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Be runnin' up that hill (Yara)

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And if I only could, I'd make a deal with God and I'd get Him to swap our places.@Yara Sarhan


Les couloirs se déforment, s’allongent, se rétractent autour des carcasses, murs écrasant les silhouettes en fuite. L’urgence résonne à la manière d’une alarme assourdissante ne lui permettant pas d’apprécier les commentaires de l’équipe médicale l’entourant. Si le regard réussit à se fixer sur la carcasse échouée, c’est par professionnalisme car le reste de son organisme chercherait bien la première échappatoire pour ne pas avoir à contempler ce spectacle horrifique. Le détachement parait nécessaire à l’heure où le cœur sabote la cervelle mais il ignore comment opérer à ce changement efficacement. La vie de son ancienne belle-fille vacille juste sous ses yeux et on réclame injustement son sang-froid. Par chance, l'attachement lui confère tout autant l’acharnement suffisant pour outrepasser la vague d’émotions qu’elle a suscité à son arrivée. Les néons entrecoupent des courses effrénées, batterie d’examens passés, relais concédé aux spécialistes, concertation entre les différents corps de métier pour établir le diagnostic complet. Toute son énergie est absorbée, dispersée pour lutter contre une fatalité qui se précise à chaque auscultation et constatation. Il prête une attention trouble à ses confrères et consœurs, refuse de voir le couperet tomber, délaissant la science pour s’adonner à l’occulte, déjà bien occupé à espérer qu’une force inexistante puisse intervenir en faveur de Paloma. La stupidité de son raisonnement le poursuit des minutes entières, fragilise désagréablement son efficacité coutumière et renforce ironiquement sa capacité à s’entêter. Les premiers gestes posés rapidement lui ont donné un vague sentiment d’utilité mais maintenant, qu’il doit relayer la suite aux services adaptés, il ressent pleinement les limites de ses capacités. Insupportable d’en être ainsi réduit à cette humanité encombrante. L’impuissance le cueille définitivement quand elle est embarquée pour subir une intervention chirurgicale à laquelle il n’est pas convié. La voir s’éloigner lui en coûte, il ne peut plus s’assurer des mouvements rassurants de sa poitrine se mouvant sous l’impulsion de sa respiration. L’expression jusque-là impassible, se décompose devant les portes du bloc opératoire. Pas elle, pas encore. La peur se mêle à une forme de douleur lasse, il ne supporte plus la surenchère de tragédies, peine à accepter de survivre à la jeune génération sous couvert de malheurs injustifiés. Les pensées les plus sombres lui compressent la poitrine. L’ordre des choses voudrait que tout soit inversé. S’il pouvait échanger sa place avec elle, lui offrir plus de temps, il le ferait sans même hésiter. Il en a déjà eu bien assez lui. Assez pour tout saboter avec sa génitrice. Assez pour perdre Kaidan. Bien assez pour apprendre à l’aimer comme si elle était sa propre fille et pour consentir au sacrifice sans même sourciller.

Incapable de lui insuffler le second souffle voulu, il se met à déambuler de manière fantomatique dans les urgences, se rappelle à peine de ses impératifs. Compliqué de se diriger vers le prochain patient sans avoir l’esprit occupé par ce qui se joue quelque part dans les entrailles de cet hôpital. Les premières enjambées effectuées ne le ramènent même pas à sa besogne car des éclats de voix à l’accueil le détournent immédiatement de son travail. Pas besoin d’être à proximité pour pouvoir associer la mélodie à une identité. Il la reconnaitrait entre mille, est capable d'en rejouer chaque note sans faire la moindre erreur. La tempête s’abat sur lui avec plus de fracas encore, la houle s’aggrave dans le réseau sanguin, mini tornade générant des fourmillements au bout des doigts et le long des bras. Jusque-là, naïvement, il avait été trop préoccupé par la fille pour songer à la mère - ignorant le simple fait qu’à un moment il lui faudrait l’affronter, lui révéler la gravité de la situation et compiler avec sa peine à elle. A l'heure où tout est prêt à basculer, il espère encore devoir contrer sa colère, en vient à souhaiter que son apparition générera cette énergie destructrice chez elle. Il est plus facile de subir son courroux que de devoir gérer un chagrin qui le désarmerait. Le toubib brûle toutes les étapes mentalement, encaisse déjà bien mal la vision en se faufilant jusqu’à la réception, s'infiltrant dans la conversation sans grande subtilité. Leur dernière rencontre impliquait sa progéniture et malgré sa tendance à la rationalité, il ne peut s’empêcher de croire à la mauvaise fortune, au signe d’un mauvais augure. Le désorienté enfonce les réminiscences du deuil au plus profond de son être avant de couper la parole à sa collègue. « Je m’en occupe, Rita. Tu peux retourner à ton poste. » La neutralité du ton accule la perspective de son chamboulement, masque du soignant replacé par obligation. Quand l’œil accoste l’ambre, les résolutions sont légèrement ébranlées. Son estomac devient un abri temporaire pour une nuée d’insectes parasites, le contraste singulier de cette population non désirée est perturbant, papillons surexcités et bourdons déprimés se disputent le terrain.

Mélange étrange de chagrin foudroyant, de manque lacérant et de joie amère qui s’entremêlent au stress permanent. Il est obligé de s’accorder une poignée de secondes supplémentaires pour être certain de parler sans paraitre affecté par la situation et par sa présence. Il lui doit de rester dans son rôle, d’être la figure stable qui accompagne les proches vers la réalisation du mal. Appliquant absolument tout son savoir dans le domaine du contrôle émotionnel, il parvient à planquer toute variation de son humeur et à se faire porte-parole du complexe hospitalier. « Je suis en charge de Paloma depuis qu’elle est arrivée. » Leur passif le pousserait presque à compléter cet état de fait par quelques remarques vouées à retracer les limites entre eux mais il est incapable pour l’heure d’agir en dissident, pas quand toute son affection se porte dans sa direction. Autour d’eux, le monde continue à tournoyer, indifférent à la symbolique du moment et à tout ce qui en découlerait. Cet endroit n’est pas adapté aux annonces dévastatrices, cadre impersonnel n’offrant aucun réconfort face à la difficulté. « Je pense qu’il vaudrait mieux que la suite de cette conversation se déroule dans mon bureau. Suis-moi, s’il te plait. » Les talons sont tournés, le corps part vers l’avant, la guide jusqu’à la pièce désignée. L’intimité se suggère quand la porte est refermée, les bruits évincés et le tête-à-tête officialisé. Il a les mains moites, le cœur agité. En se plaçant derrière son bureau, au moins, retrouve-t-il sa posture professionnelle. Ce seul élément de mobilier permet de venir baliser les rôles distribués. Dans cette optique, la main se tend vers la chaise face à lui immédiatement. « Assieds-toi. » Le surréalisme de la scène ne lui échappe pas, la retrouver ici dans son univers réduit parait inespéré. Et pourtant, ce n’est pas ce qui importe. Comment lui annoncer que sa gamine n’est pas stabilisée et que la suite s’annonce au mieux préoccupante ? Dix mille discours tenus dans ce même endroit, autant de réalités rudes à dévoiler, l’habitude bien ancrée et la dissociation facile à opérer pour lui. Cependant, dans ce cas précis, les mots lui manquent et l’envie aussi. Par gain de temps, il liste les faits chronologiquement et l’invite à lui arracher la vérité, définitivement trop lâche pour la lui recracher dans la foulée. « J’ignore quelles informations tu as reçu, alors, permets-moi de repartir du début. Paloma a été envoyée ici suite à un accident de la route. Elle est actuellement au bloc opératoire, tu ne peux pas la voir pour l’instant mais pose-moi tes questions, j’y répondrai sans détour. » La seule promesse qu’il est à même de lui conférer ce soir, la plus belle marque de respect et l’empreinte sincère de ce qu'il a toujours éprouvé pour elle.

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tw : hôpital, accident

“Je veux juste voir ma fille ! Ma fille, bordel, ma fille !” Mais ça n’a bien l’air d’inquiéter qu’elle. Autour d’elle, le monde continue de tourner quand elle a l’impression d’avoir tout perdu, en l’espace d’un pauvre instant. Il a suffi d’un appel pour la propulser dans un abîme sans fond, quelques mots pour lui assurer une chute infernale. “Vous pouvez pas m’appeler, me faire venir ici pour me laisser dans le flou comme ça, putain ! Vous avez pas le droit !” Iels en ont parfaitement le droit, connaissent les règles, se plient seulement au protocole. Et peut-être que quelques heures avant, elle les aurait jugées très pertinentes, ces règles, les auraient applaudis, aurait acquiescé, soupiré de voir quelqu’un s’époumoner contre une pauvre employée. Mais à l’heure actuelle, il n’y a plus que cet égoïsme latent qui répond à sa seule douleur. On lui enlève sa fille, s’attend-on vraiment à ce qu’elle réagisse de manière mesurée ? Elle évolue dans un brouillard opaque, depuis l’annonce qui lui a été faite, et ça relève du miracle qu’elle tienne encore debout quand elle tremble des pieds à la tête, sans savoir comment extérioriser sa douleur autrement qu’en exigeant de voir Paloma. Comme si elle pouvait vraiment faire quelque chose, comme si elle pouvait réellement lui venir en aider, la tirer de ce mauvais pas. Mais elle est impuissante, et cette sensation est la pire de toutes. Elle ne maitrise plus rien, à l’instant, victime du néant ouvert dans sa poitrine, du froid qui s’est faufilé sous sa peau, vague glacée qui la renvoie à ses pires angoisses, inutile, à vociférer dans le hall des urgences sans obtenir gain de cause.

Elle s’est toujours targuée de s’être débrouillée seule, d’avoir réussi à élever une fille par elle-même, et en être fière, de la femme qu’elle est devenue. Parfois, elle-même y aurait cru, aux histoires de super-héroïne que Paloma contait à Gabriel pour l’endormir, qu’elle n’était pas si mauvaise, au fond, qu’il y avait encore de l’espoir, qu’elle méritait cette vie qu’elle avait finie par se façonner. Qu’elle est cette mutante incroyablement brillante, aux pouvoirs qui dépassent l’entendement, capable d’être ce qu’elle veut, au fond. Mais soudain, ça dépasse ses compétences. Elle n’est plus rien qu’une mère inquiète, impuissante, dont l’inquiétude est déraisonnable, dangereuse, qui ressemble à un magma incandescent rampant sous sa peau et qui finira par ronger tout ce qui trouve autour d’elle. À commencer par la personne se trouvant en face d’elle. “Je suis censée faire quoi, hein ? Rester à pleurnicher bien sagement sur votre petit fauteuil pendant que ma fille agonise dans la pièce d’à-côté ?” Toutes tentatives de la rassurer, de s’en tenir elle-même à des hypothèses optimistes finissent calcinées par l’inquiétude qui bout dans son cœur, et finira par la carboniser. Le danger est là, réel, terrible, tapi à l’observer se ridiculiser devant témoins, à se repaître de son malheur, de sa peur qui brille comme un phare dans l’horizon obscur. C’est l’émotion seule qui tambourine dans sa cage thoracique, manque de lui crever le cœur.

