On attendra l'hiver pour s'écrire qu'on se manque | RENE

Il neige à Montréal. La ville est vêtue entièrement de blanc, plus pure qu'autre chose et pourtant, René l'observe en grimaçant terriblement. Il y a quelque chose d'amer avec la ville, qu'importe si Mont Royal est très joli, qu'importe si le paysage lui rappelle de nombreux souvenirs. Les restaurants sont bons, entendre sa langue natale lui fait plaisir mais il y a un poids, dans sa poitrine. Un poids qui est toujours là lorsqu'il est question de ses parents, de sa famille. Il est triste ; ou pas vraiment. Il ne saurait dire. Le sentiment est étrange, dérangeant. Il se sent loin d'être lui-même et pourtant, enfermé à l'intérieur de sa peau. Soudain, les mascarades qu'il fait sans cesse ne lui semblent pas utiles. René joue quand même le jeu ; les vêtements sont trop légers pour Montréal et son maquillage trop présent, ses cheveux trop long. Son ton, lui, finit rapidement vide, morne. Il perd sa flamme en parlant, sachant déjà que ses parents ne portent pas attention à ses mots. Qu'on lui donne des choses à dire et surtout, qu'on s'attend de lui à ce qu'il les prononce. Et René n'a pas l'énergie, ici.
À Montréal, il meurt un peu, souvent.
Le sentiment n'est pas confortable ; son loft lui manque, Ken aussi, et Link, et Lulu. Peut-être même Nessie, mais il essaie de ne pas y penser. Il n'a rien poster sur son Argo depuis des jours, et René devine bien que l'artiste n'a même pas remarqué son absence. Aucun message envoyé de son côté, et la diva n'a pas non plus envie de devoir attirer son attention en lui partageant son petit voyage. Il n'en a que faire, de toute manière, que Nessie le sache ou non. Vraiment, la chose ne lui importe pas.
Au moins, Chad sait ; il s'occupe même de Ken. René n'a besoin de rien d'autre.
Juste de rentrer, peut-être.
Rentrer, ça serait bien. Mais les journées sont encore nombreuses, dans cette ville triste.
Le regard tombe sur le téléphone trop souvent, dans la chambre d'hotel. Il possède pourtant une chambre à la maison familiale, René. Sauf qu'il ne sait pas ; il ne sait pas à quoi elle ressemble. Sa mère change la décoration à chaque année, suit les tendances. La chambre ne possède de lui que son nom, qu'un simple titre pour faire croire qu'il possède encore sa place, dans la famille. Qu'il est encore leur fils. Du fait semblant, encore.
Le message d'Ilyas le surprend, quand il tombe. Le pseudo est encore en favori, le nom au sommet de sa liste. René observe le message et le fixe longtemps, trop longtemps, au point de voir une larme tombée sur son écran et d'en être surpris. L'émotion le prend de court ; il lève les yeux au ciel, bat des cils, essuie avec ses doigts avec douceur. Il refuse de voir son maquillage coulée. Mais le message attend, et René ne répond pas, mais il prend des mouchoirs, essuie ses traits, refait son fond de teint et descend dans l'entrée du grand hôtel. Les UGG roses n'ont rien de charmants à ses pieds, et peut-être que son pull est plus transparent qu'autre chose, mais René descend et quitte l'immeuble quand, de l'autre côté de la porte, il reconnait bien la chevelure blonde.
- Po - Le surnom reste coincé dans sa gorge. René pince ses lèvres, se reprend malgré les folies que fait son coeur. Ilyas. , qu'il dit plutôt, les bras autour de son corps. Il y a du vent, et le froid est glacial. Comment tu m'as trouvé ? Tu as cherché l'hotel le plus dispendieux de la ville ? Si peu surprenant de sa part. René lève le menton, impérieux et gelé. Ce n'est pas très poli de - oh. Le coeur s'arrête, se prend et réchauffe. René est coincé dans les bras d'Ilyas, petit et immense pourtant. Le manteau de l'autre est froid, mais la pression autour de lui le réchauffe. Il perd de sa prestance, de son vilain caractère et soupire, un peu, tandis que ses yeux se font encore humides. Je te laisse faire car il fait froid, sache le. , qu'il peste, se faisant plus confortable dans ses bras, son visage allant dans son cou.

