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follow me into the dark
(#) Mer 16 Aoû 2023 - 18:18
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Donc, je me redresse, comme si une chimère ne s’était pas enroulée autour de mon cou, pendue dans mon dos, si lourde qu’il en était presque difficile de marcher, me douche, m’habille. Reprends le cours normal de ma vie. Reprends le monde
Non, le tableau qui m’intéressait réellement, c’était l’un de ceux de
Severin ne peint qu’une seule et unique série de tableaux, inspiré de l’horreur de la guerre. Dix œuvres mettant en scène les Ases dans un paysage polaire apocalyptique.
Je m’occupe rarement des ventes de mes propres tableaux, que je considère pour la plupart inintéressants et mal réalisés. Mais cette série-là… elle me parle certainement parce qu’ils sont le témoin de ceux que j’ai perdu au fil des décennies. J’y ai peut-être mis plus d’âme qu’escompté. Fenrir a été vendu à Copenhague, pour une levée de fonds, à un politicien que j’appréciais particulièrement pour sa finesse d’esprit et sa langue acérée, malheureusement décédé quelques années plus tôt. Nidhögg est parti dans un petit musée viking à Roskilde. Hel a trouvé un foyer à Oslo, auprès d’un homme énigmatique qui chantait aussi bien qu’une sirène ; je ne le connaissais pas, mais je
Je n’aurais jamais offert Jörmungand à n’importe qui – la première partie de la soirée, consacrée à l’exposition de « petits artistes cherchant son public », me semble être le lieu parfait pour faire la rencontre du parfait acheteur. Et s’il ne se trouve pas dans la pièce ce soir eh bien… Severin ne se retournera pas dans sa tombe, elle sera ravie de savoir qu’il faut un peu plus de temps pour trouver la maison adéquate pour son chef-d’œuvre.
On peut dire que Severin Liljefors, «
J’ai revêtu une belle robe noire pour l’occasion, dont les traces argentées laissent penser à une voix lactée. Un perfecto, des bottines en cuir, un foulard étoilé lui aussi… une touche de maquillage, de parfum, et je me mets en route pour ces mondanités, dans la chaleur toute relative de ce début de nuit. Le soleil est déjà sur le point de se coucher et la lune se découpe en ombre chinoise sur la toison argentée, au cœur de la vague purpurine du crépuscule.
La musique bat son plein quand je me présente dans la belle galerie, et je salue quelques têtes que je reconnais. M’attendant presque à y trouver mon fantôme. Que je noie dans un coupe de pétillant que l’on m’apporte bien volontiers. Je ferme les yeux, tente de museler mon pouvoir qui s’épanouit autour de moi, agrippant tous les voiles d’émotions qui entourent les acheteurs potentiels.
Je tente de faire abstraction de tout ça, déambule dans les lieux, avant de finalement m’arrêter devant ma toile. Enfin, celle de Severin. Parfois, je me demande si mon âme possède les rides de celle d’un grand-mère. Si je suis encore faite pour fouler cette Terre dont j’ai goûté à tous les vices. Et puis je songe à tout ce que je pourrais peindre encore. À toutes les histoires qui mériteraient d’être narrées sous l’encre de mes mots. Mon regard s’attarde sur toutes les toiles qui m’entourent et je sais, au fond de moi, que je n’ai pas encore fini de tisser la toile de mon destin. Même s’il faut pour cela avoir mal. Même s’il faut pour cela chuter, et se relever, encore et toujours.
Je prends une profonde inspiration, trempe mes lèvres dans la coupe, quand un craquèlement de verre résonne de l’autre côté de la pièce. Un éclat de voix attire mon attention, tandis que de nouvelles émotions tapissent mon palais ;
Mais l’espace d’un instant, le verre m’a rappelé celui que j’ai brisé, il y a quelques jours – ou semaines ? j’ai perdu la notion du temps. J’ouvre ma paume, constate les plaies qui ne sont pas encore totalement cicatrisées, mon corps ayant du mal à se remettre. L’agitation dure quelques instants autour de moi, avant que le brouhaha mondain des conversations ne reprenne son rythme usuel. Puis, je relève les yeux, mon regard s’attardant sur la silhouette d’un homme que je crois reconnaître. Et une nouvelle émotion vient teinter mon aura – mais cette fois-ci, elle provient de moi.
Le mari de mon Hel est là.
(#) Sam 19 Aoû 2023 - 0:24
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Car s’il préférait amplement passer par des canaux de distribution plus officieux — ou même carrément illégaux — certaines œuvres n’y circulaient pas ; ça avait, pour bon exemple, été le cas de cette toile acquise à Oslo, quelques temps auparavant. Quoiqu’il n’aurait pas pu jurer que la vendeuse, en dépit de la bonne foi qu’elle semblait transmettre en faisant affaires, ait pu être d’une totale transparence avec lui. Elle lui avait conté une vague histoire de grand-mère peintre, sorte de fable tricotée à la va-vite qu’il avait fait mine de croire par politesse – ou plus sommairement parce qu’il en appréciait la compagnie, et qu’il craignait que remettre en question sa parole aurait été une bien piètre manière de se rendre sympathique. Mais la toile en question, une représentation de Hel aux accents presque fauvistes, avait suffisamment attiré son attention pour qu’il veuille en savoir plus. Ou alors, peut-être que c’était elle, qui l’avait fait — allez savoir.
Toujours est-il qu’il n’avait pas mis longtemps à faire ses recherches : nulle trace de l’artiste en question, ni dans les récits de ses contemporains, ni dans les archives de l’époque. La chose n’était pas foncièrement étonnante en elle-même ; l’histoire ne manquait pas de femmes artistes dont l’œuvre avait été invisibilisée – au mieux – ou écrasée par leurs homologues masculins. De Claudel en Morisot, les exemples étaient assez nombreux pour constituer une base solide pour balayer de vagues soupçons.
Oui, mais.
Il était bien placé pour savoir que les receleurs les plus pointus du milieu avaient le chic pour connaître les artistes oubliés ; et étant donnée la qualité picturale de la toile en question, il était plutôt étonnant que la peintre ait pu totalement échapper à leurs radars. Surtout que ce n’était pas la première fois que cette série se trouvait mise en vente, et qu’a chaque fois, les mêmes questions sur l’identité de sa créatrice subsistaient – pour rester sans réponse.
Il n’aurait pas nié avoir été frustré par le manque d’informations auquel il s’était heurté, pour au moins deux raisons : en bon receleur d’abord, il aimait avoir une vue d’ensemble sur le monde de la peinture en lui-même, pour en comprendre les acteurs. Les artistes au mystère trop épais constituaient une énigme qui lui était désagréable, d’autant plus que l’accès à l’information n’avait jamais été aussi fluide qu’à leur époque. Et surtout, il devait reconnaître également que cette opacité-là ne l’avait pas aidé à en savoir davantage sur celle qui s’était faite promotrice de la toile en question ; rencontre surprenante qui lui laissait un goût âpre d’inachevé, tant la manière dont celle-ci s’était achevée avait été abrupte. Bêtement, il aurait aimé la revoir, et pas seulement en qualité d’acheteur. C’était autre chose qui se jouait là ; l’éclosion d’un intérêt longtemps assoupi, d’une curiosité lointaine qui se nourrissait d’un nouveau souffle – qu’il recueillait avec une certaine humilité, compte tenant de ses considérations passées.
