Space and dust ;; Harry

Space and dust

Ft. @Horacio Paz

Si Harry s'écoutait, il ne se passerait pas une journée sans qu'il ne soit au QG de l'Unité Cerber, à remplir son rôle et à travailler d'arrache-pied. Parfois, il hésitait même à quitter le bâtiment pour retourner chez lui, dans ce lieu empli de silence tout autant que de souvenirs.

Mais il y avait ce petit quelque chose qui s'appelait "Droit du travail", que Harry devait apprendre à respecter, ne serait-ce que par égard pour son équipe, à qui il ne pouvait pas décemment demander les efforts qu'il fournissait lui-même au quotidien dans son boulot. Ce n'était pas parce qu'il était déterminé à fuir le quotidien qu'il se devait d'en attendre de même de ses collègues.

Le "droit du travail" impliquait donc de se réserver un temps de repos, des journées où Harry n'était pas à son bureau ou sur le terrain à enquêter sur de potentielles affaires relevant de l'autorité de l'Unité Cerber. Aujourd'hui était justement l'un de ces jours. Harry s'était réveillé dans ce lit trop grand pour lui, avec pour seul bruit celui de sa respiration.

Très vite, cependant, il avait comblé le silence en diffusant un air de musique classique, et il ne s'était laissé guère de temps pour paresser, s'empressant de s'occuper le corps tout autant que l'esprit. Un jogging soutenu sur son tapis de course, pour commencer, Harry veillant toujours à entretenir sa forme physique. Dans un métier comme le sien, même s'il ne faisait pas partie de l'équipe la plus "intense" de l'unité, on se devait toujours d'être prêt à toute situation, et cela passait par un entraînement régulier.

Harry était d'autant plus exigeant avec lui-même qu'il approchait de la soixantaine, les années s'écoulant et, avec elles, la vigueur dont il avait pu faire preuve dans sa jeunesse. Jamais il ne l'admettrait à qui que ce soit, mais la perspective de se dégrader avec l'âge le terrifiait. Plus encore en ayant assisté en direct à la perte d'autonomie de son amour...

Secouant la tête pour chasser cette pensée, Harry s'était occupé davantage encore en se plongeant dans des dossiers qu'il avait discrètement embarqué en quittant le travail. C'était d'ailleurs là ce qui avait occupé la majorité de sa journée, outre des tâches ménagères et d'autres exercices physiques, Harry étant incapable de décrocher complètement de ce travail qui le soulageait d'un deuil qu'il n'était toujours pas prêt à confronter pleinement.

Harry n'avait pas prévu de voir qui que ce soit, aujourd'hui. Il fut donc on ne peut plus surpris d'entendre toquer à sa porte, et plus encore avec ce bruit caractéristique qui ne laissait aucun doute sur l'identité de son visiteur. Horacio. L'homme qui avait enfin quitté son désert de glace pour revenir à la civilisation. Une amitié qui avait perduré malgré la distance et les différences, et était toujours bien présente à ce jour, maintenant qu'ils vivaient à proximité l'un de l'autre.

Horacio faisait partie de ces rares personnes à qui Harry ne réservait pas ses expressions de "convenance", ces masques qu'il revêtait notamment dans le cadre de son travail, pour obtenir la confiance de ses suspects et témoins, pour s'assurer la collaboration de ses collègues, pour maintenir les apparences, tout simplement.

Ce fut par un bref sourire, tout juste étiré, qu'il répondit à l'expression plus joviale de son ami, avec cette difficulté qu'il avait de sourire réellement, naturellement, depuis qu'Alan n'était plus.

"Salut, Horacio."

Harry était prêt à s'effacer pour le laisser entrer, mais Horacio semblait avoir une autre idée en tête. Sa proposition lui tira un haussement de sourcils, pas exactement sceptique, mais certainement surpris. Acheter des meubles ? Pourvu que Horacio ne s'attendait pas à des conseils de sa part... Se frottant la nuque, Harry lui fit savoir sans détour :

"J'espère que tu ne t'attends pas à ce que je joue les décorateurs d'intérieur, parce que j'ai à peu près autant d'expertise dans ce domaine qu'en physique quantique. Mais si tu as besoin de compagnie, d'un guide et de muscles pour t'aider, je suis ton homme."

