accidental life partner acquisition (CHUM#2)

« Une petite sortie, mh », as-tu commenté à l’intention de Chung-Hee lorsque vous êtes arrivés devant une maison du Nexus, où vous attendait manifestement un homme au sourire artificiellement éclatant (la marque des agents immobiliers). Tu avais bien raison de penser qu’il y avait anguille sous roche : preuve, s’il en est, que même avec tes capacités nettement diminuées, tu sais encore deviner les manigances de ton partenaire.
À croire que tu le connais bien.
Tu n’as rien dit de plus, toutefois. Tu as soutenu le long regard de l’agent immobilier, tu t’es présenté avec un grand sourire et une poignée de main ferme, avant de glisser ton bras autour des épaules du détective et de lancer un clin d'œil de connivence à Curtis.

À lui aussi, tu effleures le dos du bout des doigts lorsque tu le dépasses dans les escaliers, lorsque vous vous croisez en sortant des pièces.

Tu laisses Chung-Hee être le principal interlocuteur de l’agent, même si c’est à vous deux ― Curtis et toi ― que l’homme s’adresse, que pour rencontrer le silence du blond et ton regard perçant à chaque fois qu’il se retourne pour mesurer vos impressions. Tu devines au fil des mots que le Lim est déjà venu ici. Il a déjà parcouru les étages, les pièces, posé nombre de questions, résolu quelques problèmes d’aménagement et de rénovations. Si vous êtes ici tous les trois aujourd’hui, c’est que cette maison convient à ses hauts standards : il ne vous ferait visiter rien de moins que le meilleur et qu’une certitude, tu le sais. Tu poses quelques questions sur l’architecture, un peu trop pointues pour ne pas être embarrassantes lorsque l’agent ne peut pas te répondre (et tu accueilles ses hésitations de « mmm » pensifs). Tu dissimules mal ton intérêt en constatant les nombreuses bibliothèques, la luminosité des pièces, l’agencement général qui permet une intimité relative pour les habitants des lieux, la terrasse quasi intime au centre de New Blossom. Ta mine sérieuse s’épanouit avec les minutes, les littérales heures pendant lesquelles vous parcourez la maison, et le sourire qui flotte sur tes lèvres est bien involontaire.

Tu voudrais être plus enthousiaste, mais cette émotion, comme toutes les autres, vit désormais en sourdine dans ta tête et ta poitrine.

Tu guettes les mimiques et les regards de Chung-Hee. Le visage neutre de Curtis et les changements discrets dans son expression. Tu pondères le silence lorsqu’on vous laisse tous les trois. Tu fermes les yeux à demi et tu laisses la lumière de décembre réchauffer ton visage. Tu rouvres les paupières pour admirer les lieux une nouvelle fois et tu tournes légèrement la tête vers ton partenaire lorsqu’il prend la parole. Tu le sais pressé plus que tout le sent, tout le monde étant désormais embourbé dans une ouate épaisse. « Février », répètes-tu. Le 1er février. Deux mois, même un peu moins. En deux mois, aurez-vous le temps de tout préparer ? Les papiers notariaux, ceux bancaires, les déménagements… Tu penses aux frais de scolarité que tu peines encore à rembourser et dont tu espérais voir le bout (d’ici deux ans tout au plus) avant de penser à faire quelque chose d’aussi sérieux que devenir propriétaire. « Je crois qu’il y a suffisamment de place pour tous nos livres. Une approbation discrète, sans que tu en dises trop. Tu as un geste vague de la main afin d’englober les lieux. Combien ? »

Curtis a suivi le mouvement parce qu'une invitation de Chung-Hee ne se refuse pas, c'est un ordre dissimulé. Lorsqu'il s'est retrouvé devant la maison, une sensation étrange s'est emparé de lui qu'il ne saurait décrire, entre la peur et l'anticipation. Rien de négatif, c'est cette boule au ventre qu'on porte enfant devant l'immensité des possibilités. Curtis n'a appartenu nulle part depuis le foyer des White. Il pense souvent à sa mère qui serait heureux de le voir revenir dans l'Underapple. Il y a songé il y a quelques temps, puisqu'il y travaille. Les trajets entre Crimson Bay et les sous-terrains ne le dérangent pas. Le Nexus est plus loin. C'est le seul inconvénient. Le Nexus, c'est aussi plus proche de Robin, suffisant pour renverser la balance. Curtis sourit en coin, il observe les deux hommes au loin, note les gestes affectueux de Clemente, les regards de Chung-Hee. Ce n'est pas de lui dont il a peur, ils ont crevé l'abcès. Curtis ne doute plus de ses sentiments désormais, il apparaît claire qu'il les veut tous les deux dans sa vie.
C'est de Clemente dont il craint la réaction et pourtant, il a l'impression qu'il ne devrait pas s'inquiéter autant.