La voix qui résonne soudain dans son dos a le mérite de la secouer assez fort pour qu’elle se taise un instant, le jauge du regard, interdite. Elle ne s’attendait pas à le croiser, n’y a tout simplement pas réfléchi, même en prononçant le nom de l’hôpital pour indiquer sa destination au taxi. Paloma a happé toute son attention, seule angoisse étouffant le reste de ses pensées. Le soulagement d’apercevoir un visage familier, censé, qui comprend ce qu’elle ressent, ce qu’elle vit, qui la connait assez pour savoir qu’elle ne se satisfera pas des réponses plates d’une employée tenue aux règles de son établissement. Il connait la douleur de la perte d’un enfant. Et pour un temps, ça la fait taire, encore tremblante, mais lui accorde un sursis nécessaire pour ne pas exploser pour de bon, assez pour qu’elle le suive avec un regard noir pour l’employée abandonnée à ses occupations.

Elle lui emboîte le pas par habitude, guidée par la sensation familière de s’en remettre à lui. Il ne peut la trahir, pas ce soir, malgré l’histoire douloureuse qui les relie, les failles ouvertes pas trop de fois sous ses pieds. Il doit la soutenir, comme elle a tenté de lui venir en aide pour Kaidan. Elle s’accroche à une pauvre certitude qui ne vaut rien, à l’heure actuelle, par une terrible nécessité d’être rassurée, qu’on lui assure que tout ira bien, et que ce ne soit pas un mensonge. Toute sa vie durant, elle a assisté à des miracles, défié les limites de l’impossible, réinventé le genre humain ; elle a besoin d’y croire, qu’elle ne va pas perdre Paloma ce soir, que quelque chose, que quelqu’un, saura la sortir d’affaire. On invente de quoi faire voler des humains, leur offrir une seconde vie, les transformer en quelque chose de plus grand encore, en transcendant leur pauvre condition de mortel. Paloma peut être sauvée, doit être sauvée.

Mais tout semble s’effacer une fois passée la porte du bureau, les limites instaurées par le bureau entre elleux. Ne reste qu’un professionnalisme qui la terrifie plus que tout le reste. Elle se sent soudain abandonnée, seule face à un médecin imperturbable, habitué à gérer les esclandres dans son genre, qui ne lui offrira qu’une aide superficielle, un visage anonyme à haïr pour les malheurs de sa fille. “Mais c’est pas dans ton putain de bureau que je veux m’asseoir, c’est près de ma fille ! Bordel, Sylens ! Comment est-ce que tu peux ne pas comprendre ça ?” Les premières questions à éclore ne sont pas celles qu’il attendait, fendent ses lèvres avec une colère non dissimulée. Elle reporte sa rage sur ce qui est à portée, outrée par son détachement, incapable de se heurter à sa seule indifférence. “Comment tu peux être aussi calme ?” Parce qu’il en faut un pour ne pas perdre contenance. Parce qu’il en faut un pour garder la barre quand tu te noies dans ton propre désespoir. Mais elle est trop enfoncée dans ledit désespoir pour y voir autre chose qu’une indifférence insultante. “C’est Paloma qui a eu un accident, for god’s sake ! Paloma ! Ça ne t’évoque rien, tu veux que je te rafraichisse la mémoire ? C’est pas comme si c’était une étrangère pour toi non plus !” Mais il a toujours été le plus mesuré des deux, le plus raisonnable. Une ancre sûre quand les vagues destructrices de la vie s’entêtent à la jeter à la dérive. Mais acceptera-t-il vraiment de la rattraper, cette fois-ci, quand elle s’écroulera ? “Je veux tout savoir, Sylens, tout ! Qu’est-ce qu’elle a, à quel point c’est grave, est-ce qu’elle a des chances de s’en sortir, est-ce que je vais bientôt devoir annoncer à Gabriel qu’il n’a plus de mère ?” Une mention qui suffit à l’enfoncer d’autant plus, un nouveau poids ajouté sur ses épaules. La gorge nouée, elle se détourne un instant, tente de retenir le trop plein d’émotions qui menace de la submerger, une main sur le front, le museau relevé, larmes aux yeux, comme réalisant soudain. “Bordel, Gabriel.” Il ne sait rien, dans le confort de l’appartement qu’il partage avec sa mère, rentré de cours, à se dire qu’elle est de sortie, ce soir, que tout va bien. On lui a enseigné très tôt à être autonome, ce ne sera pas la première soirée passée seul chez lui. Comment pourrait-il deviner que c’est aux urgences que Paloma se trouve ? Comment doit-elle lui annoncer cela ? Sans savoir seulement si sa mère s’en sortira ?

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Confronté depuis le départ aux coups d’éclat, aux effusions d’émotions et aux griffes du désespoir, il est habitué à être le messager des enfers sur lequel on tire volontiers en croyant atteindre le diable conspirant aux malheurs des patients. La dimension plus personnelle que cette entrevue a prise réduit néanmoins drastiquement ses protections coutumières. Sous le visage fermé, l’expression de sa neutralité, la véritable émotion se recroqueville pour ne pas franchir les limites allouées et rejoindre l’extérieur où on aurait tôt fait de la juger. Yara n’aurait usage de cette faiblesse futile. Paloma mérite tout autant qu’il ne flanche pas. Les souvenirs exacerbés par la présence consécutive de la fille et de la mère aux urgences, n’attendent déjà plus qu’un seul faux pas pour le submerger. C’est simple de replonger la tête la première dans ces flots agités, de boire la tasse d’un bonheur ruiné pour en apprécier la saveur amère. Le mélancolique ne s’y essaiera pas. Les traits crispés, il contrôle le feu que son ex-compagne ne cesse de rallumer, jetant une centaine d’allumettes à ses pieds pour calciner ses tripes et lui arracher la réaction escomptée. Elle ne veut pas souffrir seule, une demande limpide et compréhensible. Mais s’il accepte de devenir son reflet dans la chute, comment feront-ils pour se relever ? Avec beaucoup d’aplomb, le médecin se saisit de ses papiers face à lui, les aligne avec une précision frôlant l’obsession. Simple geste mécanique pour s’ancrer à la réalité, il ne doit pas redevenir le beau-père inquiet, il doit demeurer le soignant raisonné. Convaincu de ce rôle à jouer, il relève un regard toujours apaisé en direction de la génitrice affolée. Pour casser les élans irrationnels opposés, il appuie sur le côté irréaliste de sa demande, cherche à lui agripper les chevilles pour la ramener sur la terre ferme, le sarcasme venu souligner le caractère incohérent de sa première requête. « Très bien, tu veux que je t’accompagne au bloc opératoire et que je te file un scalpel pour y justifier ta présence donc ? J’espère que tu as les gestes précis et une assez bonne connaissance du corps humain. » Vissée à cette tentative d’ironie, la compréhension bien planquée, il saisit toutes les notes de son accablement et toutes les nuances de son impuissance, il voit qu'elle se décompose, qu'elle lutte contre sa terreur. Il aurait aimé pouvoir dépasser ses réserves et leurs différends antérieures pour lui saisir l’épaule, la main, le bras, lui apporter une marque de soutien bien plus significatif que ces paroles vides de sens et génériques afin de replacer le cadre pour ne pas la voir dériver trop loin.

L’insensibilité de ses réactions vise essentiellement à contrer l’empressement à la tragédie et à contenir les émotions dévastatrices par la logique. Il viendrait un temps pour les pleurs et les cris. Se précipiter sur ce dénouement scelle bien trop la fatalité à laquelle lui refuse de s’adonner. Piqué par l’accusation, il est, néanmoins, incapable de mesurer son tact. « Tu préférerais que je m’agite et que je me mette à crier inutilement ? Je ne suis pas croyant, je ne crois pas que quelqu’un va entendre cette colère et y répondre positivement. De plus, il me semble que tu t’en charges très bien pour nous deux. » Sa propre mélodie résonne bien mal à ses oreilles et finit par sectionner les fondements de son intransigeance érigée en barrière ultime face à toute incursion volontaire dans sa poitrine. Avec un peu plus d’humanité, il tente de rétablir ses intentions. « S’emporter ne résoudra rien, Yara. C’est en gardant la tête froide qu’on peut agir de façon efficace. Et tu en conviendras Paloma a besoin d’être entourée par un personnel médical efficace. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir à son arrivée pour qu’elle reçoive les soins adaptés. » Elle compte pour moi. La douleur pulse à ce songe qu’il ne divulgue pas aussi directement que ça, déguisant la force de sa propre angoisse. Pour négocier avec ce mal, il doit bien agir au lieu que d’attendre passivement que son interlocutrice finisse par foncer plus violemment dans ses fondations en espérant le voir se briser.

Le quinquagénaire se relève ainsi et enjambe calmement l’espace jusqu’à se poster non loin d’elle, annihilant l’effet recherché plus tôt. Peut-être n’en a-t-elle vraiment pas la nécessité. Il ne sait plus tellement comment aborder le problème afin que ça ne soit plus pénible que ça ne l'est déjà. Quand le chagrin devient un peu plus concret, les yeux chargés de ce qu’elle ne parvient déjà plus à gérer, sa propre détermination se fissure. Une main posée contre le bureau, il accuse la distance qu’il doit conserver entre eux, retient des gestes qu’il n’a plus le droit de poser. D’une voix bien plus avenante, néanmoins, il finit par lui conter ces vérités aussi laides que peut l’être la vie parfois. « Je ne peux pas te donner de pronostic définitif. Mais je ne vais pas te mentir non plus. Elle est arrivée dans un état plus que préoccupant. Elle pourrait ne pas survivre à l’opération actuelle. Nous partons sur du quitte ou double. » L’évidence sonne encore plus rude qu’auparavant, même pour lui. Le relief donné à la situation, ne donne que trop peu d’espoir, condamne déjà l'issue heureuse. Et même lui ne peut se résoudre à cette éventualité. « Si tout se passe bien, il y aura sûrement des séquelles mais cela dépend de l’opération et de son succès. Je ne peux te donner aucune assurance pour l’instant. » Rien n’est déterminé. Il tente de lui offrir au moins cela avant de se pencher sur la détresse qu'elle renvoie.

