killing stalking | TINY

L’acquisition de sa maison est une fierté qui ne manque jamais de le rendre euphorique. Depuis le temps, il devrait s'être remit de ce plaisir et pourtant, chaque soir quand il rentre chez lui et essuie ses pieds sur le paillasson, Lance est le plus heureux des hommes. A trente ans passés, Lance est parvenu à prendre sa vie en main. Il a un travail, une maison et bien qu'il n'ait pas encore rencontré le futur partenaire qui va l'accompagner pour le reste de sa vie, il s'en sort plutôt bien. Il sort régulièrement, se fait des amis et s'arrange quelques dates, il a de l'argent.
Il a des pouvoirs.
Mourir na été qu'un contretemps, étrange, perturbant. Rien qu'un contretemps très intéressant. Il connait partiellement la réponse à une question qui taraude l'humanité. C'est encore étrange. Il lui faut appeler quotidiennement sa mère pour qu'elle se rassure. Elle a failli le perdre pour toujours. C'est le jeu, Lance savait qu'il finirait par connaître un destin tragique.

Sa bonne humeur ne saurait être entachée par la porte de son domicile qui s'ouvre sur une ambiance particulière. Presque trop calme, dans l'air, une énergie nouvelle. Pas la sienne. Lance sait que sa maison a été fouillée. Il sait qu'il y a quelqu'un. Il ne change pas son rituel habituel. Referme la porte à clef, retire ses chaussures et son écharpe. Il a envie d'un goûter, alors il passe par la cuisine, avant de se diriger à l'étage, dans le bureau qui lui sert de chambre.

Un rat fouine sa maison, une fois de plus. Lance reste adossé contre le battant de la porte et regarde le potentiel voleur s'affairer. « Ah ! C'est toi. Il la rire au lèvres et les yeux amusés, Lance n'a nullement peur. Avoir déjà vécu le pire rassure, il n'y a maintenant plus grand chose qui puisse se mettre entre lui et ce qu'il désire. Lance ne peut pas faire disparaître son visiteur et le jeter aux égouts, mais s'il faut, son pacte ne l'interdit pas de le torturer un peu pour lui arracher quelques mots. Et si les mots ne viennent pas, il s'attaquera aux dents. C'est étonnant tout ce qu'on peut tirer de quelqu'un en arrachant une molaire ou deux. Ils deviennent de suite plus docile. Encore toi, devrais-je dire. Ce n'est pas la première fois qu'on se croise, pas vrai ? Ce sera la dernière, par contre. Le visage est familier. Dis-moi ce que tu cherches. Nous gagnerons du temps. Plus vite tu auras trouvé ce que tu veux, plus vite je pourrais te tuer ensuite. » Des menaces évidemment en l'air. Lance croque dans sa pomme, le regard fixé sur l'autre.

