J’me cacherai parmi les ombres

Il est tard. La nuit pourrait rendre son humeur massacrante, mais June n’a plus d’humeurs au pluriel. Ces dernières semaines, il n’y en a qu’une qui domine tout, qui la domine elle aussi : la colère. Et la colère lui fait faire tout ce qu’elle ne pensait jamais faire. Après des jours et des jours à pleurer un amour de toute une vie, après s’en être voulu, après avoir perdu le compte des minutes, des heures passées au sol, recroquevillée sous son lit, elle s’est retournée vers celui sans qui la mort viendra. A cause duquel la mort viendra. Le Soleil. Elle est montée sur les toits, s’est nourrie de ses rayons. Il lui a rappelé que même si lui est parti, sa famille est toujours là. Sa famille, c’est Icarus. Et elle ne laissera pas sa famille l’oublier, elle ne laissera pas le monde l’oublier. Elle ne laissera pas Liam emporter avec lui toutes les miettes de sa propre vie. Elle n’est plus triste. Elle est en colère. Et sa rage se montre sous forme de sourires mielleux, de rires séducteurs. Peut-être qu’au fond, sous ses excuses d’essayer de se faire photographier pour qu’on ne l’oublie pas, elle veut juste que lui la voit et se souvienne. Elle sait en tout cas que le fait de rechercher des âmes pour partager une photo et plus si affinités n’est pas anodin. Elle cherche un corps à embrasser, quelqu’un qui puisse réchauffer ce côté du lit vers lequel elle a trop peur de se tourner. Elle a besoin des corps autant qu’elle a envie des flashs. Quand c’est elle qui contrôle, les paparazzis sont les bienvenus.

Alors elle entre dans ce qui pourrait presque être sa deuxième maison, désormais. Habituée des lieux, elle salue quelques visages familiers, eux aussi accro aux lumières flamboyantes de l’Eclipse. L’ambiance est très rock, ce soir. En adéquation avec sa tenue. Sa veste désormais au vestiaire, elle arbore sa robe telle une armure. Le noir du faux cuir se fond dans le décor, les clous sur les sangles reflètent la lumière de quelques projecteurs. Son collant en maille ne cache pas ses jambes blanches. Ses bottines plates et légères la font presque danser jusqu’au comptoir, où elle demande un Daïquiri. Elle s’amuse à tester toute la carte, à changer à chaque fois de cocktail comme de bras auxquels s’accrocher. June attrape son verre et se retourne vers la piste de danse. Son regard se porte assez rapidement vers un jeune qui semble avoir environ son âge. Au bout de quelques minutes, il semble enfin la remarquer, ses yeux n’ayant pas quitter son corps. Il lui fait quelques sourires, qu’elle lui rend en sirotant son verre. Le jeu dure plusieurs chansons, et June s’apprête à aller le rejoindre lorsqu’elle voit une silhouette familière du coin de l’œil. Le maître des lieux arrive dans son champ de vision.

June aime bien Teddy Thorpe. A petites doses, mais elle l’aime bien. Et elle aime bien, aussi, avoir son avis à propos des personnes sur lesquelles elle jette son dévolu. Pas pour y porter attention. Une fois qu’elle s’est décidée, rien ne pourrait l’arrêter. Juste pour entendre ce qu’il a à dire, voire prendre plaisir à le contredire. Alors elle se dirige vers lui, le cocktail toujours en main. Le sourire aux lèvres. Ses cheveux, attachés en queue de cheval haute, bougent au rythme de ses pas. Elle boit une dernière gorgée avant de l’interpeller, criant presque pour couvrir la musique. « Sympa l’ambiance ce soir ! » Elle a hâte d’aller danser, June. Que ce soit pour se rapprocher de sa cible autant que pour mieux apprécier les choix du DJ. « J’ai choisi quelqu’un pour la soirée, tu veux savoir qui c’est ? » Son regard se retourne un instant vers la piste et elle repère rapidement le garçon. Elle ne le fixe pas, cette fois. Ne donne pas d’indice. Elle s’amuse, June. Elle s’amuse comme elle peut pour oublier pourquoi elle fait ça. La raison derrière toute cette mascarade. Pour l’oublier, lui, aussi. Pour oublier qu’elle a l’impression qu’elle n’est rien sans lui. Pour tout oublier.