Il ne peut plus rien pour Paloma actuellement mais il a encore la possibilité d’intervenir autrement auprès de Yara. Il tourne cela de manière grotesque, maladroitement sans le vouloir. « En revanche, je peux t’administrer un calmant pour que tu puisses patienter sans que nous risquions de te voir débarquer dans une salle aseptisée couverte de germes. Déranger la chirurgienne en plein travail est tout aussi risqué que d'y ramener tes bactéries. » Bien prêt à la placer sous sédatif si ça peut l’apaiser le temps des dénouements. C’est ce qu’il aurait souhaité lui-même recevoir quand Kaidan a été retrouvé inanimé. Et il ne peut lui apporter que cette solution partielle pour l’aider. Ça et l’assurance de son dévouement qu’il réitère de manière plus bien tangible afin qu’elle ne revienne plus pointer injustement son manque d’implication. « Je peux t’assurer que j’ai mis les meilleurs médecins sur le coup et que je compte m’occuper de son suivi personnellement par la suite. Je ne compte pas l’abandonner même quand elle aura quitté mon service, je serai sur le dos de tous les spécialistes qu’on lui assignera. » Si elle survit. La petite voix au fond de sa tête le harcèle jusqu’à ce qu’il lui soit impossible de l’ignorer. La suite s’envisage sous ce spectre maudit et le pousse à lui prodiguer des conseils qu’elle n’a pas demandé. « Pour Gabriel, je te conseille d’attendre d’en savoir plus avant de l’alerter.  A ce stade, il est inutile de lui donner des demi-informations. Et tu as besoin d’accuser le choc avant de lui parler. Je peux aller te chercher un verre d’eau ou un café, si tu le souhaites. » Soudainement, il se sent bien inutile, se donne une fonction aléatoire pour ne pas avoir à demeurer là comme une coquille vide dénuée d’intérêt. « Ou tu peux continuer à me crier dessus si ça te soulage. Dans tous les cas, tu peux attendre ici plutôt qu’à l’accueil. Tu y seras plus tranquille. » Je suis désolé, Yara. Tout ce qu’il ne dit pas et qu’il ressent intensément sans savoir comment le lui prouver. Sans savoir même si, au regard de leur relation, il aurait le droit de prononcer tout ça.
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tw : hôpital, accident, mort, crise d'angoisse

L’ironie de Sylens lui passe au-dessus de la tête. Elle n’entend que sa douleur, assourdissante, n’est focalisée que sur sa seule peine ravageante. Tremblante, nauséeuse, chaque nouveau propos lui retourne l’estomac, appuie sur son malaise. Tant de signaux contradictoires se croisent qu’elle ne sait plus qu’en faire, ramenée à sa seule condition de mère inquiète, dérangeante, clairement de trop, incapable de se tenir, de laisser le personnel compétent accomplir son travail. Elle est une gêne dont l’on se serait bien passé, une enfant à qui l’on fait la leçon, à qui l’on ordonne de se tenir sage pour ne pas déranger les adultes. Propulsée dans une monde inconnu, dans les couloirs de l’hôpital, elle ne se reconnait plus, perd pieds, répond de sa seule et cruelle inutilité. Et Sylens l’enfonce toujours un peu plus, fait appel à une rationalité dont elle dépourvue, pour l’heure. Il n’existe que sa panique entêtante pour guider ses pensées, la précipiter au fond du gouffre. Il a beau insister, l’enjoindre au calme, elle en est incapable, et il achève de creuser sa tombe en annonçant sa sentence. Elle va mourir. Il l’enrobe de pronostics, de probabilités, tente de ne pas noircir le tableau plus qu’il ne l’est déjà. Mais elle n’entend que la pire partie de ses propres, ne se concentre plus que sur la fin inéluctable de cette affaire. Elle va mourir.  

Certains enfants quittent le giron maternel très tôt, se détachent de toute autorité parentale. Mais rien n’a jamais suffit à les éloigner l’une de l’autre, pas même son arrestation il y a plus de vingt ans. Elles ont toujours évolue côte à côte, presque plus comme des sœurs que comme mère et fille. Elle a été là pour panser ses plaies, la réconforter de ses peines de cœur, élever son fils, quand bien même la casquette de mère inquiète, préoccupée, autoritaire, n’était jamais loin. Elle avait un rôle, une place, qu’elle s’est efforcée de remplir du mieux possible, pour ne jamais faire défaut à Paloma. Et maintenant que la possibilité qu’elle ne soit plus là est plus réelle que jamais, l’angoisse lui donne l’impression d’agoniser à ses côtés, sauf qu’elle a une conscience accrue, douloureuse, de la situation, plutôt que d’être anesthésiée. Elle s’est construite autour de sa fille ces dernières décennies et ne peut s’imaginer avancer sans elle.  “Elle ne peut pas mourir, Sylens, elle ne peut pas, elle n’a pas le droit, ce n’est pas possible.” Elle tourne en rond, incapable de se concentrer sur une autre pensée que la fin imminente de leur histoire commune, la possible mort de sa propre fille, l’accident qui pourrait tout lui coûter. Tenter de penser à autre chose la ramène encore et toujours à Paloma, seulement Paloma, agonisante sur son lit d’hôpital. Si elle ne l’a pas aperçu, ne peut s’appuyer sur aucune vision concrète, son imagination s’assure de lui fournir assez de matière pour modeler ses pires cauchemars de détails horrifiants. Elle repousse toutes les propositions du médecin de son silence, focalisée sur sa panique. La douleur seule a sa place sous son crâne intoxiqué par l’angoisse.

Se pincer l’arête du nez ne suffit à stopper le flot continus de pensées corrosives ou les larmes qui lui piquent les yeux. Elle a l’impression de mourir, d’être au bord du gouffre. Ce n’est plus seulement qu’elle a le cœur lourd, la poitrine douloureux ; c’est qu’un trou noir s’est ouvert dans sa cage thoracique et entend bien tout dévorer. “Elle est tout ce qu’il me reste, tout ce que j’ai, tout ce que j’ai réalisé de bien dans cette vie.” Paloma a révélé le meilleur en elle, appuyé sur ses qualités pour effacer les failles qui la morcèlent. Si son histoire entière n’est qu’une succession d’actions ignobles et de mauvaises décisions, il y a toujours eu Paloma, quelque part, pour donner un sens à cet enchevêtrement d’horreurs. Mais elle n’est plus là, ne sera peut-être jamais plus là, et elle n’a soudain plus rien contre lequel s’appuyer, pour lui donner une bonne raison de rester debout. Elle chancèle avec l’impression terrifiante que ses jambes vont la lâcher, se rattrape maladroitement au dossier de la chaise avant de s’y asseoir, tremblante, secouée d’un sanglot. “Ce n’est pas moi qu’il faut soigner, ce n’est pas moi qu’il faut choyer, je ne suis pas en carton. C’est Paloma qui est en danger.” Pourtant, l’angoisse qui s’est faufilée entre ses côtes, appuie sur sa cage thoracique, est bien réelle. Chaque respiration en devient plus difficile que la précédente, l’essouffle trop vite. Elle a la soudaine impression de manquer d’air, les poumons atrophiés, la gorge nouée, et elle a beau tenter de prendre de grandes inspirations, ça ne parait avoir aucun effet sinon qu’accentuer l’effort nécessaire pour ne pas manquer d’air. “Il faut que je la voie, Sylens, il faut que je la voie, que je lui parle, que…” Elle peine à retrouver son souffle, pliée en deux la respiration affolée, penchée en avant, les mains contre son crâne, tremblante, les doigts repliés sur ses cheveux jusqu’à s’en faire mal. La voix hachée, elle est pourtant incapable de se taire quand tout lui commande de s’allonger, de dégager sa poitrine et de chercher un point d’ancrage quand elle tout s’effondre autour d’elle. “Je dois la voir une dernière fois, elle ne peut pas s’éteindre toute seule, elle mérite mieux que.. que le bloc opératoire, s’il te plait.” Elle refuse de n’avoir que son corps mort comme dernière vision de sa fille. Elle refuse d’associer Paloma à une telle vision, et espère peut-être que lui tenir la main, serrer ses doigts entre les siens, suffira à lui donner la force de lutter contre le destin qu’on lui prédit.

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La vérité perfore le ciel, corrompt le soleil. Lumière noire propageant sur un royaume désolé, une malédiction ancestrale, transformant toute créature en ombre cruelle. Le monde devient hostile pour celle qui s’attend à perdre son unique repère. La dernière lueur vacille et les ténèbres menacent de l’engloutir. Yara se débat sous ses yeux impuissants, lutte contre les cauchemars rampant avec aucune échappatoire pour y couper. Sylens a longtemps été convaincu de son rôle, il s'en donnait l'allure, prétendait alors être un chevalier, bien déterminé pourchasser les monstres. Mais la réalité s’est imposée, le mal s’est infiltré sous l’armure et l’a damné. Il appartient désormais à ce rivage dévasté, est devenu un des infectés. Sa blouse blanche ne pourrait tromper un œil avisé, il a les mains souillées, la conscience fragmentée. La douleur de son vis-à-vis est quant à elle entière, pure par nature. Ses mots sont taillés dans le cristal, matériau translucide, noble, au tintement ne pouvant laisser indifférent. Chaque éclat se fiche dans sa poitrine, lacère ses croyances. La mutante s’est toujours placée en roc prêt à défier les courants les plus destructeurs, le temps n’a jamais érodé sa carapace. Tenace, redoutable et combattive, elle lui a enseigné l’humilité et le respect en lui imposant sa personnalité. A ses côtés, il a cessé de penser qu’il devait protéger inéluctablement les siens de tous les dangers. La voir plier sous l’impulsion de la bourrasque, menacer de se briser sous la tempête, le désarme plus efficacement que tous les reproches qu’elle a déjà pu lui formuler, que toutes les attaques qu'elle a menées à l’égard de son égo. Bras ballants, il oublie le médecin, se réinsère plus volontiers dans la peau de l’homme tandis qu'il assiste à l'impensable. Elle boit la tasse en exigeant qu’il conduise la barque en direction de Paloma et tant pis si elle, elle se noie. Aux prémices du chaos, le cartésien se sent forcé de la ramener sur la terre ferme avec des faits concrets, délaissant l’émotion au profit d’une implacable logique.  « Elle a une chance non-négligeable de s’en sortir au bloc opératoire. Tu veux vraiment la condamner parce que tu as besoin de la voir ? » Termes mal choisis, approche tout à fait erronée pour subvenir aux besoins de quelqu’un qui s’effrite et se disperse dans la panique. Sa requête en ressac entêtant, se heurte à son professionnalisme et à son réalisme maladif, sabote ses options. « Elle est inconsciente, Yara. Même si tu es près d’elle, elle ne te verra pas et ne t’entendra pas. Ça ne changera rien pour elle. » Presque insensible quand il rejette la touche d’humanité de sa demande initiale.

Au fond, il a bien compris ce qui motivait cette réclamation. Elle veut seulement apporter un peu de chaleur à sa fille, la couvrir d’un semblant de tendresse avant qu’elle ne glisse vers les limbes définitivement. Qui souhaiterait que sa gosse s’éteigne en ayant pour unique étreinte le métal froid d'une table d’opération ? Stupidement figé pendant qu’elle s’acharnait à marcher puis quand elle s’est effondrée, le toubib doit se forcer à quitter cet état de stase - moyen comme un autre de contrôler ses réactions, pour s'impliquer un peu plus dans ce qui se joue dans son bureau. Ainsi, il se dresse face à elle, tend une main dans sa direction mais la reprend aussitôt, incertain quant aux limites à conserver dans cette tragédie. Ses doigts craquent quand il les replace contre son flanc, dans un cri de déception. En brimant ses premiers élans, il a généré une certaine frustration, a amplifié son inutilité. Pour y palier, il s’autorise la familiarité, adoucissant son timbre pour glisser l’essentiel de son sentiment.  « Elle n’est pas encore morte. Ne l’enterre pas déjà. S’il n’y avait aucune chance possible, elle ne sera pas au bloc opératoire à l’heure où je te parle. » La nuance appliquée, il ne reste plus qu’à espérer qu’elle suffise à enrayer la spirale dans laquelle la mère s’est enfoncée. Le baume est continuellement arraché aux possibilités, appliqué comme il peut sur ses plaies.  « Dès qu’elle en sera sortie, je ferai tous les arrangements nécessaires pour que tu puisses la voir immédiatement, je ne peux rien t’offrir d’autre pour le moment. » Est-ce seulement vrai ?

