Sous un ciel d’orage

"C’est une excellente question !" Voilà un retour qui présage des tonnes d'anecdotes de baroudeurs, se dit-il, en l'imaginant avoir traîné à l'arrière d'un van aménagé jusqu'à trouver meilleur spot pour la reste et fin de l'année. Si l'image aurait pu paraître un brin extrême voire farfelue, la suite ne semble pas vouloir ternir le tableau. "Pour faire court je crois que je suis jamais restée plus de six mois au même endroit, ma maman avait comme qui dirait la bougeotte et je l’ai suivie dans tous ses déménagements. C’était toujours dans le Sud, mais vous l’avez déjà deviné pas vrai ? Elle disait souvent qu’elle aimait trop le soleil pour s’enterrer en Nouvelle-Angleterre." Chose à laquelle Cassian répond par un sourire, bien trop réservé pour s'aventurer à plaisanter sur ce dernier point qui ne lui inspirait que la douce température d'un congélateur.

Il y a de toute façon autre chose qui capte leur attention, à savoir la sérieuse dextérité dont pouvait faire preuve le chef ici présent, à peine troublé par les discussions qui s'échappaient çà et là de cette file salivante. Ce serait mentir de dire que sa satiété a fait un bond en voyant la tortilla se refermer sur autant de beaux aliments, qui plus est sentant quelque chose qui devait se rapprocher du paradis. Lorsqu'ils récupèrent leur tribut et pas des plus maigres, la promesse d'offre est matérialisée par le paiement d'Amber, que l'ange s'empresse bien entendu de remercier à nouveau. " Merci encore Amber," puis, quelques secondes plus tard, alors que toute l'attention du garçon semble se porter sur ce qui réchauffe ses doigts encore un peu humides de pluie, elle enchaîne sur une réponse qui les tire définitivement de l'assemblée.

"Oh sinon, pour répondre à votre première question, je suis juste là depuis quelques semaines. - C'est tout ?!" laisse t-il échapper peut-être un peu trop fort, manquant très probablement de laisser glisser d'entre ses doigts son trésor culinaire. Il ne saurait dire pourquoi ça l'étonne autant, peut-être parce qu'Amber a réussi à (re)trouver précisément ce foodtruck pour une occasion inattendue. Ce n'est définitivement pas cette chanson - dont il n'a toujours pas retrouvé le nom de l'artiste, ce qui s'avère frustrant pour son esprit de mélomane - expirée de ses poumons sous cet abri, et surtout sous ce torrent d'eau, qui semblait vraiment justifier la surprise. "J’aimerais bien dire cinq, ce serait trop drôle, mais je crois que je suis plutôt à trois ou quatre. C’est plutôt sympa je dois dire, et à part aujourd’hui j’ai pas à me plaindre de la météo. - Bah, la semaine prochaine ça devrait faire cinq, ça passe ?" qu'il commente en se retenant de faire une razzia monumentale sur ce qu'elle lui avait gentiment offert pour le repas. Captant un banc non loin, Cassian se maudit toutefois intérieurement : lui aussi est trempé, et pour se poser, il faudrait très probablement songer aux coins de vitrines que personne ne regarde vraiment à pas mal de foulées d'ici, quitte à ce qu'Amber ne parvienne plus vraiment à le voir à cause de ses ailes repliées. A moins, peut-être, de la glisser derrière elle, comme il avait pu le faire plus tôt auprès des braves gens qui attendaient que le ciel ne se calme. L'endroit verduré a beau être idyllique, son esprit pense à leur confort, surtout après ce que la pluie a voulu faire de leurs habits.

"On peut s'assoir au sec pour manger, c'est à deux pas d'ici, ça t'irait ?" lui demande t-il en désignant du menton une direction qui les pousserait à retrouver le gris du bitume. Le vouvoiement n'existant pas vraiment, c'est plutôt le ton employé qui signale qu'il a peut-être oublié quelques bienséances que ce soit, porté par le vent de l'instant. Avec l'aval d'Amber, ils se mettent à déambuler vers la sortie du parc. "Ah, au fait," qu'il exprime à voix haute un peu bas, avant de rehausser un peu le volume. "Y'a des trucs cools ici à faire et à voir, je sais pas ce que t'aimerais visiter ou connaître, mais je pourrais peut-être..." ça semblait facile à dire sur le moment, juste se proposer d'être guide touristique ; mais en le prononçant, Cass se sent un peu plus gêné par la tournure de sa phrase, presque autant que par le coup de chaud qu'il croit ressentir le long de sa nuque. "J'ai pas le diplôme de guide touristique, mais au moins y'aura pas à payer, c'est ce que je voulais dire" pas tout à fait ce qu'il voulait dire, ni même de cette façon là exactement ; et il se sent d'autant plus imbécile ainsi. Une fois sortis du parc, il guide ses pas vers un pan large de devant de vitrine, solide et sec, qui ne semblait attendre qu'eux. Il n'y avait guère que les citadins pour s'improviser de cette façon, même si les vrais New Blossomiens auraient eu vite fait de s'engouffrer dans un centre commercial à la place.