Avait-il été surpris, en voyant sa silhouette se détacher dans le blanc morbide de la salle d’enchères, au milieu de tous ces acteurs barbants ? Certainement un peu ; parce qu’il s’était figuré que leur précédente accointance n’avait été que le fruit d’un hasard charmant, d’un accident de fortune comme seuls les poètes savent les écrire. Quelque chose destiné à n’exister que l’espace d’un instant - et que c’était précisément cette éphémérité-là, qui en modelait la délicatesse étrange. Ainsi, il n’était pas voué à revoir Alice, et leur soirée partagée resterait un simple souvenir, troublé par la blancheur des nuits norvégiennes.
Et pourtant.
Il avait reconnu la silhouette de loin, sans savoir exactement que faire de cet instant-là ; était-il plus prudent de le laisser passer avec sagesse, de rester à l’écart et considérer ce qu’il s’était passé comme un moment révolu ? Ou devait-il au contraire s’en emparer avec orgueil, et se persuader que celui-ci se devait d’être prolongé d’une tentative, d’un essai – d’un ordre donné à son corps pour s’approcher ? Il n’aurait pu en être certain. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne se rappelle pas exactement avoir décidé d'aller à sa rencontre ; c'était presque comme s'il s'était vu bouger, sans en avoir tout à fait formulé la pensée instigatrice. L'œil appuyé contre la silhouette drapée de noir, se faufiler entre les différents convives d'un mouvement d'épaules sinueux, et –
— Egon ! S'était exclamée une voix étrangère, alors qu'un homme surgissait devant lui, un sourire de bonhommie parfaite accroché au visage. « Ça fait une éternité !
Honnêtement, Klaus Böhm n'était pas le gaillard le plus agaçant, dans la clique des négociants et des acheteurs du petit monde de l'art. Pourtant, il remplissait la fonction ingrate de courtier – un rôle qu'il méprisait habituellement. Mais par un étrange hasard, Klaus se trouvait être un amateur sincère de sculpture, notamment fasciné par l'œuvre de Giacometti – et l'un des rares à être capable de différencier un homme qui marche d'un autre. Pour cette raison, Egon avait une certaine sympathie pour lui – bien qu'il se montre parfois un peu trop bavard à son goût. Et puis de manière plus basique, Böhm était allemand ; un détail qui lui permettait de se sentir plus proche de lui que d'une partie des natifs de l'état où il se trouvait – avec lesquels il ressentait régulièrement un décalage culturel certain.
Le visage se fend d'un sourire machinal, mais l'œil, lui, guette au dessus de l'épaule du courtier pour vérifier la présence de la jeune femme ; sauf que celle-ci semble sur le point de s’éloigner – constatation qui fait naître chez lui une vague de frustration passagère.
—
— Oh, tu sais ce que c’est, Élude l’autre d’un un geste vague de la main. « Les affaires vont et viennent. Je suppose que tu es là pour dénicher une nouvelle pépite à ajouter à ta collection ?
—
— Bien sûr, bien sûr ! Acquiesce t-il en pressant son épaule d’un geste amical. « On se voit plus tard.
Il n’est pas sûr de lui avoir répondu – du moins à voix haute – avant de le contourner pour se faufiler dans la foule. Alice s’était un peu éloignée, et il a mis quelques secondes pour retrouver le chemin de sa silhouette. Là, il exerce alors une pause légère avant de combler les derniers mètres qui les séparaient d’elle ; sans doute parce qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il aurait pu lui dire, en l’abordant ainsi.
—
Et si le menton d’Alice se tourne dans sa direction, sans doute son regard, lui, met-il une fraction de plus avant de trouver son visage. Une certaine surprise se lit sur ses traits – et peut-être y a t-il de quoi : lui non plus ne s’était pas attendu à la voir là.
Un pas est alors exercé dans sa direction, une coupe de champagne saisie à la volée sur le plateau d’un serveur aux habits pompeux. Puis un sourire ; mince, certes, mais un sourire quand même. De sa part, il ne fallait pas s’attendre à des merveilles de ce côté-là.
—
Car si l’invitation aurait pu paraître galante – peu importe à quel point il détestait ce mot – une autre fois, elle n’aurait été que ridicule dans un endroit où tout leur était déjà offert sur un plateau d’argent.
Une gorgée de champagne est alors avalée, alors que le regard ne s’attarde sur les courbes de son visage familier.
—
Mais peut-être pouvait-on deviner au creux de celle-ci la douce acidité qui laissait soupçonner qu’il n’avait jamais vraiment cru aux histoires qu’elle lui avait raconté. Peut-être prendrait-il cependant le risque de les entendre de nouveau ; car pour le plaisir de sa compagnie, sans doute aurait-il accepté de prendre part à un petit mensonge de rien du tout.
(#) Dim 20 Aoû 2023 - 0:09
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Egon est comme un papillon de nuit, dont l’attention pourrait l’amener à un autre endroit, si elle fait le moindre geste brusque. Ou alors comme un prédateur, qui n’est pas encore totalement décidé sur lequel de ces vendeurs sera sa proie. Je ne me suis jamais totalement décidée sur l’effet ambivalent qu’il produit en moi, comme une ombre, mais une ombre dangereuse, qui n’est pas forcément chassée par la lumière du jour. Le sourire qu’il m’offre est comme un pansement sur mon cœur ; moi qui pensais m’ennuyer à cette vente aux enchères. Voilà une belle raison d’être divertie, même si évidemment, l’homme qui se trouve en face de moi à bien d’autres qualités que sa capacité à me changer les idées.
Il badine en attrapant une coupe de champagne et je ne peux m’empêcher d’être heureuse qu’il se soit frayé un chemin parmi les requins pour venir parler avec
«
De nombreuses autres questions se bousculent dans mon esprit, mais je me retiens de les poser, la curiosité et l’impatience brûlant mes lèvres. La soirée avait paru si courte, la dernière fois… injustement abrégée par un coup de fil qui me demandait de venir à New Blossom en toute urgence. Ironique, quand on y pense ? Voilà que nous nous retrouvons, à l’autre bout du monde, comme si tout était normal. Comme si c’était
(#) Dim 20 Aoû 2023 - 9:40
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Durant les semaines qui avaient suivi leur première entrevue, Egon avait parfois pensé à Alice. Bêtement d'abord, parce qu'il avait choisi de garder jalousement le tableau de Hel chez lui – puisant dans les couleurs blanchâtres de la toile, quelque chose du spleen nordique propre aux hivers rigoureux qui lui manquaient désespérément au-delà de l'Atlantique. L'œuvre portait alors en elle-même toutes les interrogations et des énigmes de leur rencontre, et s'en faisait un rappel régulier – auquel il ne pouvait s'empêcher d'attacher une vertu poétique. Et puis, peut-être aussi s'était-il pris à songer à cette dernière pour se demander s'il n'avait pas fabulé l'instant : car il arrive que les évènements trop brefs se retrouvent entourés par l'esprit d'une forme étrange de mystification – comme si la frustration de voir ceux-ci s'achever trop tôt avait dû les habiller d'une forme de fascination, afin qu'ils puissent mériter une place dans le brouhaha des souvenirs. Ainsi, la moindre poignée d'heures se trouvait auréolée d'une symbolique propre, fabriquée de toutes pièces par une âme qui n'acceptait pas tout à fait qu'elles ne puissent jamais connaitre de répétition : car sans doute, les placer en idole pardonnerait le caractère manqué de l'acte.