Elle rigole à sa remarque. Son rire est plus fort que d’habitude, mais se perd tout de même dans les vibrations de la boîte de nuit. Il n’a pas tort, cela dit, et sans doute qu’il le sait. June ne peut le contredire, l’Eclipse fonctionne si bien que les Sept et presque tout Icarus en ont fait leur QG. Tout ce que Teddy touche du doigt semble se transformer en or. Mais June se dit que la vraie réussite est de voir le sourire des gens sur les visages, chaque nuit. Elle se sent bien ici, aussi bien qu’elle puisse l’être, en tout cas. Et c’est beaucoup dire. Alors elle est heureuse de pouvoir profiter de la fameuse magie Thorpe, même si elle garde pour l’instant ses réflexions pour elle. Il ne faudrait pas gonfler encore plus l’ego de Monsieur, pense-t-elle en souriant.

Elle suit son regard tandis qu’il tente de repérer son petit repas du soir. Mais elle grimace quand l’autre n’essaye même pas de se cacher sous les yeux du maître des lieux et que ce dernier lui confirme avoir deviné sans peine. Lorsqu’elle sent sa main sur son bras, elle se tourne vers lui, surprise. Et elle hausse les sourcils face à sa demande. Son sourire revient ensuite doucement, malicieusement. « Il ne te plait pas ? Je le trouve quand même vraiment pas mal. » Elle pose sa main libre sur la sienne. « En plus, il sait danser. » Elle se dégage doucement, et porte son verre à ses lèvres. Elle en boit la moitié. Son empressement se fait sentir. June ne veut pas changer de cible, parce qu’elle ne sait pas si elle en trouvera une autre, parce que celle-ci semble amusante, et parce que Teddy lui disant que ce n'est pas la bonne ravive en elle une flamme de défi. La flamme réchauffe son cœur, lui fait ressentir quelque chose, et c’est tout ce dont elle a envie, ce soir. Toutes les nuits depuis son départ. Alors elle fait un petit geste de la main à l’homme, qui fait de même avant de passer sa main dans ses cheveux et de lui faire un sourire qu’il semble vouloir séducteur et avenant. June lâche un bref rire avant de regarder à nouveau Teddy. « J’attends tes arguments si tu en as, sinon… » Sa mimique ne laisse aucune place au doute. Ses yeux sont joueurs. Elle laisse une chance à celui qu’elle considère comme un ami. Une chance qui n’en est pas vraiment une. Peut-être qu’elle veut juste profiter, aussi, de passer un peu de temps avec lui.

Teddy confirme que l’homme ne fait pas de mal aux yeux et June sourit en buvant une gorgée de son verre. Elle hoche la tête les sourcils levés, l’air joueur. Ces dernières semaines, elle a laissé la superficialité prendre encore plus de place. Ne plus regarder que ce qu’il y a en surface pour ne pas que les profondeurs l’engloutissent à nouveau. Et ça lui va très bien. Pas de prises de tête. Pas de sentiments. Pas de cœur brisé. Pas d’émotions tourmentées.

Elle attend que Teddy développe ses pensées. Sagement, elle attend. Continuant de lancer quelques sourires à l’homme qui continue de danser au son de la musique qui continue de pulser. Sa remarque la fait rire. Son rire éclate par-delà les basses. June regarde le propriétaire des lieux, amusée. Elle appuie légèrement sur son épaule du bout de son index. « Est-ce que t’es jaloux ? Teddy Thorpe, jaloux ? » L’absurdité de cette phrase la fait rire de plus belle. Elle sait, au fond d’elle, qu’il ne l’est pas. Et c’est sans doute le fait qu’il joue cette carte qui rend la situation encore plus amusante à ses yeux. « On dansera ensemble la prochaine fois. » Un autre soir. Seulement danser. Sa promesse est prononcée avec des yeux doux. Elle ne lui promet que ce qu’elle est prête à lui donner.

