If psychedelic mushrooms can grow from shit, so can u / Sol

C’est pas joli à voir, quand j’ai le cœur brisé. J’suis pas doué pour cacher mes émotions, et être triste me met en colère, alors tout empire en un rien de temps. Par contre, ça met du temps à se calmer, ça revient par vague, et sans prévenir je me remets à sangloter et à jeter des trucs contre les murs pour exorciser ma rage. J’craque sur des gens que j’connais même pas, cultive mon p’tit amour à sens unique et j’pète une case quand l’scénario dans ma tête colle pas à la réalité. J’crois qu’mon cerveau est cassé, il s’dit que c’est une bonne idée d’me faire penser des conneries vu qu’toute façon j’trouverais jamais personne d’assez con pour vouloir passer sa vie avec moi. J’l’aimais bien, dαяꝁ hὄᴘε, j’aurais pu passer des années à délirer si seulement il avait été foutu de garder son T-shirt. Mais tout l’monde se fout à poil tout l’temps, dans c’monde de merde.

Un appel en absence, dans l’crâne. Je hurle une dernière fois dans mon oreiller, frotte mes yeux qui sont encore bien gonflés d’avoir tant pleuré, puis je quitte mon lit pour aller ouvrir à Hae-un. J’suis en hoodie et training noirs trop grands, les mains avalées par les manches. J’ressemble à rien, mais c’est pas moi qui vais m’en soucier. Déjà ça fait trois mois que mes cheveux sont trop longs juste par flemme d’aller chez le coiffeur. J’les programme sur noirs – comme mon âme – en descendant les escaliers, glisse en chaussettes jusqu’à la porte et l’ouvre en douceur, très différemment d’à mon habitude. C’est parce que j’veux pas faire peur à Louisa, c’est la première fois qu’on se rencontre. Annyeong Louisa, je salue en m’accroupissant à sa hauteur, écorchant un peu son prénom sans doute. Je tends sagement la main vers son museau, qu’elle puisse se faire à mon odeur – j’espère qu’elle aime les chats. Elle recule légèrement sa tête, ne semble pas vouloir de caresse pour le moment. Oh. She’s shy. Just like you. Je souris un peu, n’insiste pas plus. It’s okay, we take time. J’vais attendre qu’elle s’habitue à l’appartement d’mon frère, déjà. Je me redresse donc et repousse un peu Hae-un à l’intérieur d’un coup d’épaule, clape la porte d’entrée du pied et le débarrasse de son sac dans la seconde, jetant un œil à son contenu. It’s still hot, you think? Ça sent bon, en tout cas.

*Dialogues en coréen

J’hausse un sourcil d’un air peu avenant, à m’demander s’il se fout de ma gueule ou pas. J’fais souvent flipper les gens, en vrai, parce que je hurle pour rien et que j’me promène avec ma capuche sur la tête et ma dégaine de p’tite frappe – et iels ont bien raison d’avoir peur. J’mords très bien. I’m very scary, que j’grogne avec une moue irritée, en prenant déjà la direction de la cuisine tandis que Nuage s’occupe de Louisa. Ses pattes font un joli bruit sur le parquet, ça m’fait sourire un peu malgré mon humeur massacrante.

J’tape le sac sur le comptoir et entreprend d'en vider le contenu, puis attrape deux tasses dans une étagère – j’sais qu’elles sont là juste parce qu’on les voit, ça aurait été autre chose si elles étaient planquées dans un placard fermé. J’m’installe sur un tabouret et j’colle mes mains un rien froides contre le thermos de chocolat ; ça a l’air encore bien chaud, à l’intérieur, et j’reste comme ça un petit moment, juste parce que la sensation est agréable. Ouais j’en veux. Par contre faut fouiller les placards pour trouver les trucs, j’sais pas où est rangé quoi.* Les trucs résument bien ma connaissance en ustensiles de cuisine, ça fait des mois qu’j’habite ici et que j’sais toujours pas.

J’regarde Louisa qui explore la pièce, et surtout semble se soucier de la position de Nuage, limite à le surveiller du coin de l’œil, pour s’assurer qu’il ne disparaisse pas. Urgh she likes you so very much. Where you find her? Distract me from broken heart, j’ordonne presque, en m’affalant sur le plan de travail, le coude dessus et le menton calé sur ma paume.

*Dialogues en coréen

J’fronce le nez à la question sur Aeji. J’suppose que faire les trois-quarts de mes repas, ça compte comme beaucoup cuisiner, mais j’ai pas envie d’causer de mon frère maintenant alors je lâche juste un ouais* complètement vague et inutile. J’attends patiemment que Nuage batte sa chantilly en balançant mes jambes dans le vide et en poussant d’immenses soupirs – très patiemment compte tenu de mon état –, puis quand il termine enfin, j’m’applique à servir le chocolat dans les deux tasses. Un exploit pour moi, franchement, alors que Nuage fait la vaisselle dans une cuisine qui n’est pas la sienne. Non, j’ai pas honte. Vous vous r’ssemblez*, j’réponds, en le regardant déposer une coupe de chantilly devant Louisa qui fait disparaître la crème en un éclair, soulevant un microscopique sourire au coin de mes lèvres. J’m’offusque pas le moins du monde de passer après la chienne, ça m’paraît totalement normal.

J’hausse un sourcil perplexe, en l’écoutant, tout en tapant une énorme portion de crème au-dessus de nos deux chocolats chauds. J’attaque le mien directement, puis j’pousse un petit soupir satisfait et passe ma langue sur mes lèvres histoire d’faire disparaître la chantilly parce que j’m’en suis sûrement foutu partout. Du coup t’es pote avec ton agent d’probation ? C’pas censé être l’ennemi ou j’sais pas quoi ?* J’vois mal un type refiler son chien à quelqu’un s’il a pas un minimum confiance en ce quelqu’un. Mais en même temps, dans les films, les détenus sont jamais très copains avec les gens qui les surveillent, ça m’paraît bizarre, tout ça. Louisa s’approche un peu d’moi et j’arrête de m’agiter pour pas la surprendre, prends un peu de chantilly sur mon index et le lui tend, sans aucune brusquerie. Elle se méfie pendant quelques secondes avant d’finalement lécher mon doigt pour mon plus grand bonheur. Urrrrgh I love you but you can’t stay with me, Louisa, je lâche avec le plus grand des soupirs, une moue dépitée sur ma gueule.