tw : classisme particulier
Il y a des yeux partout. Tiny le sait, le sent. Ça vibre, sous sa peau. C’est la vérité que les gens ignorent, celle sur laquelle on ferme les yeux, celle qui se cache dans l’ombre et qui bouge lorsque la nuit tombe. Il y a des secrets partout. Le monde est un mensonge. Les gens sont des menteurs. L’Underapple est peut-être sale, mais les mensonges sont plus faciles à voir et les secrets sont moins délicats. Tiny les voit, les comprend, les observe et essaie de les décortiquer de ses fines mains, de les détruire en petites particules pour en voir le moindre détail.
Il sait, oui.
Il sait que l’homme est tout sauf un sourire. Il y a des secrets et des mensonges et Tiny est persuadé depuis des mois que Lance connaît Big Earl. Que l’homme l’observe pour l’autre qui a disparu dans l’ombre. Big Earl craint que le monde explose et Tiny comprend ; il fige quand le sol tremble, il observe le plafond de l’Under avec une fascination morbide parfois. On veut leur mort ; la surface ne veut pas d’eux et ils ne veulent pas de la surface. On dit que l’évolution humaine est les mutants ou les altérés. Tiny est persuadé qu’il s’agit de ceux qui, comme lui, restent purs et vrais dans l’Under. Ils sont différents ; ils changent.
Tiny n’a pas peur du noir, pas peur du vide. C’est la surface qui lui fait peur, c’est les gens, ceux qui sont différents, ceux qui s’éloignent de ce qu’il connaît. Il ne parle plus aux frères de Gigi depuis qu’ils prennent des substances pour posséder des pouvoirs. Tiny les aime, mais les guette de loin. Il dévisage les White perdre de leur beauté, un peu à chaque fois. Gigi aussi, selon lui. Tiny ne le prononce pas, mais il le sait. Ça résonne en lui.
Pourquoi essaient-ils de ne plus être humain ?
Tiny ne comprend pas.
Mais Lance ; Lance est un danger. Un danger associé à autre chose. Et Tiny le sait, le sent sous sa peau, dans ses veines. C’est un picotement qui ne sait pas se taire. Qui résonne encore et encore en lui.
Alors parfois, quand il a des doutes, quand il se pose des questions et qu’il a du temps libre, il se glisse chez l’homme. Les tiroirs sont ouverts ; les pages lus de travers. Tiny cherche des traces ; de Big Earl, de la mission, de ce qu’il lui veut. Il sait, après tout, que l’homme le traque.
Il entend ; le bruit de ses pas, la porte qui s’ouvre, sa présence dans la maison. Tiny ne fuit pas. Il est comme la crasse d’autrefois que New York ; la ville est son terrain, et les autres devraient bouger, pas lui. Il ne les craint pas. Il les observe avec ennui.
Il observe Lance avec ennui, le regard fade et l’expression vide, quand l’homme apparaît à la porte de la pièce. Tiny continue de fouiller, de chercher. Il ne répond pas au départ.
- Non, qu’il finit par dire. Non, il ne lui dira pas ce qu’il cherche. Tiny ne saurait comment le décrire, de toute manière. Non, il ne va pas mourir. Devrait-il dire autre chose ? Certainement. Mais Tiny ne s’est jamais pris la tête avec les gens, ne s’est jamais plié à ce qu’ils attendent de lui. Il fait comme bon lui semble, écoute les lois seulement pour les connaître et les critiquer, et mène sa vie. Il fait partie d’un monde qui s’est éteint il y a longtemps et d’un autre qui s’est créé à la fin du sien, il fait partie de son propre univers.
Documents entre les doigts, Tiny les observe et les dévisage et les effleure du regard. Au sol, les feuilles pleuvent quand elles ne l’intéressent pas. Tiny n’en a que faire du dégât qu’il fait. La fenêtre est grande ouverte ; il a besoin d’air, de ne pas être enfermé, qu’importe si l’Under ne possède pas de courant d’air.
Quand il lève les yeux une énième fois, Tiny fixe la pomme. Rouge et belle ; ce qui vient d’en haut. Tiny déteste autant qu’il aime. Il se questionne parfois sur la surface. Il l’aimerait, il sait, si ça ne dépendait pas des gens. Les gens sachent tout.

cw : violences infligées à autrui
Lance réfléchit à ce qu'il pourrait faire avec le petit rat, qui n'a pas prénom, et présentement porte ce titre. Avec toute l'affection qu'il lui porte. Les rats sont intelligents, Lance a beaucoup de respects pour les nuisibles. Ils sont résistants et Lance aime ce qui peut lui résister. Ce n'est pas amusant sinon. C'est une catégorie à part et tout le monde ne peut y prétendre. Il sent cette noirceur à l'intérieur de son invité. Lance voudrait pouvoir lire ses pensées, comprendre les rouages de son esprit. Il n'a pas l'air idiot. Même s'il en avait l'apparence, Lance sait que les génies ne le portent pas sur eux, n'ont pas besoin de se parer de beaux atours. Il a des ressources, le petit.
Il lui a fallu trouver sa maison, le suivre sans qu'il ne s'en rende compte.
Puis, il lui a fallu rentrer, trouver les failles, une fois, deux fois.
Lui échapper, lui filer entre les doigts à chaque occasion.
Un joyeux rare, Lance pourrait peut-être en faire quelque chose. Le polir, le dresser.

Lance se demande ce qu'il cherche. Il n'y a rien d'intéressant dans ses papiers. Qu'espère t-il trouver ? Il n'y a rien sur lui. Des pages noircies avec des informations personnelles comme l'échec que fût ses études. Les nombreuses fiches de paie délivrées par ses tout aussi nombreux employeurs du temps où il ne savait pas encore où il allait. Il pourrait tomber sur des lettres d'amour et de rupture, Lance est incapable de jeter. Il accumule un tas de choses inutiles qu'il range dans des tiroirs. Quand elles sont rangées, elles sont en ordre. « Ce que tu cherches n'est pas ici. Il bluffe. Cherche t-il des preuves ? Lance a t-il torturé un de ses proches qui devait de l'argent à un gang du coin ? A t-il sectionné un ou deux doigts ? Il ferait mieux de lui demander. Il lui est arrivé de garder les anneaux pour les accrocher à ses clés comme des trophées.