Alors à sa question, elle lui répond en toute honnêteté. « Absolument aucun. Mais t’auras eu le mérite d’essayer. » Elle sourit. Et le reste des paroles de Teddy sonne comme une supplique à ses oreilles. Une supplique à laquelle elle ne peut pas, ne veut pas donner raison. « Personne n’est fréquentable. Lui, toi, moi. Au moins, il se montre avenant. » Le danger, elle ne le ressent que parce que Teddy se montre prévenant. Peut-être un peu trop, ce qui n’est pas dans son habitude. Et si ça pourrait réchauffer le cœur de June dans d’autres circonstances, à cet instant, ça commence surtout à l’ennuyer. « Je n'ai pas envie de me saouler ce soir. » Elle finit son verre et le pose sur une table vide. Elle fait désormais face à Teddy, le mettant presque au défi de la retenir physiquement. « Mais je retiens la proposition ! » Ses yeux s’illuminent. Sa main se lève et vient doucement tapoter sa joue, avant qu’elle ne se retourne et se faufile parmi la foule. Elle rejoint l’homme. Enfin. J’ai cru qu’il ne te laisserait pas t’échapper. June rit faussement, de se rire qu’elle n’utilise que dans cette boite de nuit, que dans les bras de ces inconnu-es. Je ne me laisse pas emprisonnée si facilement.

Ta vie est une prison.

Le couple échange des banalités. Il lui murmure son prénom à l’oreille. Marc. D’une banalité effrayante. Elle lui lance le sien d’un sourire. Ils dansent. Energiquement. Langoureusement. Une chanson, deux chansons, trois chansons. June se perd dans les sons. Se perd dans les mouvements. Comme tous les autres soirs, ses pensées ne sont plus qu’un bruit blanc. Un grésillement inaudible. Il n’y a plus rien. Et c’est mieux comme ça. Le Marc lui propose de sortir de la piste, lui propose un verre. Mais June a déjà bu. Il lui propose de sortir de la boite de nuit. June récupère déjà sa veste au vestiaire. Il la prend par les hanches. Elle se retourne un instant, cherche Teddy du regard, le trouve. De sa main libre, elle lui lance un baiser. Lui murmure : « A la prochaine ! » au-dessus des gens. Et elle s’en va finir la soirée comme elle veut finir toutes ces soirées-là. Comme elle les finit souvent. Aujourd’hui comme les autres soirs. Peut-être.

June rit doucement aux paroles de Marc. Elle les a pourtant déjà oubliées, plus occupée à comprendre vers où ils vont qu’autre chose. Ils n’ont pas vraiment choisi de destination, après tout. Elle lui touche le bras, l’arrête. « On va chez moi ? J’te promets que tu n’seras pas déçu du matelas. » Son sourire est séducteur. Marc l’attrape par la taille et la rapproche de lui. De son autre main, il caresse sa joue. « Solaris ? On sera plus rapidement chez moi. » Elle fronce les sourcils, mais il ne la laisse pas répliquer. L’embrasse. Son baiser est violent, pressé. Ça ne dérange pas vraiment June, pressée elle aussi. Et s’il est rare qu’elle accepte d’aller chez l’autre pour passer la nuit, ce n’est pas inédit non plus. Son silence vaut acceptation. Ils se séparent légèrement, et continuent de marcher. June a le sourire aux lèvres, malgré le froid de la nuit qui lui fait reprendre ses esprits. Elle se demande si les inquiétudes de Teddy étaient justifiées. Si son regard noir envers elle, envers l'homme, n’était pas de la jalousie. Elle chasse les pensées d’un coup de tête, se reconcentre sur les paroles de Marc, qui n’arrête pas de parler. Tout ira bien. Et même si ça ne va pas, elle sait encore se défendre.

Ils passent devant un distributeur de boissons et l’homme revient sur ses pas. « Tu n’as pas voulu prendre un autre verre tout à l’heure, mais c’est important de s’hydrater. Je t’offre quelque chose ? » Il pose une question, mais sélectionne déjà une bouteille de de coca. Cette soudaine envie fait froncer les sourcils à June, qui regarde désormais le dos de l’homme avec des yeux plein de questionnements. Elle jette un regard à droite, puis à gauche, ne voit pas le sachet qu’il sort de sa poche. Lorsqu’il se retourne, la bouteille est déjà ouverte. Il la lui tend avec un sourire mielleux. « Tiens, ça te fera du bien. » June prend le coca, regarde la bouteille, regarde l’homme, regarde à nouveau la bouteille. « Je n'ai pas vraiment soif, mais c’est gentil. » Le sourire de l’homme s’affaisse. « Bois. Fais-moi confiance, tu me remercieras plus tard. » Le sourire de June s’affaisse également. Elle recule d’un pas. « Non. » Il avance d’un pas. « Si. » Elle aimerait pouvoir se défendre comme elle sait qu’elle le peut. Mais la peur la paralyse. Alors elle tente le seul chemin qui lui semble encore possible. « Je m’en vais. Je n’ai plus envie de rien. » Son ton est ferme et, déjà, elle fait demi-tour. Mais l’homme la retient par le bras, puis la plaque contre le mur. « Mais moi, j’ai envie de tout. » Et les yeux de June s’illuminent déjà d’un rouge qui aurait dû lui faire peur. Mais l’homme n’est pas conscient du danger. Qui n’est peut-être pas seulement face à lui.

