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moth, flame (hells#1)

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TW : adultère mais what else is new, alcoolIl a fallu à Rocío presque toute une après-midi pour renforcer la sécurité du système de son téléphone personnel et encrypter les messages qu’elle lui avait envoyés cinq jours auparavant pendant que Simon marchait en rond dans la cuisine ou restait assis à lui parler. Après tout, on peut suivre les gens à la trace sur des distances quasi interplanétaires, la technologie de Theseus permettrait facilement l’accès et l’analyse de ses données ; avec une dizaine d’années d’expérience au Gouvernement de la défense, elle devrait commencer à le savoir. Leur conversation est assez simple à suivre, et la vue du loft vaut bien quelques secondes à acquiescer distraitement sur l’avenir de leurs fiançailles. Elle s’adosse au fauteuil pour regarder les dropships, se rappelant les fragments d’un rêve de la nuit passée. Étrange que son silence ne paraisse jamais suspect, c’est pourtant comme si elle retenait son souffle en prévision de quelque cataclysme. C’est une sensation effrayante pour Rocío, mais le conditionnement de CERBER la garde sous cloche la plupart du temps, en interdisant à ce genre de réflexions parasites de lui traverser l’esprit. Sans ce conditionnement, elle se serait sans doute écroulée en hurlant, déboussolée à vie, depuis plusieurs longs mois. “Elle est en retard, non ? T’as dit qu’elle arrivait à quelle heure ?” Visiblement, le conditionnement est de moins en moins efficace, et à l’évidence son esprit l’inquiète un peu.

“Tu sais qu'elle a jamais que cinq minutes de retard, Sanna. Bientôt.” répond-t-il, diplomate, en tout point neutre, penché sur sa tablette, et tout dans sa swiss attitude la déconcerte et décourage. Un muscle se crispe dans sa jambe quand elle se lève avec un soupir d’humeur. Les derniers vestiges de ce rêve lui baignent l’esprit cherchant des échappatoires plus substantiels. Un an de traitrises lui aurait pourtant bien fait mériter quelques cauchemars. Une certitude, faite autant d’effroi que d’excitation, s’élève en elle en même temps que cet étrange et interdit phénomène. Elle sait sans aucun doute qu’une chose monstrueuse monte à sa rencontre. “T’es prête ?” Enfin, il lui lance un regard, et elle, se redresse de tout son long en acquiescent. Écoute, mon chéri, je me suis découverte un frère et une sœur, je vais sûrement changer de cheffe d’équipe ou tout bonnement démissionner, mais la nouvelle application où les textos s’encryptent d’eux-mêmes est superbe, je pense sérieusement à m’en faire un implant intégré, ta sœur va probablement me faire du pied sous la table, mais tout est prêt, je suis prête, j’attends. “Ouais.” Elle regarde l’heure sur l’écran holographique contre le mur, et dans sa tête, le même résidu. Le rêve qui ne la lâche pas. Entre ses paupières mi-closes, les phares des voitures volantes du Nexus se déplacent et elle se laisse dériver. Le temps passe pour rien. Son téléphone fredonne et elle tend la main pour le mettre rapidement sur vibreur, remarque le poids rajouté de la chaleur dans son corps, la légère couche de sueur dans son dos. Elle range l’idée en même temps que le téléphone et se retourne pour lui déposer un baiser sur le sommet de son crâne. Au travail comme dans sa vie privée, elle accepte les principes des autres tels qu’ils lui arrivent : tout faits. Sur ce point, elle et son fiancé sont en parfaite harmonie tacite. Tacite, car la réserve et la bienséance les empêchent de discuter ou d’examiner les choses qu’il vaut mieux tenir pour acquises. Un tel examen se révélerait pénible, sans compter qu’elle redoute par-dessus tout de vivre une crise qui l’obligerait à se dévoiler. Sécurité et ordre sont les maîtres mots, et résolument, sans Sanna, elle aurait pu atteindre son idéal.

