despite the abundance of it (roast#5)

Des bruits de craquement. La neige se fissure sous les semelles apparues comme par magie dans la nuit naissante. Une fin d’après-midi ombreuse qui renvoie le soleil dans un horizon lointain et réclame à la loupiotte de la seule lampe présente un peu de sa lumière. Le perron craque lui aussi sous le pas de la seconde silhouette, que la première abandonne ; dans une esquisse entendue d’hochement de tête, les deux hommes se quittent en silence. Bobby se téléporte à nouveau, dans sa piaule où il a promis de se reposer un peu. Quant à Osmond, le sac de kraft huileux qu’il tient à bout de main attise son appétit, quand bien même la pitance lui soit peu ragoûtante (puisqu’elle ne vient pas au moins du Red Chips). Son autre main, portant quelque chose de lourd, se renverse et ouvre la porte du ranch dans une procession de grincements vieillots qui lui rappellent toujours autant ses articulations.

A l’intérieur, c’est la pénombre. Aucune lumière allumée, si ce n’est un ersatz de feu de cheminée qui crépite faiblement au milieu de ses cendres. Osmond dépose le repas promis à Amy sur la table, puis la corne en acier, se dirige vers l’âtre et y remet une bûche. Tandis qu’il la positionne et la secoue au milieu des autres pour faire repartir la combustion, le tison donnant des coups secs et habitués, il observe alentour, cherchant la présence du texan. Il doit être en train de dormir. Jamais le ranch n’a paru aussi calme, presque amorphe, tant Amy l’habite normalement avec force bruits, mouvements et lueurs. Mais alors qu’il ausculte la pièce, Osmond constate que pas une lampe n’est allumée. Pas un petit écran ne luit au milieu des ombres, agité de notifications et il ne sait quelles autres diableries.

Le feu repart, lui réchauffe un peu les jambes, et puis les mains quand il les place devant. La cheminée rallumée illumine quelques coins, dont celui de l’entrée où les chaussures qu’Amy portait lors de l’attaque gisent, pêle-mêle. Evidemment. Osmond a un petit reniflement critique, pour toutes les fois où il a demandé, en vain, qu’Amy range un minimum ses affaires. Leur vision provoque pourtant un sentiment de réconfort chez l’Originel, qui quitte l’âtre pour se diriger vers un service au vieux chrome où reposent ses vieilles bouteilles. Il se sert un whisky plus vieux que la bâtisse, s’habille du premier manteau qu’il trouve, et sort le boire dehors.

Le froid hiémal lui mord immédiatement la gueule et les extrémités, dont il protège une partie en plongeant sa main dans une poche du manteau. Une vieillerie doublée à l’intérieur, velours côtelé à l’extérieur ; rien qui puisse aller avec sa chemise de l’avant-veille dont il ne s’est toujours pas défait. Il sirote quelques gorgées, une épaule appuyée contre le pilier du perron, le regard vague et éreinté couvrant ses terres. Les chevaux ont été rentrés, remarque-t-il, sans savoir si Amy s’en est chargé ou si c’est l’un des journaliers qui s’en est occupé. Ils hennissent au loin tandis qu’Osmond tâte ce qui se trouve dans la poche. Quand il sort l’objet de sa curiosité, c’est pour tomber sur un paquet de cigarettes maltraité et un vulgaire briquet sur lequel une pin-up s’efface avec le temps. Passée la surprise, Osmond secoue la tête, répétant le nom d’Amy comme s’il l’avait sous les yeux et dans sa main. Le texan prétend avoir arrêté depuis des mois. Une lame de sourire tranche le marmoréen du faciès britannique, l’amusement mesquin titillant la raideur de ses traits. “Liar.” Le verre est momentanément reposé sur la rambarde, dans un savant équilibre qui lui permet de s’en allumer une. L’odeur d’Amy lui taquine les narines bien avant que la fumée ne le fasse. En vérité, elle l’enveloppe agréablement depuis qu’il a mis le manteau.

Quand Osmond rentre, plusieurs minutes se sont écoulées. Boire un whisky se fait avec lenteur, le déguster se fait avec paresse. Et de paresse, soudain, l’Originel en est noyé, comme si la fatigue s’exprimait enfin après avoir seulement osé s’annoncer dans quelques douleurs musculaires et humeurs sévères. Il se déleste du manteau, le paquet de cigarettes et le briquet soigneusement replacés là où il les a trouvés, dépose le verre vide sur la table, récupère le sac en kraft huileux, et se dirige vers la cuisine. Dans son dos, la corne ramenée trône insupportablement au milieu du salon ; il ne savait qu’en faire, mais quand Soft a émis l’envie de la récupérer, puisqu’iel l’a après tout ramenée du combat, le leader s’est senti pousser l’irrésistible envie de lui refuser sa demande. La seule idée qu’un morceau de cet acier si particulier soit récupéré en guise de trophée le répugne, l’a même rendu terriblement désagréable avec Soft.

Micro-onde ou four. Son cœur balance. Il tolère à peine toute consommation étant réchauffée par le premier, mais le second demande des efforts qu’il n’a pas envie de produire. Soupir. Sa main plonge dans le sac, empoigne quelques frites tièdes qu’il dévore dans la pénombre, et ainsi de suite pour quatre bouchées. Rien qui puisse trop affecter les stocks puisqu’il a acheté l’équivalent de cinq portions. Amy est un goinfre. Et il doit regagner des forces. Osmond répète le même mouvement de tête que dans le salon, cherchant à deviner s’il s’est réveillé ou non. Toujours rien. Pas un bruit, pas une lumière. Simplement le feu, qui fait tout cela en rayonnant dans l’obscurité du ranch. Osmond s’essuie les mains sur un torchon, se débarrassant du gras et des quelques billes de sel, sort de la cuisine, longe le couloir, arrive devant l’une des premières chambres.

La masse endormie sous la couette et l’édredon ne trompe pas. C’est bien celle d’un homme qui a échappé à la mort. Osmond contourne le lit, ses semelles gouttant quelques morceaux de neige qui fondent sur le parquet. Il s’assoit sur le rebord, son poids provoquant une pente qui attire naturellement Amy à lui. Sa main s’égare déjà, caressant les boucles presque aussi grasses que le sac en papier kraft. Des cornes ont repoussé. Des cornes qui pourraient l’éventrer s’il surprenait Amy dans son sommeil. Osmond caresse la possibilité comme il caresse le crâne échevelé, épuisé au point de n’avoir pour la mort qu’une pensée distante, presque trop altière. C’est qu’elle a failli lui arracher Amy, aujourd’hui. Comment ne pas lui adresser autre chose que du dédain. “Fancy some lukewarm, low-quality burgers?” Une question à voix basse, qui n’atteindra peut-être pas le guerrier dans son repos.

tw: language

Amy a le sommeil lourd. Malgré la situation périlleuse de laquelle il avait été sorti de justesse, il dort à poings fermés. Les poings littéralement fermés. Il y a toujours une crispation dans son corps quand il dort, une lourdeur, qui fait se demander pourquoi il ne passait pas au travers des lattes du lit. Amy a l’air très lourd, quand il dort, dans l’absence de mouvement, l’absence de souffle, presque. Parce que, depuis toujours, quand Amy dort, l’acier mutant, lui, veille.
Avec les années, Amy était parvenu à contrôler sa mutation, afin qu’elle ne le recouvre pas jusqu’à étouffement. En revanche, il n’était pas parvenu à s’en libérer complètement, si bien qu’il avait conservé un peu de cette paralysie qui l’avait tant effrayée, enfant.
Bref, Amy ne bouge pas, ni ne fait aucun bruit quand il dort, et pourtant, il ne dégage pas de sa masse endormie une impression de paisibilité. Au contraire, son immobilité est menaçante, presque dérangeante, puisque lorsqu’il est réveillé, il brasse plus d’air et d’espace que nécessaire.

Et de fait, sous sa carapace inconsciente, les rêves d’Amy sont agités. Ils mélangent l’altercation avec Wolfman, mais aussi l’incident avec son père. Ils mélangent les préparatifs de l’enterrement, qui s’avère être en fait son enterrement. Amy panique, aimerait même se réveiller; mais de l’extérieur, rien ne témoigne d’un tel désarroi, si ça n’était pour la paire de cornes qui s’étaient extirpées de son front suant, l’une plus petite que l’autre, là où sa prédécesseur avait été arrachée.
"Fancy some lukewarm, low-quality burgers?" Amy ignore si ce sont les mots et la présence d’Osmond qui l’ont sauvé à son sommeil, ou s’il était parvenu à s’en échapper lui-même.
Il avait pris une douche et enfilé un bas de pyjama (dont la ringardise témoignait de l’âge avancé de son propriétaire), et pourtant, il peine à ouvrir complètement les yeux, en sentant la sueur perler de ses paupières. Il se sent moite, presque nauséeux, et sa respiration semble reprendre avec force et précipitation.

Il sourit, pourtant. "That ain’t no way to talk about your meat, old man, rétorque-t-il avec une malice un peu indolente. Il a extirpé une main de sous l’édredon et la pose sur le genou d’Osmond qu’il masse avec tendresse. "Nah, just kiddin’. Where you been? Dakota’s still at the Chips?" Il y avait fort à parier que le repas serait de piètre qualité si son employé douteux s’était chargé de la confection. A ce stade, Osmond était certainement plus apte à reproduire les fish and chips d’Amy. Peu enjaillé à l’idée de grailler la catastrophe supposément préparée par Dakota, Amy ne se redresse qu’à peine de sous les couvertures, ne se tournant pas trop sur le côté pour ne pas trop appuyé sur ses pansements, sous lesquelles la sueur stagnante dégageait une odeur un peu âcre.
Dans son mouvement, il constate non sans contrariété que les cornes pèsent sur son crâne, et l’empêche de s’approcher totalement d’Osmond. "Fucking hell, they’re back already? Il en manipule une sans douceur, en tâtant avec plus de précaution cela dit, la racine scarifiée. They are getting out of control, se plaint-il, sans pleinement prendre conscience que ses cornes agissaient comme système de défense, et ce, jusque dans son sommeil.
"You should lie down for a moment, these burgers ain’t going nowhere. And your shirt is like still crusty with my blood, I can see it."

cw: mention de blessures

“That ain’t no way to talk about your meat, old man.” Les sourires se répondent. “Go to hell.” Un reniflement amusé échappe à l’Originel, souffle que les narines dégueulent dans le calme plat de la chambre. Amy, brûlant et suintant sous ses doigts, s’éveille difficilement. Osmond retient admirablement bien le froncement inquiet qui pousse derrière ses sourcils. Une chaleur revient sur son genou, comme si elle ne l’avait pas quitté depuis qu’Amy l’a agrippé au QG. “Nah, just kiddin’. Where you been? Dakota’s still at the Chips? - Yes,” ment-il, “He did all the cooking.” Complètement faux. Dakota n’a pas ouvert le Red Chips, puisque Dakota est occupé à faire le guet pour une histoire de cargaison sur le territoire des Red Socks. Red Chips, Red Socks, à croire que leur univers est couvert de rouge, là saveur ketchup, là odeur de sang. Les burgers viennent d’ailleurs, sans doute un obscur concurrent d’Amy Armstrong dans l’arène des boui-boui mal fréquentés.