Il s'était alors demandé plusieurs fois s'il avait inventé sa voix, remodelé son sourire ; si la tendre malice qui pointait dans son regard était une invention, ou un réel souvenir. Et il constatait ici qu'il ne ressentait nulle déception, ou décalage vis-à-vis des images qui lui restaient de la première soirée. Alice avait gardé cette manière essentielle de laisser les mots s'envoler, se nouer entre eux pour en former des histoires – comme si l'acte-même de conter avait été une chose tout à fait naturelle. Elle était de ces personnes qu'il était plaisant d'écouter, mais qui ne semblaient pas performer la parole à outrance, se sachant douées en la matière : elle se contentait de le faire, c'est tout. À cet égard, il concédait volontiers de lui offrir toute son attention et de se taire – un exercice reposant qu'il appréciait. Car il avait vécu assez longtemps pour reconnaître que les êtres capables de rendre au silence ses lettres de noblesses étaient rares ; suffisamment pour qu'il les apprécie volontiers.
L'évocation de la grand-mère l'amuse vaguement, se glisse au pli de ses lèvres pour en froisser la commissure : peut-être avait-il abordé le sujet pour voir de quelle manière elle s'en emparerait, si elle persisterait encore dans l'élaboration de ce personnage énigmatique. Et visiblement, si elle avait saisi la pointe de dérision sous ses syllabes, elle avait fait le choix de ne pas en faire cas. Soit, il jouerait alors le jeu – ne serait-ce que parce qu'il avait la nette impression que sous cette identité potentiellement fumeuse restait quelques vérités pures, qu'il n'aurait pas été bon de jeter. Il démêlerait le tout plus tard.
—
Voilà alors que le nez de la femme ne pivote vers une toile large, aux dimensions peut-être un brin plus réduite que celle qu'il gardait désormais dans son salon ; gouffre abyssal tressé de nuances sombres, entre absinthe et pétrole qui capturaient le regard pour le garder. Puis, la silhouette sinueuse d'une créature en perte de superbe – évocation étrange d'un monstre à terre, qui semblait éprouver son propre poids et ses dimensions grossières. Si les couleurs n'avaient rien à voir avec celles de Hel – laquelle avait choisi de trépasser dans un paysage cotonneux à la mélancolie blanche – il retrouvait la rigueur morbide des coups de pinceaux, la matière de l'huile appliquée par touches vigoureuses qui parvenaient à en convoquer l'étrange souffrance. Oh, ce tableau était sans doute puissant, lui aussi ; mais surtout, il laissait émerger en lui les souvenirs de contes nordiques éparpillés lorsque venait la nuit, des noms de créatures mythiques que son esprit d'enfant avait souvent fantasmé. C'était comme trouver, très longtemps après, la page illustrative d'un livre lu et relu avec rigueur, dont l'esprit avait dû produire les images – à défaut de s'en voir immédiatement abreuvé. Une espèce de satisfaction à voir ces productions mentales trouver une application physique et immédiate, là, devant ses yeux.
Egon est resté silencieux, d'abord, se contentant d'écouter les explications d'Alice. Des mots servis avec audace et assurance, avec la passion de ceux qui connaissent leur sujet avec exactitude ; puis, quelques autres remplis d'une humilité soudaine, comme pour tenter d'en modérer d'ardeur. Raté. Car il avait déjà remarqué la manière dont elle en parlait.
—
Sans doute faudrait-il se contenter de ce jugement-là, vis-à-vis de la toile. Egon n'était pas un homme dont le phrasé se faisait aisément dithyrambique, qui fleurissait avec facilité les choses qu'il scrutait – même lorsqu'il n'en pensait pas moins. Sorte de pudeur inculquée trop tôt, dont il n'avait jamais jugé urgent de se défaire. Ainsi fallait-il plutôt se fier à la manière dont il les scrutait, ou à l'admiration que l'on pouvait, parfois, saisir entre les lignes placides de son discours. On lui avait parfois reproché d'être avare de compliments, et s'il saisissait la frustration qu'un tel défaut de caractère impliquait, il lui permettait aussi dans son métier de garder une forme de crédibilité : difficile de croire celles et ceux qui s'extasient de tout. Au moins les économes avaient-ils le privilège d'être écoutés avec attention, lorsque la nécessité s'en faisait sentir.
Il a laissé son regard trainer une seconde de plus sur le visage de la femme à ses côtés, sans doute pour essayer d'en déchiffrer l'expression placide ; puis finalement, son menton se détourne vers la toile de nouveau, avalant une nouvelle gorgée de champagne.
—
Et il avait une façon particulière de distiller son propre cynisme avec un naturel désarmant ; d'invoquer cette facette sans doute un peu inquiète de lui-même, ce pessimisme noir, sans pour autant se montrer glaçant. Il aurait presque pu en sourire – l'insolent : et c'est d'ailleurs ce qu'il fait, de ce trait mince esquissé au creux des lèvres.
Plus loin, une petite cloche a alors résonné pour indiquer le début de la vente, attirant leurs deux attentions et les invitant à s'asseoir sur les rangées de chaises en bois, disposées devant l'estrade.
—
(#) Dim 20 Aoû 2023 - 19:45
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Je me suis souvent demandé pourquoi les gens m’intéressaient autant. Pourquoi je n’avais l’impression de ne m’épanouir que sous leurs regards. Peut-être que c’est parce que mon père n’a jamais voulu m’accorder l’attention que je désirais tant – peut-être que je suis comme une fleur, qui s’ouvre seulement quand le soleil la caresse de ses rais de lumière. Je m’abreuve des autres, persuadée de finir déshydratée si je ne mérite pas leur intérêt. Alors je plonge dans leur aura, cherche à comprendre les fils de leurs pensées et de leur esprit, nouant et dénouant leur chemin mental, dans l’espoir, peut-être, de parvenir à m'y faufiler rien qu’un instant. Je ne vis que sous les caresses des autres. Sous les mots des autres. Quand ils m'accordent une once d'intérêt. De leur
Alors, tel un tournesol, je me tourne vers Egon dont les mots flattent mon ego, désaltèrent ce terrible besoin des autres.
Je voulais être la femme pour laquelle le pirate retrouvait la terre ferme, j’étais, tel le phare vert de Gatsby le Magnifique, celle pour qui l’homme endurerait la guerre pour lui revenir. La constellation d’éphélides sur ma cuisse est représentée par les traînées d’étoiles du célèbre Nocturne en noir et or, Emily Dickinson aurait écrit Wild Nights comme une ode à notre passion commune… J’aurais pu être l’amante cachée sous le drap de Renée Magritte, j’aurais pu être un poème, une chanson, un requiem, une pensée, un tableau, une ode, une absinthe… C’est en côtoyant tous ces artistes qui ont marqué leur temps que mon âme s’est façonnée. Et je n’ai jamais perdu le goût d’habiter les prunelles de quelqu’un.