Ça sonne, le temps s’accélère soudainement et Simon ne perd rien de la scène : Rocío s’éclaircit bruyamment la gorge avant d’annoncer qu’elle va ouvrir. Comme elle se précipite vers la porte, il lui faut s’accrocher à la poignée mais avec la fausse nonchalance habituelle ; l’effet est un peu gâché par la précipitation et les palpitations qui la prennent. “Salut.” Rocío cligne des yeux et réprime un sourire. Toujours surprise, salue l’inconnue, presque d’une révérence avec des compliments fleuris qu’elle-même ne comprend pas. Elle tend le bras pour que le bout de ses doigts touche la main de Sanna. Un visage aussi déraisonnablement frustrant que beau devant elle ; elles auraient dû se rencontrer autrement, ailleurs, dans un autre temps. Elle trouve toujours un côté glaçant à ces face-à-face, alors elle lâche des petits rien pour combler le vide, comme un communicant d’Icarus en influence corpo le jour des élections des Sept, puis à Sanna - qu’elle a retenue par le bras au moment d'entrer à son tour - quand les autres sont bien au-delà de quelconque portée auditive : “j’ai rêvé que tu partais, refais plus ça. C’est qui ?”
@Sanna Hellqvist
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À sa décharge, elle pourrait toujours arguer que Simon avait insisté – et qu'importe si ça l'arrangeait, au fond, puisque c'était le cas. Le plus jeune était tellement désespéré d'avoir dû ramasser sa sœur à la petite cuillère quand la tempête Meghan avait fini de foutre ses dernières ressources mentales en l'air qu'il était plus que ravi – soulagé ? – qu'une autre femme prenne sa place. Quand bien même la femme en question fut Charlotte, 48 ans, mère de trois gamins et l'air passablement désespérée – suffisamment pour s'intéresser à une nana bien plus jeune qui n'avait décidément rien à lui apporter d'autre qu'une distraction à sa crise de la cinquantaine. « On est en retard, non ? » demande celle-ci, terminant d’enfiler sa robe d’un coup d’épaule, assise sur le lit aux ressorts pétés où Sanna lui a gracieusement laissé une place cette nuit - et les nuits précédentes depuis quelques semaines déjà. Hellqvist est occupée à trouver le maquillage parfait pour seoir à ses sandales noires et à son t-shirt “Best Burgers in Town”, décidément bien insuffisamment préoccupée par la gravité de ce qui les attend. Si Charlotte stresse, elle, elle n’en montre rien ; Sanna imagine qu’elle a eu bon nombre de double-dates avec des familles de ses conquêtes, avant, du moins assez pour ne pas avoir même sourcillé quand sa conjointe du moment lui a étendu l’invitation. Elle se demande, Sanna, si ça serait différent, de lui dire qu’elle l’amenait dans un guêpier, qu’elle n’était même pas sûre de savoir faire face à Rocío, encore moins pour la traiter comme elle aurait toujours dû le faire : avec le respect et la distance affectueuse qui viennent avec le titre de belle-soeur.

« Nan, t’inquiète, Simon a l’habitude. On a encore cinq minutes avant que le taxi se pointe, en plus. »

Et peut-être, quelque part, qu’elle a envie que Rocío la voie comme ça, un peu débraillée, un rien fatiguée d’une nuit blanche, un poil scandaleuse. Une façon de lui rappeler : moi aussi, je peux être quelqu’un, sans toi. Auprès de quelqu’un d’autre. De se le prouver à elle-même, aussi.
Le taxi autopiloté roule à l’anglaise : poliment et sans hâte, traversant la périphérie pour s’engouffrer dans les bouchons habituels du périphérique aux portes du Nexus. Si Charlotte passe le trajet le nez à la fenêtre, décontractée comme un moine en plein recueillement, Sanna pianote continuellement sur toutes les surfaces avec sa main valide, de son genou à la fenêtre jusqu’au bouquet de fleurs que son amante a très gentiment pensé à ramener pour remercier le couple de les accueillir. Peut-être que la Suédoise devrait adopter la même stratégie que sa voisine de siège, finalement : nez dehors, comme les chiens, pour refouler la nausée. Le trajet est simultanément trop long et incroyablement court, et la plus jeune du duo se met naturellement à traîner la patte derrière l’aplomb naturel et sans artifice de sa fréquentation du moment. Il se rapproche, l’appartement du couple, le même où elle a promis en pleurant qu’elle ne laisserait plus son frère, avant de lui briser le coeur à son insu. Le sien arrête de battre, ou du moins elle ne l’entend plus, sous le retentissement de la sonnerie automatique.