« Tu as faim ? Lance retourne à sa pomme, objet de fascination pour la créature, il la sépare en deux d'un coup sec et lui tend la moitié dans laquelle il n'a pas croquée à la pleine dent. C'est ça que tu veux ? » La luminosité absente de la chambre et son accoutrement sombre lui donnent des allures de méchante sorcière. La peau n'est pourtant nullement empoisonnée.
Lance n'a pas bougé, il observe calmement la scène.
Il n'a pas besoin de bouger. Tout fini par venir à lui.

Rien. Rien. Rien.
Il n’y a rien sur les papiers. Des ennuis, des factures. Des mots doux. Tiny les lit de travers, voit les sentiments et pense à Komo. Il essaie de ne pas penser à Komo ; les choses sont compliquées. Tiny ne veut pas penser à Komo quand il est occupé, ailleurs. Ce n’est pas le moment. Komo va dans un coin de ses pensées et coule ; il atterrit dans son coeur, confortable, comme à chaque fois. C’est comme revenir à la maison.
- Hm, qu’il répond. Le mot d’amour est jeté au sol comme le reste. Tiny n’est pas tendre, n’est pas doux. Il ne se préoccupe pas des sentiments des gens dont il ne se soucie pas. Ceux qu’il aime, il fait mal les choses aussi. Tiny apprend beaucoup de choses ; il ne déconstruit rien, construit par dessus ce qui est abandonné et brisé. Un peu comme l’underapple. Il est un écho de son propre royaume.
Peut-être que les choses tanguent, mais Tiny a un bon équilibre.
Faim.
Oui, il a faim.
Le ventre gronde ; une chanson profonde qui vient de ses entrailles. Tiny lève les yeux, des mèches sombres et sales retombant sur son front. Son regard est félin tandis qu’il observe l’homme, la pomme. Il zieute les deux morceaux, ne dit rien et ne bouge pas pendant de longues secondes.
Tiny a faim.
Papier abandonné, des pas faits. L’homme est plus petit que lui ; ils le sont tous. Tiny est un géant long et fin, trop grand et trop maigre. Dans l’ombre, il ressemble à un monstre. Certains disent que son regard brille dans le noir.
Le mouvement reste brusque ; Tiny s’approche et s’éloigne en une seconde, prend la parcelle de pomme croquée plutôt que celle intacte. Il la porte à son nez, la sent qu’importe s’il ne sent plus rien depuis des années, sans lâcher l’homme des yeux.
Son estomac est fort ; Tiny résiste aux poisons, a joué avec le feu trop souvent. Ce qui lui donne mal au ventre, c’est tout ce qui est trop faux, trop modifié.
La bouchée est prise ; petite, délicate. Tiny mange comme un rongeur. Les deux mains tiennent le bout de pomme contre ses lèvres alors qu’il se détourne ; montre son dos sans gêne, aucune, et continue ses recherches.
Il abandonne le bureau pour la bibliothèque. Pomme coincée entre les dents, il s’empare du premier livre, l’ouvre, lit, jette au sol. Le suivant connaît le même sort.

Lance aurait dû s'en douter, qu'il s'emparerait plutôt du morceau déjà croqué, au cas où il aurait prémédité son empoisonnement. Lance n'a pas ce temps à perdre, à cacher du poison dans ses fruits, au risque de se tuer lui même en oubliant qu'il les a piégé. Combien de vilains idiots ont vu leurs plans se retourner contre eux ? Ils sont frais du marché et purs, Lance ne sait pas comment le vendeur a pu se les procurer, il est heureux de pouvoir se nourrir avec de la nourriture fraîche. Et non les plats surgelés stockés dans les grands congélateurs de ces supermarchés glauques, en bas de la rue. Les plantations dans l'Underapple ne poussent que dans des serres sous la lumière artificielle et les efforts des ingénieurs pour transformer l'enfer en paradis.  Il n'y a pas de miracle, pour autant. S'il existe quelque part un mutant prouvant transformer les ténèbres en lumière, Lance donnerait sa vie pour retrouver le ciel d'autrefois.
Le morceau restant est à nouveau marqué par la trace de ses dents. Lance grignote avec appétit. Sa mère lui dit toujours qu'ne pomme par jour éloigne le médecin. Lance n'a nullement envie de se trouver près d'un médecin, surtout après son décès. Il ne sait pas encore expliquer le phénomène sans qu'on l'enferme dans un laboratoire miteux, il ne saurait faire confiance. Lui aussi, peut se montrer méfiant. Il a une très bonne raison.
« Ce serait vraiment plus simple si tu me demandais directement. » Il soupire, en finissant sa moitié de pomme. Lance n'a pas encore trouvé comment communiquer avec son inconnu. Peut-être qu'il ne parle, qu'on lui a tranché la langue. Ce sont des choses qui arrivent, ici-bas.