Quand il parle des contes, je me tourne vers lui, étonnée de ce trait de poésie. Non pas que je l’en pensais dépourvu, mais ses mots se veulent rassurant. Ça doit être la corde sensible de la famille, ça. Les gens se sentent toujours un peu obligés d’être apaisant. Ou alors c’est sa manière de valider la toile. Je crois que j’aime bien ces sous-entendus distillés dans ses mots. «
Il l’interroge sur les autres toiles de la série. Nouveau trait poétique et je ne peux m’empêcher de pencher légèrement la tête, de scruter ses traits, à la recherche d’une possible mutation. Est-ce qu’une âme aussi jeune que la sienne peut être aussi désabusée ? Peut-être. Ce monde vous prend, vous croque et vous recrache, à peine consommés. «
Parfois, je me demande si mon tour viendra. Peut-être pas, car il y a moins d’un mois, je mourrais dans un entrepôt de l’Underapple sous les mains d’un ami. Pour renaître, quelques heures après, l’esprit fragmenté par la peur et les ténèbres. Plus je discute avec Egon, et plus j'ai envie de me remettre derrière un chevalet. J'ai envie de peindre. Je n'ai pas eu le temps de lui poser la question ; peut-être peint-il aussi ? En tout cas, Egon m’inspire un tableau de noirceur, où les idoles contempleraient leur propre Ragnarök. Le sourire d’Egon, qui étire ses traits morcelés par une vie qui n’a pas dû être évidente – le cynisme mouchetant son âme de taches de peinture sombres –, est plus rassurant qu’il n’y paraît. Très
Une clochette retentit et peut-être que le notre dernière heure est arrivée… mais non. Ce n’est que le début des hostilités, quand les hommes et leurs portefeuilles voudront prouver l’improuvable ; qu’ils sont plus forts que tout. Mais la mort finira par les dévorer. Elle y arrive toujours.
Les mots d’Egon dansent vers moi, me contentent plus que je ne voudrais l’avouer. Je souris, me mordille la lèvre inférieure quand son chant des sirènes me ravit. «
(#) Lun 21 Aoû 2023 - 21:29
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D’autres auraient pu ressentir une pointe d’angoisse devant cette apparente tranquillité : pas lui. D’abord parce qu’il n’avait cessé de côtoyer cette mort à laquelle on prêtait tant de mystères et de malheurs, qu’il n’avait cessé de l’effleurer ; et puis plus simplement parce qu’en se sachant condamné, il avait été obligé d’en apprivoiser le concept et l’idée. Il se rappelait nettement avoir d’abord été envahi d’une angoisse profonde, en sachant qu’il risquerait d’arrêter de vivre d’une seconde à l’autre. Il n’était pas rare, les premiers temps, qu’il éprouve une forme de dissociation étrange au moment où il effectuait chaque acte anodin – qu’il s’observe alors en train d’agir, avec la pensée meurtrière que c’était peut-être la dernière fois. La dernière nuit, la dernière fois qu’il longerait cette rue, la dernière fois qu’il passerait la lame sur son visage pour se raser, la dernière fois qu’il —
Les déclinaisons étaient infinies ; et à ce titre, il avait vite saisi qu’au fond, rien n’avait vraiment changé. Seulement sa perception de lui-même, de l’éphémérité des choses. Une bien maigre différence, en somme. Seul le destin – auquel il ne croyait paradoxalement que très peu – avait son chemin à faire, sans qu’il n’ait son mot à dire. Un constat qui résonnait d’ailleurs parfaitement avec les dernières paroles d’Alice – bien qu’il puisse discerner au sein de celles-ci une once de malice. Car il était en réalité bien aisé de conférer à leur rencontre fortuite des airs de destinée : sans doute était-ce la meilleure excuse possible pour leur donner une raison de ne pas contrarier l’ordre des choses – un fatalisme bien pratique, lorsqu’il allait tout à fait dans le sens de leur volonté. La manière de tourner les évènements l'a un brin amusé, arrachant à ses lèvres un sourire fugace alors qu’il reposait sa coupe vide sur un coin de table.
—
Car si la question lui avait frôlé l’esprit au moment-même où il l'avait aperçue dans cette foule compacte, il n'avait pas trouvé l'espace – ou le moment opportun – pour la lui poser ; et il se surprenait à espérer que sa présence à New Blossom puisse être davantage qu'un hasard parfait. Car si ce dernier aurait définitivement eu quelque chose de poétique – ou d'un peu ironique, ça dépendait comment on prenait les choses – une part de lui aurait apprécié de la savoir riveraine de la mégalopole en question. Peut-être dans l'idée qu'il n'aurait pas que cette seule et unique soirée, pour décortiquer l'épaisse énigme qui l'entourait ; à dire vrai, il y aurait bien volontiers consacré quelques autres, si le cœur lui en disait.
De concert, voilà que chacun des donateurs, vendeurs et acheteurs se pressent entre les quelques allées de chaises pour s'y installer docilement. Et voilà Egon au premier rang du plus vieux spectacle du capitalisme moderne : celui de l'argent exhibé sans honte, dont l'art et l'antique se faisaient prétexte. Car il aurait été inutile de s'y méprendre ; personne dans cette pièce n'était là pour posséder, encore moins acquérir quoi que ce soit. Tous étaient présents seulement pour l'acte absurde de l'enchère, de la somme qui en mange une autre – du poisson qui dévore son suivant jusqu'à s'en faire requin. Il aurait aimé se dire différent, et peut-être l'était-il. Un peu, juste un peu – dans le sens où il ne trouvait aucune satisfaction dans la valeur abstraite de l'argent. En revanche, il ne pouvait que confesser son propre péché de vanité ; car il aurait été prêt à beaucoup, pour avoir l'impression, même fugace, de posséder une œuvre. Pourtant, il savait intimement que seul l'artiste à l'avoir peinte aurait pu prétendre en être l'unique, et éternel propriétaire – pour la saison bête que personne d'autre ne serait jamais en mesure d'en saisir tout à fait les nuances. À cet égard, elle ne trouverait jamais de nouveau propriétaire, ou seulement une sorte de prêteur sur gages vulgaire. Egon était lucide sur la question, mais malgré tout, la tentation restait présente ; non pas celle de posséder, mais d'adopter, de domestiquer. De la même manière qu'on ramenait un matou, ou un clébard chez soi, les toiles étaient ses compagnons de vie : elles rendaient son quotidien plus vivant, plus réel aussi. Et ça non plus, ça n'avait pas de prix.
Le duo prend alors place côte à côte, quelques rangées plus loin que la première ; sur l'estrade, le quinquagénaire en question – sans doute l'organisateur – a baragouiné quelques mots de coutume, auxquels il n'a que peu prêté attention. Au moins par ennui, ou peut-être aussi à cause de la présence d'Alice à ses côtés. Ne pas se trouver en posture d'observer ses expressions et ses réactions l'embêtait ; comme s'il avait risqué, en la quittant du regard pendant ces quelques instants, de manquer quelque chose – un détail de rien du tout qui lui en aurait raconté davantage sur elle ; qui l'aurait aidé à disperser les zones d'ombres qui flottaient encore autour de celle qu'elle était.