Osmond baisse le bras et la main avec, découvrant un peu les flancs blessés d’Amy. Les pansements sont dans un état pitoyable, contrairement à son corps qu’il a pris le temps de nettoyer. Les fines lippes du britannique se tordent légèrement, pincées sur une moue contrariée. “Your bandages need to be changed.” Un reproche que le corps massif avale dans des mouvements gourds et maladroits, projetant des lueurs depuis les cornes d’acier. “Fucking hell, they’re back already?” Osmond déplace son bras tandis que l’une des cimes aiguisés frôle dangereusement la fabrique de sa chemise. “Looks like it…,” murmure-t-il, examinant soudain très intensivement les excroissances, perdu dans ses pensées. Le manque de contrôle sur cette nouvelle capacité de sa mutation pourrait être un problème, jugement que l’Originel émet alors qu’il écarte cette fois son buste pour éviter un nouveau coup. La fascination ne décroît pourtant pas. Elle s’allonge dans son regard, lui aussi inégal, et s’étire jusqu’à sa main qui se relève et vient s’enrouler autour d’une corne.

“They are getting out of control. - Stop moving like a raging bull, for a start.” La voix n’est pas sévère. Osmond pince pourtant l’acier sous la pulpe de ses doigts, obligeant Amy à l’immobilité dans laquelle il l’a trouvé. “I only have one eyeball left.” Quand ces cornes ont-elles poussées ? De quelle façon ? Le seul œil restant de l’Originel ausculte le phénomène avec une curiosité qu’il ne cache pas, dévorant les moindres détails qui se présentent dans l’obscurité et à sa vue tranchée. La cicatrise s’est bien remise. Ne reste plus qu’un liseré sur lequel a poussé le nouvel acier. “You should lie down for a moment, these burgers ain’t going nowhere. And your shirt is like still crusty with my blood, I can see it. - It’s black. You can’t see a damn thing.” Pourtant Osmond bascule le menton vers son vêtement, tirant d’une main ferme sur le tissu. Une chance que le sang d’Amy n’ait pas lui aussi des reflets d’acier. Pouce et index tirent un peu plus, maltraitant la texture en effet cartonneuse où l’hémoglobine a séché. “Mmh. Smart-ass.”

Osmond ramène son regard dans celui fiévreux d’Amy, de cet air ennuyé avec lequel il semble être né. Puis il retire ses chaussures l’une après l’autre, de deux coups de pied, et se relève pour contourner le lit. “The horses have been returned to the stable. Your doing?” Il a déboutonné sa chemise, la repose sur une chaise, s’occupe de sa ceinture dont la boucle cliquète et répète le même geste. Quand il rejoint Amy dans le plumard un soupir fend ses narines en sentant le moelleux des draps et du matelas. “I might sleep for three days,” avoue-t-il, bougeant au terme de plusieurs secondes seulement de léthargie, un parfum d’alcool et de tabac accompagnant ses gestes. Sa tête envahit l’oreiller d’Amy, ses jambes les siennes, un bras pesant sur sa poitrine où il évite les bandages tout en grattant avec quelques doigts la texture fibreuse. Son nez, dans les boucles du texan, surplombe un petit air contrarié. “You showered with your bandages on?” Ils sont encore humides sous ses caresses. Un grondement traverse le faciès enfoui, yeux fermés, voix déjà lourde et apathique. “You’re an animal.”

"It’s black. You can’t see a damn thing. Amy reste interdit pendant un instant, la couverture remontée jusque sous son nez, qu’il finit par dégager, pour coasser une réponse: "It smells. - Mmh. Smart-ass." Amy apprécie cette petite victoire en silence, observant Osmond se dessaper. "The horses have been returned to the stable. Your doing?" Sans quitter des yeux le bide et les bras qui se découvrent, Amy répond machinalement: "Nah; someone did it before Bobby and I even came here." Ce qui n’avait pas été sans ennuyer le mutant, par ailleurs, puisqu’il n’aimait pas particulièrement savoir le sort des chevaux d’Osmond entre les mains -pas aussi expertes que les siennes- de quelqu’un d’autre. Il n’arrêtait pas de balancer çà et là des remarques désobligeantes à qui voulaient bien l’entendre (ou surtout l’écouter), qu’Osmond -et son ranch- n’avait besoin de personne d’autre que lui.
Dans son appareil presque le plus simple, Osmond se coule lourdement dans le lit à côté de lui, tel un gigantesque serpent.

"I might sleep for three days. Amy a un peu écarté les bras pour l’accueillir sur son sein. Il referme bras et cuisses aussitôt qu’Osmond cesse de bouger. - Please do. Son nez renifle son cuir chevelu, chargé en odeurs différentes et familières. Even though you wouldn’t last twenty minutes before going back to whatever business you’re in these days…" ironise-t-il, ses doigts pressant un peu plus jalousement sa chair. Il songe parfois à se transformer en acier, juste pour le garder prisonnier de son étau. Cette pensée s’égrène, à mesure que ses doigts glissent sur ses phalanges tirées, rendant sa prise plus molle. "You showered with your bandages on?" Amy a la tête dans l’oreiller, le regard au plafond, ne comprenant vraiment pas en quoi il avait fait une bêtise. "Yeah, so that they stay clean." Après un court silence qu’il considère comme la façon d’Osmond d’être désabusé, ce dernier marmonne un: "You’re an animal. Amy lève une main consternée qui retombe presque aussitôt sur le bras d’Osmond. "So what?? It’s steel, it doesn’t rot, qu’il gémit, en se mettant à triturer à son tour les pansements malmenés.

La discussion retombe doucement, le silence s’immisçant avec paresse entre eux. Puis, Amy s’exprime de nouveau, d’une voix étouffée par les oreillers autour d’eux. "You know what? I noticed that my horn didn’t turn back into like… me, when it broke. Like… it didn’t turn back into flesh or whatever it’s supposed to be… So, I’m wondering if the day I die, I could stay like full steel on for ever, you know… Like a fuckin’ statue… Il laisse cette pensée en suspens, visible de derrière ses yeux bleus mi-clos. It could be kinda cool, don’t you think? Malgré la dureté du sujet, Amy n’a pas de chagrin dans sa voix. Il jouit trop d’être encore en vie. You could, like, keep me in your living room, or turn me into a fuckin’ lamp." La fin de sa remarque est secouée d’un rire bête qui soulève par petits à-coups ses épaules sur l’une desquelles Osmond essaye de se reposer.

cw: mentions explicites

“Even though you wouldn’t last twenty minutes before going back to whatever business you’re in these days…” Dans son ironie, Amy a raison. Osmond n’a pas relevé, laissant cette évidence planer entre eux sans vouloir ne serait-ce que l’alléger. Il est tout à fait possible qu’on l’appelle encore, des Orphans ou des sbires de second ordre, et qu’il doive retourner sous terre pour gérer des urgences ou d’incapables crétins — comme celui contre lequel il somnole, les bras enlacés sur sa carcasse d’idiot. Les doigts rugueux du texan exercent des pressions possessives qui tirent chez Osmond un énième petit rictus ; non pas qu’il les déteste, mais que leur état passager le frustre. “So what?? It’s steel, it doesn’t rot. - Right,” souffle-t-il, l’oeil roulant dans son orbite tandis que celui de verre est retenu par ses adhérences bizarres. Amy est un animal, c’est sans appel. Et ce ne sont pas ses cornes qui pourraient l’aider à s’en disculper. Mais le ton critique d’Osmond est assez peu sérieux, snob pour le sport ; les manies et allures de butor qu’Amy se traîne ont ce charme païen qui a toujours plu à Osmond. Après tout, du solide, il en faut. La finesse crève hélas trop vite à ses côtés.

“You know what?” Les paupières fermées ne se rouvrent pas. Osmond profite de la chaleur d’Amy et de son parfum de savon douche de qualité médiocre pour continuer de somnoler dans des vapeurs de rêve. Un vague “mmh?” l’encourage à poursuivre cependant, sans avoir l’intention de vraiment l’écouter. Il préfère le repos, et les quelques rêves lucides qui agitent son crâne dans lesquels Amy gémit pour de bon entre ses mains. “I noticed that my horn didn’t turn back into like… me, when it broke. Like… it didn’t turn back into flesh or whatever it’s supposed to be…” Osmond est tiré de ses langueurs oniriques, les paupières se rouvrant mollement. “So, I’m wondering if the day I die, I could stay like full steel on for ever, you know… Like a fuckin’ statue…” Les sourcils se haussent, intrigués. Agacés aussi. Se faire tirer de ses rêves pour entendre Amy lui parler de sa mort lui laisse un arrière-goût amer dans la gorge. Douze heures à peine sont passées depuis qu’il l’a ramassé agonisant et il plaisante déjà à ce propos. La main posée sur son épaule se déplace jusqu’à son cou, prête à couvrir cette satanée grande gueule qui ferait parfois mieux de se la boucler. “It could be kinda cool, don’t you think? - What part?” rétorque-t-il, sardonique et las dans les boucles d’Amy. “You could, like, keep me in your living room, or turn me into a fuckin’ lamp.” Un reniflement. L’image le fait rire malgré lui. “You’d make a hell of a lamp. A lighthouse really.”