Dans l'hiver, Ilyas est flocon parmi les flocons. Ses cheveux pâles et son teint qui l'est encore plus. Depuis qu'il a quitté les îles, toute la chaleur sur son visage et dans ses yeux s'est en allée. Il possède ce charme froid et distant pour les photos. Il est bien, là. Dans les bras de René, ou René dans ses bras, dans un ordre imprécis. Il oublie le froid, il n'a pas eu une seconde pour y penser. Il n'a pas prit le temps de penser à lui depuis qu'il est monté dans l'avion. Il le serre contre lui comme un petit frère enlace son ainé, s'accroche autant aux vêtements prêts du corps qu'au corps lui même. Il sent sa chaleur sous ses doigts, conscient qu'il est moins protégé que lui. « Tu vas attraper froid, non ? Il s'inquiète.

Ilyas sourit comme cent soleils. A croire qu'ils ne se sont jamais disputés. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose et se ravise, n'arrive pas à ordonner les phrases et se surprend à se redresser et chercher le mot juste, comme s'il y avait un micro quelque part. Parce qu'on lui a toujours dit de faire attention à sa parole, partout où il irait. Attention à son apparence - il ne ressemble à rien dans sa doudoune. « Regarde toi, tu es... là. Rien d'autre. J'ai vu tes photos, des vidéos, j'ai reconnu. Sur ARGO. Je suis désolé, tu vas me prendre pour un stalker. Mais Ilyas explose de rire, soudain conscient de la folie qui l'a saisie. De ce qu'il vient de faire, ce qui en valait milles fois la peine. Alors j'ai, pas vraiment volé, mais j'ai demandé, emprunté un jet et... Au diable l'empreinte carbone. Pardon la Terre. Pardon le Monde. Il ne tourne pas rond, de toute façon.

Ilyas n'a rien à lui dire. Tout à la fois. Il y a des excuses qui meurent sur ses lèvres, maladroites. Il glisse une main dans la nuque de René et sait que sous son maquillage il y a une myriade d'émotions. Ilyas saurait toujours reconnaître les larmes séchées et ravalées. Il le fallait, tu comprends ? » Que je te retrouve.

cw: jugement sur l'alimentation (mention)
Il possède plus de maux que de douceurs sur le coeur aujourd'hui, René. Être à Montréal n'est pas quelque chose de doux ni de tendre. Il y a les paroles de sa mère sur ce qu'il mange qui résonnent constamment, les regards de son père sur son apparence, sur son attitude et sa personne, tout simplement. Il y a la dispute avec Lulu et Marcus, aussi, qu'il essaie d'oublier. René, il est épuisé. Plus qu'il l'aurait cru ; le voyage est éprouvant et difficile. Il se pensait assez solide ; venir ici quelques jours, faire la promotion, les shootings et partir de nouveau pour quelques mois, ensuite. Acheter la paix, comme on dit. Juste acheter quelques mois de liberté avant que l'agent de ses parents le contacte de nouveau, avant que les demandes ne pleuvent et qu'on exige de lui comme s'il devait être redevable, oui, qu'on l'ait choisi plutôt qu'un autre enfant. On lui a donné, offert une chance rare. Il ne devrait pas être si difficile ; pourquoi fait-il autant de caprice, de toute manière ? Il devrait se calmer sur les burgers, se tenir plus droit, arrêter de porter des jupes, se calmer sur le maquillage.
Il devrait arrêter d'être lui mais René, il ne sait pas vraiment ce que c'est que d'être entièrement lui. Il récolte les détails qu'il mange dans les faux semblants, il trouve son confort dans ce qu'il découvre et il garde les petits morceaux qui sonnent comme lui et -
Et on lui dit que ça ne va pas. Qu'il est dérangeant, qu'il devrait faire différent, qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
René, il aimerait juste être lui et aimer, en entier, pour une fois.
Et voir Ilyas et être au creux de ses bras lui donnent cette impression, sur le moment. Lui donne l'impression d'être important, apprécié, aimé. Au travers du froid de Montréal, au creux de ses bras il a chaud, il est confortable. Pourtant, le frisson danse contre sa chair. René pourrait bien tomber malade mais non.
Pas quand Ilyas sourit, rit comme ça. Pas quand il a un soleil au creux de ses bras.
- Et - le jet ?! Le mot est craché de sa bouche tant la surprise est grande. Pour moi ? Il papillonne des yeux, René. Il observe Ilyas sans comprendre le moindre de ses mots, sans réaliser la portée de son geste. C'est trop. C'est énorme, même.
On dirait un rêve. On dirait une illusion.
Mais Ilyas dit qu'il le fallait.
Et René -
René, il regarde sans comprendre et doucement, une seconde à la fois, son expression change.
La grimace se forme et les yeux se font humides.
- Mais pourquoi? Il demande, il a besoin de savoir. Le mot est une lamentation, un appel à la raison. René ne comprend pas. Ils ne se parlent plus depuis des mois. Et René est -
Fatigué, épuisé, triste, meurtri.
L'un de ses bras quitte sa poigne sur Ilyas et René essuie ses traits, chasse du bout du doigt les perles de larmes. Le corps tremble et les larmes sont silencieuses. René n'a jamais été très bruyant avec sa peine. De toute manière, qu'on l'entend ou pas, on lui demandait surtout de finir sa crise rapidement.  
- Je - je comprends pas. je comprends rien c'est  - Les mots se perdent au travers des hoquets. Ils le traversent et René n'a aucun contrôle. C'est si gentil., qu'il dit, et il ne sait pas quoi faire de la chose.