Mais Egon est patient : il attend la fin du discours sans broncher, et bientôt, c'est une experte qui remplace l'hôte sur l'estrade en bois verni. La première œuvre est présentée – un torchon sans grand intérêt. Pourtant, les mains se lèvent déjà pour enchérir, et un pli ironique froisse le coin de sa lèvre. S'il fallait une chose de plus pour prouver que ces imbéciles n'étaient là que pour les apparences. Il ne dira rien, pourtant ; il a appris à étouffer son propre orgueil et le garder discret – même lorsque celui-ci flirtait avec le mépris. Alors pour se distraire de son propre agacement, c'est vers Alice qu'il lance un coup d'œil – juste un, infime. Pardon, il n'a pas pu s'en empêcher. Peut-être histoire de vérifier qu'elle était toujours là, que sa promesse ne s'était pas envolée ; ce soir, qu'elle avait dit, je ne vais nulle part.
Et il avait eu terriblement envie de la croire.
Puis, une deuxième œuvre défile, et une troisième. Les bourses s'épuisent – sa patience aussi. La quatrième en revanche, fait naitre une lueur nouvelle dans son regard. Un sourire s'étire sur son visage, et Egon se redresse légèrement ; car voilà l'Autre, son homonyme. Egon.
—
C'est un des croquis du peintre, de ces esquisses au fusain et à la gouache réalisés sur de larges feuilles de papier bruni. La femme est étendue, le bras s'étire au dessus de sa tête, et elle le regarde. Lui, le peintre. Quelque chose remue dans son ventre, sorte de convoitise familière et irrépressible fécondée par la fascination première. L'envie d'adoption.
L'experte présente la pièce sobrement, mais lui, il a envie de produire un autre discours ; alors son épaule se penche légèrement vers sa voisine, et sans même la regarder, il guide le ton bas de sa voix vers elle. La confidence est intimiste, de l'ordre du velours – Ou du voleur.
Allez savoir.
—
Et cette fois, c'est vers son profil qu'il glisse un regard – puis un sourire tranquille.
—
Alors, sa main s'est levée.
L'enchère était lancée.
(#) Mar 22 Aoû 2023 - 23:51
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Amusement paillette l’aura. Je plonge dans ses émotions, m’imprègne de ses couleurs, espère pouvoir les reporter sur une toile, un jour, peut-être. Il me met en garde, de me méfier de la destinée. Je ne peux que lui donner raison ; voilà qu’elle m’a jouée d’étranges tours, ces derniers temps. Mais je ne peux pas lui retirer qu’elle m’a offert une belle vie, quelque part. Et de belles morts à découvrir, encore et encore, ange piégé sur cette Terre. Je ne sais pas si j’en suis véritablement malheureuse. Cela m’aurait peinée de finir ma vie dans un entrepôt de l’Underapple. Alors que je suis là, avec lui, à goûter la mélodie de ses mots, à m’approprier le grave de sa voix. Je veux le marquer au fer rouge dans mon esprit, car après notre fugace entrevue à l’étranger, il s’était effacé, jour après jour, à l’instar des gens que je croise pour ne plus jamais revoir dans cette vie, ou dans la prochaine. La mémoire est loin d’être infaillible, et tout, au fil des heures, des jours et des mois, finit par s’écailler. Doucement. Lentement. Moi qui pensais ne jamais pouvoir oublier le visage de mon père. Je ne me souviens que de la manière dont il me traitait – pas de la bonne manière, selon moi.
Je ne réponds pas à sa question – qui me fait plaisir, car je comptais lui poser la même. Voleur de questions. Je préfère suivre le mouvement, tandis qu’Egon nous porte vers l’un des rangs, légèrement au centre de la pièce. Peut-être pour nous permettre de chuchoter comme les étudiants du dernier rang à la fac, même si j’imagine qu’il est là pour une bonne raison,
Personnellement, je ne compte clairement rien acheter ; déjà parce que les fonds ne sont pas mirobolants en ce moment, et ensuite parce que je n’en ai aucune
«
Et voilà que notre conversation est interrompue par les enchères. Je le scrute, amusée, contempler les tableaux d’un œil avisé, analyser ses « concurrents » dans la pièce. Je croise les jambes, laisse l’échancrure de ma robe révéler un morceau de peau. Légèrement. Comme une toile recouverte d’un drap que l’on voudrait retirer complètement.
Je distingue clairement la lueur d’envie dans son regard quand une œuvre fait son entrée et je ne peux m’empêcher de sourire en réalisant qu’il y a donc un peintre qui possède son prénom. «
«
Nous verrons quel monstre obtiendra gain de cause.
Car il faut peut-être être un monstre soi-même pour acheter un dessin, réceptacle de la douleur éternelle d’une femme. Qui n’avait d’autre moyen d’exister qu’au travers du regard amoureux et passionné de son amant. Et qui a tout perdu.
(#) Sam 26 Aoû 2023 - 11:38
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Il avait appris à comprendre l'importance des monstres à l'adolescence, lors de cette fugue idiote et improbable qui l'avait mené à rejoindre pendant un temps les rangs d'un cirque ambulant. Et il se rappelait nettement de chaque entité qui composait cette troupe plus ou moins joyeuse, pour la raison simple qu'aucun ne commettait l'erreur de ressembler à son voisin. Ils avaient chacun leur talent particulier, leur charmante anomalie ; leur manière de tordue de sourire ou de vous dévisager, leur manière de vous effrayer pour plus tard vous attendrir. En se représentant chaque soir sous le chapiteau devant un public partagé entre moquerie, frayeur et admiration, ils ratissaient ainsi le spectre délicat de l'émotion : ils les confrontaient à ce monde intérieur et enterré que tous avaient un jour fait le vœu d'oublier. Celui de l'enfance, probablement. Des rêves, des terreurs mêlées, le monde de ce qui ne se dit pas mais qui se devine, se ressent.
En était-il devenu un lui-même ? Sans doute en avait-il eu l'ambition, sans prétendre y arriver tout à fait. Mais sans confusion possible, il était certain qu'il se sentait bien plus à sa place auprès des êtres les plus chaotiques de ce monde, qu'aux côtés de ceux que l'ordre et la raison avait peu à peu grignotés. Davantage, Alice soulevait une vérité mordante : il était bel et bien attiré par les monstres, de la même manière qu'un papillon de nuit n'aurait pu s'empêcher de suivre la trajectoire d'une bougie dans le noir. De là à se prétendre chasseur, la dénomination était peut-être un peu forte ; peu importe, elle lui arrache un mince sourire.
—
Que suggérait-il alors ? Son appartenance à ce monde fait d'altérité, de bizarrerie et de terreur ? Son statut d'infiltré au double visage, se masquant derrière les autres requins alors même qu'il aurait dû faire partie des traqués ? Ou alors, peut-être interrogeait-il son positionnement à elle, soutenant qu'il avait deviné de quel côté de la barrière elle se trouvait.
Pourtant, il s'est douté aussi que la question était une manière de sa part de lui retourner celle qu'il avait posée quelques minutes plus tôt, et à laquelle il avait trouvé une réponse plutôt très satisfaisante ; car s'il aurait été agréable de croire au hasard de leur rencontre, il l'était plus encore de savoir que la métropole qu'ils arpentaient chaque jour leur était commune. Mais contrairement à Alice, Egon n'avait pas aimé l'endroit, lorsqu'il s'y était installé. Pas particulièrement. Il en avait aimé l'énergie, il avait aimé avoir la certitude que s'il avait quelque chose de grand à faire, ce serait ici. Solveig avait un jour pensé la même chose ; en toute honnêteté, c'était la raison principale pour laquelle il y était resté.
