Take on the world ;; Natasha

Natasha a toujours trouvé que le temps est un concept bien étrange. Elle a souvent eu l'impression que le temps s'étirait devant elle mais d'une façon douloureuse, comme si sa vie lui échappait. Les années après la mort de Cassie ont été désastreuses, et aujourd'hui, les choses semblent passer plus vite. Certainement parce que la violence qui court dans ses veines l'aide, parce qu'elle a un objectif plus précis de jour en jour. La haine qui grandit, s'immisce d'autant plus dans son être et la rend plus hargneuse, mais en même temps plus volontaire à mourir. Elle le sent à chaque fois que sa volonté de se venger diminue celle à vivre, puis de toute façon, on lui a toujours dit qu'elle aurait tout le temps de se reposer lorsqu'elle serait morte. C'est juste qu'il serait dommage qu'elle crève si vite. Cassie, elle est morte à petit feu, elle se repose éternellement, tu peux pas t'accorder un repos si aisé.

Le mois passe vite, sans repos. Les bleus qui s'accumulent et les ordres qui se crient dans la prison, puis les soirs à la Fourmilière. C'est qu'elle passe presque plus de temps là-bas que chez elle, parce que la solitude la bouffe bien plus qu'elle ne veut l'avouer. Et quelque part dans tout ça, l'idée de Xaver. Xaver qui n'a pas repointé le bout de son nez, mais qui laisse un millier de questions dans sa tête. Une inquiétude un peu trop présente concernant sa mutation, et surtout, ce qu'elle devrait faire.

C'est encore avec le même dilemme qu'elle débat, fait qu'elle se tourne et retourne dans son lit. Elle devrait dormir mais comme d'habitude, le sommeil fuit la blonde, s'en va trouver des gens qui arrivent à faire avec ce qu'ils ont vécu. Elle, elle se met sur le dos puis sur le ventre, réarrange ses oreillers, sort un pied de sous la couette puis finalement trouve qu'il fait trop froid, regarde avec suspicion la fenêtre de sa chambre.

Mais ce n'est pas vers la fenêtre qu'elle entend un bruit.

Aux aguets, la Guêpe se lève et se saisit d'une dague qui traîne près du lit, avance à pas de loups de son loft. Il fait noir mais elle a l'avantage de connaître son habitat mieux que personne, surtout vu sa manie à toujours tout ranger - le désordre la dérange, elle ne peut jamais s'empêcher de remettre à sa place ce qui a été utilisé, légèrement déplacé avec le temps.

La silhouette est repérée c'est l'instinct qui parle. Spectre qui se précipite vers cette forme physique, enfonce sa dague dans l'épaule d'un geste. Puis elle la ressort et va pour attaquer une autre zone, mais son geste est intercepté, soudainement le contact lui paraît familier. Y a un éclat dans les yeux qu'elle voit, et dans la mince lumière de la nuit, c'est Xaver qu'elle reconnait.

-Putain mais j'ai une sonnette, c'est pas pour le cul du pape ! elle s'exclame en allumant la lumière du salon, découvrant alors la scène, son regard qui se dirige vers la blessure qu'elle vient de lui infliger et qui saigne déjà. Dans ta panoplie de pouvoirs, t'as de quoi te soigner tout seul ou j'dois sortir la trousse de secours ?

Surtout, elle ignorera qu'à présent, elle se trouve en t-shirt et culotte devant lui, se concentre uniquement sur le fait qu'il saigne sur son sol, avant de réaliser... qu'il est là. Vraiment là. Et certainement entier, puisqu'il n'a pas réagi avec ses pouvoirs pour la bloquer à son attaque.

Il est là. Le temps a encore été distordu par sa présence.

Elle commence à croire qu'il tient à se faire particulièrement tabasser par elle, à la surprendre de la sorte. C'est d'autant pire que c'est chez elle, qu'elle a quand même des personnes à protéger et qu'elle a pas envie qu'on en apprenne trop sur elle ─ elle craint, la Guêpe, pour la progéniture qu'elle a abandonné mais qui pourrait payer les actions d'une mère qui s'est laissée porter par sa haine il y a longtemps. Elle préférerait aussi éviter de causer du tort aux Bugs, parce que malgré elle, elle les connaît. Peut-être que leurs actions sont discutables mais elle sait que pour la plupart... qu'iels ne sont pas si mauvais.es. que ça. La vie les a juste piétiné encore et encore, et au lieu de l'achever, elle a eu l'idée de les laisser vivre et les laisser s'endurcir. Iels ont pas toujours fait les meilleurs choix de vie, mais au moins, iels sont encore debout.