Il sursaute au premier ouvrage qui grogne le parquet poussiéreux. « Hé, pas les livres s'il te plaît ! Lance s'insurge. Et ses belles éditions alors ? Et ses lectures honteuses, à l'eau de rose, nimbée d'une certaine frustration quant à sa solitude et son manque évident de partenaires ? Tu sais combien ils m'ont coûté ? Non mais. » Le mercenaire fait une approche pour la première fois et tente de s'interposer entre le meuble et les griffes habiles de ce petit monstre qui peut bien fouiller sa paperasse autant qu'il le souhaite. Cela ne lui plaît pas que l'on abîme des objets de valeur.   Si j'avais quelque chose à cacher, je le garderais sur moi. » Dans ses poches, près de son corps. De son coeur.

Des mots, des mots et encore des mots. Tiny les survole, les observe comme une bête étrange et les abandonne. Il les trouve ennuyeux ; les gens se perdent dans le faux, trop souvent. Il y a du faux partout. Autour d’eux, toujours dans les regards, les sourires, les mots. Dans les gestes, les publicités, l’humanité. Tiny dévisage toujours la télévision comme si c’était une bête étrange ; regarde les films se dessiner, être et mourir le temps de quelques heures. On se raconte des mensonges. Des mensonges dans lesquels les gens se baignent. Toujours. Tiny préfère la crasse, la vérité crue, celle qui fait mal et sur laquelle les gens ferment les yeux. Tiny dévisage les mots encore plus faux, ceux qui sont écrits pour oublier la réalité. Il ne les aime pas.
Le monde est laid. Le monde est laid et les gens aussi.
Pourquoi créer du faux ? Du faux qui est laid ou beau. Tiny ne comprend pas.
Alors les livres tombent au sol. Il s’en fiche. Il n’en a rien à faire.
Un pas de reculons ; l’homme entre lui et l’étagère. Tiny l’observe, le regard mort et l’expression dérangée. Il l’ennuie.
Argent. Argent. Argent.
Une autre chose pire que le mensonge.
Lent ; bête sauvage, le regard coule contre la silhouette de l’homme. Tiny évalue, juge et se demande.
Trente secondes passent.
Tiny détourne le regard ; borné, dérangé, lassé. Il reporte son attention sur les bouquins. Un autre tombe. Tiny le suit des yeux, tel un chat. Puis, de la même manière, il pose son regard sur l’homme de nouveau. L’ennui y danse comme une flamme.
- Dis moi Tiny ne précise pas quoi. Tiny veut tout savoir. Les secrets du monde. Surtout de celleux qui le suivent, qui savent. Tiny ne lui fait pas confiance.
Sans le lâcher du regard, il fait tomber un autre roman. Le bouquin tombe et s’ouvre ; illustré, celui-là. Tiny ne regarde pas.
- Où est Big Earl ? Pas un père, pas un parent. Pas un mentor, non plus. Un parasite ? Peut-être. Un murmure constant dans son oreille. Tiny ne sait pas. Ne veut pas savoir. Peu importe.
Si on le cherche, si on le suit.
Big Earl qui est pour quelque chose, coupable ou victime.