Avec beaucoup de prudence, le docteur s’accroupit face à elle, tente de repêcher son regard au prix de sa propre stabilité, absorbant sa peine bien malgré lui pour doubler la sienne. Il essaie de ne pas y penser, à Paloma sous le scalpel de ses collègues, au verdict catastrophique, à Yara et à sa descente aux enfers si le dénouement finira par confirmer le scénario qu’elle s’est mise à rédiger. S’il se met à accepter de vivre dans cette infinité de réalités parallèles, il ne sera plus apte à les aider. Ils n’ont que le moment présent et leur entêtement naturel pour ne pas succomber. C’est déjà bien assez compliqué quand la vulnérabilité de la génitrice suffit à souffler toute forme de détachement. Ses révélations continuent à résonner horriblement en lui, à la manière d’un écho fantomatique le ramenant plus de deux ans auparavant alors que Kaidan était enterré. Elle ne s’en relèverait peut-être jamais si ça finissait par arriver. Ce songe le pousse à amorcer un énième geste dans sa direction. Sa paluche bifurque au dernier moment dans un sursaut de lucidité, s’accroche plutôt à un morceau de chaise.  « Tout ce que tu peux faire pour Paloma actuellement, c’est tenir bon. Et tout ce que je peux faire moi, c’est veiller à ce que sa mère respire correctement. » Plus il se concentre sur les symptômes inquiétants qu’elle présente, plus il ressent l’injustice comme une entité à part entière bousculant sa chair, autant de mains venues enfoncer leurs ongles dans chaque parcelle de son être. Un parent ne devrait pas avoir à enterrer son enfant, c’est contre nature, insensé et impardonnable. Mais il n’a plus le luxe de se mettre en colère contre le cosmos tout entier, il n’en a plus l’énergie. Au lieu de l’embarquer dans une guerre intergalactique, il la guide plutôt du côté de ce qui pourrait l’ancrer sur la seule planète habitable, là où l’air est supportable, là où elle pourra continuer à exister sans plus se battre comme elle le fait pour simplement respirer.  « Il te reste Gabriel. Peu importe ce qu’il se passe, il va avoir besoin de toi. » Une mission à confier, de quoi la libérer du vide qu’elle a évoqué. Vestige de sa progéniture qui nécessite sa présence.  « Et pour que tu puisses être là pour lui, il faut que tu reprennes le dessus. » Avec un peu plus d’audace, il quitte son point d’appui sur le siège, dépose furtivement sa paume contre son bras, délicatement sans même y appliquer la moindre pression, juste pour attirer son attention.  « Laisse-moi t’aider, Yara. » Le contact est rapidement rompu. Les orbes tentent de conserver leur prise sur sa conscience, de l’attirer jusqu’à la sienne. Qu’il puisse être son refuge pour une poignée de secondes, le temps qu’elle retrouve sa route. « Suis ma respiration. » La main mime alors le mouvement entrepris. A chaque inspiration profonde, elle se soulève. A chaque expiration, elle redescend. Une boucle qu'il reprend inlassablement, ne s'arrêtant pas tant qu'il ne discerne pas la moindre amélioration.
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tw : hôpital, accident, mort, crise d'angoisse

La panique l’assourdit, filtre apposé à même le tympan, qui ne l’autorise bien à entendre que le plus terrifiant. Toute idée de rationalité est chassée par la peur qui la gangrène et chaque mot de Sylens ne fait qu’accentuer cette incompréhension. Il s’acharne à parler une langue qu’elle ne comprend pas, n’énonce que des faits rationnels, s’appuie sur une indifférence dont elle est incapable, pas quand ça la concerne. Il distille de fausses promesses après avoir enfoncé tout espoir, dressé un tableau noirci de la situation, sans comprendre qu’il est déjà trop tard, et qu’elle ne se satisfera plus de ces réponses-là. Il n’existe que la crainte irrépressible de se voir arracher sa fille, la terreur qui rampe sous sa peau, envahissante, tenace, qui menace de l’emporter pour de bon. Recroquevillée sur elle-même, à n’écouter que son cœur transis d’effroi, battant trop fort dans sa poitrine, à lui en faire mal, elle n’a plus conscience que de son corps et de ses signaux indigestes, et de l’agonie de sa fille, affolante. Les hésitations mortifères de Sylens, ses mille pas en avant avortés par un recul instinctif lui sont inconnus tant le reste de son environnement lui parait lointain, négligeable, quand sa fille est loin d’elle, et va mourir.

Cette certitude a fait son trou, et elle n’est plus capable de s’en défaire, trop affolée pour seulement réussir à prendre une réelle inspiration, comme décidée à la rejoindre dans son agonie. “Et si elle ne sort pas ?” C’est un gémissement plaintif qui s’échappe de ses lèvres serrées à s’en faire mal, le corps parcouru de frissons. “Tu l’as dit, tu l’as dis, elle a très peu de chance de s’en sortir, ou aura de graves séquelles et…” Un énième sanglot lui secoue les épaules, se répercute dans son corps entier, à lui en faire mal tant elle a une conscience accru de tous ces signaux d’alerte qui lui grignote le système nerveux. Il n’y a plus qu’elle-même, sa douleur, les bouffées de chaleur qui courent sur sa peau, l’impression persistante d’étouffer, de manquer d’air, de ne plus s’appartenir, de perdre le contrôle comme elle perd le contrôle sur la vie de sa propre fille. Elle s’en serait arrachée les cheveux, en aurait hurlé de douleur, mais la vérité, c’est qu’elle n’est plus capable que de supplier, blême. “Ne me donne… pas… des faux… espoirs…” La réalité s’efface, elle perd pied, sans savoir à quoi se raccrocher quand son monde entier perd tout sens. Près d’elle, elle a une conscience lointaine de la présence de Sylens, qui ne se borne plus qu’à une silhouette imposante qu’elle discerne à peine entre ses mèches de cheveux. Un agent du chaos, messager de malheur, où elle ne sait plus discerner aucune aide. “Ne me mens pas.” Pas pour me rassurer. S’il te plait. La chute n’en sera que plus rude.

Il l’achève d’un coup traitre, le couperet s’abat, et plutôt que de se relever pour reprendre ses responsabilités, c’est un poids de plus qui s’abat sur ses épaules, appuie d’autant plus sur ses poumons jusqu’à les atrophier pour de bon. La seule mention de son petit-fils suffit à l’étouffer sous l’angoisse que cela représente, à l’instant T. Elle ne répond plus de rien, à n’entendre que sa propre panique, et on lui rajoute soudain une charge qu’elle se sent incapable d’assumer, au fin fond de sa panique. Tremblante, nauséeuse, elle encaisse des vagues de chaleur insupportables, le corps transi par le malaise. La main de Sylens contre son bras agit comme un électrochoc, un contact rassurant, mais trop bref, qu’il lui reprend trop vite, illusion trompeuse à laquelle elle ne peut se raccrocher. Ça lui parait pourtant tellement plus tangible que ses paroles vaines pour la rassurer, l’enjoindre au calme quand elle ne répond plus de rien. Elle est incapable d’écouter ses directives, de les mettre en application, recherche seulement la main qui l’a abandonné du bout des doigts. Finir par les refermer sur les siens agit comme un soudain point d’ancrage, et sa poigne est ferme, écrasante, elle sert sa main dans la sienne avec l’énergie du désespoir, quitte à lui en faire mal. Toute rationalité effacée au profit de sa panique, elle n’écoute plus les signaux inquiétants de leur histoire, ne reconnait plus qu’en lui l’homme rassurant qui a ponctué sa vie de sa présence, qu’importe les travers qui les ont rassuré. Il n’est plus qu’une figure tangible dont elle a besoin pour tenir le coup, pour ne pas s’effondrer sous le poids de sa détresse.

Elle a oublié toute retenue au moment où Paloma s’est retrouvée en danger, ne répond plus qu’à l’ampleur de l’émotion qui lui appuie sur la poitrine, étouffante, dangereuse. “Comment… je peux pas…” Penser à Gabriel aggrave son angoisse, c’est soudain deux problèmes entremêlés qui lui enserrent le cerveau, et dont elle ne sait se défaire. “Je n’ai pas su protéger ma fille, comment puis-je m’occuper de son fils ?” Elle est incapable de dissocier ces deux charges mentales, n’entend plus que les signaux de désespoir qui lui affirment qu’elle n’est capable de rien, pour l’heure, et qu’elle ne sera sûrement jamais plus capable de se relever tant la faiblesse de ses jambes lui parait réelle, définitive. “Il a besoin de sa mère.” Et elle aussi, a besoin d’elle. “Pas de moi, de Paloma.” Epicentre du chaos, pilier de leur famille, semble-t-il. Si elle part, tout s’écroulera, et pour l’heure, elle est incapable de venir soutenir le poids du monde sur ses épaules pour résoudre ce fait.

Près d’elle, les efforts de Sylens pour lui offrir les clés permettant de se sortir de cet état préoccupant sont réduits à néant. Elle a beau tenter de se concentrer sur le rythme de ses mouvements, sa vision se brouille, elle ne voit plus qu’un magma de formes floues, de couleurs indistinctes, et il n’existe bientôt plus que sa main à laquelle se raccrocher, forte, tangible, quand bien même elle l’écrase sans ménagement de sa poigne. “Elle ne peut pas mourir, elle ne peut pas, Sylens, elle ne peut pas.” C’est comme une litanie pour contrer le sort, entêtante, mais mensongère. Elle peut mourir. Elle va mourir. Qu’importe la volonté de sa mère. “Je peux pas, je peux pas tenir, je…” L’autre main contre son cœur, elle a l’impression de le perdre, de le sentir se décrocher dans sa poitrine, sans réussir à analyser ce qu’il se passe sans ployer sous la panique, et l’impression oppressante d’agoniser avec sa fille. “Je tiendrais pas le coup si…” Si elle meurt. C’est soudain au dessus de ses forces, de le dire, mais ça n’en est pas moins réel et oppressant. Paloma va mourir, et Gabriel sera orphelin. Et à l’instant, elle est persuadée de ne pas savoir un jour se relever pour assumer la responsabilité qui lui incombera.

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Sa franchise renvoyée en boule de feu occasionne autant de dommages que l’imagination affolée de son interlocutrice. Le maniement des mots a toujours été déroutant pour l’esprit cartésien privilégiant plus volontiers l’honnêteté au tact. Il le paie avec les intérêts, s’est trop vite arrêté à la supposition de sa force en méconnaissant la profondeur de sa détresse. Des racines à la place du cœur s’ancrant dans une terre infertile et aucune lumière pour nourrir ce qu’il reste de son être, elle décline à vue d’œil, détruite par ces contrées inhospitalières - celles qu’il lui a créées bien malgré lui en fonçant droit sur les évidences sans même chercher à la ménager. Dans la fragilité du moment, toute action, toute parole parait hors de propos et incohérente. Sa tentative d’apaisement rejoint cette catégorie rapidement. Elle s’est enfoncée dans le sol, a été enterrée vivante avec aucun moyen de déblayer son chemin. Ses appels d’air sont autant de cris qui interpellent la seule personne apte à les entendre, à y répondre. Sylens a beau gratter de toutes ses forces son tombeau d’argile pour dénicher sa main, il ne débusque que des débris mal enfouis. Il se sent bien indigne tout à coup de cette blouse blanche, il ne soigne rien, pas même dans le silence. L’incapacité de ses mouvements à attirer l’attention de l’affolée, a raison ultimement raison du rôle endossé. Quand la mimine de Yara réclame la sienne, il se déleste de son imposture et répond au besoin qu’elle parait formuler, la paume élancée contre la sienne. Il fait en sorte de resserrer ses doigts autour des siens alors que l’abattement véhiculé par son interlocutrice réveille des insécurités qu’il n’aurait jamais pu soupçonner, évoque le manque de ressources si la fatalité venait à lui dérober son seul pilier. Sa mélodie l’entraine dans une valse morbide, au rythme éprouvant, exigeant. Ils finiront tous deux les pieds en sang à cette allure. La compassion ressurgit entre deux tournoiements, sa douleur est recousue par-dessus la sienne, rendant le poids de cette souffrance indécent. Le père tente bien de ne pas additionner son expérience passée à celle actuelle, chasse Kaidan de toutes ses forces de ses déclarations d’abandon. Malgré tout, il se revoit en elle, en renforce sa prise sur sa paluche et glisse un  « Je sais. » futile qui ne solutionnera rien et ne l’aidera pas. Sa compassion n’aggravera sans doute que l’état de choc et de panique.