Et bonjour et ohlala, si heureuse de faire ta connaissance, j’ai tant entendu parler de vous, ta robe est magnifique, blablabla - le regard de Sanna se raccroche à tout détail significatif de l’appartement, s’ancre à des habitudes qui lui permettent d’échapper à l’expérience de réunir tout ce monde dans la même pièce : son amante, son amante, et le fiancé de son amante. Le contact de la main de Rocío ne lui échappe pas, pas davantage qu’il ne la choque - et c’est exactement cette proximité habituelle qu’elles se sont promis de bannir la dernière fois, parce que c’est la plus rapide des façons de se faire découvrir. Les effusions dans l’entrée meurent d’elles-mêmes tandis qu’un Simon radieux et taquin envers sa soeur guide Charlotte vers l’intérieur pour la faire visiter, abandonnant le bouquet avec Rocío tandis qu’il pose la bouteille de whisky japonais sur le comptoir. « Bah dis-donc, si tu veux que j’te file son contact… » siffle une Sanna faussement indifférente, presque piquée par l’aisance nouée entre sa belle-soeur et Charlotte dans le vestibule un instant plus tôt - et elle s’extraierait prestement de la situation, à son tour, ne fût-ce pour la poigne qui se referme autour de son avant-bras droit. Elles marquent un temps d’arrêt, chacune leur tour. Rien de tout ça n’est naturel - et elles n’auraient jamais dû accepter de se retrouver avec eux, ce soir. « Partir ? T’es drôle. » Pour aller où est la première question qui lui vient, mais le pathétisme de l’idée la frappe en pleine face et l’empêche de la concrétiser en mots. Le reste aussi, elle le garde pour elle : l’envie de la prendre par la main et de l’asseoir sur le canapé pour qu’elles en parlent, de poser sa main sur sa joue pour retrouver le contact, qu’elles passent la soirée à regarder une émission à la con et à se contenter de la présence l’une de l’autre. Il faut qu’on arrête ça, lui a dit Rocío la dernière fois qu’elles se sont vues en l’absence du cadet Hellqvist, parce que c’était une énorme connerie, qu’elle ne pouvait pas mettre en péril un bon mariage de la sorte pour quelque chose qui n’aboutirait jamais à rien, et cette fois, Sanna a décidé de la croire. « C’est Charlotte », qu’elle répond enfin, plus sèchement cette fois, comme si tout le monde connaissait Charlotte. « Simon trouvait que ce serait sympa de faire un truc tous ensemble. » Elle aurait pu le détromper, ou détourner le sujet à l’époque, mais elle n’en a pas eu envie, sur le coup. Un esprit vengeur, peut-être. Maintenant, elle se demande à quel moment elle a pensé que ce serait une bonne idée. « On fera court, si tu veux », poursuit-elle, les yeux partout sauf sur la jeune femme, « mais je suis sûre que vous vous entendrez super bien. » C’est presque tentant d’ajouter une pique, ou quoi que ce soit d’autre qu’un semblant de vulnérabilité mal gérée, mais elle se retrouve malgré elle à retirer la main sur son bras du bout de sa prothèse, inquiète que les voix éloignées de leurs conjoints respectifs reviennent les surprendre :  « Tu pourrais faire semblant d’être contente d’me voir, au moins. »
@Rocío Cortes
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“Charlotte.” Elle le répète d’un ton qu’elle entend calme mais plein de venin, tandis que sa paume brûle contre son bras. Elle sourit des yeux, mais Rocío reconnaît la même dureté dans sa réponse que celle que Sanna avait mise dans son propre énoncé, comme si elles se défiaient. Elle aurait voulu pouvoir rester et baigner une heure dans la sérénité et leur intimité d’avant ; elles n’auraient pas eu besoin de parler, seulement de s’occuper et de panser leurs plaies. Mais c’est Sanna qui la rétracte, au moment où elle aurait été prête à la réprimander pour un geste qu’elle-même a initié, et tout ce qu’elle est capable d’accomplir c’est un regard meurtrier en sa direction, avant de se retourner calmement vers la nouvelle venue, murmurer et endosser un sourire idiot mais séduisant : “mmh, j’en doute pas.” Sourire qui, pour qui sait le remarquer, donne à penser qu’elle serait capable de poignarder dans le dos pour un Meta Coin ou même pour le plaisir du geste.
“Je…” Un brouhaha s’élève de la salle pour l’interrompre. Elle sait que dans quelques instants, elles devront y faire une apparition, s’asseoir autour d’une table, s’enquérir des conversations de chacun. Mais ça peut attendre encore un peu, qu’elle reprenne une allure convenable et un peu de confiance. Elle sent son coeur battre au fond de sa gorge en évitant son regard à son tour, prête à lui faire un aveu : elle l’est - contente, rassurée même -, et c’est pour ça que c’est pire. En principe, Rocío désapprouve complètement cette relation, et dira qu’elle n’encourage jamais leurs retrouvailles, mais en pratique, aucune journée ne se produit qu’elle ne parvienne à vivre avec satisfaction sans elle, et son arrivée constitue le signal de sa régression. Prendre son mal en patience, en silence, attendre que ça passe, comme à chaque fois. Ça ne passe jamais et les sentiments ne s’estompent pas. Au contraire, ils ne font qu’amplifier. La contraction de ses mâchoires, celle de ses phalanges autour du bouquet ne faiblit pas non plus.