Osmond se retourne sur le dos, un bras resté allongé au-dessus de la tête d’Amy. Pensif, il emmêle ses doigts dans la tignasse blonde, regardant le plafond derrière ses paupières lourdes. “To be admired for eternity; it’s all you.” Le reproche s’accompagne d’un regard en coin. Avant de ramener la tête dans son axe et le moelleux de l’oreiller. “Maybe I'd put you in the brothel, amongst the fornicators. They'd come and touch your steel thinking it'd make them get a bigger boner—you know, like those superstitious cemetery stories.” Un sourire lui fend la gueule à cette idée ; qu’Amy finisse comme un Victor Noir contre lequel on se frotte. “Shame you can't turn to bronze, I could see where they touched you from the marks they left on you.” Un soupir ennuyé, tout à fait hautain. “Probably your cock. I don't have much faith in their ingenuity.” La main passe au milieu des cornes, suit leur épaisseur, qui se réduit à plus fin, retourne en arrière, dans des gestes vagues et inattentifs. Il pense à présent aux corps d’Herculanum, de Pompéi, des statues pétrifiées dans lesquelles gisent les squelettes enfouis. Celui d’Amy resterait-il intact dans son acier ? Son corps tout entier serait-il conservé ? Est-ce qu’en touchant son métal il aurait l’impression de toucher son cadavre enfoui lui aussi là-dessous ?

La main s’arrête dans les mèches grasses, en coupole sur le cuir chevelu du texan, sur sa boîte crânienne. “I brought back your horn. Soft wanted to keep it.” Un blanc. “I said no.” Les doigts bougent pianissimo contre la tête d’Amy. Il peut sentir les gras lui souiller ses empreintes. “I think I'd also say no to anyone who wanted to touch your statue.” Au milieu de son salon, donc. Pour lui tout seul. “I was wondering... did you feel it when we touched it? Your horn? Is there any kind of… sensory connection left?”

cw: mentions explicites

Les directions de regard s’inversent, alors qu’Osmond semble se remettre de l’idée saugrenue d’Amy en appuyant son regard au plafond. "To be admired for eternity; it’s all you." Amy tourne les yeux dans sa direction, ses cheveux tirant un peu, emmêlés aux doigts d’Osmond. Il est vrai qu’Amy aime bien qu’on le regarde; il estime qu’il prend suffisamment soin de son corps pour qu’on ait envie de le regarder. Il se dit que ses muscles sont plus intéressants à reluquer que l’intérieur de son crâne. "Maybe I'd put you in the brothel, amongst the fornicators. They'd come and touch your steel thinking it'd make them get a bigger boner—you know, like those superstitious cemetery stories." Interdit, les yeux d’Amy s’arrondissent. "What the f— - Shame you can't turn to bronze, I could see where they touched you from the marks they left on you. Probably your cock. I don't have much faith in their ingenuity." Passée l’exaspération d’une telle pratique, Amy se frotte les yeux, comme pour ôter ce désarçonnant futur de derrière ses paupières. Osmond caresse ses cornes, et, le rouge éclaboussant les joues d’Amy, ce dernier renchérit: "Fuck, I hope it wouldn’t gimme some kind of weird after death boner!" Il se frotte le visage d’embarras, appuyant un peu contre la pression exercée par les doigts d’Osmond. "…Man, French people are fucking crazy…" couine-t-il, à l’idée de la dégaine qu’il aurait pu avoir pour l’éternité. Bah, si le mythe grandissait, il pourrait même finir par être considéré comme une statue divine, aux vertus diverses et variées, selon les besoins hâtifs des badauds. "Well, it’s probably better than rotting six feet underground, estime-t-il, préférant sans aucun doute la vision d’Osmond croyant lui aussi aux pouvoirs de son mignon figé dans l’acier.

"I brought back your horn. Soft wanted to keep it. Amy se tourne sur le côté, gardant un peu ses distances, afin que ses cornes ne griffent pas Osmond. Il a instinctivement porté une main à celle qui avait été brisée. "I said no. - Oh." Amy hausse une épaule, feignant qu’il n’en aurait pas eu à faire grand chose qu’on refile sa corne à quelqu’un d’autre. Mais la flegme exagérée de sa réaction trahit le sentiment extatique de savoir qu’Osmond voulait la garder pour lui.
Amy n’avait sans doute pas pleinement conscientisé qu’il aimait se savoir possédé par Osmond Rose. Pas seulement dépendant de lui émotionnellement, ou même physiquement. Il aimait savoir qu’Osmond avait des bouts de lui, qu’il s’agisse là de cette corne, là des taches de son sang sur ses vêtements, ou encore des résidus de gras de son cuir chevelu sous ses ongles. Amy se satisfaisait de laisser des traces de lui, des morceaux de lui, peut-être dû au fait que sa mutation touchait le moindre de ses résidus. Et que, dans cette corne, il y avait son sang, sa chair, et tout ce qui servait à son corps robuste à le prendre dans ses bras.
"I think I'd also say no to anyone who wanted to touch your statue." Amy sent son visage et son regard se réchauffer. Sa main un peu moite se pose sur les clavicules d’Osmond, circule lentement sur son torse et ses côtes. "Good." La moiteur de ses doigts collent les poils gris à l’épiderme. En égrainant des bouts de lui, Amy modifie à une échelle intime le corps et l’attitude d’Osmond.

"I was wondering... did you feel it when we touched it? Your horn? Is there any kind of… sensory connection left?" Amy réfléchit un instant, observant ses doigts coiffer pensivement la pilosité d’Osmond. "Nah, I don’t think so… I did feel it, when it broke, but also, like… after? You know, like people losing limbs and still feeling them. I felt the lack of it. It didn’t really hurt, but it felt so wrong it made me sick." Il lève ses énormes yeux bleus dans sa direction. "You can have it, il se rapproche, le menton un peu levé pour éloigner ses cornes. Sa main s’est nichée dans le cou d’Osmond. I want you to have it. A défaut de pouvoir rapprocher complètement son visage, il presse le reste de son corps contre lui. Il est brûlant. "Just like I want you to have me, when I’m gone, as a lamp, or a coatrack or anything else. Un sourire, luisant de fièvre. So you could give me that after death boner, old man."

cw: explicit, dubious consent, toxic relationship

“Nah, I don’t think so… I did feel it, when it broke, but also, like… after? You know, like people losing limbs and still feeling them.” Osmond se garde de répondre bien qu’une gêne électrique lui traverse l’orbite droite. “I felt the lack of it. It didn’t really hurt, but it felt so wrong it made me sick.” Un frisson haineux le traverse au souvenir du combat, de la peur ressentie en voyant Amy effondré au sol comme une vulgaire poupée de chiffon — frisson qui mue et se décompose entre les doigts du mutant ondulant sur son torse, pour finir par n’être plus qu’un tressaillement agréable. L’index passe sur le relief laissé par la corne arrachée, le regard de l’Originel coulant du plafond au front d’Amy, avant que le bleu humide et énorme des plus jeunes prunelles ne le capturent. “You can have it.” Osmond ne détache pas son regard de celui d’Amy. Il sent sa main autour de son cou répandre une chaleur brûlante. “I want you to have it.” Un sourire taille les fines lèvres de l’Originel, derrière lesquelles sa mâchoire se crispe d’un plaisir brut. La honte ressentie dans la planque face au dévouement inconditionnel d’Amy se tait, remplacée par la satisfaction égoïste et possessive d’Osmond. La main se déplace, trouve l’occiput plein de boucles dans lesquelles elle s’enfonce, les ongles grattant ce cuir chevelu qu’il malaxe et caresse.

Osmond accueille le corps d’Amy de son autre bras, dans un mélange de plis de tissus et de carrés de peaux qui se grippent et se frottent. “Just like I want you to have me, when I’m gone, as a lamp, or a coatrack or anything else. So you could give me that after death boner, old man. - You know, reminding me that I'm old and you're mortal is a bit of a turn-off,” ment-il de ses airs las. La fatalité inéluctable a une saveur étrange, un doux-amer qui réveille sa passion en la tirant de son immortel ennui. En d'autres termes il bande déjà un peu. Ce qui est toujours un miracle. “I like you better alive. Statues can't moan,” le bras tire lentement vers l’arrière, écartant le faciès d’Amy pour mieux le contempler, “can they?” Il a l’impression de sourire mais sa figure reste sévère, prise dans l’airain du drame tandis que les bandages d’Amy ont humidifié son flanc. Il le dévisage intensément, comme s’il redécouvrait ses traits fins, presque féminins, garnis de ces deux azurites rondes et luisantes questionnant son glauque.

“What if I forbid you to die?” Sa prise se resserre. “What then?” L’autre main rejoint la figure ovale et la couvre d’une caresse aimante qui jure avec l’autorité de la droite. “You're loyal to me Aimee, aren't you? To me alone.” La caresse abandonne son pouce sur les lèvres charnues du mutant, contact captatif écrasant tout argument que le regard inégal observe avant d’en revenir aux yeux d’Amy. “I won't share you with Death either.” Une sentence — un caprice — qu’il émet le regard noir, une moue boudeuse soulevée par l’ombre d’un rictus. “You can say that to Her face the next time you feel like flirting with Her,” siffle-t-il entre dents, un rien jaloux. La main d’Osmond pince le menton fuyant d’Amy, avant de dévaler le long de sa poitrine, de son abdomen, et de s’insérer sous l’élastique du pyjama pour le saisir ailleurs.