Alors, au lieu de sombrer avec elle, dans ce désespoir dévorant, il entreprend plutôt d’utiliser ses plaies dans un but bien plus constructif, s’attarde sur ce qui aurait pu atténuer sa propre culpabilité, absoudre une partie de son désarroi aux prémices de la tragédie. Avec un brin d’audace, sa main libre se relève et accoste délicatement la nuque alliée, pouce déposé contre sa mâchoire, il veille à récupérer ses orbes, à les nouer à son néant. Une proximité qu’il estime nécessaire, priant intérieurement pour ne pas abuser de la situation néanmoins, refusant de s’octroyer ces quelques excès alors qu'elle est acculée dans sa vulnérabilité. De toute façon incapable d’être indifférent, inapte à la considérer comme une étrangère à garder à distance respectable, il ne lutte pas plus que ça contre les élans naturels. Autant de faits que leur histoire a acté et auxquels il s’est résigné. Elle est l’inconnue de son équation et il ne cherche plus à la résoudre. Ce mystère entretenu leur a permis d’entremêler leurs chronologies sans briser totalement le lien presque surnaturel qui les a connectés. C'est dans cet attachement intertemporel qu'il pioche la douceur de son intonation, repeignant la neutralité par une tendresse manifeste. « Ce n’est pas ta faute, ce qui arrive à Paloma n’est pas ta faute. C’était un accident, Yara. Même si tu avais été sur place, tu n’aurais rien pu faire sauf peut-être la rejoindre sur la table d’opération. Tu ne peux pas la protéger de tout, tout le temps. Ce n’est pas ta responsabilité de combattre chaque possibilité, ni ton échec. » Défiant toujours plus les limites de leur chaos, il pourchasse une autre forme de réconfort en se détachant de son cou afin de gagner sa joue, y glissant ses doigts furtivement pour y diffuser un peu de chaleur.  « Tu n’es pas Paloma, certes. Mais je pense qu’elle et Gabriel préfèreraient autant  qu’il soit à l’abri avec un adulte qui le connait et qui lui veut du bien. » Il ne peut pas voir comment la responsabilité pourrait ne pas être une raison de s’accrocher, de voir au-delà de la perte. Il saisit mal ce qu’elle exprime, perçoit uniquement le contexte sous le spectre de sa propension à répondre par devoir.

L’insolence de cette proximité atteint son échéance sans difficulté alors que la préoccupation se porte sur la capacité à s’oxygéner de son interlocutrice. Avec beaucoup de précaution, le médecin recule, défait sa prise et se dirige vers ses armoires. La fébrilité a corrompu certains gestes durant ces instants de faiblesse apparents mais il lui suffit d’attraper une seringue pour se souvenir du titre reçu et de la fonction exercée. La main redevient stable quand elle revient à la patiente agitée. Annonçant la décision prise, le toubib relève la manche opposée.  « Je vais t'administrer un sédatif. Tu ne peux pas rester dans cet état. » Il procède à l’injection dans la foulée, veille à ce que chaque mouvement soit le plus précis et le plus délicat possible.  « Il devrait faire effet assez rapidement. Tu peux t’allonger sur le canapé si tu le souhaites. » Le nez pointe vers le divan en arrière-plan - propre point de chute privilégié quand les services s’enchainent trop vite. Sans plus abuser de sa posture, il maintient une certaine distance avec elle, subsiste simplement dans la pièce pour veiller sur elle comme il peut jusqu’à recevoir l’appel fatidique.

Moins de trente minutes avant que le débriefing ne soit effectué. Le déroulé attise sa lividité, il se détourne de la seule témoin pour accuser le flot d’informations à l'autre bout du fil, ne répond qu’avec parcimonie au compte-rendu. Oui, d’accord, très bien. Il n’est pas d’accord et ça ne va ni très bien, ni même bien tout court. Une seule inspiration prise une fois la communication achevée pour reprendre contenance, pour refouler ses propres émotions afin d’assurer le passage de l’acte un à l’acte deux. Il faut que la transition soit la moins brutale possible. Quand ses yeux accostent ceux de la concernée néanmoins, tout s’effrite. « Elle a été stabilisée grâce à l’opération mais n’a pas repris connaissance. » La déglutition est compliquée alors qu’il étend le portrait, massacre de nouveaux coups de pinceaux l’entièreté du tableau. Le naturel reprend le pas sur l'empathie, saccage la précaution au profit de la franchise.  « Elle est dans le coma en d’autres termes. Et pour l’instant, on ne peut définir s’il s’agit d’un état permanent ou si son état évoluera graduellement. Il est trop tôt pour connaitre l’implication future de l’accident. » La réalisation de la gravité des blessures gagne en relief dans les notes graves qu'il expulse, lui-même conscientise seulement la nature même du diagnostic. La lèvre supérieure frémit un bref instant mais il s’efforce de penser à la suite, d'établir le prochain mouvement pour ne pas rester figé dans cette angoisse. « Dans tous les cas, elle a été transférée aux soins intensifs. Je vais t’y conduire pour que tu puisses déroger à la contrainte des heures de visite. » La marche s’ouvre déjà, il ne veut pas avoir à affronter le contrecoup dans l’immédiat, fuit lâchement les retombées de la nouvelle en rejoignant la porte du bureau, l’entrouvre en masquant comme il peut son trouble. Il ne sait plus ce qu'il doit craindre, l'avenir compromis de Paloma, la chute de Yara ou le retour de ses plus vieux traumatismes au pire moment. Une seule œillade en direction de son interlocutrice, suffit à lui insuffler un semblant de force. Pour elle, il tiendra bien la distance, courra des centaines de kilomètres sans même s'essouffler, si ça peut lui permettre, à elle, de se reposer et de ne pas trébucher.
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tw : hôpital, accident, mort, coma

La spirale n’en finit par, absorbe chacune de ses pensées pour la dévorer et la recracher plus inquiétante encore. C’est un gouffre dans lequel elle tombe pour ne plus jamais en ressortir, et aucune main alliée ne lui parait suffisamment sûre pour être saisie. Tout s’effrite et elle avec. Elle ne reprend pied qu’une fois le contact imposé, la tête redressée avec douceur par une main familière. Qu’une fois que ses yeux retrouvent ceux de Sylens, point d’ancrage au cœur de la tempête, un éclat dans la nuit noire. Le discours poli par les années, anesthésié, médical, s’efface au profit d’une honnêteté rassurante, celle dont elle avait besoin. Il lui offre quelque chose à quoi se raccrocher, quelqu’un en qui se reconnaitre. A lui rappeler ce qui est réel, encore tangible, et terriblement important. Ça ne suffit pas à calmer son état préoccupant, mais lui permet au moins de se redresser un tant soit peu, de dégager un minimum ses poumons plutôt que de se recroqueviller sur elle-même, pliée en deux par la panique. Aucune protestation ne fuse quant à la méthode proposée. Si les années et les révélations amenés lui ont appris à se méfier, discerner l’ombre du chasseur derrière l’homme, l’instinct tronqué par l’angoisse lui commande de s’en remettre à lui, cette fois-ci au moins, tout instinct de survie effacé par l’ampleur de l’émotion. Son pauvre hochement de tête suffit à délivrer son accord avant qu’il ne lui administre le sédatif, dont elle attend les effets comme une délivrance.

Les premiers temps sont marqués par une attente insoutenable, à prier pour que cela fasse effet d’un coup d’un seul et la décharge du poids qui lui pèse sur la poitrine. Mais ça ne fait effet que petit à petit, et elle ne finit par le réaliser qu’une fois qu’elle sent ses jambes lui appartenir à nouveau, assez pour exécuter les quelques pas qui la séparent du divan pour s’y allonger. Le temps s’égrène sans qu’elle n’en est seulement conscience, trop sonnée pour s’égarer dans ce décompte-ci. Elle n’entend plus que son cœur qui bat dans sa poitrine, et finit bien par la bercer, lui offrir quelque chose sur lequel se concentrer plutôt que sur la douleur qui occulte toute pensée.  L’angoisse tambourine toujours dans sa poitrine, mais a finit assourdit par l’emprise du sédatif, lui offre une échappée certaine, pour l’heure.
La sonnerie du téléphone brise le presque calme déniché sous les effets du tranquilisant, agit comme un électrochoc qui lui fait aussitôt relever la tête, alerte, les yeux rivés sur Sylens. Son silence est pesant, et si elle n’avait pas un début de mal de crâne, elle lui aurait hurlé de parler ou de mettre ce foutu téléphone sur haut-parleur. A la place, elle se redresse maladroitement pour ne pas avoir à se tordre le cou pour l’observer. Il lui semble que toutes ses angoisses se sont décidées à lui revenir en pleine face, vague qui menace de la submerger. Mais aux prises avec sa psyché, elle ne réalise pas combien c’est une réaction si minime comparée à la crise qu’elle a traversé plus tôt. Qu’elle arrive à se tenir droite en fixant Sylens, à respirer malgré la terreur qui lui creuse la poitrine.

Dis-moi qu’elle va bien, s’il te plait. Il la devance, avant qu’une répartie bien sentie n’exige des explications plus claires, qu’il vulgarise son foutu jargon médical. Le verdict tombe sans qu’elle ne sache si elle doit être rassurée ou d’autant plus inquiète. Aucune réponse n’est satisfaisante, tant que sa fille est en danger. L’incertitude ronge le reste de rationnalité qu’il lui reste - soit, très peu - elle menace de fondre en larmes à nouveau, et elle ne sait bien si c’est à la force de sa volonté ou les effets du sédatif qui l’en empêche. “Je veux la voir.” L’exigence tombe alors même qu’il le lui a promis, lui offre de passer au travers des règles édictées. Mais toute à sa douleur égoïste, elle n’entend que la moitié du discours, cède au seul élan inquiet qui la précipite sur ses deux jambes, à s’engouffrer par la porte qu’il lui ouvre.