La voix de Teddy gronde et l’homme rigole. Croit que le patron de la boite de nuit est là pour profiter aussi. June a envie de vomir. Elle les regarde interagir et le seul à faire acte de sa présence est Teddy. Teddy, qui referme sa poigne, et l’homme qui s’essouffle, recule enfin. Les yeux de June, illuminés de feu, s’éteignent lentement tandis qu’elle décolle son dos du mur. Elle tremble, et elle met ces tremblements sur le dos de la colère qui l’anime désormais. A cause de ce connard. A cause de Teddy aussi, parce qu’elle ne veut pas de son aide. N’en a pas besoin. Ne veut pas admettre en avoir besoin. Ne veut pas admettre la honte qui pointe le bout de son nez. Il avait raison. « Qu’est-ce que tu fous ? J’ai pas besoin de toi ! » Elle lui crie presque dessus. Aucun merci. Ingratitude cachant toutes les émotions. Mais l’homme commence à se relever, et le dégout l’assaille. Ce n’est pas un jouet. Elle n’en tirera aucun amusement. Le sourire de Marc commence à refaire surface. Il pense sans doute qu’elle veut le protéger. Il pense sans doute qu’il a encore ses chances. Les paroles de June lui font comprendre que la nuit ne fait que commencer pour lui. « Je veux qu’il souffre. » Mais elle ne veut pas utiliser sa déchirure plus que nécessaire. Alors elle opte pour un mouvement plus classique. Celui du coup de pied dans les parties génitales. Le cri de Marc résonne dans la rue déserte. June n’en tire aucun plaisir, pourtant. Parce que cette douleur est temporaire. Parce qu’il pourrait recommencer. Parce qu’il pourrait réussir.

« Il ne peut pas s’en tirer comme ça. » Elle regarde Teddy. Cette fois, elle ne sait pas quoi faire. Cette fois, elle a besoin de son aide. Mais elle n’arrive pas à dire s’il te plait. Comme elle n’arrive pas à dire merci. Il n’y a que la colère et la peur pour celles qui arriveront après elle. « Je n’peux pas l’emmener à Icarus. » June sent la terreur s’immiscer dans ses veines à l’idée que les décisionnaires puissent avoir vent de cette histoire. Plus forte encore que celle d'il y a quelques minutes. Elle ne peut pas concevoir les décevoir. Elle ne veut pas risquer de tout remettre en cause juste à cause de lui. S’il y a bien quelque chose à remettre en cause. Alors, oui. Elle regarde Teddy et, silencieusement, elle l’implore. Elle n’a pas le cœur à tuer. Elle n’a pas envie qu’il meurt. Elle veut juste qu’il souffre.

Les mots sont durs. Et les gestes aussi. June recule d’un pas tandis que Teddy obéit à ses ordres. Elle déteste le fait qu’il ait employé ces mots. Elle déteste le fait de devoir en arriver là pour que l’autre comprenne enfin ses erreurs. Mais elle déteste l’homme, et tout ce qu’il représente, encore plus. Alors elle regarde, et elle ne fait rien. Elle approuve de par son silence, de par son inaction. Choquée. Et reconnaissante. Elle sursaute lorsque les cris se répercutent sur les murs des immeubles, font échos dans les rues et se perdent dans le vide. Personne ne le sauvera, cette nuit. Et son attention se focalise alors entièrement sur Teddy, lorsqu’elle entend son grognement, lorsqu’elle voit les cloques apparaitre sur sa peau. Son corps se pétrifie, tandis que celui de l’autre tombe au sol. Elle entend l’avertissement de Teddy, mais n’arrive pas à se concentrer dessus. Ne préfère pas penser à ce que ça signifie. Elle ne fait que regarder Teddy, qui se relève et pose sa main sur sa joue. C’est tout ce qu’il lui faut pour que ses yeux libèrent les larmes retenues par la seule barrière de ses cils. Elles coulent sur ses doigts à lui. June secoue doucement la tête. Non, ça ne va pas. « Et toi non plus. » Elle lève sa main à son tour, survole sans les toucher les traces de l’usage de sa mutation. « Je peux faire quelque chose ? Pour apaiser la douleur ? » Elle s’inquiète, ignorant l’homme au sol, qui ne pousse plus que des râles.

