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« C’est déverrouillé ! », lances-tu sans même te demander qui peut bien sonner à ta porte à cette heure ― une confiante imprudence qui te vaudrait certainement les réprimandes de Chung-Hee (et possiblement aussi celles de Curtis, désormais). Ce serait bien le pompon, qu’on te cambriole et qu’on tente de t’attaquer alors que tu es à une semaine ― moins ?? ― de quitter Crimson Bay. Une ironie qui, heureusement, ne se présente pas. Assis en tailleur sur le parquet de ton salon, tu es entouré de suffisamment de livres pour ouvrir ta propre librairie. « Es-tu en compagnie de Lutin ? », demandes-tu toujours à l’aveugle (sans mauvais jeu de mot), concentré sur deux éditions différentes d’un de tes livres favoris (titre chaudement disputé avec tous les autres bouquins de tes bibliothèques), à te demander si tu es capable de te départir de l’une d’entre elles. Tu décides, bien sûr, que non, et les deux éditions sont déposées dans la pile qui feront le mouvement jusque dans le Nexus.

Tu tournes enfin la tête vers Jaesang, un sourire calme sur tes lèvres. « Ne regarde pas… rien. Ne regarde rien. » Tu as le ton résigné de la défaite, après un regard vague sur ton studio-une pièce-chambre à coucher-salon-cuisine-tout en un dont le désordre est total. Les boîtes s’empilent dans la cuisine et autour de lit, jusque dans la minuscule salle de bain. La porte arrière, celle de secours, est dûment encombrée. Ça aussi, réprimandes de Chung-Hee, blablabla.

Le déménagement te laisse indifférent, comme trop de choses désormais. Lorsque tu réussis à capter les filaments d’émotions qui sont tiennes, tu y perçois de la hâte plus que de la nervosité, une anticipation qui vibre au rythme de tes souvenirs du bonheur de Curtis, de la joie de Chung-Hee. Quelque chose de sucré et doux, de fugace, néanmoins incarné dans ta décision. Dans la certitude que dans cette maison, tu seras bien. Avec ces deux hommes, tu seras heureux.

La seule chose qui coince est, on s’y attendait, l’empaquetage de tous tes livres. « Ta journée s’est bien passée ? »

Ta question à propos du canidé de compagnie du fils de ton partenaire est répondue par le claquement des griffes sur le parquet, puis la sensation de sa truffe fourrée contre sa paume, à la recherche d’une caresse. Celle-ci est accordée avec gentillesse, un petit sourire, une gratouille bienveillante. « Bien le bonjour, Lutin », salues-tu le chien avec la même politesse que si tu accueillais un ambassadeur étranger, avec toujours ce côté un brin emprunté qui ne s’est certainement pas amélioré avec le sevrage du Vitae. Ça semble contenter l’animal, un des rares qui a un peu d’affection pour toi et ton aura imperceptible, qui laisse ensuite sans broncher son maître le débarrasser de sa laisse.

Le cliquetis des griffes de Lutin sur le plancher annonce son exploration du bordel ambiant, chaque coin abondamment reniflé. « Plutôt bien. C’est la saison tranquille, à la librairie. » La rentrée hivernale des classes est moins achalandée que celle automnale, et la rentrée littéraire du printemps n’a pas encore rempli vos étagères et cubes de présentation. Vous avez choisi le meilleur moment pour déménager et Diana n’a eu aucun problème à t’accorder un peu de temps pour ce grand changement.
Avec, bien sûr, la promesse formelle qu’elle et Zelim seraient invités à la maison !

Tu as un reniflement plus amusé que défaitiste, bien que la résignation n’ait pas quitté ta mimique. Tu t’appuies un bras sur ton genou replié, puis ton menton contre ta main. Tu caches un sourire derrière tes doigts repliés. « Chung-Hee n’a même pas osé me parler de limite. Tu regardes les piles de livres autour de toi, les boîtes encore ouvertes, et le coin très très très pauvre où sont déposés pas plus de dix livres. Ceux destinés à quitter ta collection, et prière de ne pas trop y penser, où tu vas retourner les chercher. Et aucune promesse n’a été faite. » Tu voudrais dire qu’il espère de toi d’être un peu raisonnable, mais encore là : delulu is the solulu. Tu aurais rompu cette promesse après cinq pauvres minutes à trier tes livres.

« Si tu veux faire quelque chose, les boîtes près de mon lit sont prêtes à être fermées. Il faut y ajouter… n’importe quoi. Vêtements, linges à vaisselle, serviettes, papiers, ce que tu trouveras. » Le reste de ton appartement tient probablement en cinq boîtes, dont trois de matériel de cuisine et une demie de vieux t-shirts qui mériteraient d’être mis à la retraite. « Sinon, tu peux commander à manger et me distraire avec tes histoires. »