Si elle s’était écoutée, elle aurait mené la marche d’un bon pas. Mais coincée par sa méconnaissance des lieux, elle doit bien le laisser jouer au guide, met un frein à son impatience qui lui commande marcher plus vite, toujours plus vite, pour se retrouver auprès de sa fille dès que possible. Les couloirs de l’hôpital lui paraissent affreusement longs, se ressemblent tous, menacent de l’en faire hurler de frustration, perdue dans un labyrinthe de murs blancs et aseptisées, où elle n’est qu’une silhouette parmi tant d’autres, alors que sa fille est inconsciente, quelque part derrière ces portes, mais que personne n’y prête attention, trop focalisés sur leurs seules tâches. La douleur lui donne l’impression d’être seule au monde, un minuscule rouage dans un système bien plus complexe, alors qu’elle aurait voulu que Paloma soit la chose la plus importante de cet hôpital et que tout ne tourne plus qu’autour d’elle. Que l’on entende sa peine, que l’on comprenne que l’on ne peut décemment pas rester en soins intensifs et qu’elle doit se réveiller. Elle perd tout sens commun à l’idée seule de pouvoir perdre son enfant.

La porte est poussée avant même que Sylens n’ait l’idée de lui délivrer le passage, et elle se précipite au chevet de Paloma, le cœur cavalant dans sa poitrine, mue par une urgence qui n’existe plus. Une minute de plus ou de moins n’y aurait rien changé, elle aurait toujours été étendue dans ce lit. Elle a passé assez de temps à l’hôpital elle-même pour le savoir, pour connaître les procédures, mais la position de visiteuse est plus douloureuse que celle d’alitée, il faut croire. Précipitée à son chevet, elle s’empare déjà de sa main inerte pour la serrer dans les siennes, comme pour conjurer le sort, la rappeler à elle. Tremblante, tout près d’elle, elle la dévisage longuement en silence, le cœur au bord des lèvres. Soudain, les mots lui manquent, et il lui semble se liquéfier sous l’ampleur de l’émotion, qu’un amas d’atomes sans aucun sens, nourrit seulement par une sensation inéluctable de peine.

Il lui faut un temps pour se relever, s’affairer autour de son lit, observer les machines auxquelles elle est reliée, comme si elle était réellement capable d’en comprendre la réelle utilité, de juger de leur pertinence, de leurs effets. “Quelles sont les statistiques de réveils du coma ?” La question est posée d’une voix blanche, les yeux détournés de Sylens, comme de peur d’apprendre la réponse. “Vous allez faire quelque chose, pas vrai ? Il ne s’agit pas seulement d’attendre et de voir ce qu’il se passe ?” Après avoir fait le tour de toutes les installations, elle prend le temps de souffler, ramène quelques mèches de cheveux en arrière d’un mouvement ample, le cœur battant à tout rompre, observant sa fille d’un air défait. “Comment comptez-vous la nourrir, comment…” Les détails pratiques lui échappent et à l’entendre, le corps hospitalier ne serait pas prêt à prendre soin de sa fille, comme si Paloma était bien la première personne dans le coma qu’iels auraient à traiter. Mais l’inquiétude lui en fait oublier combien ses commentaires pourraient en être insultant. “Qui est en charge des soins intensifs ? Qui va la suivre ? J’ai besoin de noms, de rencontrer ces personnes. Il n’est pas question qu’on lui refile un interne incompétent et qui ne sait pas ce qu’il fait, elle a besoin du meilleur suivi possible.” Elle monte presque aussitôt dans les tours, les pensées se fracassant une à une dans son cerveau pour s’échapper d’entre ses lèvres, sans savoir comment déverser son inquiétude autrement qu’en tentant de reprendre le contrôle de ce qui lui échappe. Parce qu’elle est bien inutile, dans cette pièce, tout juste vouée à regarder les machines fonctionner d’un air incertain, sans connaître leur réelle utilité, condamnée à n’être qu’une observatrice impuissante dans la chute de sa fille. Ultimement, après un temps de silence, le temps de se recomposer, elle adresse enfin un regard à Sylens, larmoyant, empli d’autant d’inquiétude que de reconnaissance. “Merci.” Ça n’excusera pas son comportement, ni ses manières, mais c’est soufflé d’une voix sincère, emplie d’émotion. Elle n’aura jamais assez de mots pour lui confier l’ampleur de la gratitude qui la traverse.

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L’hôpital a pris des airs de forteresse pour l’esprit privilégiant l’activité à l’immobilité. Il connait ainsi son domaine sans avoir à y penser, se faufile dans les couloirs aux côtés de Yara en n'ayant en tête que le bien-être de cette dernière. Les yeux papillonnent dans sa direction discrètement à plusieurs reprises, ils veillent à suivre sa trajectoire, à annoter les détails qui la composent, du clignement de ses paupières à la régularité de sa respiration. Le docteur se tient prêt à la réceptionner, à corriger sa démarche si les effets du sédatif couplé au choc venaient à la faire trébucher. Chevalier de l’ombre brandissant un bouclier contre un danger inexistant, Sylens se sent particulièrement stupide de tenir une position aussi inutile. A chaque enjambée, elle lui démontre qu’au plus fort de la tempête, elle parvient encore à ramasser sa propre arme pour foncer sur le champ de bataille suivant. Ça ne l’empêche pas de continuer à vouloir garder un œil sur elle silencieusement jusqu’à atteindre la pièce fatidique. Tandis que la mère se jette au chevet de sa fille, le toubib privilégie la discrétion, se place à côté de l’entrée sans effectuer plus de pas que nécessaires pour refermer derrière eux. Gargouille gardant un lieu sacré, il ne remue plus dans les minutes qui suivent - cœur de pierre se fissurant devant le spectacle offert. Bien d’autres corps ont été avisés avant celui-ci, plongés dans un état similaire, parfois piégés dans une condition encore plus précaire. Il ne s’en est pas ému, n’a jamais cherché à croiser les éléments de sa temporalité pour les nouer à ceux des inconnus qui ont défilé. Tout change et bascule dès lors qu’il reconnait la silhouette, qu'il s'attarde sur ses traits familiers et qu’il l’associe au foyer qu’ils ont, un jour, composé. Les machines vrombissent à ses côtés, émettent autant de signaux qui le plongent dans un mal être grandissant. Le déclin de sa mère assez traumatisant pour le hanter pendant des années, qu’il est parvenu ultimement à le mettre de côté, des années après son enterrement, tiraille des pans de sa conscience. Lui qui croyait avoir fait la paix avec les conséquences inéluctables de l’idylle malsaine de sa génitrice, se retrouve aussi démuni qu’à l’aube de ses vingt-trois ans, aussi minuscule face à l'attirail l'entourant, aussi insignifiant qu’il a pu se sentir au moment où il a vraiment contemplé l’ampleur de la fatalité sans plus détourner les yeux, alors qu’elle était privée de toutes facultés, échouée dans un lit gigantesque. Dans son cas, les machines ne sont arrivées que tardivement puis se sont succédées mois après mois pour la maintenir en vie.

Mais Paloma, elle, elle a une chance de s’en tirer. Il est fébrile néanmoins, inquiet à l’idée de la voir se dégrader à son tour, jour après jour. Le cartésien ne s’attendait pas à revivre cette émotion de façon aussi violente, bien trop habitué à compartimenter ses sentiments et ses morceaux de vie pour totalement approfondir la nature même de ses attaches. Troublé, reclus toujours dans son recoin de la salle, il peine à écouter son interlocutrice et à lui fournir une réaction immédiate, la gorge s'étant resserrée sur un malaise indigeste. La concentration nécessaire pour se sortir de cette léthargie, est puisée dans le lien qui l'a uni à la mutante. Alors que le pouls s’est accéléré et que la lividité lui a repris son aplomb antérieur, il ne faillit pas à lui délivrer les réponses sur un ton neutre et accède même à sa demande initiale. Pas de mensonge. « Les statistiques sont complexes et peu fiables parce que chaque cas est particulier et implique des problématiques différentes. » L’incertitude s’invite à nouveau entre eux, la composante la plus frustrante et irritante du milieu médical. Là où la science croit détenir l’entièreté du savoir, la nature surprend encore, plus capricieuse que n’importe quelle donnée factuelle à collecter. Elle donne et reprend sans aucune cohérence. Quant au reste des détails exigés – solution invasive et autres procédures plus ou moins dérangeantes, il les omet par nécessité, ne rebondissant qu’aux interrogations jugées pertinentes. Elle n'a pas besoin de souffrir inutilement avec ce qui est inconvenant. « Des soins lui seront quotidiennement administrés afin de lui garantir un retour à la conscience aussi rapide que possible. Mais son réveil ne dépend que des capacités propres à son organisme de se rétablir et de reprendre le dessus. » Aucune garantie, aucun chiffre pour la rassurer. Il aurait aimé pouvoir déchirer ce voile d’insécurité, lui arracher les lueurs les plus salutaires pour gorger son regard de miroitements bien plus apaisants que ceux qu’il perçoit actuellement. Ses remerciements sonnent bien mal à son oreille. Il n’estime pas l’avoir mérité et ne l’aurait d'ailleurs jamais réclamé. [color=#2e86c1]« C’est mon travail. »[/colort] Il se contente de cet état de fait pour ne pas commencer un débat stérile sur sa responsabilité.

Toutes ses réactions lui paraissent incomplètes, génère chez lui un sentiment d’inachevé face à ce qu'il n'est pas en mesure de lui offrir - un peu de réconfort, un peu d’espoir. En fouillant sa mémoire, grattant ses propres souvenirs de la surface, il lui retrouve de quoi alimenter ses songes. « Des études tendent à vouloir démontrer que les personnes dans cette situation sont aptes à entendre ce qu’on leur dit. » Il ne sait pas trop ce qu’il en pense lui-même, ne s’est pas adonné à cet exercice avec Abigaëlle autrefois, trouvant particulièrement cruel de s’adresser à quelqu’un qui n’était pas apte à lui répondre mais peut-être qu’elle, ça la soulagera d’un poids. Les orbes bifurquent du visage marqué par le chagrin à l’alitée. Une longue minute s’écoule dans un silence de plomb, entrecoupé uniquement des constances de la patiente. La gorge plus sèche encore, l’œil un peu plus éteint, il finit par relâcher la bribe sur la seule idée de se rendre utile à l’une ou à l’autre. Il n’est qu’un intrus dans ce portrait, il n’appartient plus à cette entité familiale. Il s’en détache avant d’oublier ce que la blouse blanche ne cesse de lui rappeler. « Je vais te laisser avec elle. Je demanderai à ce que le chef de service passe te voir et je veillerai à ce que les meilleurs médecins soient adressés à son cas. » Un signe de tête pour clôturer leur entrevue et déjà, il se tourne à demi vers la porte franchie. Avant d’oser l’outrepasser à nouveau, il rejette une dernière sonorité pour rattraper son attention. « Yara. » Le tintement d’une tendresse enfouie s’y dissimule subtilement. En deux syllabes, l’émotion éclate sans toutefois en devenir imposante. Avec davantage de détermination, il réduit à néant la fébrilité générée. « Je ne compte pas l’abandonner. Alors n’abandonne pas toi non plus. » L’enjambée est prise dans la foulée et l’extirpe de la chambre sans que plus rien ne soit ajouté.