Pour lui, bien sur. Ilyas ferait des centaines de kilomètres pour ceux qu'il aime, il mettrait le monde à feu et à sang s'il le fallait. Il croit que sa fidélité ne connaît pas de limite, il aime servir, pour être aimé. Combien de fois a t-il voulu faire la même chose, s'envoler pour rejoindre sa mère. Il ne veut pas l'embarrasser, la mettre au coeur d'un conflit entre lui et son père. Ilyas est ce qui maintient l'équilibre dans ce microcosme sans dessus ni dessous. Sur ses frêles et malades épaules, toute la paix d'un foyer. Alors il ne peut pas renier tout ce que son géniteur fait pour lui, ses devoirs et ses missions pour la société. Il ne peut se comporter comme un enfant qui réclame sa maman et se résigne à des visites annuels aux fêtes de fin d'année. Il partira d'ici une semaine, le vol est déjà booké. René n'était pas dans son plan, il est sans crise d’adolescence à retardement. Aux Yeux Ilyas est une délivrance à laquelle il n'ose pas goûter. René lui a déjà fait cette reproche, a tenté de lui faire comprendre qu'il devrait vivre pour lui et cesser d'exister comme on lui demande, à tenté de lui ouvrir les yeux sur le management toxique qu'on opère sa vie. Ilyas ne sait pas, il fait pour les autres, sans y penser, il se donne tout entier.

Envoyer un message n'aurait pas été assez. Un appel impersonnel. Non, il devait le voir en vrai. Vivre, parce qu'il en assez d'être coincé derrière un bureau ou un écran, de ne pas vivre à 200%.  « Tu vois qui d'autre ? » Il ricane. Pour lui, oui, il a désobéi aux règles de sécurité et il pourrait se faire punir comme lorsqu'il avait treize ans, on lui remontera les bretelles. Qu'importe. Il est de toute façon condamné à vieillir dans sa prison dorée, cela vaut bien un peu de danger. Agir comme le gosse de riche effronté, comme on le prétend, comme il s'affiche dans les médias. Tout ce qu'il n'est pas.
C'est gentil, il lui dit et Ilyas le serre un peu plus fort. La gentillesse est une denrée qui ne s'achète pas, tout comme l'argent et l'amour. La sincérité disparaît derrière les liasses de billets. « On s'est prit la tête la dernière fois.   Pour des raisons futiles, Ilyas n'a plus le coeur de lui en vouloir. Il pardonnerait le diable de l'envoyer en Enfer, il n'a pas la force d’haïr. Même Quillan et ses manières, il ne peut lui en vouloir pleinement. Je m'en veux. Je veux m'excuser, il fallait bien que je te dise en face. Il caresse les traits de son visage pour les mémoriser, parce que les photos il en a assez. De tous ces liens qui se créent et se perdent dans les kilomètres. Parce qu'il veut essuyer ses larmes et le réconforter, être le grand frère juste une fois. Tu me manques. »

