with all due respect, which is none (ft. Thiago)

Si Crimson Bay ne te fait pas froid dans le dos, t'avoues volontiers que c'est pas ton quartier favori de New Blossom. Les forces de l'ordre n'y ont pas leur place, pourtant CERBER doit de temps en temps intervenir, bien que la plupart des enquêtes sont classées sans suite. Pour une fois, tu préfères jouer sur la discrétion et pas trop jouer la carte de l'agente de CERBER. Mais faut bien y aller, car y a un gars qui est enregistré dans votre répertoire pour raison de cyberpsychose, c'est votre devoir de le surveiller, d'autant plus quand y a eu un signalement pour votre unité. Ça t'fait râler de venir juste pour lui parce que tu sais que le reste n'aboutira à rien, que vous avez les pieds et mains liés par le fait que cette zone est sous le contrôle des gangs ─ du moins, c'est le topo qu'on t'a fait la première fois que t'as dû intervenir ici. New Blossom est un bordel sans nom, et si t'es habituée au taux de criminalité élevé grâce à Baltimore, tu peux pas t'empêcher de te rappeler comment Haley est morte. Hors service, prise entre deux camps lors d'un règlement de compte.

A pas de loups, tu te déplaces dans les quelques rues à traverser avant d'arriver aux lieux de l'intervention. Le monde se dissipe déjà, y a certainement rien eu de grave, y a que quelques traces de sang au sol et encore des cris mais on dirait plutôt des idiots qui s'embrouillent pour finir par aller boire un verre après. Tu grimaces, tu perds ton temps, tu détestes ça, et certainement que ça se voit sur ta face quand tu t'approches de l'altéré. Tablette en main ─ vu le quartier tu sais pas très bien si c'est une bonne idée d'avoir une tablette, mais faut dire que le papier a été abandonné depuis longtemps ─, tu te diriges vers lui. Tu te conteras d'interroger les quelques personnes encore autour pour t'assurer de chaque version des faits, pour te donner la conscience tranquille, ramener quelque chose au boulot en haussant des épaules après parce que c'est Crimson Bay.

-Thiago Romero ? tu demandes, même s'il sait que tu l'interroges pas par hasard, que t'as pu le traquer jusqu'ici. Agent Sato, de l'unité CERBER. Je viens vous poser des questions concernant les combats qui ont éclaté, et comme preuve, tu désignes d'un geste les taches de sang au sol puis les quelques débris de verre, certainement une bouteille qui avait dû périr durant le chaos. Quelle est la raison de votre présence ici ? Comment vous-êtes vous senti aujourd'hui ? Rien d'anormal ? tu demandes, prête à prendre note.

C'est con car il est venu y a peut-être une semaine pour se présenter et montrer qu'il allait bien. La seule différence c'est que c'est toi qui viens jusque là, que dans le manière dont tu l'interroges, on dirait qu'il est présumé coupable plutôt qu'innocent. Tu plantes tes pupilles dans les siennes et ce que tu lis te fait grincer des dents.

Ça va être du sport, cette petite intervention.

Okay, t'as peut-être un peu l'sang chaud quand il te parle comme ça. CERBER n'est qu'un pansement sur une plaie béante, un moyen d'arriver à tes fins, mais t'es comme piquée en plein dans la fierté de ton job, celui que t'as choisi ─ bien que beaucoup méprisent la police, t'as envie de leur hurler qu'être policière c'est pas facile ─ et tu peux pas supporter ce mépris. Probablement que t'es pas encore vraiment habituée à New Blossom et aux spécificités de CERBER, puis t'as plus été confrontée aux mutants dû à ta propre mutation qui te permet de résister physiquement et psychiquement, alors que les altérés demeurent encore une question pour toi. Tu sais juste qu'il en est un, Romero, et qu'il a déjà merdé à cause de ses altérations alors t'as envie de lui crier que c'est culotté de te parler comme ça alors que t'fais que ce qu'on t'a dit de faire, t'suis le protocole comme la bonne agente que t'es. Soudainement, t'as juste envie de faire un zèle de travail et lui faire passer la longue procédure, celle que tout agent raccourcit parce qu'ils ont pas que ça à foutre ; ça t'dérangerait pas, tiens.

-C'est pas en me parlant ainsi que vous partirez plus vite, tu soulignes en fronçant les sourcils. Mais je vois que vous êtes volontaire pour me taper la discussion alors nous allons poursuivre le protocole, monsieur Romero.

Et d'toute façon, tu peux rien faire d'autres à Crimson Bay, t'es bloquée par la situation de la zone, tu peux pas t'attirer les foudres de celleux qui dirigent avec violence. Tu tiens pas des masses à la vie mais t'aimerais la garder jusqu'à te débarrasser des seaux qui ornent tes avant-bras avant de te lancer dans un combat dont tu ressortiras pas vivante. Alors, tu sors le formulaire long, tout à remplir manuellement sur la tablette et tu te remets à parler. T'crois bien que Haley aurait eu envie de te tuer si elle t'avait vu faire ça, mais ça sert à rien d'y penser, elle est morte et elle peut plus avoir envie de rien.