_________________________________________________________

Le chaos de la routine s’intensifie maintenant que Paloma s’y est insérée. Une nouvelle tâche qu’il s’est assigné et qu’il veille à ne jamais oublier. Il se croit encore apte à défier le cosmos tout entier, se penche à son chevet à la moindre variation enregistrée, a fait promettre à l’intégralité du personnel de le joindre dès qu'une nouveauté apparaissait. Ses heures se terminent toujours par une incursion volontaire dans la chambre escomptée pour vérifier ses paramètres, accoster les médecins assignés. Ce jour-là, il finit même par rester à ses côtés alors qu’après une nuit compliquée, les constances de l’inconsciente se sont apaisées. Le stress généré par l’affolement des machines ajouté aux heures supplémentaires prestées ont raison de son endurance. C’est dans un fauteuil à proximité du lit qu’il s’est assoupi, bien habillé pour rentrer, le manteau encore en place sur ses épaules malgré la chaleur suffocante présente. Des rêves décousus l’emportent pour un certain temps dans un sommeil perturbé qui se rompt dès que la porte claque. Son sursaut lui injecte une bonne dose d’adrénaline dans le sang, ça tambourine encore dans ses tempes quand il avise la nouvelle arrivante. A moitié somnolent encore, il recrache tout ce que son cœur lui prie de préciser. « Tout va bien. » Enfin je crois. Pour vérifier ses dires, il se relève déjà, les paupières encore lourdes pour aviser les données sur les machines proches. « Oui, c’est bien mieux. » Qu’il finit par souffler plus pour lui-même que pour Yara avant de s’octroyer le droit de se rasseoir un instant pour reprendre son souffle et ses esprits, pas encore tout à fait conscient du caractère incongru de sa présence ou du manque de rigueur entretenu pour son emploi du temps surchargé et minuté.

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Elle aurait aimé que les propos du médecin suffisent à la rassurer, qu’elle sache se satisfaire de ces quelques informations, qu’elle accepte seulement qu’elle n’obtiendra aucune assurance, aucun résultat viable, pas si simplement, pas si rapidement. Mais chaque propos de Sylens se fiche un peu plus profondément entre ses côtes, finira bien par lui percer le cœur. L’inquiétude n’en désemplit pas, terriblement tapageuse, est seulement retenue par les filets entêtants du sédatif qu’on lui a injecté. Elle étouffe encore sous le poids de l’angoisse, lutte contre la tétanie en s’agitant comme elle le peut, refusant de ployer pour de bon. C’est contre elle-même qu’elle se bat, quand bien même elle peut donner l’impression de prendre les armes contre le reste du monde, qu’importe qui piétinera-t-elle pour s’assurer que sa fille sera sauve.
Il n’y a que Sylens pour déceler l’envers du décor, deviner sur quelles voies la douleur pourra la mener. Sa promesse prend des allures solennelles auquel elle n’était pas préparée, auquel elle ne répond que par un vague hochement de tête, la gorge nouée. Dans quelques heures, quelques jours, sera-t-elle peut-être capable de lui affirmer que non, elle n’abandonnera pas. Mais à l’instant, quand le monde entier semble s’écrouler sur ses épaules, elle ne se sent capable de rien d’autre que de rester près de sa fille, les épaules basses et la mine dévastée.

L’on dit parfois que le temps guérit les maux. Les jours qui passent ne guérissent pourtant rien, ne rendent pas la douleur plus supportable, ni l’attente plus facile. L’émotion n’en est pas moins forte, mais l’esprit pratique, rationnel, finit par prendre le pas. Et si la charge de son petit-fils lui paraissait insurmontable, sur le moment, c’est aujourd’hui bien la seule chose qui lui permet de tenir la barre, de ne pas s’écrouler, mue par le devoir, la nécessité d’être assez forte pour deux. Elle vit pour les autres plus que pour elle, mais ça n’a plus d’importance, à l’heure actuelle, parce que sans ça, elle n’aurait répondu de rien.

Tant bien que mal, elle tente de réarranger son quotidien autour d’un petit-fils qui vit soudain chez elle, trop présent, trop bruyant, trop envahissant, et à la fois trop discret, trop triste, trop renfermé, sur lequel elle se sent toujours en devoir de garder un œil. Le savoir enfin de retour à l’école est aussi rassurant qu’inquiétant. Le savoir avec ses amis, occupés, plutôt que tapi dans sa chambre et son mal-être attise une lueur d’espoir. Le savoir loin d’elle, de sa surveillance, hors de sa portée, éveille plus d’une pensé paranoïaque. Mais une fois déposé à l’école, elle profite au moins d’une certaine tranquillité qu’elle ne pensais plus connaître. Le chemin jusqu’à l’hôpital est retrouvé machinalement, tout comme celui de la chambre de Paloma. Les habitudes se forgent, ancrent la tragédie dans son quotidien, et c’en est d’autant plus terrifiant, de rendre l’accident banal, d’en faire une réelle part de sa vie, désormais.

Derrière la porte l’attend toujours Paloma, alitée, mais ce qui attire en premier son regard par la petite fenêtre, c’est la silhouette écroulée dans la chaise non loin de son lit. Un pauvre sourire fleurit sur ses lèvres, à le voir là, sans savoir qu’en penser, qu’en déduire. Les années et les tragédies ont achevé de creuser leur relation, et il semble que seule l’inquiétude pour leurs enfants respectifs ne finissent par les réunir. Et elle ne sait si elle peut vraiment se réjouir de l’avoir à ses côtés, de connaître un médecin près de sa fille, assurée qu’il veillera à ce qu’elle sera bien traiter, ou si elle devrait rebrousser chemin pour de bon, le repousser, parce que cela fait bien longtemps qu’iels en ont conclu que cela ne marcherait tout simplement pas. Mais elle n’a jamais été connue pour être raisonnable et pousse la porte bruyamment, provoquant un sursaut chez le dormeur. “Bonjour à toi aussi.” qu’elle persifle en l’observant s’agiter à son arrivée, vérifier les constantes de Paloma et divaguer. “Comment ça, c’est bien mieux ?” D’un froncement de sourcils, elle braque un regard suspicieux sur lui en s’avançant après avoir refermé la porte derrière elle. “Elle est toujours dans le coma, à ce que je sache. A moins qu’on ait oublié de me notifier son réveil.” La première hypothèse, positive, est repoussé d’un revers, trop facilement, quand bien même elle aurait aimé cultiver cet espoir.

A la place, elle attrape une chaise éloignée pour s’installer au plus proche de sa fille, en gardant Sylens en visuel. “Son état s’était empiré depuis ma dernière visite, pour que tu dises ça ?” Le regard fiché dans le sien, elle le supplie d’être honnête, et de ne pas seulement tenter de la rassurer, de la protéger. Elle ne supporte plus les faux espoirs, quand bien même chaque fois que son regard s’égare sur les traits de Paloma, elle pourrait jurer la sentir respirer, la voir reprendre des couleurs, bouger, même un millimètre. Mais ce n’est jamais que son esprit qui lui joue des tours, puise dans ses pires craintes et ses plus belles attentes pour entretenir des illusions trompeuses. “Tu as passé la nuit ici ?” Elle ne s’égare pas en vaines leçons, considérant qu’elle s’est trop souvent endormie au chevet de Paloma elle aussi. Mais l’interrogation demeure, en pointillé, à ne pas savoir s’avancer sur les réelles raisons qui le pousse à demeurer là. Il brille par un attachement et un sens du devoir qui n’aurait plus dû avoir lieu d’être, pas depuis des années, pas depuis leurs séparations. Et pourtant, il est là, et elle se sent aussi coupable que perdue, reconnaissante parfois quand le malaise ne la submerge pas.

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La torpeur abat les barricades de l’esprit. De ce dernier, s’en échappe les pensées non filtrées, les brouillons d’idées à conserver. La brèche accueille les contours d’une autre entité, déterminée à saborder ce qu’il reste de pierre pour se confronter aux plus rudes des réalités. Sous les paupières encore lasses, encore lourdes, l’œil guette les traits, trace machinalement la carte probable de ses émotions. Cela lui paraissait plus simple avant de deviner ce qu'elle cachait derrière un haussement de sourcils ou un sourire discret, un exercice qu’il croyait maitriser à une époque désormais révolue. Une affirmation qui comporte bien des failles pourtant. Car de la véritable elle, au final, il n’a jamais rien su. Tous deux se sont révélés être de grands marionnettistes manipulant les ombres aux grès de leurs activités inavouables, pourrissant les récoltes de ce qu’ils avaient à tour de rôle semé. Au fond de l’abime, Sylens ignore ce qui l’attend encore aujourd’hui, cette part d’obscurité a été à peine éclairée et puis volontairement niée, un secret confortable qu’il continue à alimenter, troquant l’embarras et le malaise pour une médiocre assurance. Préférant à la rancoeur, le souvenir impérissable de la tendresse qui les a autrefois liés. « Son état a connu quelques variations mais tout est à nouveau stable. » Au reste de ses allégations, il ne réagit pas, préférant se masser les tempes avant de reprendre mécaniquement de la hauteur, supportant bien mal d’être en position de faiblesse, replié dans ce siège et étouffé par son manteau bien trop épais. Avec un semblant de dignité– qu’il n’a pas à posséder précisément en cet instant, il rejette tant bien que mal la dévotion qu’elle lui dédie, comme s’il s’agissait d’une tare à laquelle il refuserait de prétendre. « C’est ici que je travaille, au cas où tu l’aurais oublié. Je suis de service à toute heure de la journée. » Ce qui ne justifie nullement la sieste impromptue au chevet de sa fille. Déjà sur la défensive, par habitude ou simplement par crainte de voir la tolérance de la mutante basculer à tout moment. Entre l’arrivée de Paloma dans le service, le choc de l’annonce et la reprise éternelle du temps, les difficultés entre eux restent inchangées. Il veille à ne pas l'oublier.

Le regard s’écorche en se confondant au sien. L’intimité est générée par la situation malgré son étrangeté, quoi de plus interpellant qu’un contexte aussi singulier que tragique. Sur le bout des lèvres, la question qui le turlupine, qui s’attarde jusqu’à gercer la peau, et qui ne lui échappe jamais. Comment vas-tu ? Que sont-ils capables de devenir pour assurer la survie de leur progéniture ?  Que sont-ils incapables de devenir pour assurer leur propre survie ? Lui connait les ravages que leur idylle chaotique a orchestré sur sa vie, autant de symphonies brillantes qu’il n’aura jamais pu reproduire dans les bras d’autrui. Le constat de leur singularité ne gomme pas leurs pêchés, leurs différences et leur tendance à évoluer à l’opposé du spectre qui les abrite. Dans la multitude de raisons le propulsant plus rapidement vers la porte que dans cette conversation décousue, il y a aussi un doute, qui lui a écrasé le cœur tardivement, un sursaut de terreur que son sommeil imparfait est parvenu à étouffer mais qui regrimpe maintenant que les frontières ont été à nouveau revendiquées. Tout en jetant un œil désolé sur le corps échoué de la patiente, le docteur soupèse le poids de son crime. Le pouls rattrape la pensée pour l’articuler et l’obliger à revendiquer une réponse. « Je me demandais… » Les orbes dévient calmement de la fille à la mère en quête d’une vérité qu’il ne se croit pas prêt à encaisser.