Visiblement, chouiner pour ses livres ne changera rien, le croqueur de pomme semble déterminé à rentre tout plus compliqué. Lance fait des efforts significatif pour se mettre à sa place, essayer de le comprendre, se montrer tolérant. Malgré une forte envie de lui remettre les idées en place avant de continuer cette conversation qui n'a ni queue, ni tête. Fort heureusement, il a toute la journée devant lui, cela peut durer des heures encore s'ils le veulent mutuellement. Un peu de compagnie, ça l'occupe. Lance n'aime pas la solitude, c'est pour ça qu'il a choisi un travail d'équipe et qu'il fait en sorte de bien s'entendre avec ses autres collaborateurs. Ainsi, il peut trainer dans leurs pattes quand se fait sentir le besoin de sociabiliser. C'est la présence, avant tout, qui est recherché. Visible, ou invisible.
Il se fiche d'avoir un parasite en ses murs. C'est toujours mieux que les araignées et les cafards.

Lance hausse un sourcil. C'est une très bonne question. Où est Big Earl ? Ah, il voudrait bien le savoir, si cette personne peut l'aider à se débarrasser d'un intrus qui ne respecte pas sa bibliothèque personnelle. Lance rêverait d'avoir la réponse à cette question, c'est irritant de ne pas connaître tout sur tout le monde en particulier dans son quartier où il vit depuis déjà plusieurs années. « Si tu cherches quelqu'un, la méthode la plus rapide c'est d'aller au cimetière. Lance s'en serait probablement souvenu s'il avait fait quelque chose à ce Big Earl, les gens qui vont par des noms comme cela font connaître leur identité, en général. Lance ne sait quasiment rien de la vie des gens qu'il a torturé ou dépouillé dans le passé, seulement les faits qui leurs étaient reprochés. Du reste, ils peuvent bien enfiler des perles sur leur temps libre, il s'en fiche pas mal. C'est qui pour toi cette personne ? Maintenant s'il s'agit d'un parent, d'un frère, il peut comprendre l'envie de se venger.
Oh, ça oui. Lance aimerait tellement se venger du type qui l'a planté par exemple. Or, on a pas toujours ce que l'on désire, dans la vie.

Lance s'affale nonchalamment sur son lit et laisse son invité surprise finir de vider sa bibliothèque. Il faut voir le coté positif, une opportunité de faire du tri, de replacer les ouvrages dans un nouvel ordre, les classer par couleur peut-être. Idem de ses papiers, même si la tâche sera moins sympathique. Il ne reste que son frigo et les tiroirs au rez-de-chaussée à vider maintenant. Sa corbeille de linge sale, mais ça, il espère vraiment qu'on y touchera pas. « C'est grand comment, Big Earl ? Grand comme un être humain, comme un mutant pouvant se transformer en monstre, grand comme un chat ? Peut-être que Big Earl est un chat, un chien, une tortue. Qu'il se mange.

Tiny n’aime pas les secrets, les mystères. Il n’aime pas ce qu’il ne connait pas. Tiny, il cherche toujours à savoir, à comprendre. Il veut toutes les informations, méprise les grands mots et ce qui hors de sa portée. Il a cette tendance à hyperfocus sur certains sujets parfois, à tout découvrir à leur sujet avant de s’en lasser.
À l’instant, il veut tout savoir sur cet homme. Il veut tout découvrir.
Tiny, il est persuadé qu’il le suit, qu’il le traque.
Il est persuadé que l’homme sait quelque chose. Quelque chose qu’il ne sait pas.
Et l’information doit être quelque part.
Dans la maison ou dans sa tête, il ne sait pas.
Tiny cherche dans la maison.
Sa tête, il s’en occupera plus tard.
- Ça sert à rien. Un cimetière. Tiny ne comprend pas pourquoi on met les corps sous terre et qu’on met un bout de roche par dessus. Les gens ne sont plus dans les corps, rendus là. Ça ne sert à rien. Personne Big Earl est tout et rien à la fois. Son père et son ennemi, son frère et sa hantise. Tiny ne sait pas s’il l’aime, ne sait pas s’il le déteste. La réponse ne dépend pas de lui. Il ne la connaît pas, de toute manière.
C’est Big Earl, c’est tout.
Les livres tombent au sol jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Tiny bouscule la bibliothèque autant qu’il peut, par la suite, pour voir derrière. Rien.
- Pas grand. Large. Big Earl est plus petit que lui. Tout le monde l’est. Tiny est une créature longue et fine. Il peut se frayer dans des recoins que Big Earl ne pourrait même pas se glisser. Big Earl est rond comme la lune. C’est Gigi qui lui a dit. Il dit que c’est son cousin, Curtis, qui lui a donné la comparaison. Large. Petit. Cheveux sales. Tiny cherche comment le décrire. Barbe grosse et grise. Tout le monde connait Big Earl. Comment il ne connait pas Big Earl ?
Tiny fronce des sourcils, l’observe sur le lit.
Comme une bête sauvage, il s’approche et y monte aussi, à chaque patte. À l’envers, il met sa tête au-dessus de la sienne, les cheveux retombant sur ses traits.
- Tu mens., qu’il dicte, choisit. Tu caches quoi ? Tiny veut savoir. Il a besoin de savoir. Il n’aime pas les secrets, les mystères. Créature étrange, décousue du temps et du danger, il porte une main à la gorge de l’homme et le tient. Dis moi.