Son regard se posa sur le casque que tenait Horacio, avant que Harry ne tourne la tête vers l'intérieur de son appartement, et plus particulièrement la table de la cuisine sur laquelle il avait étalé ses dossiers et son ordinateur portable. Le plan fut rapidement formé dans sa tête, et Harry leva ses doigts tendus en direction de Horacio, soufflant sans attendre de réponse de sa part :

"Accorde-moi cinq minutes."

Et il ne lui fallut pas plus pour ranger soigneusement ses dossiers dans un tiroir fermé à double tour, et retrouver dans des affaires qui prenaient la poussière son propre casque, datant de cette époque où Alan était encore en mesure de faire quelques folies, y compris un road-trip en moto avec son mari en guise de cadeau d'anniversaire de mariage. Tout cela lui semblait si lointain désormais...

Casque en main, veste épaisse enfilée, Harry retrouva Horacio sitôt les cinq minutes écoulées, réglé comme une montre suisse. Il supposait qu'il aurait pu inviter Horacio dans son appartement pour boire un petit quelque chose, avant de l'accompagner dans cette sortie, mais, en toute honnêteté, moins il passait de temps chez lui, mieux il se portait, d'autant plus en présence d'Horacio, qui lui rappelait un peu plus ces moments qu'ils avaient pu passer tous les trois, avant qu'ils ne soient plus que deux.

"Je connais un magasin, juste entre le Nexus et Solaris. J'avais enquêté là-bas y a quelques mois, après un incident dans le centre commercial où se trouve cette boutique. On peut commencer par là."

Après une brève hésitation, Harry s'essaya à l'humour, ajoutant avec ce bref sourire qui ne durait jamais assez longtemps :

"Je leur avais fait promettre de nous aider du mieux qu'ils le pouvaient. Tu crois qu'on pourra leur faire cracher une promotion ou deux ?"

Harry plaisantait, évidemment, mais ce n'était pas forcément aisé de savoir lorsqu'il était sérieux et quand il ne l'était pas. Et plus encore avec ce pouvoir vicieux qui était le sien, et dont il n'avait jamais hésité à faire usage pour parvenir à ses fins. Dans le cadre du travail, tout du moins.

Dans sa vie privée, Harry voulait croire qu'il était capable d'un semblant d'éthique (même s'il lui était déjà arrivé de céder à la tentation). Assez, en tout cas, pour avoir promis à Alan, tout comme à Horacio, de ne pas les soumettre à son pouvoir. Une promesse qu'il n'avait pas l'intention de rompre de sitôt.

Space and dust

Ft. @Horacio Paz

Horacio et Harry étaient différents de bien des manières, mais s'il y avait définitivement quelque chose qui les rapprochait, c'était leur ponctualité. Une discipline à laquelle ils se conformaient tous deux, avec une exactitude sévère. Sitôt que Harry avait ouvert la porte, Horacio était sur le palier, prêt à être accompagné dans cette sortie aussi inattendue que bienvenue. Au moins ne passerait-il pas cette journée de congé à travailler.

Sa plaisanterie avait été bien accueillie, ce qui ne devrait pas surprendre Harry, étant donné son interlocuteur, mais qui le soulageait malgré tout. Harry était on ne peut plus conscient du malaise qu'il pouvait engendrer chez ceux qui étaient pleinement conscient de ses capacités, et de la méfiance que l'on entretenait à son égard, par crainte de se retrouver attaché à un serment que l'on ne pouvait briser sans conséquences.

Le pouvoir de Harry était loin d'être "flashy", comme d'autres pouvaient l'être, mais il n'en restait pas moins dangereux. Dans son corps de métier, on savait qu'il ne fallait pas le sous-estimer. Horacio en avait certainement conscience, lui aussi, mais leur amitié devait lui permettre de passer au-dessus de cela. Et la promesse que Harry avait faite de ne pas le soumettre volontairement à son aptitude devait également aider. Une promesse que Harry n'avait pas l'intention de briser de sitôt...

"Compte sur moi pour renégocier les termes, dans ce cas-là."

Evidemment qu'il ne le ferait pas. Harry pouvait être une ordure, mais il avait malgré tout un semblant d'honneur et de droiture. Assez pour ne pas obliger un pauvre vendeur à baisser ses prix, en utilisant sa position tout autant que ses dons. Dans d'autres circonstances, toutefois, Harry avait bien moins de scrupules à se montrer manipulateur, et à exploiter ses pouvoirs autant que son imagination lui permettait de le faire.