La maison est magnifique. Ce n'est pas compliqué de rentrer dans ses critères. L'appartement de Crimson Bay est en piteux état, il n'est pas aussi lumineux et certainement pas aussi grand. L'idée de le quitter lui fait quelque chose, tout de même. Ce voisinage lui plaisait. Crimson Bay ne s'inquiète pas du sang sur ses mains. Si il avait du quitter le lotissement, il aurait regretté son voisin, ça lui aurait arraché le coeur. Sauf que le voisin est avec eux. Tous les trois. Curtis sourit à nouveau et jette un coup d'oeil à ses futurs partenaires, curieux de voir où toute cette histoire le mène.
La seule chose qui lui importe étant la cuisine, Curtis est rapidement séduit et comblé. Il ne lui faut pas grand chose. Un toit, c'est déjà beaucoup. Une maison ? Qui lui appartiendrait ? A eux ?
C'est trop.

Le moment du briefing venu, il a encore moins de choses à dire. « La cuisine est fonctionnelle, c'est exactement ce que je recherche. Il commente pensif, persuadé que Chung-Hee le sait déjà et a choisit cette maison exactement pour ces raisons. Parce qu'elle leur convient à tous les trois. Un peu de terrain, je ne dis pas non. Il se voit déjà lézarder au soleil quand l'été battra son plein. Curtis a besoin de chaleur, il est vrai que les problèmes d'humidité dans son ancien appartement ne seront pas regrettés. Car il n'est plus question d'hésiter aujourd'hui. Sa vie a déjà prit un nouveau tournant, elle s’apprête à changer pour toujours. Pour toujours il l'espère, ne doute pas de sa capacité à leur être fidèle jusqu'à sa mort. Curtis est heureux aujourd'hui, une joie si intense qu'il ne sait pas quoi en faire. Il est rare pour lui de ressentir des émotions. Je n'ai pas beaucoup d'affaires de toute façon. Il s'excuse presque. Il ne prendra pas de place, il s'est séparé de ses animaux récemment qui ont trouvé une famille. Curtis n'a que ses vêtements, quelques bouquins qu'il n'a jamais lu et ses couteaux.

Tu as un “mm” approbateur au commentaire du White ― la cuisine est un autre point positif de cette maison. Tout l’espace de rangement fait rêver et même là, il y a de quoi caler vos livres de cuisine. Le carnet de recettes de ta Nonna, les livres de la sœur de Chung-Hee, les favoris de Curtis. Si tu fermes les yeux, tu peux même déjà imaginer les scènes, humer les odeurs typiques des plats cuisinés, entendre les conversations.

Tu ne t’autorises pas à trop te projeter avant de savoir quel sera le coût littéral de l’achat. Point de contention qui déplaît à ton partenaire, tu le sais avant même de lui demander, fort sobrement, ce qu’il en est. Tu insistes du regard, sans prendre la parole, lorsqu’il tente d’éluder la réponse. Si vous devez acquérir une propriété ensemble, tu préfères que les cachotteries cessent à l’instant. Tu n’as plus tes capacités de jadis, mais celle de détecter le mensonge est restée très affûtée (utile, au demeurant). « Trois millions quatre. » Une expiration soudaine, brute. Le montant est étourdissant, sans être surprenant. Pas pour ce genre de propriété, pas au cœur de New Blossom, pas dans le Nexus. Y’aurait même de quoi s’étonner que ce ne soit pas davantage (ça laisse probablement à la discrétion de la potentielle surenchère). Tu rationalises en même temps que Chung-Hee, les arguments identiques aux siens (vos esprits sont toujours au même diapason) ― sans ton appartement, tu pourras tout à fait payer une part de ce loyer (même si moindre), à trois, c’est plus qu’envisageable. Tu seras à distance de marche de la librairie, tu sauveras de l’argent sur le transport. Sur tout le reste, cela dit… Tu pourrais demander un prêt personnel à ton frère, qui est toujours outré que tu n’habites pas avec ton fidanzato (tu n’as toujours pas eu le cœur de le détromper à ce sujet, vu son enthousiasme)(puis, le mot te plaît).

Tu tournes la tête vers Curtis et, de connivence, un demi-sourire aux lèvres, tu souffles : « Quel homme pratique. »

Tu t’accroches aux filaments de bonheur qui te parviennent de Curtis, à l’amour profond de Chung-Hee, désespéré d’attraper la moindre émotion suffisamment forte pour te sortir de ton marasme. Pour t’y calquer, y retrouver les fragments de tes propres sentiments. Tu te sais heureux, à l’idée d’être ici avec eux. Pour toute la vie, tu ne sais pas ― « Le reste de mes jours, Chung-Hee… ton romantisme dramatique est aussi terrible que charmant, amore mio » ― mais certainement quelques années.
Eux, parce qu’il t’est impossible d’imaginer votre couple sans le blond, et tu supposes ainsi que c’est désormais une triade.
Tu ne sais toujours pas quoi penser de tout cela, mais l’affaire ne te déplaît pas. Tu apprécies la présence de Curtis, souvent furtive, toujours apaisante, l’apport de ses commentaires et opinions, les émotions vives et brûlantes qui courent dans ses veines. Tu sais ce qu’il éprouve pour ton partenaire, tout comme la réciproque, et tu n’as pas à cet égard le ressentiment mauvais, amer, que tu as éprouvé jadis envers la fiancée du Lim.