Le coude planté dans le matelas il se redresse un peu, envahit de son poids le masse musculeuse d’Amy qu’il surplombe à moitié. L’une des deux cornes en acier, la plus courte et tordue, brille dangereusement sous son œil de verre ; il approche lentement, à la manière du serpent, jusqu’à ce que le verre et l’acier se touchent. Osmond sent la pression du contact écraser en arrière sa prothèse vitreuse. Un petit jeu sinistre avec lequel il badine. Ainsi, il peut toiser Amy le plus près possible. Le voir rougir aussi chaque fois que sa main va et vient. “I know I can have it.” La moue revient, hautaine dans sa lassitude, tandis qu’il parle de la corne — ou peut-être bien de la vie d’Amy Armstrong. “And I know I can have you. No need to give me permission.” Les doigts rugueux, restés pressés dans les boucles, tiraillent encore le crâne, débordants d'affection comme un piège se referme. La nuque se redresse légèrement, détachant le verre de l'acier pour pencher la tête de côté sur un air espiègle. “That said, you can always beg.”

cw: mentions explicites, relation toxique

cw: mentions explicites, relation toxique

cw: mentions de body horror

La panique qui commençait à envahir Amy à l’idée de rester ainsi coincé est chassée par la main d’Osmond qui vient tranquillement s’enrouler autour de sa corne. Amy garde les bras ramassés contre lui, tandis que l’Originel s’est hissé sans crainte jusqu’à ses cornes, et d’un geste tendre mais assuré, l’extirpe du bois du lit, de la même manière qu’il l’avait tiré hors des entrailles de son père.
Comme quoi, leurs actes d’amour étaient destinés à ne jamais se produire trop loin du souvenir d’un massacre.
"There." Il espère que l’organique de son acier laissera le temps aux empreintes digitales d’Osmond de s’y imprimer. "Thanks." Amy l’accompagne dans son mouvement, se tourne vers lui quand il se couche à son côté, la corne pesant doucement dans sa main, l’acier jamais aussi froid que ce qu’il devrait être.

"Please don't enucleate me when I fall asleep. Amy se mord la bouche: "I have a one in two chance of going for the glass eye, though—" Et, sur ces mots, Osmond porte alors sa main libre à son œil déjà mort pour en extirper la prothèse. Le geste est aussi nonchalant que s’il ôtait une lentille de contact, et Amy reste un court instant ahuri, aussi bien par la manœuvre en elle-même, que par la domesticité de la situation, Osmond se préparant à passer la nuit à ses côtés. Oh, ça n’était pas la première fois que ça se produisait, mais il faut croire que frôler la mort avait remis les pendules d’Amy à l’heure, et il réapprenait à apprécier les petites choses du quotidien.

"Hungry now?" Le regard vitreux d’Amy était resté englué à l’œil de verre. La voix d’Osmond est étouffée de sommeil, aussi, il n’entame aucun mouvement pour sortir du lit afin d’aller manger. "I may have lied … - How so? Amy l’observe couler lentement mais sûrement dans les affres du sommeil. "Didn't buy the burgers at Red Chips … Amy soupire: "That’s a relief! - You don't do burgers, you bloody idiot … - Ugh, go to sleep already, old man…"

La respiration dans sa nuque ralentit et berce le silence avec la régularité du repos. Amy a déjà dormi, lui, alors il reste éveillé encore un temps. Il masse les cheveux d’Osmond, passe sa main dans son dos pour en descendre l’échine, caresse ses fesses, remonte les draps sur lui. Il palpe doucement le visage, l’arête de sa pommette, puis la paupière, plus plate que sa jumelle, puisque vide de tout globe oculaire. Il appuie un peu dessus, dérouté par l’absence de résistance de l’œil palpitant en-dessous. "How dare you being so fucking beautiful?" demande-t-il dans le vide.

Il se réajuste plus confortablement contre lui et essaye de se rendormir. Il garde le sommeil léger, afin de ne pas importuner Osmond avec ses cornes. Il se réveille au bout de quelques heures, saisi d’une envie de pisser.
Il se dirige ensuite dans la cuisine, où il trouve sur la table le sac de burgers et la corne récupérée par Osmond. Il met les burgers à réchauffer au four, et s’assoit à la table. La corne qu’il soupèse dans sa main est plus froide. La sensation le rend mal à l’aise, comme s’il ne pouvait ignorer qu’elle lui avait appartenu, qu’elle avait fait partie de lui, au même titre que s’il tenait présentement un os à lui ou un bout d’intestin. Il la serre dans sa main, espérant naïvement qu’elle fonde et fusionne de nouveau à sa peau. Elle n’en fait rien.
Il la repose et se saisit de ses deux autres cornes. La tête renversée vers l’arrière, il ferme les yeux, se rejoue la scène avec Osmond au-dessus de lui, l’aidant à s’extirper de la tête de lit. A ceci près que, cette fois-ci, au lieu de tirer, il pousse, essayant de les enfoncer dans son crâne. Il rencontre une résistance, réitère avec plus de force.

Osmond avait réussi, la première fois. Il se rappelle de la chaleur étouffante de la chambre de motel. A quel point il s’était senti sale. Il se rappelle les paumes moites d’Osmond, le pouce qui vient frotter la base de la corne, massant son front ouvert.
Amy calme sa respiration, presse par à-coups ténus. Un grincement dans son crâne, déplaisant, lui indique que sa technique a l’air de marcher. Il s’obstine ainsi, centimètres par centimètres, à renfoncer ses cornes dans son crâne, une douleur irradiant sa boîte crânienne, là où l’acier fond pour redevenir une part de lui-même. Le four s’était mis à sonner depuis un instant, quand, recouvert d’une fine pellicule de sueur, il entend Osmond arriver dans la pièce. "It’s gonna be ready in a minute—" bafouille-t-il, alors qu’il n’avait pas encore terminé de faire disparaître ses cornes.

Osmond ne dort jamais longtemps. Une heure tout au plus, histoire de reposer un corps plus vieux que le cuivre de lady liberty. Pourtant cette nuit Osmond a dormi longtemps, et profondément. Un sommeil sans rêves, sans cauchemars, sans hantises démoniaques ou occultes pour lâcher dans ses songes des visions d’horreur vues ou commises. Un répit qu’il a redécouvert aux côtés d’Amy.
Quand il se réveille au son de l’alarme, son bras se déplie instinctivement pour chercher dans les draps la présence de son amant ; au contraire de quoi il y trouve son absence, et le froid humide d’une nuit de décembre. Une pointe de panique perce la léthargie de son réveil. Les récents évènements sont encore trop frais dans sa mémoire pour que le signal sonore du four ne donne pas à cette absence et ce froid humide une dimension augurale. Les épaules nues d’Osmond roulent dans la pénombre, suivies par sa nuque qui se tord et son visage qui se dresse. Ses sourcils sombres se froncent un peu alors qu’il balaie le lit, puis la chambre, de son regard vert et crevé. “Aimee?”

D’un basculement lourd, il se redresse sous l’édredon épais couturé de patchworks, jusqu’à se lever. La température a drastiquement baissé et le fait frissonner ; les fenêtres de la chambre sont couvertes de givre. Osmond retire son pantalon de ville poisseux et enfile à défaut de mieux un jean, puis une chemise en flanelle par-dessus laquelle il se vêt d’un pull à grosses mailles bleu marine. Il a un regard pour le trou laissé dans le bois de la tête de lit, avant de se diriger vers la cuisine où l’alarme continue de sonner. Une odeur agréable de nourriture réchauffée lui parvient et tranquillise l’autre alarme sonnant dans sa tête. “Aimee? - It’s gonna be ready in a minute—” Osmond marque un arrêt sur le seuil de la pièce, surpris par le spectacle. Face à la gêne d’Amy et sa volonté manifeste d’échapper à son regard, Osmond reprend sa marche en bifurquant vers le four comme si tout cela était normal ; les cornes d’Amy, sur lesquelles Amy s’acharne.
L’alarme est arrêtée, le four est éteint, et après s’être armé de maniques Osmond sort les burgers brûlés. Il ne fait aucun commentaire à ce sujet, dépose calmement la plaque sur le plan de travail, en inspectant silencieusement ce qui peut être sauvé : le steak, et quelques tomates qu’il retire déjà en sachant qu’Amy ne les mangera pas.

“At least you'll get some protein.” Osmond glisse un regard en direction d’Amy, un petit sourire amusé étirant ses fines lèvres. Les cinq steaks sont disposés dans une assiette, les tomates dans une autre. Les maniques sont retirées et Osmond entreprend de regarder dans les armoires ce qui peut être consommé. Il écarte les paquets de céréales achetés pour Junior et trouve deux boîtes de baked beans et une boîte de spam. La dernière est considérée avec un regard critique - il en a une sainte horreur, consommable qu’Amy s’est entêté à acheter pour Junior et qu’Osmond a refusé de servir au garçon la dernière fois qu’il était là, préférant aller chercher lui-même des pièces de bœuf chez le boucher. Le spam est donc naturellement laissé à sa place, et le contenu des deux boîtes de baked beans versé dans une casserole qu’il met à chauffer.

Alors qu’une légère odeur de sauce tomate se met à flotter dans la cuisine et couvrir celle des burgers brûlés, Osmond se retourne vers Amy et l’approche. Les quelques premiers signes de l’aurore luisent sur ses cornes en métal rentrées de plus de la moitié. “May I?” Arrivé à côté de lui, debout, Osmond s’empêche de toucher la visage essoufflé et suintant d’Amy. La gêne est quelque chose que ses noirceurs apprécient convoquer, la mortification des âmes, de leur dignité ; pourtant celle d’Amy lui est trop sacrée pour qu’il ose l’empirer. Ses doigts de malheur restent immobiles dans la pénombre, sages tant qu’ils n’auront pas eu l’autorisation d’approcher. De toucher ces deux lueurs brillantes qui magnétisent toute l’attention de son regard funèbre.

cw: mentions de body horror, relation toxique

Aussi sûr que le jour se lève, il arrive toujours un moment où Amy a honte de ses cornes. Le regard qui croise celui d’Osmond aurait aussi bien pu être celui d’un homme qu’on surprend au travail sans son pantalon, ou celui d’un collégien pris la main dans le sac en train de tricher.
En l’occurrence, les mains sont ici cramponner à ses cornes, mais aussi un peu passées dans ses cheveux, comme s’il était simplement en train de se recoiffer, et que l’opération avait nécessité plus de souffle que prévu, à voir comme ses joues sont rouges.

Pourtant, Osmond passe son chemin pour s’occuper de la cuisine. Amy l’observe avec l’intensité et le silence d’un puits, toujours un peu subjugué, au fond, de voir son boss s’affairer à la moindre tâche ménagère. Cela se produisait particulièrement lorsque Junior passait le week-end avec eux, et qu’Osmond s’était révélé, malgré tout ce qu’on pouvait dire de lui, comme une figure paternelle, si ce n’est exemplaire, du moins généreuse et attentive, là où Amy, malgré toutes ses années, ne savait toujours pas où donner de la tête avec son fils. De fait, Junior avait, lentement mais sûrement, tendance à copier davantage les comportements d’Osmond, de derrière ses épaisses lunettes, jetant de temps à autres les mêmes regards circonspects mais tendres à son propre père.