—
Comme s'il avait un jour cru au destin : sans doute était-il un brin trop cynique pour ça. Il croyait en la responsabilité de chacun, en sa capacité immense d'auto-destruction. Il croyait en la bêtise des hommes, en leur monstruosité. Les bons jours, il croyait aussi en l'humanité des monstres ; mais jamais il n'avait pu se résoudre à croire le fil de sa vie tout tracé. S'il avait acheté le raisonnement en question, sans doute aurait-il été le premier à le couper, car quel intérêt ?
L'enchère se poursuit, les sommes se dévorent les unes les autres, et il dresse la main encore ; à ses côtés, Alice semble assister au spectacle avec une distance tout à fait maitrisée. Peut-être trouve t-elle même celui-ci un peu risible – car il l'est. La question, toute réthorique soit-elle, qu'elle lui pose en est une preuve flagrante. Ça lui arrache l'ombre d'un sourire.
—
Car c’est la grande illusion à laquelle on essaie de nous faire croire : que tout a une valeur et qu’elle transcende même l’essence des choses ; que seuls une poignée de grands spécialistes peuvent juger de ce qu’elles sont, de comment chacun doit les voir, de leur nature profonde. Tout ça pour ne pas admettre le désarroi face à l’imprévu, à l’émotion, face à l’importance absurde que l’on accorde aux banalités, à la poésie des instants, et des accidents. Quantifier, donner des valeurs pour contrôler ce que les artistes sont les seuls à effleurer, tirer un chiffre d'une peur, une donnée d'un rêve ou d'un soupir. C'est ça, le véritable cynisme – ou la plus grande des utopies.
Alors pourquoi ? Alice a raison, au fond : pourquoi enchérir, si c'est pour refuser obstinément le système propre de la valeur ? Pourquoi affirmer ce paradoxe d'une main levée ?
Peut-être dans l'espoir d'offrir un refuge au monstre, sans plus. Le retirer de ce monde de chiffres et de comparaisons, de cette machine à broyer les émotions.
La main qu'il avait levée est restée la dernière : il n'a pas fait attention. Parce qu'il a incliné la tête vers sa voisine, et qu'encore une fois, cet échange-là n'a pu faire autrement que de se transformer en distraction.
—
— Monsieur Sæther ? A lancé une voix depuis l'estrade, le rappelant à l'ordre d'un raclement de gorge. « Félicitations, vous avez la meilleure enchère. Le Schiele est à vous.
Le constat n'aurait pas pu être plus faux : le dessin n'était pas à lui.
Ce qu'il avait acheté, c'était seulement l'espoir d'un jour, en frôler le silence et les secrets.
(#) Mar 29 Aoû 2023 - 23:25
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«
Quand il m’avoue vivre ici, j’ai du mal à accepter mon cœur rate un battement, comme le témoin de mon émoi face au
Je crois que j’aime bien sa façon de voir l’art. Les choses. Leur valeur. A-t-il l’âge qu’il prétend avoir ? Je me pose souvent cette question quand je rencontre des gens à l’âme définitivement plus
Mais pour Egon, je ne crois pas que ce soit le
«
Il m’offre une plongée dans son regard, dans un océan dans lequel je voudrais nager, encore et encore, pour en sonder toutes les profondeurs. Toutes les failles et les noirceurs. Car Egon est un corbeau de malheur, je le sais, le sens dans la moindre de mes terminaisons nerveuses. Il est un diable qui survit comme il le peut dans un monde qui pourrait tout lui prendre. En voilà, un homme peu naïf. Peut-être même trop cynique.
«
Le moment où
(#) Jeu 31 Aoû 2023 - 9:19
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Il ne sait pas bien ce que ça lui fait. Sorte de satisfaction grandissante, d’affection pour cette esquisse peinte qui croit dans sa poitrine : car il est dit qu’ils passeront désormais le reste de leur vie ensemble, elle et lui. C’est une sorte de mariage, d’union tacite qui remue un flot d’émotions intimes et secrètes – de l’ordre de ces choses indicibles, gardées jalousement par les barbelés d’un esprit avare d’expansion. Un sourire passe cependant sur son visage, lorsqu’il pose les yeux sur le corps arqué de Wally, sur son regard meurtri : un pli amer, un pli d’acier. Il accrochera davantage de souffrance à ses murs, davantage de douleur à ses moulures. Sans doute devrait-il être puni pour ça. Sans doute qu’un jour, il le regrettera.
Son regard croise celui de sa voisine, et ses félicitations lui arrachent un sourire en demi-teintes ; il a certainement saisi les sous-entendus, dans les interstices de ses mots. Il les apprécie sans les relever – ou pas encore – les laisse couler sur le creux de son tympan, le grain de sa peau. Pupille qui s'active, se nourrit d'une lueur nouvelle : il est évident qu'Egon est bon public, même si peu de choses dans les traits de son visage ne le disent. Chez lui, ce n'est pas de la pudeur – pas vraiment. Plutôt une forme de réserve machinale, de réflexe de préservation. Les expressions peinent à se faire bavardes, alors sans doute a t-il par souci d'équilibre, le malheur de se doter de pupilles qui elles, le sont un peu trop. Perçantes ou massacrantes, rudes, tendres ou chantantes ; au choix. Quoiqu'il semble qu'au contact d'Alice, il n'ait que peu souvent eu la langue si déliée, le mot si facile. Ce doit être cette manière apaisée qu'elle a de bouger, de se mouvoir et d'exister – cette façon de le regarder sans le scruter, de le voir sans l'enchaîner. La méfiance naturelle s'endort, à la manière d'un animal qu'on apprivoise, baisse sa garde pour laisser loisir aux conversations volubiles d'enfin éclore. Et c'est agréable : ça aussi, il doit le reconnaître.
—
Les peaux. Il en parlait au pluriel, comme si l'une ou l'autre n'avait pas été désignée. Pourtant, c'était la sienne qui se faisait nid de son œil, depuis le début de la soirée : à l'aube d'une nuque ou au crépuscule d'une jambe à peine dévoilée, il était certain qu'il n'en avait rien manqué. Qu'il aurait aimé en découvrir plus, se perdre dans le compte de ses grains de beauté – peut-être. Mais Egon esquive pour l'instant le singulier, parce qu'il préfère les danses les plus longues ; surtout lorsqu'il est question de mots, et de leur manière à eux de se taquiner. Volontiers direct de nature, il est pourtant de ces domaines où il affectionne la patience.
Voilà alors qu'arrivent Jörmungand et sa mélancolie, étendue verdâtre aux bleus-chagrin ; et il se dit qu'il en contemplerait volontiers chaque nuance tous les matins, qu'il tiendrait compagnie à Hel, et qu'ainsi, les monstres trouveraient résonance et gémellité. Il a levé la main : c'était une seconde avant qu'elle ne se penche, chatouillant son nez de son parfum. Et avec délicatesse, Alice gratte sous les couches solides de son inflexibilité de coutume, se renseigne sur l'état de son cœur, diagnostiquant chaque noirceur. Une autre fois, il se serait sans doute renfrogné ; mais la peintre est habile, et il serait presque tenté de tout lui dévoiler, de s'écorcher à vif devant elle pour tout lui montrer – chaque blessure, chaque écorchure. Le festival des ecchymoses sera pour plus tard, cependant. Après le champagne, et à l'abri des regards perçants.