tw: mention de negligence parentale
Les larmes coulent et portent un chagrin qui est doux. René pleure pour les émotions des derniers jours, pour les faux espoirs et le poids qu’il porte sur son dos. Pour les déceptions et l’amour qu’il ne reçoit pas, pour les erreurs qu’il a commises avec certains amis et juste - juste sa vie. Il n’est pas fier de lui-même. Mais quand l’est-il ? René ne l’est pas, fier. Il fait mine de l’être, assez pour y croire lui-même. Il fait mine de l’être, pour parvenir à y croire un jour. Il essaie sans y croire vraiment, la plupart du temps.
René a le coeur dans la gorge. Les poumons trop fragiles pour bien respirer. Le froid de Montréal lui gèle les larmes et les yeux mais qu’importe ; il observe Ilyas. Quelque part, il était persuadé qu’il n’allait jamais le revoir. Qu’avec lui-aussi, il avait tout gâché. Comme quoi, la situation avec Lulu et Marcus n’est pas une première. Il a déjà causé du tort.
Mais Ilyas est là.
Ilyas est là et il parle de la dispute, de la raison du silence.
Malgré lui, René grimace déjà, un élan de chagrin le frappant. Il essaie de contenir les sanglots mais ils le prennent en otage.
Il déteste les hoquets. Il ne sait jamais les taire.
- Je voulais pas - René devrait apprendre à se taire, parfois. Il se tait face à ses parents depuis toujours. Alors pourquoi il a osé parler devant Ilyas et le confronter face à sa relation avec son père ? La dispute en elle-même repose sur son hypocrisie.
Le visage de René ne doit pas ressembler à grand-chose, quand Ilyas commence à s’excuser. René ouvre la bouche, cherche à lui dire qu’il est responsable de tout, mais son ami caresse ses traits, chasse ses larmes et lui dit qu’il lui a manqué.
Et René pleure, encore.
Il pleure et encore une fois, s’accroche à lui, son manteau, et fond entre le blond. Son visage va se perdre dans son cou et si les pleurs sont silencieux, le corps tressaute.
- Arrête de t’excuser, qu’il dit au travers des larmes, contre le manteau d’Ilyas. T’as rien - rien fait de mal. C’est moi .C’est moi et ma grande bouche, encore. J’ai dit - j’ai dit des choses. J’me suis mêlé de sujets qui me concernaient pas. J’ai - je - Tout gâché. Parce que René gâche tout, toujours. Il déçoit les gens. Ça a toujours été ainsi.
Par moment, il ose croire que ses parents ont tort.
Puis, la réalité le rattrape et il réalise que non.
Ils ont raison.
Les derniers jours lui ont bien prouvé.
Un reniflement encore, et René s’éloigne et essuie son visage de ses deux mains rapidement. Chose faite, il s’empare d’un pan de manteau de son ami. Peur qu’il parte. Peur qu’il disparaisse encore une fois. René souffle doucement.
- Tu - Il renifle, délicat. Il fait froid. Rentre .. d’accord ? Viens - viens à l’intérieur avec moi. La demande est innocente.

cw : privilèges, instrumentalisation

Ilyas le sait, il a des problèmes de riches. Des problèmes qui, s'il les exposait, ferait rire à gorge déployée ses amis les plus modestes. Pauvre garçon dans sa cage dorée, de quoi se plaindrait-il ? Ni la faim, ni le froid ne le menacent réellement. Son avenir est assuré, même s'il arrêtait de travailler jusqu'au restant de ses jours. Il pourrait mener une vie confortable et s'autoriser des écarts. C'est un empire qui l'attend, seul héritier légitime des Kaanan.
Son malheur, qui voudrait bien l'entendre ?
Parfois, il ne sait plus de quoi il se plaint et puis René a un jour mit le doigt dessus avec une précision telle que la douleur lui a coupé le souffle. L'autre n'avait pas, non, à dire ce qu'il pensait, à juger sa situation. Mais... « Oui mais... c'est toi. Et Ilyas lui lance un regard tendre, plein de compassion et de compréhension. Si tu n'étais pas toi, ce ne serait pas pareil. »

Ilyas le suit, en tout innocence. Il connaît la réputation de René, mais ce n'est pas ça entre eux, ça n'a rien à voir. Ilyas l'a toujours admiré pour d'autres raisons. Leur lien est fraternel, jamais de la vie il n'oserait poser ce genre de regard sur lui. Ilyas le voit comme un être humain, dans toute sa splendeur et ses défauts, il voit au delà car René est un miroir, avant tout. Le miroir de ce qu'il est, lui aussi. Quand il ressent le besoin de se réfugier dans ses bras, c'est comme s'il se confiait à un ainé qui a manqué à l'appel.