Le long soupir qui lui échappe, Lance n'en prend conscience que lorsqu'il se redresse sur ses coudes. La situation est étrange, étrangement familière autant qu'elle est décalée. A quelques détails près, on dirait que son invité mystère et lui reprennent une vieille conversation interrompue. « Tu vas ranger ou je vais me faire foutre ? Comme une petite idée de la réponse qui l'attend, si réponse il y a. Lance retrouve le confort de son vieux matelas. Ca l'occupera, de mettre un peu d'ordres dans ses livres.

Big Earl.

La description lui évoque vaguement un homme qu'il décrirait de manière péjorative. Lance ne la connaît pas intimement, mais il a déjà entendu sa rumeur pour s'être intéressé de trop prêt à tout ce qui se passe dans l'Underapple. En gardien tantôt bienveillant, tantôt punisseur. Son seul point commun avec Big Earl c'est qu'il est probable qu'ils aient déjà fouillé la même poubelle. Pourquoi croit-il que Lance sait où il se trouve ? Il ne se souvient pas avoir signé un contrat concernant un homme de cet stature, il s'en serait souvenu. Ce n'est pas exclu qu'il l'ait tabassé s'il l'a trouvé en train de faire des poches ou embêter des innocents.
Big Earl à l'air d'avoir la tête du parfait coupable pour les maux du monde. Un type qui n'a rien pour lui, sans doute pas la beauté de son âme. Mouais. Je sais pas. » Et puis, il n'a pas envie d'y mettre du sien.

Les ressorts grincent quelques instants plus tard quand son intrus monte à son tour et le surplombe. Il sourit par réflexe, intimidé.  L'autre fait bien une tête de plus que lui. Lance n'est pas habitué à rencontrer plus grand, mais son intrus est bien un géant. Il reste calme, ne cherchant ni à le repousser, ni inverser le rapport de domination. Que cache t-il ? Oh, il en cache des choses. Des secrets qu'il ne dévoilera jamais même sous la torture. Il voudrait bien avoir le courage, prétendre que ça ne lui fait pas peur, c'est faux. Certains de ses secrets lui conteront probablement sa vie. Enfin, est-ce que ça a encore du sens ? Le prix fort, Lance l'a déjà payé. « Je cache quelque chose oui.  Il hausse les épaules. Je suis mort. La semaine dernière. Et je suis revenu te hanter. » Il lui arrive d'avoir peur de n'être qu'un fantôme, perceptible de ses proches et de ceux qui ont perdu leur esprit.

Tiny cherche et quand il le fait, il trouve. Il cherche dans les recoins, dans les tanières sombres et dans les crasses poisseuses. Il cherche et cherche et ne s’arrête pas. Il y a toujours quelque chose à trouver ; jamais ce qu’il désire. Tiny sait des choses qu’il ne voudrait pas savoir, des informations qui appartiennent aux autres et qui n’ont pas besoin d’être dans sa vie. Tiny a des informations folles dans son esprit, des secrets qui ne devraient pas être entre ses mains. Il ne les partage pas, les garde quelque part dans sa cervelle, les tait et ne s’y attend pas.
Tiny cherche et trouve tout sauf ce qu’il cherche.
La gorge entre les doigts, les questions dans ses prunelles sombres et entre ses lèvres, il attend. Il demande une réponse sans demander laquelle.
Il demande une réponse et on lui en offre une.
Pas celle qu’il cherche.
La tête tilte sur le côté, les mèches de cheveux créent un rideau autour de son visage. Il dévisage l’homme.
- Mort ? Tiny l’observe et s’approche, le sent d’une longue inspiration et éloigne son visage, ensuite. Tu sens pas le mort. Tiny connaît la crasse, la pourriture et la mort. Il reconnaît l’odeur à des mètres de distance. Il n’a pas besoin de savoir pour savoir. Me hanter comment ? Sans gêne, Tiny s’assoit sur l’homme et le regarde de toute sa hauteur. Il le dévisage avec un regard étrange. La mort ne lui fait pas peur. Les fantômes non plus. C’est les vivants qui le dérangent ; qui lui font peur.