Faire semblant. Ça l’arrange, finalement, de prétendre, de faire comme si de rien n’était, qu’elle est complètement imperméable à sa présence : la regarder avec un air suffisant, lui passer devant la tête haute, rejoindre les autres en remontant les bretelles de sa robe. Jusqu’à ce qu’il faille aussi faire semblant devant eux, et quand Simon les invite à se rassembler autour du canapé en la saisissant par la taille, Rocío ne bronche pas, elle remarque seulement combien les cheveux de Charlotte resplendissent par rapport aux siens, et elle joue nerveusement avec son collier, calculant combien de temps il lui faudrait pour aller se saisir de ses implants et dégainer un shuriken pour lui refaire une coupe avant qu’on ne l’arrête. Elle trouve extrêmement désagréable de lui dénoter quelconque intérêt. Alors elle prend soin de ne pas s’asseoir, au début, sûrement parce qu’on exprime plus crûment sa volonté de congédier un invité quand on se lève. Peu disposée à tenir une conversation de toute façon, elle bondit presque sur la bouteille de Whisky et les quatre verres. Rester impassible, donc, garder son sang-froid, donner satisfaction à tout le monde, ne pas montrer qu’elle a des défaillances de sentiments et qu’elle envisage sérieusement pousser la dame par la porte de son dropship en plein vol au-dessus du Nexus. “On a du vin aussi, dans la cuisine.” Elle marmonne, et Simon, de son côté passe absolument inébranlable, semble prêt à passer un bon moment comme un joyeux bouchon ballotté par les vagues de ce soudain excès d’activité. Heureusement que ses manières habiles laissent habituellement tout le monde apaisé et satisfait, parce que Rocío elle, est mise à rude épreuve ; elle n’avait pas anticipé une telle réaction, panique, pâlit, presque lorsqu’elle remarque que la seule place vacante sur le canapé est juste à la droite de sa belle-sœur, qu’elle est prête à lui retirer ses sandales, son t-shirt, de rage, et étouffer Charlotte avec, même si elle essaie de rester polie et avenante, conformément à ce qu’elle connait. Ne jamais laisser paraître qu’elle va rapidement considérer Miss Machin comme une nuisance, qu’elle n’est pas en mesure de fournir l’énergie demandée, qu’elle est fatiguée, irritable, surmenée, qu’elle a autant besoin de distance qu’elle a besoin de Sanna et qu’il semblerait qu’elle doive attendre son tour. “Charlotte, c’est ça ? Tu viens de New-Blossom ? Et, ça fait combien de temps vous deux ? Quelqu’un préfère du vin ? Je vais chercher du vin.” Elle regarde en direction de son fiancé qui n’est plus qu’une masse indistincte dans son horizon. Comme il ne réagit pas, elle s’avance vers la cuisine en se retournant vers Sanna une fois de l’autre côté de la pièce avec un regard de connivence. Puis Rocío s’éclipse et son soupir est celui d’une martyr, non sans éprouver une certaine culpabilité. S’est-elle montrée suffisamment compréhensive ? Ou devrait-elle retourner jouer les parfaites housewifes sans avoir pu lui aligner deux mots ?
@Sanna Hellqvist
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Elle a rêvé qu'elle partait. Leur jolie troupe progresse du vestibule jusqu'au salon tandis que les mots de Rocío lui restent en tête, plus fixes encore que l'hostilité de son ton lorsqu'elle lui a parlé de leur invitée surprise ; il y avait quelque chose de non feint, dans cette révélation, l'aveu d'une faiblesse que sa belle-soeur ne lui laisse jamais entrevoir, et malgré tout son bon sens, Sanna a envie de s'y accrocher. À ça, plus qu'au ton acerbe et aux mots faussement plaisants ; Charlotte, si elle remarque une certaine hostilité, n'en fait en tout cas pas montre, et Sanna se surprend à lâcher un demi-soupir de soulagement devant le fait que rien n'a encore explosé. En rétrospective, amener du whisky était peut-être complètement stupide de leur part. « J'y suis née, même. Au Nexus, d'ailleurs, pas très loin d'ici, bien que je privilégie davantage le Solaris en ce moment… » Non, décidément, Charlotte a décidé de faire la sourde oreille aux tensions qui commencent à poindre, et elle est joyeusement rejointe par Simon, qui la questionne plus longuement – sa carrière, ses enfants, leur âge, ce qu'ils aiment, tout y passe en quelques minutes, et si l'invitée du trio y voit très certainement un background check d'un frère un peu trop protecteur, elle s'y plie honorablement. Rocío, elle, a évidemment déjà quitté la table – sans même s'y asseoir, note Hellqvist, et elle est obligée de retenir un soupir agacé. Simon jette à son aînée un sourire amusé mais indulgent, celui qui sent bon l'ignorance et les excuses pour sa future femme qui travaille à s'en user, tu sais, c'est pas facile en ce moment.