C'est qu'ils vont pour s'assoir, là ; et que ses ailes encombrantes ne font que le rendre d'autant plus gauche. "Je m'assied en premier, je vais tirer mon aile et... enfin c'est pas obligé que... bref." qu'ils soient assis de cette façon là, mais c'était bien la seule façon pour lui, pour eux, d'être en véritable vis à vis ; et pas séparés par un mur de plumes charbon. "Ca te dérange pas de rester ici ? Enfin, ça te va ?" qu'il s'enquit tout de même, ne serait-ce que pour faire passer le léger malaise qui le prend comme s'il venait de se faire saucer une seconde fois par les cieux des Nordistes.

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L'absence d'hésitation face à sa proposition pour le moins décousue n'est pas sans le surprendre un peu, même si, depuis le départ (ou à quelques gouttes de pluie près), il émanait d'Amber une espèce d'assurance décontractée qui ne pouvait que lui faire miroiter ses propres maladresses. C'est d'une agilité féline qu'elle se déplaçait dans les conversations, semble t-il, et Cassian n'était plus vraiment sûr d'être aussi attaché-presse que ça quand il se comparait sur le moment. C'est vrai qu'il était doué pour communiquer, mais la vérité, c'était que sa mutation et toute l'aura dont elle le faisait irradier se suffisait bien souvent à elle-même. Il ne suffisait que de cordes vocales qui vibrent au creux de sa gorge, et Seraphiel n'avait plus rien à faire, ou presque. Les esprits s'apaisent, sont attentifs, boivent ses paroles même bégayantes : c'est à se demander, même, si ça semblait vraiment offrir une vision négative de lui, même quand il se prenait les pieds dans le tapis (ou plutôt, le palais).

En attendant, il ne réalise pas encore vraiment l'étendue des conséquences que sa proposition irait générer par la suite, toute naïve et bienveillante qu'elle avait pu être. Il s'agirait déjà de manger le repas, sous peine de recréer une flaque à force d'en saliver. Pour les échanges de numéros de téléphone, on repassera quelques minutes plus tard après ça, vous voulez bien ? "C’est parfait, relaxe va !" qu'elle le rassure, alors qu'il met à exécution son plan dont le capital ergonomie laissait à désirer. Mais ça, Amber n'avait pas besoin de le savoir. "C’est con à dire mais je crois que comme tous les gosses j’ai un jour rêvé d’avoir des ailes pour voler, mais j’avais jamais imaginé toute la place que ça pouvait prendre." Si tu savais. Quand il était petit, elles s'étaient avérées être trop grandes, très certainement parce que l'injection de Vitae avait été faite trop tôt. L'angelot n'avait pas eu fière allure à cette époque-là, se traînant ses ailes blanches, trop grandes pour lui, qui plus est incapable de voler. Au moins, pour ramasser la poussière de sa chambre, il n'y avait pas eu besoin d'y repasser deux fois derrière. "Ce que je veux dire c’est que ç’a pas l’air facile à gérer, mais que tu gères comme un chef, hein – ça se voit que t’as l’habitude. C’est impressionnant."

Cassian n'a pas envie de lui dire que ça fait bientôt dix ans qu'il les a, et qu'après dix ans, il aurait été temps de s'en accoutumer. Il n'était pas à ce degré de proximité avec Amber et si les américains avaient pour habitude de parler facilement comme ils le font, le Lancaster était de ceux qui savait rester sur la réserve. Plus par pudeur et par instinct de survie, dira t-on, ce qui pourrait, dans les deux cas, s'apparenter à une fuite sociale manifeste. "Elles le seraient moins si je faisais pas un mètre quatre-vingt dix," lui cède t-il, sous-entendant non sans mal qu'elles ne seraient pas aussi impressionnantes si lui-même n'était pas tombé dans une marmite d'épinards étant petit. C'est du côté de sa mère que les hommes étaient tous prêts à lécher le plafond, ce qui n'a donc surpris en rien la concernée quand elle l'a vu grandir vitesse grand V. "Quatre-vingt douze ? J'sais plus." qu'il marmonne à voix haute en ouvrant le papier recouvrant son casse-croûte. "Bon appétit," qu'il lui lâche avant de croquer dans le vif du sujet.

Le délicieux du mets est incroyable, si bien que c'est plus fort que lui, à peine la première bouchée avalée, il s'arrête sur image avec un "Oh putain," complètement abasourdi. Pas même à cause du pimenté (bien fourni sur celui-là, on remerciera l'audacieuse à côté de lui pour ça), qui certes décoiffe un peu, sans pour autant le rendre malade comme le serait quelqu'un d'inhabitué. "Tu trouves ça comment ?" qu'il lui demande, guettant à son tour sa réaction ; bien incapable de ne pas lui faire un aveu immédiat sur son propre verdict : "C'est une tuerie"

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Le retour d'expérience est énoncé avec autant d'expressivité, le choc gustatif commun n'étant qu'une pâle représentation de ce que pouvait générer la proximité culturelle. Le temps en suspend et passé à l'observer - sans regrets - lui aura au moins permit de ressentir toutes les nuances que les piments apportent peu après l'ingestion. Aussi les bonnes paroles prêchées par Amber lui donnent le top départ pour la suite du match. Pour ainsi dire, il n'en cale plus vraiment une, plus occupé à dévorer et à suer un peu du nez - faut dire que ça arrache et pas qu'un peu, même pour les habitués. Souffle un peu, renifle, repart. Le cirque se termine en quelques maigres minutes en ce qui le concerne, ne faisant de l'emballage qu'une petite boulasse minable au creux de sa paume.