Osmond finit par se retourner et s’approcher de lui. Amy baisse le nez, les yeux englués aux mains qui pourtant ne bougent pas. "May I?"
Amy garde la tête baissée. Ses mains cherchent à tâtons les passants de ceinture du pantalon d’Osmond, et le tire mollement vers lui, jusqu’à ce que son nez gratte contre la fabrique en jean. La boucle de la ceinture refroidit le coin de son œil. Et l’arrondi de ses cornes est posée contre le ventre d’Osmond, les pointes manquant à tout moment de se prendre dans les mailles en laine.

Malgré l’atmosphère domestique de ce début de matinée, leur relation n'en restait pas saine. Leur amour relevait d’un hybride, une chimère croisant la tendresse de deux amants, la dévotion d'un fils à son père, la passion d'un fidèle à son dieu. Un mélange déroutant mais qui traçait depuis quelques années la route d'Amy. La route vers une fin inéluctable, de la main d'Osmond Rose.
Il réalise pourtant que si Osmond pouvait le tuer, Amy, lui aussi, en avait le pouvoir. Qu'il l'avait eu à plusieurs reprises déjà. Et que si le sentiment de mourir avant lui était trop douloureux, rien ne l'empêchait au final d'emporter Osmond avec lui. Il n'était pas immortel après tout.  

Amy avait versé dans cette relation tout ce qu'il n'avait jamais réussi à trouver ailleurs, cristallisant toute son adoration dans un seul être qui lui paraissait invincible, si bien qu'Osmond se tenait là, tranquille, à la portée de ses cornes, à la portée d’un coup fatal. Amy devine sa peau tiède sous la laine de son pull, le ventre encore éclaboussé de leur moment d'intimité. Il imagine que leurs fluides se mélangeraient à son sang, à ses entrailles, si Amy décidait de l’éventrer à l'instant. Il n'y a rien de plus grisant en cet instant que la possibilité de devenir la fin d'un être aussi ancien. Il n’avait qu’à baisser encore un peu le menton, et presser davantage jusqu’à rompre les couches de vêtements, puis la barrière, si fragile, de son abdomen.

Il n'en fait rien.

Il aime tellement qu’Osmond soit encore en vie après toutes ces décennies, et que ses pas de centenaires aient fini par le conduire dans ses bras. Amy garde la tête tendrement appuyée contre son ventre, la joue contre la boucle de sa ceinture, les mains enroulées derrière ses cuisses, les yeux mi-clos: "Yeah, go ahead."

La tête d’Amy pèse dans ses mains comme s’il l’avait récupérée aux pieds d’un échafaud. Pleine de boucles collées entre elles, de transpiration, et de ces étranges mais fascinantes excroissances qui lui ont poussées en guise de cornes. Osmond coule ses longs doigts sur le scalp, dans une caresse attentive qui s’éternise passé l’accord donné. Il comprend qu’Amy veuille rentrer ses cornes mais il regrette qu’il s’y obstine ; c’est un signe discret mais évident qu’il n’est pas encore totalement à l’aise avec sa nature. Avec lui. L’orbite creuse d’Osmond semble regarder sans le pouvoir le crâne qui dodeline contre lui. “Do they hurt?” demande-t-il calmement, sans encore masser la base des cornes. “Or does putting them back hurt?” Ses questions ne sont pas innocentes. Il entraîne Amy avec lui sur le chemin de la réalisation, le prenant comme il le fait souvent par la main et avec un ton indulgent. Osmond avait la même voix calme quand il a guidé Amy dans les entrailles de Jupiter.

Dans un soupir conciliant, il ramène ses mains en arrière, vers le front, entoure la base des cornes de ses doigts et applique des pressions lentes. Le métal recommence à rentrer à nouveau dans la chair. Osmond s’adonne à pareil massage le temps qu’il n’y ait plus rien qui pointe sur le crâne d’Amy. Lorsque c’est le cas, ses mains s’aplatissent et pressent la tête du mutant contre lui, dans un geste tendre et une pression captative. “It's all right.” Ils restent ainsi un moment dans la pénombre de la cuisine où flotte un petit fumet de sauce tomate. Et puis il se détache doucement, ses mains effectuant le même retrait mais pour s’arrêter de part et d’autre du visage d’Amy qu’Osmond se met à observer intensivement. Après un rapide check-up, un nouveau sourire germe sur les lippes de l’Originel. “You've got some colour back.” Il opine et retourne à sa casserole. “Let's eat. Then we will change your bandages.” Osmond n’a pas eu un regard pour la corne en métal restée sur la table à manger. Il l’étudiera sous toutes ses coutures plus tard, dans son atelier souterrain, loin du regard gêné d’Amy ; il la cassera, la sciera, la testera, la pèsera avant et après altération paranormale, l’appréciera pour ce qu’elle est : la manifestation extraordinaire d’un pouvoir qui se doit d’être pleinement compris.

L’assiette remplie de steaks est servie à Amy, suite à quoi Osmond dispose deux autres assiettes creuses et pleines de baked beans d’un côté comme de l’autre. Il est un peu tôt pour du vin, alors il fait également du café qui arrive lui aussi sur table. “How are you feeling?” demande-t-il après s’être assis et leur avoir rempli leur tasse.

"Do they hurt?" Les lèvres d’Amy vont pour s’étirer autour d’un yes plaintif, mais la suite de la question d’Osmond le prend de court: "Or does putting them back hurt?" Amy rouvre un œil, dans sa réflexion. "I uh—" Ses cornes ne lui font pas mal une fois qu’elles sont sorties. C’est le procédé qui le fait souffrir, que ce soit pour les extirper de son crâne ou pour les y renfoncer. "I think it’s because I don’t know how to control them…" répond-il, évitant ainsi d’aller totalement dans son sens. Il ignore lui-même pourquoi il esquive le problème; il ressent peut-être, inconsciemment, le regard complaisant d’Osmond sur ses cornes, l’obsession dans la prise de ses doigts, comme si, à force, il finirait par les aimer davantage que lui, et s’en servir abusivement.
Pourtant, c’est ce qu’il faisait de sa personne depuis des années, et jusqu’à présent, Amy ne s’en était jamais réellement plaint.

Osmond, pourtant, consent à l’aider à les rentrer, pressant la base de chaque corne, massant l’acier qui s’assouplit et retrouve une consistance organique à mesure qu’il disparaît sous sa peau cicatrisant avec difficulté ces allées et venues intempestives. La tête d’Amy se laisse aller aux mouvements, la pression dans son cou épais se détend et sa posture se ramollit. "It's all right. Osmond lui prend le visage dans ses mains, le regard bleu d’Amy perfore son œil aveugle. You've got some colour back." Il rougit, comme si sa peau obéissait directement à la remarque d’Osmond, s’accoutumant de la chaleur qui provenait de la cuisinière.

"Let's eat. Then we will change your bandages. - Yeah, I’m starving, constate Amy avec une telle mollesse confortable dans sa voix qu’on aurait aussi bien pu venir de le réveiller. Il tourne sa chaise vers la table, patiente le temps qu’Osmond les serve, sans initier le moindre effort pour lui donner un coup de main.
Osmond s’installe à côté de lui, les doigts d’Amy se collent instinctivement à la tasse de café, tandis que de sa main droite, il saisit sa fourchette et se met aussitôt à manger goulument. "How are you feeling?" Un temps passe, Amy avale, des points de sauce amoncelés aux coins de sa bouche. "Better, that’s for sure." Il ralentit la cadence, paraît réfléchir. "Thanks, coasse-t-il brusquement, comme s’il venait de se rappeler du b.a.-ba des règles de politesse. For taking care of me. And all of this." Le mouvement vague qu’il dessine de son bras, le poignet toujours armé de sa fourchette, englobe aussi bien leur repas que ses blessures qui sèchent sous les pansements. "I owe you one, promet-il, omettant accessoirement qu’il se comportait comme s’il lui en devait une depuis des années désormais.

Il continue de manger en silence pendant un temps, avant que la voix d’Amy s’élève de nouveau. "I think you were right… entame-t-il, sans oser le regarder dans les yeux, le nez penché sur son assiette: "I think throwing Jupiter’s funerals will help me getting over it." Il confesse, bien que cette hypothèse sonne davantage comme un espoir désespéré.

Osmond ne mange pas tout de suite. Il sirote calmement son café brûlant en regardant Amy dévorer sa nourriture ; sans manières, ni retenue, avec une hâte proche du comportement animal. Ça le déconcerte toujours autant, mais en l’état, la faim d’Amy est surtout une bonne nouvelle qu’Osmond accueille avec soulagement. “Better, that’s for sure,” entend-on après d’interminables minutes où bruits de bouche et coups de couverts se sont donnés la réplique. Osmond repose sa tasse en opinant. “Good.” Il prend sa propre fourchette et entame ses baked beans, sans lâcher Amy de son regard crevé.

“Thanks,” le coassement brusque fait ciller Osmond, “For taking care of me. And all of this.” L’œil gauche suit le mouvement vague d’Amy avant d’en revenir à son faciès ovale percé de bleu - et tâché de rouge, constate Osmond, voyant autour de la bouche d’Amy des gouttes de sauce tomate. L’œil se force à s’arracher à cette vision (qui le désarçonne, le déconcentre) et revient sur le visage ceint de lourdes boucles blondes dénuées de cornes. Un sourire bienveillant germe sur les fines lippes d’Osmond, qui s’apprête à lui répondre. “I owe you one.” Le sourire se désagrège. Pour finir par crever complètement. Amy lui en doit mille ; Osmond a toujours utilisé cette notion de besoin pour s’assurer de l’assistance, puis de la loyauté d’Amy. Le rachat du Red Chips, des frais divers acquittés, un logement gratuit, tout ce qu’Amy est venu lui demander il l’a toujours obtenu. Et rien n’a changé ; Osmond en prend soudain la pleine mesure. Amy continue de croire que leur relation repose sur la seule et unique loi du donnant-donnant.
Une satisfaction mécanique, froide et pragmatique vient écarter la peine qu’Osmond s’est mis à ressentir. Il suppose que c’est mieux ainsi ; qu’Amy ne comprenne pas l’importance réelle qu’il a pour lui, qu’il ne se souvienne pas de la peur panique l’ayant étreint dans la piaule du QG. “Of course,” élude-t-il simplement.