Charlotte enchaîne à peine sur les quelques semaines qu'elles se fréquentent, tout au plus – si elle a été surprise de l'invitation, elle n'en souffle pas mot à Simon, qui l'écoute avec une attention sans faille et un sourire large envers sa sœur. Cette dernière sait déjà ce qu'il lui en dira, après le départ de Charlotte : elle est vraiment chouette, et stable, et c'est peut-être exactement ce qu'il lui faut, après Meghan. Sanna y songerait, si elle éprouvait un quelconque intérêt envers elle qui dépassait le strict nécessaire. D'ailleurs, elle n'y pense même pas : depuis la cuisine où Rocío s'est réfugiée, celle-ci lui lance un regard hostile et demandeur à la fois et, comme de coutume, la brune y répond. « Je vais aider Rocío en cuisine », annonce-t-elle en coupant leur conversation, décollant ses fesses du fauteuil et tapant l'épaule de son frère en un tout va bien qui lui passera sûrement au-dessus de la tête. La vérité, c'est qu'elle n'a pas envie de rejoindre Rocío, car ça signifierait lui donner l'attention qu'elle attend de sa part, et Sanna a décidé de clairement respecter les barrières que sa belle-soeur lui a imposées. Rien que pour voir combien de temps il lui faudra avant de les outrepasser d'elle-même. « Alors quoi, ça va être ça toute la soirée ? » demande la brune, un air examinateur et sterne sur ses traits d'habitude toujours charmeurs et bon enfant ; elle s'adosse d'un pied contre un meuble de la cuisine et croise ses bras sur sa poitrine, conservant une distance raisonnable avec l'objet de sa tourmente. « T'es injuste. » dit-elle comme une sentence, à laquelle il faudrait presque comprendre c'est pour toi que je fais ça. C'est faux. C'est à cause d'elle, peut-être, de la jalousie et de la blessure d'un ego impuissant que Rocío la fait traverser, les mêmes qui la poussent à faire des rencontres, toujours légitimes mais toujours avortées, parce qu'elle ne sait comment offrir autant à quelqu'un d'autre : qu'importe si cette personne est disponible, et tout sauf au bord d'un mariage. Une part d'elle le sait et se reconnaît comme principale responsable de sa déchéance ; une autre, plus primaire et moins intéressée par la répartition des fautes, a envie que Rocío souffre autant qu'elle et compte ses pertes jusqu'à ce qu'il ne reste de son cœur qu'un patchwork désassemblé et vulgairement foutu.

J'ai rêvé que tu partais. Ça résonne encore dans le silence tendu de la cuisine, perturbé à peine par la bouteille qui se pose sur la table, par le bouchon qui saute. Elle goûte les mots à défaut de se noyer dans son whisky. Elle n’en a pas, de rêves, Sanna, la plupart du temps trop abrutie par la fatigue physique pour se préoccuper de ses contradictions internes, et son cerveau a la décence de ne pas lui rappeler celles-ci lors de son sommeil. Tant mieux – Rocío domine déjà la majeure partie de ses journées, et elle n'a pas envie de lui en donner davantage. « Tu m'as demandé de partir », rappelle-t-elle soudainement. Elle aurait pu laisser couler, passer à autre chose, s'engoncer dans le rôle de la belle-sœur attentive à faire bonne impression avec sa nouvelle amoureuse jusqu'à ne plus savoir en ressortir. C'était le plan. Rocío l'avait établi, ce plan, et Sanna était douée pour suivre les ordres. C'était son truc, sans qu'elle n'ait de honte à avouer. Similairement, il suffisait que Rocío lui demande l'inverse pour qu'elle obéisse. « Tu l'aimes pas ? » Elle ne prend pas la peine de préciser si elle parle de Charlotte, parce que ça pourrait très bien être Simon, qu'elle mentionne comme ça ; ça lui importe peu, au fond, du moment que Rocío réagit, qu'elle arrive à garder ce pouvoir sur elle. Elles n'ont pas le temps d'en parler davantage qu'un bruit de talons s'approche jusqu'à les rejoindre.

« Déjà derrière les fourneaux ? »

Elle est jolie, Charlotte. Elle ressemble à Julianna Margulies plus jeune, ou à Kathleen Munroe plus vieille, Sanna sait pas trop ; elle est cultivée, ouverte, bosser dans l'équipe légale de Theseus Corp l'a rendue riche mais pas arrogante. Ses gamins sont plaisants, du peu que Sanna a pu les voir. Sous tous les angles visibles, Charlotte a tout de la femme parfaite. L'ennui, c'est que Sanna crève d'envie de lui trouver un problème qui n'existe pas, rien que pour justifier son désintérêt. « On ne va quand même pas laisser les hôtes tout faire… Vous pourrez occuper la cuisine quand on vous invitera, la prochaine fois. » À ces mots, son regard vient immédiatement jauger celui de Rocío – y détecter une crainte, une jalousie, un parce qu'il y aura une prochaine fois ? auquel elle ne veut pas donner de réponse, se contentant d'esquisser un sourire qu'elle imagine comme diplomatique : le genre qu'on voit dans les séries, quand le gars est décrit comme un type diplomatique. Simon, lui, particulièrement emballé par la proposition, lui lève son pouce gauche quand Charlotte a le dos tourné, et Sanna se déteste un peu plus à chaque seconde qui passe. La transporteuse revêt son sourire le plus charmeur pour signer la fin de l'entrevue et s'empare du vin ouvert, jetant à son acolyte un regard qui s'apparente clairement à une défiance. « Alors, vous en pensez quoi ? » demande-t-elle à mi voix en profitant de leur isolement à tous les trois, Charlotte encore dans la cuisine. Autant retourner le couteau au maximum, avant que ça ne lui retombe dessus.
@Rocío Cortes
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À l’instant de franchir la porte, elle a forcé le pas et adopté la même allure déterminée qu’en intervention cyberpsychose. L’indécision aurait pu être fatale, scrutatrice. Un signe sur son visage aurait suffit à trahir le doute, être hélée par Simon et c’est le début d’un désengrenage. Mais vraisemblablement, aucun d’entre eux n’a eu le temps de réagir. Charlotte, à peine de formuler une réponse, et qu’elle y retourne, ou mieux : s’y perde, dans le Solaris. De là où elle est, elle entend les hauts parleurs connectés échapper des sons dont la réunion doit constituer une sonate pour piano quelconque au remix synthétique. Quel qu’il ait été, le compositeur, dans son cercueil mort depuis deux siècles, a bien meilleure position qu’elle. La faiblesse de l’éclairage accentue le caractère cruel du maquillage qu’elle a longuement appliqué dans le seul but de croiser un regard qui dénote l’envie de sa part à elle, pas de Simon qui lui répéterait qu’elle est belle de toute façon. À peine a-t-elle ouvert le placard qu’elle se sent dans une bulle : soudain elle respire, là où d'ordinaire elle se sentirait déjà prise d’ennui. Rien ne lui donne de l'assurance comme de se soustraire à la lumière du grand jour. Elle s’épanouit aussi dans les entrailles de la ville mieux que nulle part ailleurs. Non pas hors du monde, mais hors de vue. Échapper aux regards, se dérober à sa situation, s'absenter de la société, c’est ça qui, par moments, lui importe plus que tout.