Dans le monde hostile et sans pitié qu’il s’est acharné à construire, le danger s’est réinventé, s’est multiplié pour endosser des formes parfois surprenantes. La plus acérée d’entre elles est détenue par l’inconnu. Cet inconnu qui s’est acharné à frapper aveuglément aux portes de leurs proches, qui s’est invité dans leurs foyers pour menacer et blesser. Et si son ancienne belle-fille avait rejoint le panthéon des sacrifiés ? Un choix redoutablement étonnant, de ceux qu’on ne pourrait anticiper et auquel on ne pourrait palier. Cependant, pourquoi ne pas l’avoir revendiqué ? Ce qui agite la cervelle de leur ennemi commun reste inaccessible, essence d’une revanche encore bien scellée. L’émotion se brouille avant que les cordes vocales ne vibrent, l’effroi broyé et refoulé au fond du bide. Le ton en devient badin, presque anodin. « Y-a-t-il eu plus de précisions sur l’accident ? On sait ce qui en a été la cause ? » Comment déguiser le flux de ses pensées et ne rien dévoiler de ce que cache cet excès de zèle pour le contexte global ? Il mise tout sur son expression faussement neutre. « J’imagine que sa voiture a été saisie et analysée par les autorités ? Et qu’une enquête a été ouverte ? » Cela ne sert sans doute qu’à effleurer les limites de l’intervention policière pour savoir où se situer – sa foi dans cette institution frôle le zéro absolu. Il ne lui reste qu’à définir son propre champ d’action, s'insérer dans la boucle à l'insu des autorités. Retrouver le véhicule, procéder lui aussi à des analyses, impliquer sa propre équipe pour déterminer les faits. Car s’il s’agit bien de sa responsabilité, il devra l’assumer pleinement et n’omet pas qu’on pourrait bondir ensuite sur Yara dans un but similaire. Affligé par le caractère bien trop dramatique de cette conclusion, il dépose une main contre le bout du lit, s’ancre dans l’instant plutôt que de perdre le fil de cette discussion en s’enfonçant un peu plus en avant dans son propre esprit.
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Le regard de Sylens lui donne l’impression de s’avancer en terrain miné, d’être juchée au milieu d’un champ de mines et qu’il est bien le seul à pouvoir décider de son sort. Les années n’ont jamais suffit à étouffer les doutes et le malaise ressenti en sa présence, au regard de ce qu’iels ont vécu. Elle lutte contre deux courants contraires, celui qui appelle à une familiarité bienvenue, rassurante, mais réveille tout autant la crainte du danger qui couve. Pourtant, c’est par le premier qu’elle se laisse emporter, la lèvre moqueuse et l’œil scrutateur. “C’est ici que tu travailles ? Je ne savais pas que tu étais payé à dormir au chevet d’une patiente.” Elle le défi presque de se trouver une véritable excuse, alors qu’en vérité, sa réponse importe peu. Il est là, il veille sur Paloma, à sa manière, et s'il y a bien une chose en laquelle elle peut lui faire confiance, c’est celle-ci. Elle ne doute pas un seul instant qu’il sera pour elle comme elle a été là pour Kaidan. Elle n’a besoin d’aucune explication de sa part pour comprendre ce qu’il faisait, assoupi sur cette chaise.

L’instant de flottement n’en est pas moins étrange, à s’observer sans savoir quoi se dire, retranchés derrière leurs blessures. Le temps n’a pas effacé la douleur, l’a seulement rendu plus supportable, et le goût de la trahison suffit à les tenir à distance, chacun·e sur sa chaise, à s’observer sans plus savoir quoi se dire sans sortir des sentiers battus, ne pas se recroqueviller seulement sur des banalités. Les questions de Sylens ont au moins le mérite de lui remuer le cœur, de lui offrir quelque chose sur lequel se concentrer autre que sa seule douleur contemplative, le désespoir latent qui pourrait tout aussi bien la condamnée à l’immobilité. Mais à la place, elle aboie sur sa propre impuissance, rendue hargneuse par les réponses qui manquent, qu’on refuse de lui donner. “J’ai passé presque autant de temps au commissariat qu’à l’hôpital, pour ne rien obtenir. On ne veut rien me dire.” Elle ne cache pas sa rancœur, trop inquiète pour tenter de faire croire qu’elle respecte encore un tant soit peu les autorités de cette ville. Elle a elle-même profité du système pour échapper à la justice, pourquoi n’en serait-il pas de même pour d’autres coupables ? “Peut-être qu’iels ont compris que je n’irais pas seulement apporter des fleurs et des mot doux au responsable de l’accident si son identité venait à être connue.” Il n’y a qu’une rage sourde pour gronder dans son cœur, animer encore son corps, la convaincre d’avancer plutôt que de s’effondrer. Elle doute de ses propres réactions face au possible responsable en fuite, se sait plus prompte à agir sous le coup de l’émotion que de la raison.

L’œil rivé sur le visage trop serein de Paloma, elle referme sa main sur la sienne comme pour s’y raccrocher, retrouver un semblant d’équilibre quand le monde entier part à la dérive. “Si iels ne veulent rien me communiquer, je m’arrangerai bien pour mener ma propre enquête et me tenir informée de leurs avancées.” qu’elle conclut, le visage sombre, mais déterminé. Elle n’a jamais brillé par sa capacité à respecter les règles et se conformer au cadre qu’on lui a trop souvent imposé. Sortir des sentiers battus a toujours été plus grisant, et lui a toujours assuré de meilleurs résultats. Et convaincre quelqu’un de parler quand elle peut copier facilement les pouvoirs de Megamind ou de Siren relève de la simple formalité. Mais ces détails-là, Sylens préférerait ne rien en savoir. Elle finit par se tourner à demi vers lui, le regard inquisiteur. “Pourquoi ? Tu as entendu quelque chose ?” Après tout, les premiers arrivés sur les lieux sont les urgences, pas elle. On l’a appelé trop tard pour qu’elle puisse d’être une quelconque utilité, seulement condamner à se noyer dans son angoisse en attendant le réveil possible de sa fille. “Ce n’est sûrement qu’un accident, une erreur. Un conducteur alcoolisé, sûrement, comme ça arrive si souvent, surtout à cette heure-là.” C’est en tout cas le discours qu’on lui a servi, comme si cela pouvait suffire à faire taire ses angoisses, ou l’empêcher de réclamer réparation. “Ça n’empêche pas que cette personne doit être punie.” Qu’elle mérite un jugement. Ou toute autre punition plus expéditive qu’elle jugera meilleure au moment voulue. Après tout, elle doute de l’efficacité d’une justice capable de laisser une corporation lui arracher une criminelle que l’on aurait dû condamner à perpétuité.

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Les pourtours de leur guerre ancestrale se redessinent à grands coups de crayon mal taillé. Lui n’oublie jamais que Yara dispose toujours des moyens pour affuter la mine afin de la lui planter en plein cœur. Un pieu légitime quand on connait leurs affiliations respectives et les trahisons qui se sont multipliées au fil des années. A sa réplique, il ne répond que d’un soupir lourd et désabusé sans plus tenter de sauver une quelconque forme de dignité, abandonnant les luttes puériles au pied du lit et embrassant davantage les fondements de leur conversation. Le malaise grandit sans la moindre difficulté. La culpabilité enfle en silence et porte le courroux adverse dans sa direction sans qu’elle n’en soit informée. S’il porte une part de responsabilité dans cet accident, elle finira par le savoir. Le lui cacherait-il le cas échéant ? La question reste en suspens, un mystère de plus dans leur relation brodée d’incohérences et de contradictions. Trop d’inconnues dans cette équation et plus assez de volonté pour en déchiffrer la totalité. Il a appris à compiler avec leurs tempéraments, à laisser le destin les séparer et les réunir de manière aléatoire. Ni homme de foi, ni même optimiste quant au dénouement des événements, il n’en reste pas moins loyal face à l’adversité. Aussi loyal que pragmatique, si la mutante doit courir après le coupable pour le traduire elle-même en justice, il préfère se tenir à ses côtés pour trouver la menace qu’il a peut-être lancé aux trousses de sa fille, réparer ses torts, être du côté des vengeurs quand la réalité se révélerait. A part égale, il y a aussi derrière ces besoins, celui de savoir quand le couperet risquerait de tomber pour lui par ricochet s’il est impliqué. Cela lui achèterait également du temps pour se décider, pour voir s’il souhaite amorcer une tactique qui lui permettrait peut-être de l’éloigner de la vérité si jamais la lâcheté finissait par remporter le combat sur la grandeur d’âme dont il aimerait pouvoir se doter. Pas assez aveuglé par ses idéaux pour oublier que l’instinct de survie peut se manifester aux moments les plus surprenants. Il l’a déjà appris à ses dépens.

Dans l’expectative d’une réelle piste pour débuter les recherches, il ne s’aventure pas sur le terrain miné, en reste à sa position de soignant. « Je ne connais que son état médical pour l’instant, cependant… » La prudence enrobe les mots, enveloppe le regard qu’il projette en direction de son vis-à-vis. « Je pourrais t’assister dans ta démarche. J’ai de bonnes connaissances scientifiques et des contacts qui pourraient être utiles. » Et autant de raisons de ne pas la laisser enquêter seule. De toute façon, il examinera les faits et cherchera des indices avec ou sans elle. Quant à savoir s’il s’offrira en sacrifice à la fin du périple ou non, il aura sans doute le loisir durant leur cheminement de trancher la question. L’invitation à coopérer pour comprendre les circonstances de l’accident, sonne étrangement à son oreille néanmoins, sa dualité la teintant d’intentions encore nébuleuses. Il tente de se convaincre du bienfondé de sa démarche, cherche à ne pas ternir l’entièreté de sa manœuvre. Car dans le cas où il s’agirait d’un de ses ennemis, il s’en chargerait volontiers, se salirait les mains pour Paloma sans même hésiter en souvenir du foyer qu'ils ont un jour formé. Il serait tout autant logique d’allier leurs forces au lieu de les diviser. Encore juste assez dans le respect pour envisager une certaine coopération entre eux, du moins l'espère-t-il. « Nous avons déjà réussi à collaborer par le passé. » L’idée de la voir utiliser son pouvoir ne l’enchante pas, le dérange même profondément mais l’hypocrisie ne peut être envisagée, pas après ce qu’il a réclamé d’elle quand Kaidan a eu besoin d'assistance. J’ai toujours une dette envers toi que ça chuchote tout bas derrière un « Une fille pour un fils. » très solennel. Un constat qui alourdit considérablement l’atmosphère et le cœur du père endeuillé. Il espère simplement que cet état de fait ne jettera pas le mauvais sort sur l’alitée.

Après avoir calmé l’émotion et avoir conservé une maitrise exemplaire de ses expressions faciales, Sylens s’enquiert de ce qui l’attend, préférant l’anticipation à la découverte. « Tu comptes punir ce personnage comment au juste ? » Toujours convaincu qu’il pourrait être associé au danger qui a fauché la blessée, il tâtonne de manière maladroite les zones d’ombre, en attend sans doute trop de celle qui est déjà prête à s'élancer pour châtier les impunis. « Que je sache de quel genre de crime je risque de me rendre indirectement complice. » Comme si ça le dérangerait d’être associé à une vendetta. Après tout ce qu’il a perpétré lui-même comme crimes, il ne s’inquiète plus tellement de certaines implications morales et des notions de justice établies par la société. Il veut juste savoir à quoi s’attendre si elle venait à découvrir que derrière l’ivrogne qui a fracassé l’existence de sa progéniture, se cachait le traqueur de mutants et ses nombreux ratés. Au fond, ce n’est pas la première fois qu’il s’interroge à ce sujet. Plus d’une fois, il s’est déjà demandé si c’est de sa main à elle, qu’il finira par payer.  
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