Il y a toujours cette main à sa gorge et son cerveau fait des loopings. Lance ne devrait pas trouver la situation fascinante, mais il fixe son intrus avec des yeux qui pétillent de malice. C'est le truc le plus excitant qui lui soit arrivé dans sa vie depuis son meurtre et sa rencontre avec Leta. Cette vie affreusement banale et sa violence banalisée au moindre détour. Son coeur bat furieusement dans sa poitrine. Il se sent vivant maintenant qu'il est en danger.
Le poids sur sa poitrine qui l'écrase et le rassure. C'est un langage qu'il comprend. La violence de son intrus est comme un nuage orageux, il ne veut juste pas se prendre l'éclair quand l'autre en aura marre qu'il ne fournisse pas de réponses satisfaisantes.
Et s'il a la bonne réponse, si elle existe, est-ce qu'il ne le reverra plus ?

Et la peur, l'angoisse est suffisante pour déclencher sa déchirure. Celle de souffrir, du danger, d'être seul à nouveau. Le monstre est de retour, celui qu'il a déjà vu plusieurs fois dans les angles mort de sa vision, sans preuve de son existence. Une présence malfaisante aussi grande que le géant qui l'écrase.
Ce n'est pas comme ça exactement qu'il espère le hanter, mais Lance n'est plus capable d'aucune parole. Il a peur de sa propre création. Les pouvoirs sont naissants et il n'en mesure pas encore toute la diversité. Il ne savait pas que c'était vrai. Il avait oublié cette réalité à laquelle il pensait échapper. Il ne sent pas la mort, il à l'air parfaitement vivant. Pourtant. Il l'a été, mort.
« Je sais pas. Qu'il dit, ou la chose, eux deux peut-être. Difficile à dire.  Laisse moi. » Il soupire, le thorax comprimé il ne peut hurler et l'indication est autant adressée à sa création qu'au fouineur. Seule l'entité de poussière et de ténèbre se dissipe, le laissant pâle et vidé d'énergie.

Tiny entend, sent, voit. Il n’a pas besoin de tourner la tête, le regard pour voir. Il peut sentir quelque chose de différent, dans l’air. Quelque chose qui n’est pas humain. L’esprit toujours sur le qui vive, il sent ; sait. Il y a quelque chose d’autre dans la pièce. Une autre forme ; rien d’humain. Il n’y a pas l’odeur d’un humain, le bruit. Les humains sont particuliers ; ils ont une manière de se comporter, de bouger, respirer, agir. Ce n’est pas un humain.
C’est brisé, défait, recousu. C’est étrange ; une créature comme lui sans l’être.
Contre la gorge de l’homme, les doigts serrent. Les épaules de Tiny se tendent ; ses muscles sont à vif, cherchent à se défendre de quelque chose, de n’importe quoi.
Tiny reste sans mouvements, le regard sombre posé sur celui de l’homme, le corps assis sur le sien.
Deux voix résonnent et lui répondent. Tiny fronce des sourcils ; le cœur bat plus fort.
Mutant. Mutant.
Ce n’est pas un humain.
Tiny déteste les mutants.
La gorge est raclée et Tiny lui crache au visage, la main quittant son cou avant qu’il ne bouge de son emplacement, un pied levé dans les airs et allant percuter la masse sombre, loin d’être humaine.
Le pied passe au travers ; Tiny s’accroche aux draps mais le coup est trop fort ; l’élan trop puissant. Il glisse au bas du lit et tombe sur son bras, le souffle coupé.
Il ne ferme pas les yeux ; observe, dévisage cette étrange chose.
Une seconde ; rien presque. Tiny ignore la douleur et se redresse sur ses mains, ignore la douleur à son poignet et fonce, se propulse sur la créature. Encore une fois, il la traverse. Un nuage sombre ; une masse sans forme.
Le corps de Tiny percute la bibliothèque presque vide, cette fois.
La tête se cogne. Les yeux restent fermés un peu plus longtemps.
Mais Tiny n’arrête pas ; le chat sauvage ne cesse pas son combat. Le corps douleur, il bouge encore ; fonce sur la créature et vise le cou, cherche à l’étrangler ; traverse encore.
Le bureau, cette fois-ci. Tiny s' affaisse comme une crêpe, se prend le dossier de la chaise dans le ventre.
Il ne s’arrête toujours pas. Le corps se tourne, la cheville hurle de souffrance mais qu’importe ; pour la quatrième fois, Tiny attaque l’étrangeté.