Un son l’intrigue assez pour tourner la tête de son revers sans se détourner de la bouteille. Elle sent qu’on s’approche, et se retourne brusquement, à croire qu’elle vient de comprendre qu’il y a des risques qu’elle n’en reconnaissent pas les pas et fasse un impair impardonnable. “Quoi, ça ? Je suis juste venue chercher le vin.” Elle hausse les épaules face aux bras croisés de Sanna, parcourt la cuisine, manipulant quelques verres au gré de ses déplacements et feinte indifférence. Elle écoute un instant, et elle réalise qu’elle a avancé vers elle si délicatement qu’elle reste un moment sans bouger, consciente de son immobilité, de Sanna et de sa sandale contre le comptoir. “Holo, augmente le son dans la cuisine.” Son silence charge de paroles le moindre de ses regards. Elle ne trouve rien à dire. Accuser aurait tout gâché, demander ou supplier tout autant. Elle peut juste surenchérir par la froideur de son langage corporel, lexique déchiffrable de la jalousie qui lui pique les pommettes, lui tord la gorge et mouille le coin de ses yeux. Avant qu’enfin, elle capitule : “rien de toute cette situation n’est juste, Sanna.” Mais le pire, pour Rocío, c’est cette constante illégitimité d’amante transie qui ne trouve rien à lui reprocher parce qu’elle s’en veut ; elle a tout : le confort avec Simon, la passion avec Sanna. D’ailleurs la Mexicaine ne comprend que superficiellement les raisons de son attirance : Sanna a probablement un attroupement derrière elle à attendre qu’elle daigne accorder un regard.

“Parfois on prend des attitudes contraires à ce qu’on ressent vraiment. Enfin, les gens. En général.” Elle se demande brièvement si c’est avec ce genre de réflexions qu’elle en est arrivée à obtenir un poste à CERBER afin d'éviter de s’attarder sur la question de Sanna, lourde de sous-entendus parce que c’est un pas qu’elle ne peut franchir, parce qu’elle serait prête à tout lui concéder si elle venait le faire. Rocío lui offre un regard si heurté et pénétrant de deux petits charbons ardents, qu’elle est à même de s’en rendre compte, obligée de baisser les yeux sur le bouchon en liège qu’elle comprime bêtement entre ses doigts, avec un visage grave, une expression parfaitement mortelle, afin que Sanna ne lise pas qu’elle est à ce point bouleversée. Elle entend le claquement des talons de Charlotte dans le babil de la musique. L’amertume, la jalousie s’emparent d’elle encore une fois. Et elle se recule avec l’angoisse d’être découverte qui l’éreintra, à terme. La question est donc de savoir si Sanna en vaut le coup. Et pour l’instant, au lendemain de son fabuleux plan pour garder ses distances, Rocío sait admettre que la seule réponse c’est oui, bien évidemment que oui. Elle offre un sourire poli, prend une profonde inspiration mais le souffle est rapidement coupé, perd toute prétention : la prochaine fois ? À l’instant où elle va lui demander si elle est sérieuse, son regard bascule et croise celui de Sanna, et le voilà le plus indéchiffrable de tous les codes en vigueur dans leur clandestinité, toute l’intensité de leur lien réfugié dans la puissance muette de leurs regards. Il lui faut dix bonnes secondes pour se reprendre et se sortir de cet état second et profiter de cet instant de flottement pour déglutir, tout ravaler - les larmes, les insultes, les Holo, mets le feu à son appartement du Solaris - saisir la bouteille à deux mains, presser le pas et avancer sur quelques mètres, comme si elle pouvait se dégager ainsi de ce marécage d’amour, de colère et de ressentiment où son esprit vient de s’enliser. “Oh t’inquiète pas, ça me fait plaisir !” Elle devrait plutôt lui décrire en termes sobres qu’à un moment donné, le plus tôt possible, elle devra penser à retrouver sa vie de célibataire.

