune fille a réveillé l’esprit de compétition de Dani. Va pas falloir blaguer, maintenant. Tout ceci est du sérieux. “Oh que oui ! On ne va pas se laisser faire !” La fatigue n’existe plus (pour le moment) (elle reviendra bien assez tôt, au secours), ne reste que la détermination d’en découdre. Elle tape dans ses mains pour tenter de concentrer leur équipe. Tous un peu démotivés par le but tout juste encaissé. “Allez ! On va leur montrer de quoi on est capable !” Ils ont tous le potentiel d’y arriver. Ils doivent juste avoir confiance en eux. Par chance, ils ont la possibilité de s’en rendre compte dès maintenant.

Le ballon est remis en jeu. Ils s’en vont en guerre pour le conserver, alors que leurs adversaires tentent une offensive dans leur zone. Dani se permet de laisser un petit coup d’épaule se perdre face à Blondinet qui tente de gagner du terrain. Il trébuche et râle, mais elle ne l’écoute déjà plus. Elle cherche déjà sa prochaine cible. Le ballon est un temps perdu, avant de revenir dans son équipe. Les gamins se frayent un chemin tant bien que mal au milieu des concurrents. Il faut leur laisser un peu d’espace pour qu’ils puissent avancer. Rouquine-aux-yeux-bruns. Ce sera donc elle, sa prochaine cible. Dani fait deux têtes de plus qu’elle. Elle devrait avoir de l’empathie pour cette gamine plus petite, mais non. Aucune. Pas de compassion entre petites tailles. Il n’y a que la victoire qui compte. Alors, elle fonce sur la gamine et l’attaque avec des chatouilles. Diversion parfaite pour laisser passer le ballon qui continue son chemin. Troisième cible. Dani se glisse derrière le gamin discrètement et lui hurle un “bouh” dans l’oreille, à l’en faire sursauter. Il se retourne, pile pour ne pas voir le ballon passer dans son dos. Jusqu’à atteindre le but. Et marquer !

“Ouiiii !” Poing levé dans les airs en signe de victoire. Ils y arrivent ! Ils s’en sortent parce que ces gamins sont doués. Où sont les recruteurs des plus grandes équipes de football ? Ils loupent quelque chose. Définitivement. “Bien jouéééé ! C’est ça qu’on veut !” Son regard se baisse sur l’enfant effrayé. Il la regarde, totalement affligé. Elle lui offre un grand sourire innocent, hausse les épaules. “Ben quoi ?” Elle a fait quelque chose, elle ? Non. C’est presque en sautillant qu’elle reprend sa place, prête à enchaîner avec le prochain round. C’est bon, elle commence à choper le rythme. Elle fait un signe à Seth. “J’ai vu qu’il y en a un qui a ses lacets défaits. On peut l’attraper et lui voler ses chaussures. Il courra moins vite.” Sourcils machiavéliques haussés. Dani est en train de devenir un petit diablotin. C’est ce qui arrive quand elle ne veut pas perdre. Il n’y a plus aucune pitié. Même pas pour des enfants.

  @Seth Avery   

On n’a jamais vu pire match de football. Il n’y a plus aucune règle. Il n’y a plus aucun fairplay. C’est une rébellion contre le système qui s’opère. Ils pourraient être virés de la fédération de football si on les voyait. Heureusement, les seuls yeux qui les observent sont ceux du voisinage. C’est qu’ils commencent à faire du bruit. Beaucoup de bruit. Entre les protestations provoquées, les rires torturés par les chatouilles et les hurlements de victoire. La discrétion a été oubliée, jetée avec le règlement. Est-ce grave ? Absolument pas. Tout le monde s’amuse. Mieux encore : leur équipe gagne. Enfin, l’équipe adverse pourrait en dire autant. Il n’y a plus aucun score officiel. L’arbitre a abandonné le navire, dépassé par les événements. De toute façon, il est devenu incompétent à partir du moment où il n'a pas réagi face au point marqué dans le but adverse, alors que tout le monde était en train de célébrer de l’autre côté du terrain. Il n'a pas assez d’autorité, le gamin. Il lui faudrait un regard plus méchant et un ton plus imposant.

