TW : mort(s), scène de crime, menaces.
« What a bloody mess. » Littéralement. Un soupir franchit les lèvres de Silke, en même temps qu’elle s’agenouilla auprès du premier corps sans vie. Il y avait des éclaboussures de sang dans toute la ruelle, et une flaque qui avait commencé à se figer s’était formée. L’odeur métallique de l’hémoglobine était entêtante, prenait à la gorge. Certains, comme Silke, y étaient habitués depuis longtemps. Ça ne voulait pas dire qu’elle la trouvait plaisante, mais elle ne vomissait pas son petit-déjeuner sur les chaussures de son supérieur, comme le pauvre stagiaire qui avait hérité d’un carnage en première scène de crime. Ah, la beauté de l’Underapple… Son plafond, ses ruines, ses déchets, ses odeurs d’industrie, ses gangs… Ses cadavres. « So, what d’you think, Frozen? » Elle roula des yeux, se retint de lui dire d’aller se faire foutre, lui et son surnom idiot. Au lieu de ça, elle soupira une nouvelle fois. « Could it be another overdose? A couple of suicides? » « Yeah, sure, Dave. Looks like your typical OD. I mean, I’m sure these three shot up some nice cocktail and then decided to bash each other’s skulls right before jumping out of a window ten floors above. » Son collègue mit un peu trop longtemps à son goût à réaliser qu’elle se foutait de lui. Il grommela quelque chose dans sa barbe mal rasée, mais Silke ne l’écoutait déjà plus. Il fallait vraiment n’être bon qu’à gratter du papier pour croire que trois crânes visiblement fracassés pouvaient avoir été causés par une overdose. « Even if by some miracle of bad luck they all just fell, they wouldn’t be in such a bad state. Someone really wanted to repaint the street with their brains. Poor kids. » À vue d’œil, les trois garçons ne devaient pas avoir plus de dix-huit ans. Ils auraient dû avoir la vie devant eux ; au lieu de ça ils avaient terminé dans une ruelle sordide, à peine éclairée, dans les entrailles de New Blossom. « Alright, let’s take them to the mortuary. The faster I can conduct a post-mortem examination, the faster their families will have their answers. Go ahead. » Elle se releva et en même temps qu’elle retira ses gants, fit signe aux agents d’emporter les corps. C’était le genre d’affaire qu’elle détestait. D’abord parce que les victimes étaient des jeunes fauchés des décennies avant leur heure. Ensuite parce qu’elle ne portait pas l’Underapple ; le climat ne lui seyait guère et elle avait rapidement l’impression d’y étouffer. Et surtout parce qu’elle le savait, ce ne serait qu’une énième affaire classée sans suite. Le crime organisé avait la belle vie à New Blossom et les gens de la surface se souciaient rarement de ce qui se passait sous leurs pieds.
Mains sur les hanches, Silke prit ses distances le temps que ses collègues fassent le sale travail, tandis que d’autres éparpillaient le petit attroupement qui s’était formé. Ça aussi, ça la dépassait. Comment pouvait-on à se point se satisfaire et se distraire du malheur d’autrui ? C’était plus fort qu’elle ; Silke ne pouvait penser qu’à ces parents, ces familles, qui allaient apprendre que leur enfant ne rentrerait pas ce soir-là, et qu’ils ne pourraient même pas lui dire au revoir parce que le corps n’était pas présentable. « Fucking hell. » Elle secoua la tête, recula encore un peu. Elle se trouva directement sous l’éclairage d’un lampadaire en fin de vie, qui clignotait toutes les dix secondes. Sous cette lumière artificielle, sa peau avait l’air encore plus curieuse que d’ordinaire. Elle luisait faiblement, comme des milliers de diamants dont l’éclat aurait terni. Silke fit une grimace et s’écarta pour retrouver l’ombre. Attirer l’attention, elle n’aimait pas ça non plus. Bras croisés sous la poitrine elle attendait que la besogne soit terminée pour emboîter le pas au reste de l’équipe. Ce qu’elle aurait fait sans discuter, d’ordinaire, si un drôle de scintillement n’avait pas attiré son attention. « You coming’, Silke? » « Yeah, just give me a moment. I’ll catch up with you in a minute. » La chose intelligente à faire aurait été de dire qu’elle avait vu quelque chose, et demander à un inspecteur de l’accompagner. Mais Silke était aussi solitaire dans le professionnel que dans le privé ; en toute circonstance, elle préférait avoir la paix. Dave haussa les épaules et fit volte-face. Il n’était pas payé à discuter les lubies d’un médecin légiste.
Une fois de plus, Silke se retrouva à genoux à quelques pas de la mare de sang, près d’un conteneur qui servait de poubelle aux habitants. Elle enfila un gant pour saisir l’objet de son attention ; quelque chose de métallique coincé entre le métal et le bitume. « You’ve got to be kidding me. » C’était la tête d’un marteau ; il en manquait le manche mais il n’avait pas atterri là par hasard. Ce n’était pas quelqu’un qui avait loupé la poubelle en allant vider ses ordures. Ça ressemblait davantage à une grossière erreur de débutant. Elle allait rappeler Dave quand un duo de silhouettes menaçantes se dessina au coin de la ruelle. « You really should have ruled it as a suicide, Blondie. » Avant même de s’être relevée, Silke avait roulé des yeux. « What is it with you men and stupid nicknames? » Elle se releva, sans lâcher ce qui était peut-être l’arme du crime et surtout sans afficher une once d’inquiétude, en dépit des deux armes à feu pointées sur elle. Au lieu de ça elle haussa un sourcil circonspect. « Oh no… Poor me… Whatever will I do…? » Les types étaient confus. Ils avaient dû s’attendre à ce qu’elle se mette à hurler, à supplier, à chercher à s’échapper. Au lieu de ça, elle les regardait avec un air las au possible, comme s’ils allaient lui faire louper sa pause-café. « I don’t like killing ladies, but I’m gonna have to make an exception for you. No witnesses, sorry. » Silke pouffa. Un criminel était en train de la menacer de mort et elle lui riait à la figure. « Yeah, yeah, whatever. Look, just shoot me already, okay? I really can’t be bothered to beg for my life. So go ahead, big guy, shoot me. But I’m warning you: when I come back, I’m gonna be pissed. »
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