Au retour dans le salon, elle va directement s’asseoir sur l’accoudoir au plus près de Simon, à qui elle va très certainement énumérer les défauts de Charlotte en long en large et en travers quand elles seront parties, avouer qu’elle a du mal à imaginer Sanna avec quelqu’un de toute façon, et finir la soirée tellement éreintée qu’il y a peu de chances qu’il en tire quoi que ce soit d’autre. Pour avoir vécu l'indifférence et les représailles de Sanna, rendue à la même échelle par elle-même, Rocío n’est pas à nier qu'elle ne sait plus très bien quelle carte jouer pour enfin trouver un terrain qui ne soit pas que perches et piques. "Très sympa. Tu l’aimes ?" Et si elle veut être honnête deux secondes, la vérité, c'est que dans n’importe quelle autre situation, Charlotte aurait été une présence convenable, agréable même. Au fond, en y réfléchissant bien, toujours dérangée par la question de Sanna dans la cuisine, de son côté, ce n’est peut-être pas l’amour qu’elle a à l’esprit - c’était peut-être juste un bras autour du cou qui a mené à une bague au doigt - mais c’est toujours le mariage dans celui de son fiancé. Il renchérit, d’ailleurs, sur toutes les qualités que présente Charlotte, se tourne pour bavarder comme il aime à le faire, s’abandonnant aux délices de la futilité et Rocío de la médisance secrète avec d’autant plus de cruauté que l’exercice est gratuit et sans danger. A son attitude immobile, Simon lui tend un verre de Whisky, fait un geste vers elle, sur la belle ride frontale suscitée par son froncement de sourcils qui est interrompu par un baiser. Puis avec une inflexion de voix, il annonce comme on proclame aller faire les courses : “Sanna, tu veux pas être témoin à notre mariage ?” Et derrière tout ça, une annonce d’une violence assez intense pour que Rocío se redresse de nouveau : “quoi ?” Simon qui écarquille les yeux, rit avec son élégance naturelle : "comment ça quoi ? C’est ma sœur, et vous êtes proches." Ah oui, bah on est tellement proches que le plus souvent je pense à elle quand on fait l’amour et j’en suis pas très loin de gémir son nom. Elle comprend que l’apaisement de la cuisine n’est déjà plus qu’un souvenir. Mue par un réflexe, elle lève la main et secoue la tête : "non non, oui t'as raison, c’est juste qu’on en a jamais parlé, ça m’a surprise." Et je croyais que tu disais qu’elle était pas toujours fiable ? Il n’en a pas fallu plus pour l’achever, alors avec le sourire qui n’atteint jamais ses yeux, le même qu’elle arbore au quotidien face a son collègue trigger-happy Barry : “Mais euh… oui, excellente idée ! Tu devrais être son témoin. D’ailleurs tu pourrais aussi être ma demoiselle d’honneur, et Charlotte est invitée,” avant de se retourner vers la concernée : “si tu veux venir ?” Elle termine en s'absorbant dans son verre jusqu’à ne plus avoir de souffle, sans attendre de véritable réponse, elle cherche Sanna du regard et lui sourit par dessus son verre. “On n’a pas de dates encore, ça peut se faire demain comme dans cinq ans mais… vous deux ça a plutôt l’air bien parti, non ? J’ai rarement vu Sanna aussi entichée.” Simon tape du plat de la main sur sa cuisse comme un White House Plumbers certain d’avoir conclu l’affaire du siècle. Deux minutes ne se sont pas écoulées que Rocío entreprend déjà de se servir un deuxième Scotch. “C’est parfait vous allez pouvoir voir ça ensemble la semaine prochaine quand je serais pas là. Témoin et demoiselle d’honneur ! Allez on trinque, à Charlotte et Sanna.”
@Sanna Hellqvist
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« Commence pas, s’il te plaît. » C’est drôle, parce que Sanna sait pertinemment qu’elle n’a pas le droit de prendre cet air exaspéré, de parler comme si elles se connaissaient par coeur, comme si elles avaient déjà eu cette discussion cent cinquante fois - parce que c’est le cas, mais ce n’est pas le genre de choses à amener ici. Pas chez Simon, pas face à Charlotte, pas dans un écosystème où elles ne sont que belles-soeurs, à la limite amies, mais jamais plus, jamais moins. C’est un terrain neutre, quand Simon est là - qu’importe combien de fois elles ont utilisé le lit conjugal, ou le canapé sur lequel tout le petit attroupement était assis il y a encore quelques minutes - et elles ne devraient pas ramener leurs problèmes ici. Ce soir, elles ne sont rien de plus que des inconnues qui ont été unies par Simon, sans équivoque ni place aux doutes. C’est exactement ce que Rocío fait : elle vient juste chercher le vin, elle ne fuit pas le salon parce que le fait de voir Sanna avec quelqu'un d'autre la retourne, mais parce qu'elle doit faire attention aux plats, aux verres pleins. Elle est une hôte aux petits soins : jamais une amante bafouée. Et Sanna vient l'aider, plutôt que de chercher des réponses à des questions qui n'en recevront jamais. Ça devrait suffire. Ca aurait suffi, eût-elle été foutue de tenir sa langue. Mais Rocío est affreusement proche, et la musique qui provient du holo lui sature les tympans à tel point qu’elle est infoutue de réfléchir, de tenir sa langue, d’empêcher ses yeux de descendre vers ses lèvres, de retourner à son regard piquant pour le lui rendre avec la même intensité.