Ilyas se réchauffe à l'intérieur, sent la moindre tension se dissiper, sans que l’anxiété ne s'en aille vraiment. Elle le ronge toujours à l'intérieur et oppresse son coeur. Ilyas se débarrasse de son manteau trop large, et trop léger. Les dernières deadlines l'ont fait fondre comme la neige au soleil. « Je n'aurais pas dû... Tu.. Il n'a pas totalement tord. C'est que j'ai peur. » Peur d'avoir tort. Peur d'avoir tort de croire qu'il y a encore de la bonté en son père, qu'il n'est pas devenu sa propre caricature depuis que sa société est devenue ce qu'elle est. Peur de ne jamais pouvoir se défaire complètement de cette influence si ancrée en lui que c'est naturel pour Ilyas d'être docile. Comment tu fais toi ? » Ses paroles sont décousues et ne pointent rien en particulier. Tout à la fois. Comment fait-il pour tenir en sachant tout ce qu'il sait, en ayant conscience des failles ? Comment fait-il pour s'imposer comme il est, oser, exister dans la lumière avec tant de facilité. Oh. Il se doute que ce n'est pas facile, justement.
Ilyas se dit que ce serait plus simple si en plus, il n'était pas observé par un garde qui lui rappelle juste que sa vie ne lui appartient pas.

Entre les murs de l'hôtel, René traîne Ilyas à sa suite. Il ne s’arrête pas dans le hall, ne laisse pas le temps aux gens de s’attarder sur leurs visages et leurs personnes. René continue jusqu’à l’ascenseur et à l’intérieur, appelle son étage, non sans souffler lorsque les portes se ferment. Il n’est pas idiot ; devine qu’ils ont peut-être été reconnu. Les visages sont des traîtres ; lorsque l’on est connu, rien ne nous garde réellement à l'abri. René est souvent porté à croire qu’il est un fantôme du passé, un enfant acteur déchu. Malheureusement, la chose ne diminue pas le nombre de regards qu’il reçoit. Il est reconnu plus souvent qu’il ne le voudrait, le plus souvent pour de mauvaises raisons. Les vidéos circulant à son sujet attirent certains types de personnes.
L’ascenseur est quitté, le couloir traversé, la chambre atteinte. Enfin, ils sont seuls.
Seuls loin des yeux du monde. La chose est si rare. C’est bien pour cela que René a déménagé à des kilomètres de ses parents, qu’il adore avoir sa propre demeure. Son propre petit royaume.
Son propre manteau tombe sur le lit lorsque Ilyas parle de nouveau.
- Peur ? Il penche sa tête sur le côté, des mèches lui balayant le visage. René est curieux. Il connaît la peur. Peur de quoi ? Les sourcils se froncent sous la question posée. René reste interdit un moment. Je suis pas sûr de comprendre, poussin. Tu parles face à mes parents ? Leur terrain commun. Si semblable et différent. Je pourrais te dire bien des choses mais bon - je suis là pour eux, non ? J’ai beau jouer le fier, je suis pas mieux non plus. René veut toujours de leur amour. Il ne le réclame plus, mais il accourt quand ils démontrent un peu d’attention, persuadé quelque part que les choses vont changer. Je pense que c’est la malédiction qui vient avec le fait d’être l’enfant de quelqu’un. Certains y échappent mais ah - Un rire, léger. Un petit peu humide. Ils ont pas donné la recette gagnante, pour ça. Tu veux quelque chose à boire ? Je vais commander un chocolat chaud, j’ai si froid. René frotte ses mains avant d’aller jusqu’au téléphone.

Ilyas n'est pas habitué aux beaux hotels et aux belles suites, même si ça peut paraître surprenant. Enfermé dans ses appartements la plupart du temps, il ne quitte New Blossom que pour la France où il réside chez sa mère ou de rares vacances. D'ailleurs, il est incapable de se souvenir de quand datent ses dernières vacances. Peut-être l'année dernière avec Jonathan, à moins que ce soit l'Italie, il y a quatre ans.
Ilyas se déplace pour le travaille, à travers New Blossom et ses beaux quartiers, sans jamais voir le monde ailleurs que dans l'écran de son téléphone.
Il s'émerveille du faste et de la qualité des tapisseries, de la propreté des lieux. Du silence reposant qui y règne, venant remplacer le chaos des rues et les battements affolés de son coeur. Il devine que le soulagement est mutuel.

Sa célébrité, il a au moins le privilège de la vivre de loin. Ses admirateur.ices le contactent uniquement sur les réseaux, il rencontre quelques fans sur le Metaworld et plus rarement dans la rue. Ilyas se balade rarement sans son garde du corps - il faut bien qu'il serve à quelque chose - et encore moins sans raison. Il faut bien un avantage à cette liberté contrôlée. Les fêtes et soirées qui l'accueillent invitent d'autres influenceurs comme lui. Il ne fréquente pas ceux qui pourraient vouloir une photo. Il n'est pas certain que c'est ce qu'on veuille de lui.
Du scandale peut-être.
Ilyas lit les commentaires. Il sait qu'on ne l'aime pour toutes ces raisons. Il ne vit pas dans la même réalité.