La victoire arrive enfin. Célébrée dans la joie et la bonne humeur, écourtée par une voix autoritaire (l’arbitre devrait prendre exemple sur elle, tiens). Un Seth Jamie Oscar Avery qui fait sursauter même Dani. Pourtant, aux dernières nouvelles, elle ne s’appelle pas Seth Jamie Oscar Avery (c'est long). Elle se tourne lentement pour voir d’où provient la voix, des frissons sur les bras, à l’idée d’être punie pour quelque chose qu’elle n’a pas fait. Sa défense est toute trouvée : elle ne participait évidemment pas au carnage footballistique. Elle était là en tant que… reporter sur le terrain. Soulagement, on s'en fiche d'elle. C'est plutôt Seth qui se fait disputer comme un enfant. Il y a un échange de regards complices avec Velma. D’un coup dans le même camp quand il s'agit de s'amuser de la situation.

Quelques checks ici et là et voilà les gamins qui disparaissent de son champ de vision, sur ordre de la matriarche. Elle a un petit pincement au cœur de les voir partir. Elle commençait à les apprécier, ces morveux. Et le moment était cool. Beaucoup trop cool. Un sourire flotte déjà sur ses lèvres, mais aux paroles de Seth, il s’élargit encore plus. Heureuse d’apprendre avoir été à la hauteur de ses attentes et d’avoir pu être adoptée par cette ribambelle de futurs joueurs professionnels. “C’était trop bien ! On peut pas recommencer quand la vieille se sera calmée ?” Elle a une vengeance à prendre contre le petit blondinet (comment il s’appelle déjà ? Alex ? Alix ?) qui a osé lui faire un croche-pied. Lui, il ne fera pas long feu au prochain match. Elle en fait la promesse. Puis elle déborde d’énergie maintenant. Il faut l’extérioriser au risque d’être insupportable et de faire exactement ce qu’elle fait maintenant : parler trop vite. “D’ailleurs, elle fait super peur ! Elle est toujours comme ça ? J’ai cru qu’elle allait venir te chercher et te mettre au coin ! Ça aurait été super drôle. Pour nous. Pas pour toi, ça, c'est sûr !” Véridique. Et Dani n’aurait rien fait pour l’en empêcher. Cette femme est vraiment trop terrifiante. Elle aurait eu peur de finir dans sa cave et de finir en rôti pour le dîner.

L’heure de la récompense alors, hein ? Elle a quelques scrupules d’en profiter seule. Toute une équipe attend de pouvoir dévorer des sachets de bonbons entiers. Elle n’est pas comme ça, Dani. Enfin, si, elle l’est totalement. Surtout quand elle peut troquer des bonbons contre de la nourriture. “Je ne dirai pas non à un brownie… ou à un donut ! Un truc plein de sucre.” Très bonne idée. Elle était déjà trop à plat en termes d’excitation. Il lui faut bien un peu de pâtisserie bien grasse et sucrée pour la réveiller. Direction prise pour la supérette, donc.

Sur la route, elle prend le temps de repenser à ce qui vient de se passer, à la rencontre fortuite et à la partie bataillée. Si on lui avait dit que la journée se terminerait en compagnie de Seth, elle ne l’aurait pas cru. En fait, elle n’aurait jamais imaginé Seth dans un rôle de joueur de foot. Nope. À la limite, musicien dans un groupe de hard rock. C’est d’ailleurs grâce à sa passion pour la musique qu’ils avaient vraiment commencé à échanger, au-delà des discussions de politesse. Et c'est grâce à cela qu'elle a gagné quelques compétences dans la domaine, ne l'oublions pas. “Quand est-ce que tu repasses à la boutique ? J’ai besoin de tes leçons de musique ! Comment je suis censée vendre les vinyles sans ça, hein ?” Important de lui rappeler comme son rôle est essentiel dans la génération du chiffre d'affaires de la boutique. Sans Seth, le 90's Shop fait faillite. Au moins. Et ce sont deux personnes qui vont finir à la rue, dont une vieille. Ça ne se fait pas pour la mamie !

  @Seth Avery   

La partie se termine trop vite à son goût. C'est frustrant. Dani aurait aimé montrer ce dont son équipe est capable. Encore et encore. Au lieu de cela, tout le monde est puni et doit rentrer chez soi. Même Seth se fait la voix de la sagesse, quand vingt minutes plus tôt, il participait activement au match. Dani ne connaît pas la O’Shea, mais pas de doute qu’elle doit être effrayante. Alors, la vendeuse se fie à Seth et ravale sa motivation. Ce sera pour un autre jour, le rendez-vous est pris. “Okay, une prochaine fois, compte sur moi !” À partir de maintenant, elle compte bien traîner dans les environs jour et nuit, jusqu’à ce que le prochain match ait lieu. Tant pis pour le Metaworld. Elle a trouvé une activité encore plus fun : détruire des enfants à leur propre jeu. On passera sur l’exemple qu’elle donne et la morale de cette histoire. Mais hey, si elle était irréprochable, ça se saurait. Ça ne l’empêche pas pour autant d’être parfaite, évidemment. Parfaite, mais pas irréprochable. Le mélange idéal pour avoir le droit de faire des erreurs, sans vraiment les assumer.