Mais ses yeux s’emplissent d’une colère qui assombrissent ses iris. Elle finit par poser sa main sur celle de Teddy. Elle s’y accroche, pour ne pas que les larmes se transforment en torrents. Pour ne pas s’effondrer alors que son corps commence à trembler sous les émotions. Et la haine n’est pas tournée vers Teddy, ni même vers l’homme. C’est elle qu’elle déteste. D’avoir laissé Teddy souffrir pour elle. De ne pas avoir su le protéger. De s’être mise dans cette situation. De ne pas avoir suivi ses conseils. « Je suis tellement conne, putain. J’aurais dû t’écouter. » De sa main libre, elle essuie les larmes ayant atterries dans son cou, sur son menton, les efface sur sa robe.

Et ses yeux descendent vers le corps à leurs pieds, dont le sort est scellé. Elle aurait aimé une autre fin, elle aurait préféré le voir dépérir derrière les barreaux toute sa vie. Mais Teddy a raison. Et ça lui tort le cœur, ça lui révulse les entrailles. « On en fait quoi alors ? » Parce que l’homme n’est pas totalement vivant. Pas totalement mort non plus. Mais Teddy a raison. Et elle n’est plus la seule impliquée. Peut-être qu’elle n’aurait pas tout fait pour réparer ses erreurs. De ce dont elle est certaine, cela dit, c’est qu’elle fera tout pour lui. Lui, qui vient de tout faire pour elle.

Son chuchotement lui perfore le cœur. Elle tente un sourire, mais n’arrive pas à le garder. Et il la rassure, mais il grimace en bougeant la tête. Elle sait qu’il a mal. Qu’il minimise sans doute. Elle aimerait pouvoir le soigner du bout des doigts. Mais elle est impuissante, et n’arrive plus vraiment à penser rationnellement. A penser à autre chose qu’à respirer, qu’au fait qu’ils soient là, tous les deux, et qu’ils respirent. Ensemble. Elle se concentre sur ça. Et ses yeux vont vers les lèvres de Teddy tandis qu’il lui explique. T’es responsable de rien. Voir les mots se former ne l’aide pourtant pas à les croire totalement. Elle esquisse pourtant de nouveau un sourire, qui n’atteint pas ses yeux. Elle se cale sur la respiration de Teddy, autant que possible, pour calmer son cœur. Elle ferme un instant les paupières, sous les doigts qui se resserrent sur sa joue. Elle s’accroche à la chaleur qu’elle ressent, pour s’ancrer dans le moment présent.

Elle relève la tête lorsqu’il la prévient de ne pas s’inquiéter du sort de l’autre. Ses yeux posent des questions. Mais elle n’en prononce aucune. Peut-être qu’au fond, elle n’a vraiment pas envie de savoir. Peut-être parce qu’au fond, elle a besoin de ça, elle a besoin de Teddy, ce soir. Elle a besoin de lui et c’est tout. Alors elle s’approche un peu plus, lâche sa main à lui, et passe son bras dans son dos. Elle pose le front sur son épaule, évite les cloques avec minutie. Elle sert aussi fort qu’elle peut, avec la force qu’il lui reste. Elle respire son parfum, et lui. Son esprit se vide un peu. Se calme. Alors enfin, elle reprend pieds. « Merci. » Le mot est soufflé dans sa chemise. A laquelle elle s’accroche encore un peu. Avant de relever doucement la tête, de le regarder. De plonger ses iris dans les seuls qui comptent désormais. « Merci d’être aussi borné que moi et de m’avoir suivie. Merci de ne pas m’avoir abandonnée. » Il est finalement l’un des rares à ne pas l’avoir fait. Et elle le lui revaudra toute sa vie. Son sourire, cette fois, tient sur ses lèvres, qu’elle finit par poser sur sa joue. Elle l’embrasse doucement, puis pose sa joue contre la sienne. Peut-être que dans une autre vie, ils auraient pu être autre chose. Et elle ne ferme toujours pas entièrement la porte. Mais pour l’instant, il est là. Amitié indescriptible. Et c’est tout ce qui compte.