Puis ils mangent en silence.

“I think you were right…” Osmond ramène son regard crevé sur le front d’Amy. “I think throwing Jupiter’s funerals will help me getting over it.” Les mains armées de couverts restent un moment immobiles au-dessus de l’assiette d’Osmond. “Then I'll take care of it.” Comme du Red Chips, comme des frais divers, comme du logement. Comme du coup fatal porté à Jupiter. Osmond continue de regarder Amy, ou plutôt son front qu’il porte bas, le nez planté dans son repas. Il ne comprend pas qu’il puisse autant être bouleversé par la mort de cet homme violent, abusif et toxique, et réalise que si Amy le suit comme son ombre depuis tant d’années c’est probablement parce qu’il a appris à n’aimer que ça : ce qui est violent, abusif et toxique. Osmond se sent terriblement las. Il n’est donc que ça pour la terre entière : le mal qui les ronge toustes. “Do you have anything in mind? A prayer that should be said, a song that should be played,” dit-il calmement, reprenant son repas, “a particular wood for the coffin?” La dernière mention s’est accompagnée d’une intonation sommairement sardonique. Il dépose ses couverts une fois son assiette finie et s’essuie sobrement la bouche avec sa serviette de table. Son regard crevé passe sur celle d’Amy, de laquelle il est tenté d’essuyer les petites éclaboussures, mais se ravise, dépose sa serviette sur ses cuisses et boit plutôt son café.

Si Amy est passé à autre chose, Osmond voit en ses remarques anodines des sens cachés et des non dits. Est-ce que son esprit s’était affuté au fil des décennies? Est-ce qu’Osmond avait déjà entendu tout ça, avant même de rencontrer Amy? Est-ce qu’à chaque fois qu’il s’était disputé avec quelqu’un, au cours de sa longue existence, il avait porté avec lui les souvenirs et l’amertume pendant des décennies, tandis que les autres passaient irrémédiablement à autre chose, pressé par leur courte vie?
Combien de temps mettent les immortels à oublier? Combien de temps mettent-ils à pardonner?

"Then I'll take care of it." Amy hoche doucement la tête, complaisant. Il n’a pas l’air de réaliser qu’Osmond aurait aussi bien pu être en train d’organiser ses funérailles à lui, s’il n’était pas arrivé à temps pour l’extirper des griffes de Wolfman. Il semblerait pourtant qu’Amy ait profité de ses heures de repos pour hâtivement enfermer le traumatisme de cette mort imminente dans un coin de son crâne, anesthésié par les soins d’Osmond, sûr comme la course de la Terre autour du soleil qu’il était désormais en sécurité, lové entre les bras du seul homme qui pourrait le tuer.

"Do you have anything in mind? A prayer that should be said, a song that should be played, a particular wood for the coffin?" Le craquement du corps de Jupiter emporté sous terre jaillit dans l’esprit d’Amy qui repose sa fourchette, feignant réfléchir, alors même qu’une sueur froide dévale le long de son échine. Il se gratte la tête: "I uh— I don’t know, really…" Sa posture s’affale, docile, ses bras s’étirant sur la table dans la direction d’Osmond, ses mains nonchalamment oubliées juste devant son assiette. Tout son corps se recroqueville inconsciemment autour de cette table, seule rempart à l’étreinte. Les pieds d’Amy sont jetés en vrac sous la chaise d’Osmond.
"I should ask my sisters, Maddox is good with this shit. She spends pretty much all of her time at church, explique-t-il avec une certaine tendresse moqueuse dans la voix. Amy ne parle pas souvent de ses frères et sœurs. At this point, she could be in an affair with Jesus." Un ricanement discret grince hors de sa bouche, alors qu’il ne réalise même pas l’ironie de la situation, lui qui s’était amouraché d’une divinité ancienne, païenne, plus cruelle encore que le dieu de sa sœur, puisque ne répondant à aucune injonction à l’amour universel.

Amy a souvent trouvé que les chants religieux réclamaient trop de choses à Dieu. Sans s’en apercevoir, il en avait lui-même adopté le comportement, reléguant tous ses choix au bon vouloir d’Osmond Rose. Il allait même jusqu’à porter une croix qui n’appartenait pas à sa propre religion.
Et, à vrai dire, la seule fois où il avait décidé de n’en faire qu’à sa tête, Amy avait frôlé la mort. Et il avait vu pour la première fois l’expression furieuse et désespérée d’Osmond.
Il s’agissait alors de ne pas y prendre goût.

Amy garde un temps la tête dans une main, affalé sur la table. Il regarde Osmond. Il aimerait bien qu’il vienne avec lui à l’enterrement. Il pense même qu’il y aurait une chance qu’il accepte. Mais il ne veut pas avoir à expliquer à sa famille ce que cet homme faisait ici, pourquoi son patron avait estimé nécessaire de se déplacer. Il pense qu’il ferait mieux de demander à Sin, ou à une autre femme, afin d’étouffer les inquiétudes de sa mère vis-à-vis de son célibat. Il réalise alors qu’il allait devoir expliquer au reste de son entourage que son père était décédé, qu’il ne pourrait pas rester plus longtemps dans le confort d’un secret partagé uniquement avec Osmond, bien que ce dernier jouisse d’une révélation enterrée plus profondément encore qu’ils étaient tous les deux coupables de la disparition de Jupiter.

Il effectue un léger mouvement du menton en direction de l’assiette d’Osmond: "You’re gonna finish this?" quémande-t-il, fidèle se repaissant de l’offrande à son idole.

“I uh— I don’t know, really… I should ask my sisters, Maddox is good with this shit. She spends pretty much all of her time at church. At this point, she could be in an affair with Jesus.” Osmond souffle un rire feutré au-dessus de sa tasse, couvert par le ricanement plus bruyant d’Amy. Il oublie parfois combien les Armstrong sont des êtres imprégnés par leur foi, et quand il s’en souvient ce n’est pas quand Amy évoque subrepticement la dévotion chrétienne à laquelle ils se vouent mais quand il le contemple avec un regard profondément pieux. Cecil aurait eu honte d’avoir dévoyé un fidèle de sa paroisse, et plus honte encore d'être devenu un faux prophète qu’on suit aveuglément, car il y a eu un temps où lui-même se rendait dévotement sur les bancs de l’église pour demander pardon.
Mais il ne l’a jamais obtenu (ou peut-être était-il déjà convaincu de sa malfaisance).
C’est pourquoi Osmond ne ressent plus aucune honte ; ni à dévoyer, ni à pervertir. Il sait bien que Laudna lui jette parfois dans son dos des regards offensés, et qu’elle aurait aimé qu’ils prient ensemble plus de fois qu’elle n’ose le lui avouer, mais à son âge on ne se ment plus.
Il est impardonnable dans toutes les langues et les religions.

“Very well, then. Talk to her.” Osmond n’a jamais rencontré Maddox, ni aucun autre adelphe Armstrong. Derrière chacune de ses gorgées brûlantes il imagine tranquillement le fracas retentissant qu’il provoquerait dans la famille texane s’ils étaient au courant de qui il est et quelle relation il entretient avec l’aîné. Entre leurs crimes commis ensemble et le péché de chair auquel ils s’adonnent régulièrement sans doute que mère Armstrong ferait un infarctus et que le reste de la portée se mettrait à le poursuivre avec des fourches et des torches - il a une pensée dérisoire et indifférente pour ces villageois qui se sont un jour rendus à la porte de son manoir avec ces exacts attributs. Un frisson d’excitation le traverse à l’idée d’être ce chaos-là, qui briserait en deux et même en mille le petit monde rangé des Armstrong, qui casserait leurs certitudes, leurs opinions, comme son entité chthonienne a broyé le corps de Jupiter pour l’entraîner dans les profondeurs.
Et puis il sent les jambes d’Amy s’apposer contre les siennes et Osmond s’oblige à réfréner ces pulsions infâmes qui l’agitent et le composent. Il n’y a parfois pas besoin du pardon d’un ange pour trouver une certaine paix ; l’indulgence humaine d’un amant suffit.

“As for the rest, I'll do as I said.” Il repose sa tasse et la garde entre ses mains, rangées derrière son assiette. “An obituary will be published in the local paper, and I'll call in a shapeshifter so your mother can witness Jupiter's death,” récite-t-il avec la régularité d’une liste de tâches qu’on énonce. Il épargne à Amy tous les détails techniques que ces deux seules démarches vont nécessiter ainsi que le récit officiel qui sera fait pour justifier la mort de son père. Moins il en saura mieux ce sera. Amy sera bientôt l’innocent aîné se recueillant au-dessus de la tombe de Jupiter Armstrong, au milieu de ses innocents.e.s frères et sœurs. “You’re gonna finish this?” Distrait par la question, Osmond cille à nouveau, baisse son regard crevé vers l’assiette, puis la pousse doucement en direction d’Amy. “Knock yourself out.” Un pli se révèle au-dessus de son nez en fronçant légèrement ses sourcils sombres. “But there's not much left …” Il jette un coup d’œil aux armoires. “I'm afraid we're out of baked beans.” Un rictus plie davantage ses sourcils et soulève une lippe quand il ramène son visage vers Amy. “That said, there's some Spam left, if you're still hungry.” Inutile de dire combien l’idée le dégoûte. “Or Junior's Froot Loops,” balaie-t-il cette fois d’un haussement de sourcil, pas plus convaincu par ces céréales suspicieusement colorées mais déjà un peu plus tolérant sur la question. “I'll do a bit of shopping later, just to restock the cupboards and the fridge.” Ce dont Osmond, et la bourgade voisine, est extrêmement peu habitué - si bien que la dernière fois qu'il s'est rendu chez le boucher on l'a dévisagé avec inquiétude et longuement observé pour s'assurer qu'il retournait dans son véhicule sans précipiter de terribles drames sur son passage.
Osmond n'y a guère prêté attention. Il a même trouvé cette balade rafraîchissante. Il saura trouver l'épicerie, cette fois.