-Comment était le déroulé de votre journée ? Votre réveil, votre travail, ce que vous avez fait entre le travail et le retour... Hmm, attendez, j'écris la date et l'heure précise de cette déposition, t'ajoutes en regardant ta montre connectée alors que, très franchement, prendre les infos sur l'écran de la tablette aurait été plus direct. A quelle heure et comment la bagarre a-t-elle éclatée ? Épatez moi avec vos talents d'orateur, tu souris grandement avec cet air de sombre connasse, faut l'avouer.

Putain t'as des airs de Karen comme ça, t'es devenue tout ce que t'as promis de combattre !

De temps en temps, t'aimes jouer à ce jeu où tu prétends encore avoir foi en la justice. Parfois, tu te rappelles de tes rêves d'ado et de jeune adulte, lorsque tu étais prête à montrer au monde entier que t'étais déterminée à le changer, que plus personne n'aurait à souffrir d'injustice sous ta coupe. T'étais prête à y passer des années, à analyser chaque dossier avec minutie, ne plus jamais laisser aucune victime dans l'insécurité. T'as été pleine d'espoir de pouvoir changer le monde avant de te retrouver avec la mort ; autour de toi, te possédant par la suite. T'as vraiment essayé aux côtés de Haley, toi qui ne connais que trop bien les injustices banalisées, à croire que t'as demandé à pas être d'origine américaine, que t'as demandé ton orientation sexuelle aussi. Discriminations cumulées qui n'ont fait que te rendre plus révoltée face à ce monde mais ça n'a pas duré, toute volonté  emportée avec le cadavre d'Haley, dans la tombe. De temps en temps, tu te retrouves et tu te dis que tu peux changer le monde ─ mais c'est trop rare et ce sentiment se perd aussi vite qu'il est apparu.

La première question rhétorique est ignorée, tu te contentes d'arquer un sourcil pour souligner son culot. Il y a toujours un ton passif-agressif mais ça te semble moins brutal qu'il y a quelques instants, probablement parce que pour l'un comme pour l'autre, vous avez enclenché le mode "tu me fais chier donc j'vais te faire chier en retour" et que tout sera des broutilles. T'es à peu près sûre que c'est la discussion la plus intéressante que t'aies eu ces derniers temps, pour dire à quel point t'aimes parler avec les gens.

-C'est audacieux de votre part de penser que je suis intéressée par les hommes, Romero, tu souris grandement.

Bon, tu mens un peu car tu peux l'être, bien que t'as découvert ça plutôt tardivement. Mais ton avis général reste ugh, les hommes avec une mine de dégoût, surtout vu les types avec lesquels t'as déjà dû bosser.

Là c'est p't'être toi qui déchante quand il se met à raconter toute sa journée dans les moindres détails. Il se peut, aussi, que tu sois la pire conne à tout noter sérieusement parce que tant que vous êtes dans ce jeu, autant continuer et te faire passer pour une emmerdeuse jusqu'à la fin et sur un malentendu, il aura à tout jamais un mauvais souvenir de ta part, te nommera "l'agente de l'unité CERBER qui s'est foulée le poignet à écrire ma journée entière" ou "la chieuse de CERBER", mais ça, ça serait très vaste comme nomination étant donné son avis sur l'unité. Une dizaine de minutes plus tard, t'as mal au poignet, regarder l'écran de ta tablette te fait mal aux yeux et tu te dis que tu vas devoir trouver une excuse pour justifier un tel blabla alors que l'homme en face de toi n'a rien à voir avec ce qu'il s'est passé. Tu prends une mine sérieuse en faisant semblant de relire la déposition, accentuant ton air par des petits hochements de tête et des "hmhm".

-Effectivement, il semblerait que vous ne soyez pas au courant du début de la bagarre, cependant avec tout le sucre que vous ingurgitez, je me demande comment vous dormez encore, tu soulignes.

Et là tu souris en coin, comme si c'était une blague avec un vieil ami, comme si tu pouvais réellement être sympathique avec lui. Pendant un instant, tu te demandes ce que ça fait d'être comme lui : rafistolé de partout et sous le joug d'une autorité, en vie mais pas trop non plus. Et c'est là que la pensée démange, que tu te dis c'est injuste mais t'as pas la foi pour combattre. Ton esprit reste rivé sur ton avenir, court mais vengeur.

-Vous pouvez y aller puisque vous n'êtes pas impliqué par cette altercation. Merci pour votre coopération et votre précision, tu ironises à moitié ─ on va dire qu'il y a une part de vérité dans sa coopération et sa précision, malgré le contexte.