L’anecdote de Seth sur les sévices de la voisine lui fait ouvrir des yeux exorbités. “Mais non ?” Pendant qu’elle l’aide à ramasser les seaux, elle tente de trouver une raison valable pour laquelle la femme aurait pu se permettre un tel geste. Dani n’en trouve pas beaucoup. “Depuis quand est-ce qu’elle fait régner la terreur ici ?” Déjà en train de réfléchir à comment mettre un terme à son règne. Cela ne peut pas durer. Et en même temps, il aura forcément une fin. Quand elle mourra de vieillesse (si c’est possible. Elle semble vivre depuis trois siècles, cette O’Shea), le coin retrouvera sa tranquillité d’antan. “C’est qui, alors ? Une amie de la famille ?” Non parce que Dani, pendant un instant, pensait qu’il s’agissait de sa grand-mère. Elle en a toute l’autorité, en tout cas. Mais vu l’effet qu’elle fait sur tous les gamins du quartier, elle est peut-être la grand-mère de tout le monde. Est-ce possible ?

Au moins, ça précipite l’arrivée de la récompense. Une avalanche de sucre. Il n’en faut pas beaucoup plus à ces deux-là pour les rendre heureux. C’est qu’ils ont besoin de recharger leurs batteries après l’effort, Seth a raison. “M’en parle pas ! Je n’avais pas couru comme ça depuis au moins deux ans. J’ai bien cru que j'allais pas finir le match.” Le sucre va définitivement faire du bien. Il n’y a quasiment que ça dans le rayon des biscuits du magasin. Dani ne sait plus où regarder. Obligée de faire un pas en arrière afin d’embrasser l'entièreté du rayon. Tous les paquets semblent l’appeler. Ils ont besoin d’être sauvés de là et de s’enfuir. Malheureusement, elle ne pourra pas tous les emmener avec elle. Elle ne peut en choisir qu’un. Ou deux. Ou trois. Vous croyez que la générosité de Seth a des limites ?

Apparemment, il travaille beaucoup. Tu parles. Ce n’est pas une excuse acceptable de la part de la vendeuse. “Mais moi aussi j’ai un boulot monstre, pourtant je passe à la boutique tous les jours !” En plus, qui était en train de se défouler pendant un match de foot avec des enfants ? SETH ! Il ne peut pas mentir à Dani, elle l’a vu de ses propres yeux. Elle se rapproche des paquets de gâteaux et commence à inspecter les packagings avec application. Le choix est important. Il faut être stratégique. Et surtout, surtout, bien jouer la comédie quand Seth lui demande si elle a fait ses devoirs. “Hein ? Quoi ? Pas entendu.” Elle ne le regarde même pas. Faudrait surtout pas. Ses mensonges se lisent toujours sur son visage. Sa mauvaise foi aussi. Il risquerait de découvrir qu’elle n’a pas écouté toutes ses recommandations de la dernière fois. Mais hey, s’il était un professeur assidu, elle ferait le travail. Comme il ne l’est pas, elle se permet quelques… relâchements. Face au contrôle surprise, Dani lâche un “Rhaaaan !” et lève les yeux au ciel. “Tu crois vraiment me piéger ?!” C’est son métier de savoir ce genre de choses, après tout ! Bon okay, elle n’en sait rien. La musique ne l’a jamais passionnée au point de tout connaître sur le bout des doigts. “Je sais pas… Yellow Submarine ?” Elle hausse les épaules. À quoi bon savoir, de toute manière ? Tout ce qu’elle a besoin de retenir, c’est que les vinyles des Beatles ne sont pas ceux qui s’arrachent le plus à la boutique. Leur époque est révolue. Ciao, les vieux.

Elle prend un paquet de gâteaux Twinkies. Les préférés de son petit frère. Elle n’a jamais compris pourquoi. La boîte est dirigée vers Seth, arme pointée afin d'attaquer l’expert en musique. “Puis d’abord, comment tu fais pour savoir tous ces trucs, hein ?” Les yeux se mettent à le scruter à la recherche de son secret. Est-ce qu’il sait réellement tout cela ? Est-ce que tout ceci est un mensonge ? Évidemment que oui ! “Tu triches ? Tu as une altération qui stocke tout, c'est ça ?” Elle l’a vu être capable des plus grandes triches il y a même pas dix minutes. La question est plus que légitime.

  @Seth Avery