S'être réchauffés, ils ne l'avaient pas vraiment fait qu'à moitié. La pluie et l'orage avait eu raison du taux d'humidité supporté par leur crinière et leurs vêtements respectifs, et heureusement, ses bouquins étaient intacts. Finalement, il n'y avait pas eu une seule mauvaise note, l'expérience avait été sympathique, même si... "Ca y est, je me rappelle... !" qu'il lâche un peu sorti de nulle part, après avoir fixé un peu trop longtemps un élément perché dans les hauteurs de son champ de vision. Ses iris sombres vont s'échouer sur la jeune femme à ses côtés, tandis qu'il exprime avec toute fierté retrouvée : "Iron Butterfly !"

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"Un papillon de fer ?" Sans doute qu'il se trouve un peu niais d'avoir pensé un seul instant qu'elle capterait le fil de sa pensée, retardé d'au moins une demi heure si ce n'est plus. Peut-être même qu'elle se sentirait bête de ne pas avoir comprit tout de suite ce à quoi il faisait référence, mais pourrait-on dire qu'ils seraient deux à se sentir un peu diminués par la honte. En plus, quand elle lui répète ça l'air de rien et en toute naïveté, y'a l'esprit de l'ange qui lui dessine un avion des années quarante. "In-A-Gadda-Da-Vida, c'est un morceau du groupe Iron Butterfly," puis il s'empare de son smartphone qu'il sort de sa poche, vérifie l'information histoire de se donner un peu plus de légitimité. Il montre le résultat de recherche à Amber, en lui soutenant l'écran le temps de. "Je savais que je la connaissais mais sur le moment, j'avais complètement zappé," puis il s'aperçoit que d'avoir ainsi son téléphone, ce serait peut-être le moment de... ? Cassian retourne l'écran dans sa direction et tapote pour aller jusqu'à la page de nouveau contact, puis il lui tend l'appareil pour qu'elle le prenne cette fois ci. "Si t'y tiens toujours à cette visite guidée, tu peux me laisser ton numéro et tu me rappelleras quand tu voudras ?" c'est dit avec la bienveillance la plus ingénue qui soit, sans arrière-pensée. Il rappellera sur son numéro pour qu'elle ait le sien et l'avenir leur dira bien assez tôt si l'investissement serait récompensé.

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La diversion semble plutôt bien fonctionner, ne recevant pas réellement de retour sur ce morceau dont il s'était rappelé. C'est étrange, il aurait presque été s'imaginer qu'elle avait halluciné l'avoir chanté, alors que pourtant, elle l'a investi de sa voix avec tant de ferveur que Cassian n'aurait pas pu imaginer que ça ne soit pas un de ses morceaux préférés. Une bizarrerie donc, qu'il laissera tout bonnement à la bonne place de l'interprétation personnelle. Ce n'était pas si important, puisque c'était à la fois l'orage et la musique qui s'étaient alliés pour provoquer ces échanges, et ce repas offert de bon cœur. Aucun regret ne semblait ternir le tableau d'un côté comme de l'autre.

A sa suggestion de l'appel en absence, il hoche la tête à la positive et la laisse faire, sans vraiment calculer le reste. Sauf peut-être cette demande d'y aller de bon pied dès maintenant, ce qu'il ne se sentait pas réellement de faire : Cassian, quoiqu'on en dise, avait quand même besoin d'un tant soit peu de préparation mentale pour ce genre de choses, surtout s'il était responsable d'une guidance. "Après si t’as des idées de trucs cools pas trop loin, on peut peut-être déjà commencer aujourd’hui ? Perso j’avais rien prévu de spécial, alors ça me dérange pas de changer de programme." Il prend tout de même le temps de la réflexion, mais le poids de ses livres dans son sac lui rappellent qu'il faut qu'il rentre à la MII. Ce sera mieux préparé lorsqu'il le sera lui-même. "Vaudrait mieux qu'on se fasse ça une prochaine fois, comme ça j'aurais plus de temps pour toi aussi." Pas envie de couper court alors qu'ils sont en train de découvrir un superbe parc caché dans un coin du Nexus, par exemple, ou bien une super boutique de vinyles que les jeunes vieux ou les vieux jeunes s'arrachent encore, malgré la rareté de la chose. Avoir le temps d'en profiter sans avoir l'œil vissé à l'heure qui tourne, en somme. "C'était super cool en tout cas. Merci pour le repas." il sourit un peu, récupère son téléphone qu'elle a fini d'utiliser pour son appel et l'enfile dans sa poche. Cass ne se lève pas le premier, attendant qu'elle le fasse pour ne pas tirer trop sur son aile déjà dans une position anormale depuis quelques minutes.

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