requiem in c sharp | Leopold

L'ancien.ne est mort mort.e, pas le temps de chialer. On lui a annoncé la nouvelle comme si il n'était pas au courant. Il a fait semblant de ne pas savoir, il a hoché la tête tristement et présenté ses condoléances. Sans émotion. Il a même envoyé des fleurs pour l'enterrement. Du genre qu'on n'envoie pas à des funérailles. Mais iel aurait aimé, tout comme iel a apprécié le verbe acide de Curtis et son manque d'humanité qui le rend, paradoxalement, plus humain que les autres. Pas de place à hypocrisie, au moins. Une sincérité déconcertante et glaciale. Lorsque Curtis déteste il hait, mais lorsqu'il a apprécie, il aime.
C'est à lui qu'on devrait les faire, les condoléances. Curtis n'a pas le droit à la paix, il a fait trop de mal, trop de chaos, trop de conneries sans doute. C'était paisible avant, pendant quelques années la vie était clémente. Il regrette presque cette époque maintenant, quand il n'avait que les White pour lui. Maintenant il y a trop de personnes et ces personnes le changent, lui font ressentir des choses qu'il ne veut pas. Son ancienne vie est morte.
Et l'ancien.ne est mort.e parce qu'iel le lui a demandé. Curtis a porté le coup fatal, en promettant qu'il le ferait sans un regret. Alors il ne regrette pas. Curtis espère qu'on saura lui apporter la même grâce plus tard, que personne ne le laissera se détériorer, ses décomposer comme un légume oublié. Curtis préfère mourir que vieillir. Curtis n'a pas pleuré, il a eu de la peine, il a considéré le décès comme un gâchis.

C'est étrange de revenir dans la pharmacie maintenant qu'il n'y a plus la même mélodie. Curtis entend encore le son de sa voix. Impossible de s'en défaire. Peut-être étais-ce un.e ami.e. Curtis lui a exposé ses cicatrices les plus intimes. Les histoires qui couturent sa peau ont été écrite de la main de cellui qui habitait les lieux. Il lui doit une fière chandelle, parfois une leçon de morale. On ne fait plus de personnes comme ça. Comme Leonor.

Un gamin. Son gamin. Se tient à le place où iel devrait se tenir. Celui sur qui Curtis a juré de veiller. N'importe quoi. « Je peux parler à quelqu'un d'autre que le stagiaire ? » Il lui demande. Curtis est venu pour deux raisons. Les médicaments de la voisine (il accepte contre un repas) et quelque chose pour dormir. Ou pour oublier. De la drogue aurait été plus rapide, mais il doit veilleur sur le gamin. Il balance la fausse ordonnance sans même un regard, caché derrière ses lunettes fumées. Il lui faudrait peut-être une canne pour inspirer la sympathie. « Le service était mieux avant. »

« Pas faute d'avoir essayé. Les tombes ne sont pas très causantes. » Les morts ont plus de choses à dire à Curtis que l'inverse. Pourquoi parler à une pierre ? Pour décharger ses émotions ? Dans l'espoir d'exorciser quelque chose qui était déjà pourri dans le vivant ? Il fallait parler de vive voix ou se taire à jamais. Ce réconfort que les gens éprouvent est stupide.
Curtis s'est adonné quelque fois à l'exercice et s'est trouvé bien égoïste. Oh, il est facile de dire ce que l'on pense quand on sait que l'on ne rencontrera aucune opposition. Trop facile d'assumer ses pensées et ses sentiments si l'autre ne peut répondre, qu'importe qu'il puisse voir depuis son monde éthéré ou son enfer.
Ou le vide.
Ou le rien.
Il faut d'abord croire que les esprits sont conscients des lamentations.
« Les vivants hantent autant mes jours. » Fantômes, spectres où être de chairs, Curtis ne connaît jamais le paix. Cette humanité ne sait le laisser tranquille, il n'existe pas de silence dans lequel il peut se complaire. Curtis continue de converser, bien bavard pour une fois.