—
Et c'était sans doute vrai. La plupart de ses meurtrissures personnelles ne lui conféraient aucun statut de victime : il s'était retrouvé blessé dans sa fierté, l'orgueil chiffonné, peut-être parfois abandonné. Rien de plus ; à l'exception, peut-être, de Solveig. Il n'était pas victime de cette tragédie-là, mais l'horreur n'avait rien eu d'égotique. Elle était juste vraie, béante, horrible.
—
Il savait copier ; il savait reproduire les gestes des autres, trouver les couleurs exactes, repérer l'espacement des touches de peinture pour les mimer. Il n'avait jamais vraiment su créer ses gestes à lui, celles qui auraient eu une chance de dire quelque chose – n'importe quoi, en réalité – de ce qu'il était. Mais il n'était pas amer sur le sujet : chacun était né pour prendre une place bien précise, et il n'aurait pas celle de l'artiste maudit, du Schiele monstrueux qui massacre les cœurs de son petit génie. Ça ne l'empêchait pas d'admirer ceux qui le pouvaient – au contraire : il n'en appréciait que davantage leur énergie. Et leurs tragédies.
—
Oui, que faisait-elle de ses émotions ? Que faisait-elle de ses trahisons, des endroits qu'elle avait traversé, de ses pertes, de ses cœurs brisés ? Que faisait-elle de ce qui lui avait été arraché ?
À l'instant, à quelques mètres d'un Jörmungand chagriné, il croyait le deviner : mais il n'aurait pas pu en jurer.
(#) Sam 2 Sep 2023 - 17:20
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La vague de contentement qui s’empare de l’aura d’Egon ruisselle aussi sur moi, et par automatisme, je sens la bouffée de satisfaction qui l’étreint. Elle n’a pourtant rien à voir avec celle des autres « victorieux », certainement parce que j’ai envie de me connecter à celle d’Egon. Mais elle n’est pas bouffie d’égocentrisme et de narcissisme mal placé. Et le sourire qui s’épanouit sur ses traits est le bourgeon de cette racine ayant grandi. «
Ma peau fourmille d’autant plus quand il lève à nouveau nonchalamment la main. Comme si en revendiquant un morceau de son âme sans le savoir, il esquissait la plus belle parade nuptiale. Je n’aurais jamais parié qu’un tel geste puisse un jour m’émouvoir autant. Qu’il désire rapprocher Hel et sa progéniture, qu’il envisage ne serait-ce un instant que de donner son argent pour une de mes créations. Certains disent souvent que l’argent ne vaut rien, qu’il n’est gage d’aucun sentiment, mais je ne suis pas d’accord. Pour la majorité des gens, l’argent n’est qu’une conversion du temps qu’ils se sont échinés à travailler. Et le temps est la seule chose qui semble compter, en ce bas monde.
La pirouette qu’il effectue au sujet du cœur brisé pourrait me faire sourire, amèrement cette fois-ci. Il n’a pas tort, même si certains se targuent de savoir s’en prémunir. «
Et quand il me révèle qu’il n’a jamais offert son inspiration à la caresse opaline d’une toile vierge, je hausse un sourcil, étonnée. J’ai presque envie de lui dire que je peux lui apprendre, qu’il doit avoir certaines choses à révéler, même s’il ne s’en pense pas capable. J’en viens à me demander si mes petites tragédies sont assez intéressantes pour les offrir au monde, au vu de son avis. Et puis je me rappelle du nombre de ventes que j’ai effectuées ; elles doivent bien valoir quelque chose. Peut-être que les échos hurlés par mon cœur brisé valent quelque chose. Au moins dans l’esprit des autres. «
«
Je suis presque sur le point de lever ma main pour enchérir sur mon propre tableau, pas certaine de vouloir m’en séparer. Et puis je songe à cette série qui s’est de toute façon échappée aux quatre coins du globe, et qui ne m’appartient plus. Alors je laisse se dérouler l’enchère, espérant qu’elle ne s’élève pas trop haut, priant presque les dieux nordiques pour qu’elle échoue chez Egon. Petit moment
Il faut croire qu’après cette soirée, avec le regard que me coule Egon et les mots qu’il m’offre, le contrat est déjà rempli. Que Jörmungand se vende ou pas, j’ai été vue, payée et appréciée.
(#) Sam 16 Sep 2023 - 20:48
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L'enchère suivait son cours, et seules deux autres personnes semblaient encore décidées à lui disputer l'acquisition de la toile aux couleurs bleutés ; pendant un instant, Egon s'est laissé gagner par un agacement léger en saisissant que sa dernière enchère ne les avait pas découragés. Mais bien vite, c'est une nouvelle onde de curiosité qu'il ressent, et qui le pousse à jeter un coup d'œil léger à sa voisine.
—
Il n'était pas un lecteur assidu, il l'aurait volontiers reconnu. Pour autant, il appréciait l'exercice en question lorsqu'il prenait le temps de s'y consacrer, et attachait une certaine affection aux lieux dans lesquels les livres se trouvaient regroupés. Par paresse ou facilité cependant, il avait depuis longtemps délaissé la compagnie de ces derniers, oubliant régulièrement – puis se remémorant avec un plaisir ingénu – ce qu'elle représentait. Ou peut-être était-il devenu, avec le temps, un brin trop sévère avec les écrivains de son temps ; qu'il ne lisait plus que les mots capables de le transpercer, de le passionner sans demie-mesure – ou alors, ce n'était pas la peine. Allez savoir. Toujours est-il que le sujet l'intéressait, même s'il se serait bien gardé de s'en revendiquer expert.
—
Et même si l'énonciation en question visait plutôt à taquiner, une part restait vraie : car les créatifs de ce monde étaient dotés d'une façon d'exister, de se mouvoir et de percevoir le monde tout à fait différentes des autres. Il avait appris à les reconnaitre, à saisir la teinte particulière de leur regard – et souvent s'en montrer séduit ; ce soir là ne faisait pas exception. Le précédent non plus, par ailleurs.
Une fois encore, Egon lève la main ; sauf que cette fois, il est le dernier, et personne ne l'imite. Une poussée d'adrénaline et de satisfaction croit alors dans le fond de ses tripes, alors que son regard s'appuie sur la toile en question. L'œil du faussaire pétille, car il sait qu'il a gagné. Sans doute ses deux achats auront creusé durablement dans ses liquidités, mais il n'en a cure : seule l'idée de pouvoir laisser les deux toiles habiter son espace le plus intime – celui de son appartement – a de l'importance à présent. Le bruit du marteau en bois et des discrets applaudissements est une joie douce, à lui seul. Y'a un sourire étrange qui s'étire alors sur ses lèvres, tandis qu'il pivote de nouveau le menton vers sa voisine.