Tu prends place dans un fauteuil. Tu veux les voir, eux, dans la maison. Illuminés par le soleil qui agresse ta vue, qui sublime pourtant tout d’une aura floue et magnifique. « Nous y serons bien, je crois. Une autre approbation. Un accord. Je termine de rembourser mon prêt étudiant en 2027. D’ici là, mes finances seront… ce qu’elles sont à l’instant. Tu hausses les épaules, sans davantage t’épancher sur l’état désastreux de ton compte en banque. Au moins, il est stable, et sans rendez-vous de psy, tu as pu mettre un peu de côté. Pour la mise de fonds, ça pourra être utile. Je peux avoir une part moindre de la maison, jusqu’à ce que je sois capable de payer le même montant que vous deux. »

« Tu sous-estimes ta place dans nos vies, Curtis. » Ton commentaire est bête de simplicité. Accueillant, discrète acceptation que ce choix de domicile n’est pas fait que pour un couple. Plutôt pour cette triade sans règles tout à fait établies, où l’honnêteté a été confiée au fil des coups de tête et de cœur, des erreurs, des frictions. Tous adultes, mais pas moins tous un peu idiots. Sa place à vos côtés n’est pas un luxe : elle est un essentiel.

Tu tournes la tête vers ton compagnon. Ses yeux ont un brillant supplémentaire, une humidité qui te fait un peu plisser les yeux. Est-ce l’émotion de votre acceptation de vivre ici ? le montant d’argent que vous vous apprêtez à engager ? (ça a de quoi faire pleurer, oui) a secret third thing ? Ton regard soupçonneux se tourne vers le White lorsqu’il est interpellé, à la recherche d’une réponse dans le secret de ses sentiments ― une vague chaleur, une pointe tendre, et tout t’échappe si vite.

Tu te lèves du fauteuil afin de te placer devant Chung-Hee et l’écrin ouvert. Là, tu peux bien, mieux, voir le jonc qui repose en son sein. Ton cœur bat à toute allure. Tu sens tes propres yeux s’humidifier. Pendant quelques secondes, les filaments fragiles de ta mutation vibrent au diapason des émotions de ton fi-an-cé, comme jadis. La tête te tourne, le cœur te serre, le ventre te tord. Tu pourrais en être malade autant que tu pourrais en tête extatique, comme drogué. « J’aurais dû… » Les mots se bloquent dans ta gorge. Tu secoues la tête. Tu aurais dû t’en douter et jadis, il y a de cela peu de temps, tu aurais deviné la manigance bien avant. Tu t’émerveilles, en cet instant fugace, de ne pas avoir deviné. C’est doux, tout compte fait, de pouvoir être pris au dépourvu comme un simple humain. la phrase que tu prononces est d’autant plus sereine : « Je suis heureux de ne pas avoir deviné. »

Tu retires la bague que tu portes déjà à ton annulaire gauche. L’anneau passe à un autre de tes doigts sans que tu y penses à deux fois. Tu tends la main à Chung-Hee et, la jointure nue, offerte, tu attends. Une seconde, pas plus, avant que le bijou soit délogé de son écrin, puis passé à ta main. Le métal est froid, mais se réchauffe vite au contact de ton corps. « Parfait. Un moment de flottement. Évidemment. » Laissez à Chung-Hee le soin de non seulement trouver un bijou qui se cale tout à fait à tes goûts, mais à la bonne taille. Tu portes ta main à tes lèvres et tu déposes un baiser sur le métal déjà tiède. « Follia », murmures-tu pour toi-même.

La réponse à la question, ô combien importante !, de Chung-Hee est évidente par tes gestes. Tu te permets tout de même de le dire à voix haute. Un simple : « Oui, Chung-Hee, je veux t’épouser » dont l’intensité fait rougir tes joues. Tu as un sourire ravi, gamin. Malicieux lorsque tu précises : « Vous épouser » en dévisageant Curtis, avec l’allure de celui qui enfin découvre un secret très croustillant. Tu te rapproches de ton fiancé et tu l’embrasses sans te gêner, surtout pas pour l’agent immobilier qui pourrait éventuellement passer le pas de la porte. Un baiser langoureux qui te laisse les yeux brillants. Au second homme, ton second fiancé ?, tu offres un : « Curtis, s’il te plaît » pour l’inciter à se rapprocher. Tu lui ouvres tes bras, pour une étreinte solide qui n’a rien de simplement amicale. Porteuse d’une promesse autant que de tes sentiments encore croissants, prudents, et aux racines pourtant chaque jour plus solides et profondes.