Pendant une brève seconde, Lance est persuadé que l'intrus va le tuer. Le concept est toujours aussi perturbant, bien qu'ayant plusieurs échappé à la mort maintenant. Il refuse. S'il reste calme, c'est par peur de l'exciter, mais les choses en sont autrement et il grimace lorsqu'il se fait cracher au visage. Cette fois au moins il est libre de ses mouvements. Lance porte une main à sa gorge, inquiet que l'inconnu ait laissé ses marques, le souffle encore court. Il reprend ses esprits avec difficulté, juste à temps pour prendre conscience de la scène qui se déroule dans son appartement. Le danger a appelé la chose qui lui vient en aide quand les ennuis ne sont pas loin. Le monstre ne vient pas systématiquement. Il faut que Lance ait peur que ça fonctionne et ce n'est pas un sentiment qu'il peut invoquer. La peur ne se contrôle pas, il peut la dompter, il ne peut pas la créer. Même en imaginant des choses horribles, son esprit ne sait plus se faire peur. Il en a trop vu.
Lance se relève et titube. « Arrête ! Il demande une fois de plus. La commande s'adresse encore à l'homme puis au monstre. Il lui faudrait être plus précis, seulement les intentions elles aussi sont confuses. L'autre va se faire mal et ce n'est pas ce qu'il veut. « Tu ne peux rien faire contre ! » Lui même ne contrôle rien.

Il se retrouve face à face avec la manifestation de sa nature profonde, puis le monstre de poussière s'en va, disparaît définitivement, ne laissant que le chaos dans sa chambre. Lance s'écroule à genoux, vidé de son énergie. Les yeux sombres. Il a besoin de repos, un besoin impérieux de se ressourcer, mais pas sur terre. Ailleurs.
Là où il peut trouver la paix dans sa forme la plus pure. Une paix que rien ne dérange.
« Allez, ça suffit maintenant. Il jette un regard noir et colérique le plus grand. Stop. Je suis fatigué. » Lance n'a plus envie de jouer et ne rit plus.

Le corps hurle ; réclame un repos, une pause. La douleur traverse sa longue carcasse et pourtant, Tiny ne s’arrête pas. Les limites ne sont pas des limites, pour Tiny. Il ne suit pas les règles, pas même celles de son propre corps. Il n’obéit à rien, pas même aux lois de son propre coeur. Tiny est une créature impulsive, primitive. Il agit par instinct ; la réflexion est une chose qui l’engloutit et l’emporte toujours trop loin.
Il y a un ennemi. Une créature plus grande et plus étrange que lui; Tiny ne prend pas peur. Il ne s’attarde pas sur la douleur. Le corps se projette et fonce, cherche et crée la guerre, la bataille. Il veut le dessus sur quelque chose qu’il ne connait pas encore ; veut détruire cette autre étrangeté.
L’homme hurle, derrière lui. Tiny n’entend pas. Il n’entend même pas les propres cris de son corps.
Tiny enfonce ; cherche à briser ce qui est face à lui mais brise son propre corps, plutôt.
Entité contre entité. Qui va gagner ?
Au bout du compte, l’autre disparaît brusquement. La forme se déconstruit et tombe dans l’oubli sans rien laisser d’elle.
Tiny se redresse pleinement, ignore la douleur contre sa cheville et montre les dents, gronde comme une bête face au vide. Victoire ou défaite, il ne sait pas.
Le cou s’étire, se tord ; Tiny cherche à le faire craquer et laisse les mèches décoller de son visage, tomber contre sa nuque et dégager ses traits. Il tourne un regard ennuyé vers l’homme lorsqu’il parle encore, exige toujours. Tiny ne dit rien ; le dévisage d’un regard morne sans la moindre expression.
Puis, il lui montre les dents aussi, tel un chat sauvage, avant de quitter la pièce.
Quitte-t-il la demeure ou fouine-t-il une autre pièce ? Qui sait. Il a quitté le bureau dans tous les cas.