« Iel m'avait parlé d'un môme. Je ne sais pas si tu le connais. Un véritable mioche pleurnicheur si tu veux mon avis. » Curtis provoque parce qu'il sait très bien que c'est la personne en face de lui, cet enfant silencieux. Leonor avait cette douleur sourde au fond d'ellui, une douleur tendre et résignée. Probablement cette même déchirure que ses parents ont éprouvé lorsque que Curtis est parti ; parce qu'on n'implore pas de rester. Cette admiration pour un parcours automne jonchée de regrets ici et là. Les vieux veulent toujours parler. Ses vieux ne s'en cachent pas, lorsqu'il rentre, Curtis doit se taper tous les ragots les plus insignifiants. En passant par la couleur des tomates qui ont poussé sous une lumière artificielle et les exploits d'un lointain petit cousin qu'il n'a jamais rencontré.
Tant de choses à dire et Curtis écoute sans vraiment écouter. Il a écouté cependant lorsqu'iel a confié un secret à Curtis. Un secret qui n'en est pas un, mais le mercenaire le garde près de son coeur comme une confidence. une mission secrète pour laquelle il a reçu le paiement en avance et qui ne repose désormais que sur sa bonne foi.

Curtis dérange. Ce n'est pas nouveau, c'est le principe de son existence. Qu'il dérange par sa présence, ses pensées, ses actes, il s'agit du même combat. Curtis s'y est fait. Il n'y peut rien si les gens ont l'esprit trop étriqué. Il est parfois fier de cette capacité à mettre mal à l'aise, à énerver. Combien d'anonymes le restent dans la foule ? Sans que jamais on ne les regarde, on les considère. Curtis ne peut disparaître, passer inaperçu. Curtis est en vie et on ne peut l'ignorer.
Il a pourtant un peu de compassion pour ce Leopold dont il connait déjà l'identité, forcé de faire ce boulot. Forcé de dire bonjour aux clients alors qu'il n'a probablement rien à faire de leurs problèmes. Curtis déteste Leonor à l'instant, il l'a embarqué dans une sale histoire. Le pire que pourrait arriver serait de s'attacher. Serait de croire qu'il peut s'identifier, à cette indifférence, à cette armure. D'y voir clair ou de croire pouvoir le lire car Curtis sait ce qu'il en est. Quand les autres sont un poison. Trop bruyants, leurs émotions débordent.  Elles débordent de partout et se répandent comme le sang, elles tâchent et ne partent pas.  « C'est pas beau de mentir. Curtis grince des dents. Ah, ça ne va pas être une mince affaire. Une affaire qui ne pourra pas être réglée avec son canif favori. Leonor n'a pas d'enfant, iel a un gamin. Il peste dans sa barbe.

Curtis lui glisse une ordonnance. Des gouttes pour les yeux, entre autre. Il n'est pas juste venu pour voir l’héritage que Leonor lui laisse. Curtis va t-il regretter d'avoir été tendre avec ellui ? Lui avoir offert une mort tendre ? Tendre. Curtis ne peut jamais être tendre. « Que ça te plaise ou non tu m'écouteras, parce que c'est comme ça que ça marche ici. Ça va avec le package. Je ne veux pas parler de la pluie et du beau temps non. Lui non plus, même pas ces banalités, cette perte de temps. Pourquoi les conversations sont toujours ennuyeuses  avec les étrangers, parce qu'il faut s’embarrasser de politesse. Alors qu'au fond, on se fiche de savoir si le voisin va bien quand on doit lui demander quelqu'un chose. (Curtis ne s'intéresse qu'à un seul de ses voisins). Pourquoi tu te forces, puisque ça à l'air d'être une purge d'être ici. Il y a d'autres moyens de gagner du fric. Sentimentalisme ? Oh, come on. Pas à lui.