Face à la question posée par Horacio dans l'ascenseur, Harry haussa les épaules. Il imaginait bien la tête de ses collègues et supérieurs, s'il décidait de se pointer dans la soirée dans les locaux de Cerber. Ce serait un coup à se voir obligé à consulter un psy. Merci, mais non merci. Harry avait mieux à faire que de déballer sa vie devant un type qui était payé pour l'écouter et le diagnostiquer. Ce n'était pas comme s'il ne savait pas exactement pourquoi il travaillait autant.

"Congé. Tu me crois si je te dis que je montre l'exemple à mon équipe ? Qu'ils voient que leur chef est capable de lâcher un peu la pression. Il paraît que c'est important d'avoir une vie en-dehors du boulot."

Des années auparavant, Harry, malgré son zèle, n'aurait jamais pu être aussi obsédé par son job qu'il l'était actuellement. Parce qu'il avait quelque chose d'important en-dehors de son travail. Quelqu'un, qui rendait la vie douce, qui lui rappelait que cette existence en valait la peine. Avant tout cela, il y avait Alan. Mais maintenant qu'il n'était plus là, à quoi bon retourner au quotidien ? Au silence oppressant de son appartement ?

Enfin, maintenant que Horacio était là, Harry pouvait au moins avoir un peu de compagnie. Peut-être que décrocher un peu de son travail ne serait pas si mal, dans ces circonstances, si c'était pour passer du temps avec son ami. Horacio comprenait, au moins. Avec lui, Harry pouvait retirer un peu son masque. Arrêter de prétendre que tout allait pour le mieux. Cesser de jouer un rôle pour arriver à ses fins.

La moto se dévoila finalement à eux, et un fin sourire se dessina sur les lèvres de Harry, tandis qu'il prenait place sur la bécane, casque enfilé, accordant toute sa confiance à son pilote pour les mener à destination. Ce n'était pas la première fois que Harry prenait place sur le bolide, mais cela faisait certainement un petit moment depuis la dernière fois. C'était une bénédiction que Horacio puisse désormais faire partie de son quotidien, plutôt que de n'être que cette présence fugace d'autrefois. Harry avait bien plus besoin de lui qu'il n'était prêt à l'admettre consciemment.

La petite remarque d'Horacio lui tira un bref rire, et Harry s'empressa de répliquer, amusé :

"C'est New Blossom. Qu'est-ce qui ne peut pas être livré ici ?"

Harry aimait cette ville, avec tous ses défauts, toutes ses imperfections, tous ses vices. Elle lui donnait chaque jour un but, une raison de continuer, pour préserver ses habitants de leurs propres ambitions et de leur propre folie. Pour que, à défaut de lui-même, les citoyens qu'il protégeait puissent être heureux de vivre.

Le moteur tourna, et bientôt, le bruit fut si présent qu'il leur était impossible d'échanger le moindre mot. Mais qu'importe pour Harry, qui se délectait tout autant du vent qui secouait ses vêtements, de la vitesse (autant que le code de la route le leur permettait) et du pur sentiment de liberté que lui inspirait la route. Qu'il aurait aimé partager cela à nouveau avec Alan... Si ses yeux se firent brièvement humides, Harry ne s'autorisa pas pour autant à pleurer. Il avait passé assez de temps à cela.

Le voyage fut beaucoup trop court aux yeux de Harry, la moto s'arrêtant sur le parking conformément à ses instructions. Devant eux, la boutique qu'il avait conseillé à Horacio, prête à leur dévoiler toutes ses merveilles. Retirant son casque, Harry passa sa main dans ses cheveux pour leur redonner forme, soufflant à Horacio dans une autre tentative d'humour (visiblement, la présence de son ami le détendait plus qu'il ne le croyait possible) :

"Je sors le badge tout de suite, ou j'attends un peu ?"

L'idée de se servir de son statut d'agent de Cerber pour négocier un canapé avait quelque chose d'aussi drôle que stupide. Evidemment, Harry ne céderait pas à cette tentation idiote. Mais cela ne l'empêchait pas de plaisanter ouvertement à ce sujet. En particulier en bonne compagnie.