« C'est parfait un chocolat. » René n'a pas tort et jamais Ilyas n'a remit en question l'éducation qu'il a reçu et les privilèges qui vont avec. Quand il en a marre, il sait se remettre dans le droit chemin et se rappeler qu'il n'est pas autorisé à se plaindre. Pas quand il y a des gens sous New Blossom qui tuerait pour avoir sa place, ou tuerait pour ce qu'il représente.
Pourtant il a peur. Peur d'avoir quand même des reproches à faire, de vouloir engager une conversation sur leur obsession autour de sa santé, son poids, sa personne. A tout vouloir contrôler, Ilyas perd le fil de sa propre identité. En dehors d'un héritier, il ne sait pas exactement qui il est. Fils de. Voué à remplacer son père quand il ne pourra plus diriger la compagnie et s'efface dans son sillage. Ce n'est pas une si mauvaise chose, pourtant. Ne pas avoir à réfléchir, se soucier de l'avenir, de qui il doit être. Il se laisse guider.
« Je n'ai pas vraiment peur de mes parents, mais j'ai peur de me confronter à leur influence sur ma personne. Il explique et s'installe confortablement dans un fauteuil de la suite après avoir abandonné ses habits chauds et ses chaussures J'ai peur de réaliser que je n'ai pas de personnalité, par exemple. Il ricane, comme si il venait de dire quelque chose de franchement stupide.
Ilyas pense chacun de ses mots, pour autant
J'aime mes parents, je leur dois tout. Bien sur qu'ils ne sont pas parfaits, mais ils ont toujours tout fait dans mon intérêt. Seulement... il m'arrive de me dire que certaines choses n'ont pas été pensées pour mon bien être. » Seulement pour satisfaire leur ego.

Le téléphone de l’hotel est décroché et René attend d’avoir la ligne pour commander deux chocolats, non sans faire un doux sourire à Ilyas au passage. Il ne se fait pas à l’idée que son ami soit là ; que l’héritier est fait tout ce chemin pour lui ; pour demander pardon et le voir. Son coeur est gonflé d’une douce émotion autant que ses yeux sont gonflés par les larmes qui ont coulé. Il ne se remet pas de la chose. Il se demande si d’autres personnes feraient selon pour lui. Il se demande si un jour, quelqu’un tombera amoureux de lui très fort et cela un geste d’une telle envergure. Ce n’est pas comme ça avec le blond ; Ilyas est presque un frère ; le reflet d’un miroir. Parfois, René est jaloux de lui ; se demande si ses parents l’aiment vraiment, ce que Ilyas a de plus que lui. Il voudrait le secouer et lui demander. Mais Ilyas n’a pas été adopté. Ils ne sont pas dans le même bâteau. Du moins, pas pour ce détail.
Peut-être est-il un reflet dans le miroir, mais celui-ci est sali et cassé. René ne sait pas.
Il ne s’est pas posé la question depuis longtemps. Et par le passé, la jalousie avait souvent raison de lui.
Les choses sont un peu différentes, maintenant.
La ligne est raccrochée et René écoute ce que Ilyas lui dit, le rejoint et prend place sur le lit, de son côté. Celui-ci est un peu haut, mais ses longues jambes lui permettent de bien s’asseoir. Il aimerait bien prendre les draps pour s’y enrouler, mais René ne le fait pas.
- C’est leur idée version de ton bien-être - de tes intérêts Ils pensent tout savoir. René vit loin de ses parents depuis des années et pourtant, ils pensent encore tout savoir, tout connaître. J’comprends, je connais. La tête se penche ; René réfléchit et rit un peu ; une petite chose humide. J’ai pas de personnalité, qu’il dit, confesse. Je la trouve petit à petit, une miette à la fois. Je me connais pas., qu’il ajoute. René apprend encore à se connaître. C’est difficile de s’écouter quand la voix dans notre tête, c’est pas la nôtre. C’est eux. Il n’explique pas plus que cela. Ilyas comprendra certainement. Si ça peut te rassurer - je pense que je te vois. ici et là, par moment. Je t’ai vu ; qu’il dit à l’intention d’Ilyas et sa personnalité, un doux sourire sur les lèvres, les yeux vitreux par l’émoi.