—
(#) Dim 17 Sep 2023 - 11:41
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Mon aveu pour l’écriture nimbe son aura d’une surprise et d’une curiosité sincères. J’aime le pastel qui émaille son aura, j’aime la douceur (superficielle) de ses émotions. Elles ressemblent à des taches de peinture qui se dilueraient dans de l’eau. Et quand je plonge dans son regard, je ne sais pas ce que j’aime le plus – détricoter les émotions qui le parsèment, ou me perdre dans ses prunelles. Peut-être un peu des deux. Je n’ai pourtant pas pu beaucoup de champagne, mais Egon me monte à la tête. Peut-être par la chaleur de sa voix, par les secrets qu’il me chuchote à l’oreille, par l’incongruité de la situation. J’aime l’idée que le destin l’ait remis sur mon chemin, j’aime ce petit jeu qui s’installe entre nous, et qui me fait
Je ne sais pas pourquoi j’attendais son aval, parce que je suis clairement fière de ce que je produis depuis des décennies, désormais. L’écriture est une partie de moi ; sans elle, je fane et je meurs. Mais savoir qu’il valide… hm, je porte un peu trop d’intérêt à l’avis des autres sur ce que je suis, parfois. «
«
Et il lève la main, inlassablement. Une pointe de culpabilité m’étrille au même instant. Je me sens un peu ridicule, assise là, à le voir enchérir sur un tableau qui m’appartient. Et quand finalement le coup de grâce est offert par le marteau heurtant le panneau de bois, et qu’il devient le propriétaire de l’œuvre, un nouveau frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. Je frétille plus que je ne le devrais à l’idée que la toile lui échoue. «
Le maître de cérémonie indique qu’une dernière pièce nous sera dévoilée, avant qu’une petite pause n’ait lieu. Histoire que tout le monde puisse se rafraîchir et peut-être faire un tour sur son appli bancaire. Car comme d’habitude, les sommes s’envolent, épousées par les passions échauffées, et la bataille d’ego qui se livre dans une salle d’enchères.
(#) Lun 9 Oct 2023 - 11:10
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Alors, la curiosité distillée par Alice lui arrache un vague sourire, un brin contrit ; il n'est pas embarrassé par la réponse qu'il a – ou plutôt n'a pas – à lui offrir, plutôt amusé par l'étendue de sa propre obsession pour les toiles encadrées.
—
Bien entendu, il n'aurait pas évoqué les sujets qui le tenaient au quotidien – bien moins poétiques que n'importe quel débat sur la paternité d'un croquis de Rodin. Il n'aurait pas évoqué les débats sans fin avec les acheteurs et revendeurs, les rixes auprès des petits arnaqueurs qui pensaient pouvoir grimper les échelons invisibles de l'Underapple en concluant avec lui un deal en sa défaveur. Si ce monde-là faisait partie intégrante de sa vie, il n'était pas assez stupide pour en parler à n'importe qui – d'autant qu'il avait toujours mis un point d'honneur à rester le plus discret possible sur le sujet de ces activités-là. Et malgré les atours charmants sous lesquels Alice se présentait, il ne savait strictement rien d'elle, d'où elle venait – ce qu'elle lui voulait. Davantage encore, il savait pertinemment qu'elle cachait de nombreuses zones d'ombres ; sortes d'espaces oniriques qui n'étaient pas dérangeants lorsque se tissaient ce type de rapports intra-personnels, mais qui le seraient devenus s'il avait fallu tout évoquer de sa vie. En bref, les petits mensonges qu'ils tricotaient avaient quelque chose de délicatement intriguant, tant qu'il n'était question que de se séduire ; mais ils confisquaient toute confiance aveugle – encore aurait-il fallu qu'il ait été décidé à l'accorder.
Malgré tout, l'un et l'autre étaient certainement conscients que l'enjeu n'était pas là, ce soir. Simple rencontre hédoniste, au parfum des inclinaisons auprès desquelles l'esprit se plait à se bercer. Ou se berner – tout dépendait de la fin de l'histoire. Pas à pas, voilà donc qu'ils se rapprochaient avec la lenteur exquise de ceux qui savent pertinemment ce qui les attend, sans pour autant offrir au destin un tel lot de certitudes moribondes ; car il fallait croire que le hasard, et l'enchantement des indécisions avaient encore leur part à jouer.
—
Pourtant, il ne savait pertinemment, que ses mots avaient tout d'une invitation. Et il se doutait qu'elle le saisirait aussi – qu'elle l'avait déjà saisi: il n'y avait qu'à voir son regard, lorsqu'il croise le sien. Il n'y a qu'à voir la franchise sanctifiée de ses prunelles, accordées de la rosacée de ses pommettes – et puis la proposition d'une vente privée. Charmante façon de dédoubler la proposition d'un moment en aparté, de donner à la soirée une suite évidente ; au nom de l'art, bien entendu.
Et s'il était évident que l'amour de la peinture n'était plus le seul à exprimer ses désirs et ses aspirations, le jeu qui consistait à le prétendre semblait encore les amuser : laissons-les donc encore en profiter.
—
Et peut-être était-ce arrogant de chercher à deviner tant de choses à son sujet. Après tout, elle était presqu'une étrangère quelques heures plus tôt – avec laquelle il ne partageait que le souvenir d'une soirée agréable. Mais s'il ne s'offusquait pas de la part de mystères à son sujet, il aimait l'idée d'apprendre à en savoir davantage sur elle – notamment sur son rapport complexe à ces toiles-ci. Car il était tout à fait certain que ces deux énigmes là étaient intimement entremêlées.
Devant leurs yeux, une dernière pièce est présentée – sorte de sculpture de bronze brunâtre, perchée sur un petit socle étroit. Bien moins intéressé par la réalisation en question que par la réponse de sa voisine, Egon n'y laisse trainer qu'un regard distrait, qui se s'éveille réellement que lorsque le marteau claque sur le bois – annonçant en même temps la fin de l'enchère. Les silhouettes s'agitent alors autour d'eux, et les deux acolytes ne se font pas prier pour se lever, sans doute bien heureux de pouvoir bavarder librement.
—
(#) Mer 11 Oct 2023 - 22:18
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«
Le mot entreposer lui vrille les oreilles, érafle sa fierté. Le choix de mot ne lui sied pas, et je ne sais pas si c’est un jeu auquel il se prête, une autre danse dont je ne connais pas l’issue, ou une réelle conviction. Mais peut-être devrais-je m’habituer de le voir considérer les toiles comme de meilleurs amis que les êtres humains – et peut-être devrais-je aussi lui donner raison. Elles ne trahissent pas, n’abandonnent pas, ne déçoivent pas, jamais.
Et les mots suivant menacent de me planter un couteau dans le cœur. Et c’est étrangement agréable. «
Mon attention se porte sur les œuvres qui défilent, un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. J’ai envie de lui parler, envie de me confier, parce qu’il pourrait
J’attends une seconde sa réponse, mais le voilà appelé pour régler les derniers détails de la vente. J’acquiesce, le laisse aller obtenir l’acte de propriété de ce qui ressemble à un morceau de mon cœur. Oh, je ne vais pas lui dire ainsi, de peur qu’il me trouve un poil mélodramatique – ce que j’étais, au demeurant. Mais il n’avait pas besoin de le découvrir maintenant. Il valait mieux garder quelques surprises pour la suite ; lui qui disait les apprécier.
Je me lève, échange quelques mots sympathiques avec d’autres membres venus participer à la vente – me fais gentiment taquiner par Grayson quant à mes bavardages inopinés avec ce « charmant monsieur ». Je lui pose des questions sur lui, d’ailleurs, car Grayson, un mécène réputé dans le Nexus, connaît tout sur tout. Mais il hausse les épaules, désabusé. Niet. Nada. Rien. Mais il peut « ouvrir ses écoutilles si je le désire ». J’acquiesce, car on ne sait jamais, et après avoir échangé encore quelques banalités, je me tourne pour retrouver le fameux Egon-dont-on-ne-sait-rien. «
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