Avec un petit froncement de sourcils, elle éteint la lumière, prie pour que ça ne soit pas une ruse. C'est Xaver, c'est vrai, mais c'est pas totalement pareil. Quand il était en prison, qu'il s'en foutait de tout, c'était facile de lui accorder le bénéfice du doute. Elle sait la vérité concernant le contexte de son emprisonnement, connaît ce qui s'est caché derrière le prisonnier voué à rester au couloir de la mort.

Mais ce n'est plus le couloir de la mort et les années ont changé beaucoup de choses chez eux, entre eux. Machinalement, la blonde resserre un peu la dague dans sa main. Si elle ne prétend pas vouloir l'attaquer encore une fois, elle reste aux aguets de façon à ne pas être surprise si la situation venait à dégénérer. Maintenant qu'elle y repense, elle a peut-être été bête de l'inviter si facilement, de le croire sur parole en le revoyant il y a un mois d'ici. Elle devait être hébétée, c'était sûr. Pourtant, ses doigts serrent moins fort le manche, elle l'écoute et elle perçoit cette chaleur dans sa voix, aucun geste vers elle... Silencieuse face à ses explications, elle ne se reprit que lorsque lui-même ralluma la lumière dans la pièce, son regard se dirige vers la blessure qu'elle vient de lui infliger avant de tourner la tête pour rencontrer son regard, un sourcil arqué.

-C'est ma tenue de "mes yeux sont plus haut", qu'elle l'avertit... avec un grand sourire. Assieds-toi dans la cuisine, enlève ton haut et j'arrive.

Filant dans la salle de bain pour prendre la trousse de secours, Tasha ressort avec le matériel qu'elle utilise bien trop souvent pour son propre bien. Au moins, elle est devenue une pro pour se rafistoler... et rafistoler les autres. Évidemment, elle ne peut pas s'empêcher de laisser glisser son regard sur le torse de Xaver. Nerveusement, elle se mord l'intérieur de la joue et décide d'uniquement regarder la blessure. Si elle est profonde, a priori elle ne devrait pas être trop grave, elle a juste planté sa dague sans faire d'autres mouvements avec. Dans le silence, concentrée, elle nettoie la plaie et la peau autour, puis applique le désinfectant en lançant quelques regards au mutant. Elle n'est pas la personne la plus délicate non plus pour soigner, même si elle se doutait qu'il avait déjà dû avoir pire.

-Je vais devoir suturer, ça va faire mal. Je suis désolée en avance, elle s'excusa sincèrement avec une petite moue. Bon, la prochaine fois elle pourrait juste tenter d'attaquer à mains nues...

Après s'être assurée que Xaver est prêt, la Guêpe commence à suturer la plaie, faisant attention. Au moins ses gestes sont rapides et sûrs, ce qui minimise déjà les autres douleurs. Enfin, lorsqu'elle termine, elle coupe le fil et dépose les affaires sur la table. Ce n'est pas un travail de professionnel mais on voit qu'il y a une certaine habitude à faire ce genre de soins. A présent, elle tourne son visage vers lui et le regarde réellement pour la première fois depuis son arrivée chez elle.

Peut-être qu'elle devrait dire quelque chose d'intelligent. Vraiment, elle devrait lui faire une remarque, lui demander si ça va... Pourtant, rien de tout ça ne sort de ses lèvres.

-Salut.

C'est particulier de voir Xaver chez elle. C'est d'autant plus étrange de dire chez elle, sur bien des aspects, la prison ou la Fourmilière font plus office de maison pour elle que ce loft qu'elle loue depuis quelques années. Quand elle était avec Cassandra, elle se sentait chez elle partout. Il lui a fallu des années pour ne plus craindre les fenêtres ouvertes en hauteur, et encore aujourd'hui, ça lui demande des efforts conséquents pour ne pas se mettre à paniquer dès qu'elle est un peu en hauteur et qu'elle peut percevoir le sol qui s'éloigne. C'est particulier d'être dans cet endroit supposément intime, fermé, avec seulement lui. C'est particulier de tout simplement le revoir, car si elle s'est raccrochée à ce bref au revoir, elle n'y a pas sincèrement cru. Faute à ce Chaos qui habite le mutant, puis faute à ces murs qu'elle a dressé ces dernières années. Faute à ce qui était arrivé à chacun.E et leurs envies qui consument encore et encore, les font se détruire à petit feu. C'est qu'iels semblent avoir accepté leur destin il y a longtemps, peut-être un peu plus pour lui que pour elle. Elle se souvient de son air résigné dans le couloir de la mort, l'acceptation du sort qui l'attendait à ce moment-là. Elle n'a jamais compris comment il  y était arrivé, pourtant, elle pense comprendre à présent, parce qu'elle voit la fin qui la guette. Comment combattre ce destin inexorable ?