"Knock yourself out." Sans se faire prier deux fois (après tout, ça n’était pas lui la divinité dans cette histoire), Amy tire l’assiette jusqu’à lui, empoignant la fourchette d’Osmond trempant dans son fond de sauce pour en finir les quelques miettes restantes. "But there's not much left …" Amy n’a en effet fait qu’une bouchée de la fin de cette seconde assiette. Son regard se tourne de concert vers les placards. "I'm afraid we're out of baked beans. - Shit, I thought I did a refill." Il se lève et fouille les réserves vides.
A cause de sa mutation, Amy devait manger beaucoup plus que la moyenne déjà bien élevée des hommes de sa carrure. Et, de surcroit, il n’hésitait pas à piocher dans le garde-manger de son propre établissement, épuisant parfois certains sandwichs à la carte sans que personne ne les ait jamais commandés. A force de faire d’incessants allers-retours entre ici et Crimson Bay, il n’était donc pas si étonnant qu’il fasse des ravages dans les placards, sans songer à les ravitailler.

"That said, there's some Spam left, if you're still hungry. Le ricanement d’Amy est amer: - No way! last time I had some, you told me my breath smells like dog food!" gémit-il, sans vouloir admettre qu’Osmond avait raison. "Or Junior's Froot Loops." Amy va pour reposer la boîte de Spam pour arracher le paquet de céréales à l’obscurité du placard. Il finit par prendre les deux. "Don’t tell him I finished them. - I'll do a bit of shopping later, just to restock the cupboards and the fridge. - Thanks."

Le Spam est renversé dans l’assiette, le café vidé et la tasse remplie de céréales. Amy entame les deux, alternant une bouchée de l’un puis de l’autre, espérant sans doute noyer l’haleine de clébard avec le sucre chimique. L’idée d’envoyer Osmond faire les courses ne semble pas le déranger plus que ça. Parfois, il proposait même de l’accompagner, pour la simple curiosité d’assister au spectacle de ce boss des bas-fonds, ce mutant centenaire, le bras alourdi d’un panier ou campé derrière son caddie, semblant y bazarder des produits d’excellente qualité sans compter (seconde raison pour laquelle Amy ne voyait pas d’inconvénients à ce qu’Osmond fasse les courses et par la même occasion terrorise le voisinage: il mettait un point d’honneur à remplir le coffre de la voiture, en toutes circonstances) (peut-être encore deux fois plus maintenant qu’il s’était mis en tête de reconstruire la culture culinaire de Junior, en plus d’alimenter son gouffre de père).

Après un nouveau silence rythmé par les bruits de mâchonnements d’Amy, il reprend la parole d’un ton plus timide: "Do you think I should take Junior with me, for the funerals, I mean?" L’enfant n’avait vu qu’une fois les parents d’Amy, et était encore trop petit pour s’en souvenir. A l’époque, Amy vivait encore avec la mère de Junior. Pour sa naissance, il avait simplement envoyé une carte digitale à ses parents pour leur partager la nouvelle, puis avait inlassablement épuisé tout un tas d’excuses pour reporter une inévitable visite. Heureusement pour lui, sa famille n’avait pas les moyens ni l’envie de prendre l’avion. C’est sa compagne qui s’est finalement offusquée du peu de considération dont il faisait preuve vis-à-vis de sa propre famille. A la suite de quoi, ils se rendaient tous les trois au fin fond du Texas, pour un court séjour dont Junior ne se rappelle définitivement pas.
"He only saw him once, and probably doesn’t remember." A ce stade, Junior pensait que la famille du côté de son père ne s’étendait pas plus loin que le profil sévère d’Osmond Rose.

L’Originel se souvient parfaitement de tous les désastres qu’il a commis ou précipités ; il se souvient des guerres, des conflits, des petits drames sans prétention entraînant tel le battement d’un papillon une cascade graduelle de catastrophes. Il a assisté à tout ce que l’Humanité peut produire de pire, il a été le témoin et l’éminence grise de toutes les félonies et toutes les infamies possibles et imaginables. Et malgré tout ça, malgré deux siècles à répandre le mal et son chaos le plus pur, la scène à laquelle Osmond assiste parvient quand même à l’écœurer. Il regarde Amy renverser le spam dans son assiette, remplir sa tasse de céréales, et manger alternativement l’un et l’autre dans une cacophonie bruyante et malodorante. Il aurait eu un porc en face de lui que ça n’aurait pas été plus sonore et grossier. Figé dans sa position, ses fines lippes pincées sur une expression dépitée, Osmond plante sa langue contre son palais pour éviter de tancer Amy avec tout le venin snob qu’il est capable de siffler.

“Do you think I should take Junior with me, for the funerals, I mean?” Le regard crevé continue d’observer l’horreur droit dans les yeux (ou plutôt le mélange de viande compacte qui donnera une haleine de chien à ce sombre crétin). “That's what logic would suggest. - He only saw him once, and probably doesn’t remember.” Osmond ne sait pas comment prendre l’insistance sur le him, mais les possibilités d’interprétation sont assez peu nombreuses. Junior l’a sans doute plus vu lui que son propre grand-père. De là à savoir s’il valait mieux ça que l’inverse… Il n’a jamais levé la main sur l’enfant et ne lui a jamais crié dessus, mais il reste un monstre échappé de quelques enfers et l’inquiétude qu’il puisse un jour faire du mal à Junior ne le quitte jamais totalement. Il avait eue la même pour Oskar. L’œil verdâtre s’arrache à la contemplation de la pâtée pour remonter sur le visage rouge et agité d’Amy. “Surprising as it may seem; I don't have the answer to everything.” Ce n’est pas dit méchamment. Ni même froidement, comme certaines de ses remarques. Osmond paraît absorbé par ses propres pensées, ses propres souvenirs. “I would simply say that some farewells deserve to exist.” Si l’absence d’adieux adressés Agnès ne l’a jamais contrit, abandonner Oskar sans un au-revoir l’a longtemps tourmenté malgré la certitude qu’il avait fait le bon choix.

“But if you'd rather go alone, I can keep him.” Il se lève et débarrasse son assiette, emportant dans son mouvement sa suggestion intéressée. Inquiet, oui, de ce qu’il pourrait faire à Junior. Endeuillé aussi par une relation père-fils qu’il n’a jamais eue avec Oskar, ou seulement brièvement. De la même façon qu’il s’est recueilli dans l’adoption de Sophie, Angelo, Helmina, Izak et Carmen pour raviver toutes les petites flammes éteintes de sa paternité, il se recueille depuis quelques temps dans la relation qui s’est créée avec Junior. Qu’il ressemble physiquement à son père n’a par ailleurs rien arrangé, même si Junior replace toujours très soigneusement ses boucles blondes et a pris le même tic d’Osmond lorsqu’il replace ses lunettes de vue d’un coup d’index. “He already knows the ranch and loves spending time here.” Les mains nettoient diligemment couverts et assiette, le dos massif d’Osmond tourné vers Amy. Il ne verra pas sa moue dédaigneuse en ajoutant la suite de sa voix monocorde : “He's a very sensitive boy. I'm not sure he'll feel comfortable attending such a solemn ceremony with people who are practically strangers to him.” Les Armstrong, donc. Quand lui l’a pratiquement vu grandir.

"Surprising as it may seem; I don't have the answer to everything." La bouche gonflée de son repas de fortune, Amy sourit, gêné que l’idée lui ait traversé l’esprit aussi visiblement. Il aimerait le contredire, parce qu’Amy écoute tout ce qu’Osmond lui dit de faire ou de penser. Et quand il ne le fait pas, il manque de mourir. Cette pensée est simple, réconfortante. Pour quelqu'un d'une telle noirceur, Osmond reste un sacré phare dans sa nuit. "I would simply say that some farewells deserve to exist." Le sourire se réduit, tandis qu’Amy déglutit, avec difficulté semble-t-il. Il aurait aimé une réponse différente, cela va de soi. Parce que même lorsqu’Osmond lui disait quoi faire, Amy, au préalable, pressentait souvent ce qu’il allait lui demander.

Et, puisqu’ils se connaissent tout aussi bien l’un que l’autre, Osmond reprend: "But if you'd rather go alone, I can keep him." Amy hoche aussitôt du chef: "Yeah, I think that’s a good idea…" La réponse est faite sur un ton plutôt anodin, si bien qu’il aurait aussi bien pu être en train de commenter l’une ou l’autre des suggestions d’Osmond, avec plus ou moins un temps de retard.

Amy suit Osmond du regard, l’air pensif, le regard caressant les larges épaules de l’Originel. Il n’ose pas lui avouer que s’il ne veut pas que Junior vienne avec lui, c’est aussi parce qu’il ne saurait pas comment expliquer la situation à son fils. Il y a beaucoup de choses qu’Amy ne sait pas expliquer à Junior. Il arrive parfois même que ce soit Junior qui lui explique des choses. Amy aime son fils, mais il n’arrive pas à se faire comprendre, ni parfois à le comprendre. Il y a une raison dans le regard de son enfant, une sagesse et une intelligence qui l’intimident.
Si pendant très longtemps, Amy a eu peur de devenir comme son père, il craint désormais de ce que son fils va devenir. Junior s’éloigne de l’image qu’il s’en faisait, de la naïve copie conforme qu’il recherchait dans de potentielles passions communes.

"He already knows the ranch and loves spending time here."
Quand Amy a voulu initier Junior à l’équitation, le petit garçon a tout de suite pris peur, devant l’énormité des canassons sur lesquels son père le hissait sans vergogne. Il aura fallu qu’Osmond mette la main à la pâte pour apprendre à l’enfant à réapprivoiser ses peurs.
"Yeah, he does…" approuve Amy en observant toujours Osmond. Plus que le ranch, c’était la compagnie de cet énigmatique et sévère oncle qui motivait la plupart des visites de Junior.
"He's a very sensitive boy. I'm not sure he'll feel comfortable attending such a solemn ceremony with people who are practically strangers to him." Amy est vexé et déçu, car il sait que ce qu’Osmond explique est vrai. Il veut bien croire qu’Osmond dénoterait à côté de n’importe quel Armstrong, mais il lui est encore un peu difficile de réaliser et d’accepter que Junior, lui-même né Armstrong, puisse ne pas se sentir à sa place parmi les siens. Alors que des années auparavant, Amy avait tout fait pour limiter les rencontres entre le garçonnet et sa famille, et plus particulièrement, entre Junior et Jupiter.

Mais, après tout, Amy aime Osmond, dans toute sa définition tordue et alambiquée. Amy se lève à son tour de table pour débarrasser ses affaires là où Osmond avait déposé les siennes. Et, tandis qu’il se hisse sur le plan de travail juste à côté de l’évier, il se dit que ça n’est peut-être pas une mauvaise chose que Junior tende à vouloir devenir comme Osmond. Il ne fera alors plus aucun doute qu’il saura l’aimer.
Les pieds d’Amy battent doucement dans le vide, les mains agrippées au rebord du meuble."Man, you’re so fucking hot when you’re feeling paternal, Osmond."

La tasse est terminée d’être rincée et placée sur la faïence de l’évier quand Amy vient se percher sur ces mêmes hauteurs. “Man, you’re so fucking hot when you’re feeling paternal, Osmond.” L’intéressé tourne d’abord l’œil en direction d’Amy, puis le visage, ne pouvant rien y voir sinon que du noir. Il tend un bras, saisit un torchon avec lequel il s’essuie calmement les mains sans lâcher Amy du regard. “Does that upset you?” Osmond interrompt son geste en insistant sur la pause qu’il marque. La flatterie est toujours agréable à entendre mais Amy le lui en glisse tellement de cette nature qu’elles ne l’atteignent presque plus ; l’Originel sait qu’elles sont un réflexe avant d’être une appréciation. D’un même ton posé, il ajoute. “I have no intention of interfering in the relationship between you and your son. I hope you know that.” Il aurait pu. Et parce qu’il aurait pu, et le peut encore, Osmond s’oblige à le lui formuler comme on formule une promesse. Les ténèbres peuvent être envahissantes quand elles trouvent un nouveau lieu, ou un nouveau cœur, dans lequel s’épancher pleinement ; c’est autant une promesse qu’il fait à Amy, qu’une limite qu’il se donne. “I do care about him, just as I do about you.” Il y a une crispation infime dans les doigts d’Osmond, et une nouvelle pause dans ses mots - celle-là involontaire. Chacune de ses démonstrations d’amour et d’affection le ramènent à la lettre d’Edwin, comme si l’encre avait été inscrite sur les parois de son crâne à la manière d’un sceau. Une vérité se met à flotter entre eux : la façon dont il a jusqu’ici tenu à Amy et le lui a démontré a été plus malsaine et néfaste qu’autre chose.

Osmond déplie ses doigts du torchon et le repose en un tas près de la main agrippée au plan de travail. Il s’éloigne jusqu’à la table pour récupérer la cafetière, la replacer elle aussi, se donne des airs occupés, donne à ses mains de monstre quelque chose à faire tandis que la distance se creuse momentanément entre lui et Amy. “How are your wounds by the way?” Après avoir débarrassé tout ce qu’il y avait à débarrasser - sauf bien sûr la corne immense, qui reste trônante sur la table - et permis à cette activité soudaine de distancer les évidences dérangeantes et les vérités douloureuses, Osmond revient vers lui, le regard concentré sur son marcel. Il soulève un pan du bout de l’index, révélant les abdominaux encombrés de pansements et bandages. “It should have healed by now. Cod works miracles.”

Amy se voyait déjà obtenir une récompense pour avoir avoué une telle chose, triceps bandés et les jambes légèrement écartées. Aussi, la réponse d’Osmond le prend de court: "Does that upset you?" Amy plisse les yeux, ne se départant pas d’un sourire en coin: "Upset? about you being hot? Never—" Il sait pourtant, en prononçant cette phrase, qu’Osmond ne parlait pas de ça. Parfois, il déteste comprendre où Osmond veut en venir, quand Osmond sait où Amy veut en venir alors que lui-même essaye de se défiler, et qu’il se trouve comme présentement, rattrapé par le collet, épinglé par les yeux verts de l’Originel.
Osmond ne lâche pas sa proie, parce qu’il n’a jamais été du genre à abandonner. C’est d’ailleurs pour ça qu’Amy s’accroche autant à lui. "I have no intention of interfering in the relationship between you and your son. I hope you know that." Amy voudrait rétorquer qu’il ne comprend pas pourquoi il dit ça, mais il se ravise. Son échine s’est un peu affalée, ses jambes qui pendent dans le vide lui donnent soudain l’allure d’un enfant, observant son aîné s’affairer à diverses tâches d’adulte.

Bien sûr qu’il sait. Amy sait qu’Osmond ne lui volera jamais Junior. Il sait qu’Osmond intervient dans l’éducation de l’enfant avec spontanéité, peut-être aussi pour combler un manque plus lointain de tous les enfants qu’il a eus et qui n’ont pas été aussi éternels que lui. Amy sait qu’en chaque homme, il y a ce désir inhérent de vouloir transmettre à son prochain. Alors Osmond fait tout ça parce qu’il y a une logique inévitable, un instinct sans doute inassouvissable pour les êtres mutants qui vivent aussi longtemps: de préparer le futur.
"I do care about him, just as I do about you."
Amy n’a pas peur qu’Osmond interfère dans sa relation entre lui et son fils. Il craint en revanche que Junior se détourne de lui pour choisir Osmond. Il le craint parce qu’il sait que c’est ce qu’il aurait fait, lui, si on lui en avait donné l’occasion. C’est même ce qu’il avait fait, quand ils avaient tué Jupiter. Il avait choisi Osmond. Parce qu’il n’y avait rien de plus logique et de plus spontané à choisir ceux qui nous font sentir choisis en retour.

Amy observe sans le savoir Osmond reprendre le contrôle sur chaque élément de la pièce, à défaut de pouvoir jamais maîtriser entièrement ce qui anime ou fige l’émoi d’Amy. Il va jusqu’à poser la main sur lui, afin de contrôler sa remise sur pieds. "How are your wounds by the way? It should have healed by now. Cod works miracles." Contrairement à Jupiter, Osmond ne considérait plus comme acquis le don de résilience d’Amy; il prenait grand soin de lui.
Amy lui attrape le bras, caresse l’intérieur de son poignet. Il a les jambes de part et d’autre de lui: "It’s fine. Il pourrait parler aussi bien de ses blessures que de l’importance d’Osmond dans la vie de Junior. I love knowing you’re a part of his life. He deserves you." Parce que Junior méritait d’être quelqu’un de plus qu’un simple Armstrong, fourbu de tant de générations malmenées. Osmond était sa chance, tout comme il l’était déjà pour le père de Junior.
Amy trouve véritablement Osmond hot quand il s’occupe de Junior. Pour un monstre qui contrôle un monde souterrain rempli de cauchemars, il brille encore d’une générosité très humaine à l’égard de l’enfant. Amy ne peut pas s’empêcher de se dire que Junior fait aussi du bien à Osmond.
Il lui a pris la main, et il le regarde dans les yeux en souriant: "And I think you deserve him too."

“It’s fine. I love knowing you’re a part of his life. He deserves you.” Osmond réprime un rictus. Dans la lumière de la cuisine, entre les cuisses d’Amy et la main près de ses bandages, il se sent plus illégitime que jamais. Il appartient aux profondeurs et à tous les malheurs qui peuvent s’y cacher. Il ne comprend pas qu’Amy puisse affirmer avec une telle confiance que Junior le mérite, pas après tout ce qu’ils ont vécu ensemble, pas après tout ce qu’il l’a encouragé à perpétrer. “You can't possibly—” think that. Ses mots crèvent dans le soupir qu’il pousse et qui atteint le visage très près du texan. Son regard tranché cherche dans les billes bleues d’Amy un semblant de raison. Il y a de la colère dans son expression calme, une colère blessée, choquée, confuse, qui voudrait devenir glaciale mais ne le peut pas. La caresse d’Amy sur son bras la diffuse un frottement après l’autre, apaise la masse sombre qu’est Osmond dans le dos duquel brille la seule lumière de la pièce. “And I think you deserve him too.” Le menton d’habitude rasé de près, maintenant hispide, bascule vers l’avant dans un nouveau souffle. “You're always saying these things...” La main tombe sur une cuisse, l’autre se lève et fait de même, agrippent ensemble le jean. “It's like you don't realise.” Ou qu’il oubliait. L’amour a ce pouvoir de rendre aveugle, sourd, complètement fou et décidément naïf. Amy l’a pourtant entendu commanditer des crimes et vu en commettre tout autant. Il sait aussi qu’Osmond ne regrette rien et que si c’était à refaire il le referait. Les mains pivotent sur la fabrique, saisissent plus perceptiblement les cuisses d’Amy sous le regard absent de l’Originel. Il a sa part de responsabilité ; on ne se présente pas comme un (faux) prophète pour s’étonner après de l’adoration irraisonnée qui en résulte.

Un petit sourire sans joie éclot et éclate sur la bouche pincée d’Osmond tandis qu’il relève brièvement la tête vers Amy, un hochement de tête répondant en retard. “I love it too. Being part of his life.” Les sourcils forment une vague. “You know, if someone had told me that at my age I'd be buying weird, colourful cereals for a kid's breakfast, I'd probably have sent them back to hell.” La lassitude du ton et de l’expression est égale à Osmond, cache à peine l’amusement sincère brillant dans son seul œil. Il remonte ses mains jusqu’au marcel, dont il saisit les bords de part et d’autres pour initier un mouvement de déshabillage. “Don't get your hopes up,” prévient-t-il après avoir débarrassé Amy de son maillot de corps - il pourrait n’en avoir qu’un et l’utiliser depuis huit ans qu’ils se connaissent. “I just want to take your bandages off.” Un besoin quasi pressant, qui le démange et contracte ses doigts autour des compresses de gaze, l’envie de se débarrasser des traces de cet épisode. “Plus your breath really stinks.” Une paluche vient momentanément s’encastrer contre la mâchoire d’Amy pour repousser sa bouche - les doigts s’accrochent comme ils se sont accrochés contre les cuisses, avec une pression possessive, un peu irritée, surtout reconnaissante (ses mots déraisonnables et crédules ont malgré tout fait leur chemin jusqu’au cœur d’Osmond, ou ce qu’il en reste).

Les ongles grattent la peau, soulèvent les adhésifs et ôtent un à un les bandages, révélant des cicatrices bien fermées aux points d’impact. Le pouce d’Osmond finit par suivre les traces comme pour s’assurer que plus aucune goutte de sang ne s’en réchappera. Les nerfs revivent subrepticement la frayeur que lui a faite Amy, dans un long frisson qui lui fait serrer les dents. “It’s fine,” répète-t-il pour confirmer le diagnostic.