Tandis qu'elle lave, désinfecte, coud, les pensées se multiplient dans sa tête, puis il y a ce sourire que Xaver lui a offert précédemment, cette touche d'humour qui aurait normalement mérité un poing dans la gueule ─ parce que le bullshit des hommes, elle en a assez bouffé pour toute une vie ─ mais qu'elle accepte venant de sa part. Ça n'a pas toujours été ainsi, peut-être que c'est l'absence d'alliance à son doigt qui fait tout, peut-être que c'est la manière dont iels se sont retrouvés il y a un mois. Ou bien, ce lien a toujours été là, mais inaccessible pendant des années.

Il y a aussi cette inspection mutuelle pendant ces minutes. Si la Guêpe ne regarde nullement le visage du blessé, elle peut analyser quelques cicatrices, les détails qui ont changé chez lui, pour ce qu'elle a déjà vu de lui lorsqu'il était prisonnier. Qu'est-ce que ta peau raconte, sur ces dernières années ? Qu'est-ce que ton corps montre sans avoir besoin d'y mettre des mots pour tes maux ? comme des questions posées entre elleux, chacun.e cherchant une réponse avec ce qu'iel voit de l'autre. Pour sûr, elle vient de lui laisser un nouveau souvenir dans la chair et elle regrette ce geste, aurait souhaité réagir d'une autre manière au lieu de le blesser physiquement, mais elle le blâme un peu aussi ; la première fois, elle l'a uniquement menacée, la deuxième fois, c'est devenu une réalité.

Cette fois, c'est lui qui fait le premier geste tendre, pose sa dextre sur sa taille après l'avoir saluée. Il l'attire près de lui, toujours assis. Pendant un moment, Tasha reste stoïque. Sa mémoire cherche la dernière fois qu'on l'a réellement étreinte, qu'on lui a offert de l'affection et du réconfort, qu'on lui a sincèrement fait comprendre quelque chose par un geste. Elle cherche mais ça semble remonter à une autre vie, elle en vient même à se demander si ça s'est déjà produit. Si son père n'a jamais été méchant, ni même violent, il n'a jamais été très affectueux dans ses gestes. Pour sa mère, ça a toujours été un moyen d'adoucir les choses lorsque Natasha était mécontente. "C'est pour ton bien" avec une main dans ses cheveux, un sourire tendre peu sincère qui accompagnait le geste. La seule fois, elle pense, où sa mère a été raccord entre sa moue et ses gestes, c'était lors de son mariage. La matriarche était heureuse. Natasha, elle, n'a jamais été aussi malheureuse que ce jour-là.

Mais elle n'est pas malheureuse, aujourd'hui. Au contraire. Sans même qu'elle le réalise, son corps encore alerte se détend, puis elle s'appuie légèrement contre lui, passe ses bras autour de son torse pour venir resserrer cette emprise. Comme lorsqu'iels se sont revus dans la ruelle, il y a cette agréable chaleur qui la gagne et la rassure. Puis vient ce léger sentiment de panique, ou elle ne sait trop quoi ─ sa respiration se fait moins régulière, son cœur tambourine dans sa poitrine, elle est même presque sûre qu'il pourrait l'entendre tellement il tape fort. Son myocarde semble s'emballer un peu plus aux mots du mutant qui la percutent. Elle ignore pourquoi on ressent de telles choses pour une personne qu'on devrait mépriser et haïr. Elle ignore pourquoi, dans ce couloir de la mort, ils se sont captés. Peut-être sont-ils fêlés au même endroit et c'est pour cela qu'ils se comprennent dans les gestes et les mots, même dans les silences.

-Non. J'ai envie que tu restes, elle déclare en se décollant peu à peu de leur étreinte, l'océan de ses yeux qui se perd dans l'émeraude des siens.

Naturellement ─ un peu trop à son goût, ou en tout cas, au goût de la partie rationnelle de son cerveau ─ ses mains se déplacent, ses doigts caressent du bout des doigts la peau abîmée du mutant. Une se glisse dans sa nuque, commence à trifouiller dans la chevelure de l'homme, tandis que l'autre trouve refuge à son visage, dextre qui se déplie sur sa joue, le pouce qui la caresse tendrement.

Tu ne seras jamais comme lui. Il n'a pas tué Cassandra mais il fait partie des leurs, lui souffle son esprit. Mais ce n'est plus lui qui mène la danse depuis l'arrivée de Xaver et elle pense que ça n'a jamais été le cas. Si son esprit dirigeait quoique ce soit le concernant, elle ne se serait jamais rapprochée de lui en prison.

-Tu m'as manquée aussi.

Quitte à jouer à un jeu dangereux, autant le jouer à fond.

Son front contre le sien, Natasha fait frôler leurs nez, s'entremêler leurs respirations. Elle est toujours si proche de lui, mais pas assez.

Il n'y a plus aucun barreaux entre eux, à présent. Elle craint qu'ils étaient été là pour une bonne raison.

-Pourquoi t'es venu ?