Et rien que comme ça, dans ce terrain neutre qu’elles ont déjà trop désacralisé, tombe l’aveu évident qu’elles ne veulent pas se quitter. Ou ne peuvent pas, et Sanna n’est plus sûre de connaître la différence. Elle aimerait rétorquer quelque chose de cinglant, faire payer la Mexicaine une nouvelle fois pour ce qu’elle leur fait traverser, mais elle ne trouve rien d’autre à répondre qu’un hochement de tête penaud alors que ses yeux suivent ceux de sa vis-à-vis pour retomber sur le bouchon de bouteille. Elle cherche désespérément une façon de ne pas s’attarder sur les implications de l’aveu quand Charlotte les interrompt, forçant Rocío à amorcer un pas en arrière pour redonner à leurs corps une distance raisonnable. La plus grande des deux retrouve son oxygène. « Tu comprendras vite que Rocío a du mal à céder du terrain quand elle accueille », prévient-elle pourtant Charlotte comme si de rien n'était, recouvrant presque immédiatement un sourire sans faille, posant une main qui se veut amicale dans le dos de l'objet de leur discussion en signe d'apaisement. Elle n'est pas certaine qu'il soit réel, cet apaisement : elle sent encore peser sur elle le regard scrutateur de son amante alors qu'elle s'assoit auprès de son fiancé. Dans la cuisine, Charlotte s'affaire à Dieu seul sait quoi – sûrement, comme elles, à remuer dans les couverts sans but en attendant de reprendre ses esprits. « L'aimer ? Ça fait deux semaines, on va pas s'emballer. » Elle en rit mais c'est un rire nerveux, profite de l'absence de la concernée pour faire une petite grimace contrite. « Mais c'est sympa, jusque-là. Elle sait ce qu'elle veut. C'est quelqu'un de stable. Ça me change. » La pique est clairement dirigée. Elle aimerait ne pas jouer le jeu, se découvrir honnête dans ses mots mais la vérité, c'est que Charlotte lui est dispensable. C'est une présence agréable, une amitié rassurante, un bon coup qui remplit le vide de son appartement, certainement. Et à tout ça, elle préfère quand même la présence aléatoire et les sautes d'humeur de Rocío, Rocío qui est toujours là, dans ses pensées, dans ses gestes envers Charlotte, dans ses baisers à son encontre. Pour sûr, Simon ne serait pas le meilleur public à qui déclamer le honteux secret. « C'est cool. Tu mérites quelqu'un de stable, après… tu-sais-qui. » Et il est trop heureux de voir l'aînée prodige remonter la pente pour lever des loups. Tellement heureux, en fait, qu'il attend que Charlotte revienne pour faire une demande aussi grandiloquente dans ses mots que bénigne dans son ton. Sa fiancée exprime sa surprise avant que sa sœur ne puisse le faire.

Elle s’en veut davantage encore d’avoir tant de mal à être heureuse pour son frère, parce qu’elle ne devrait pas. Elle devrait être heureuse que son cadet ait trouvé quelqu’un de bien, quelqu’un qui illumine son regard quand il en parle, elle devrait se réjouir d’être présente à leur mariage après des années de relation chaotique et presque détruite entre eux. Elle devrait sauter de joie à l’idée d’être choisie comme témoin, comme garante de leur amour et de leur avancée dans la bonne direction, au lieu de quoi ne sort qu’un simple « ouais, carrément. » N’importe quelle sœur normale pleurerait, sûrement. Mais à nouveau, n’importe quelle sœur normale ne rêverait pas de prendre sa place. « On a encore le temps d’y penser, hein », tempère-t-elle contre ses propres instincts alors que l’invitation est étendue à Charlotte. Sans grande surprise, la jeune femme lui renvoie un sourire soulagé : elle non plus, n’est pas très à l’aise avec la proposition. Elles n’ont jamais parlé de tout ça avant ce soir, et mine de rien, si rencontrer le frère de sa fréquentation du moment est déjà un grand pas en avant, ce n’est rien face à la perspective d’être invitée à son mariage et présentée à toute la famille. Et trinquer à la santé de leur potentiel couple qui n’a jamais été établi préalablement, c’est presque le verre de trop.

Sanna aimerait dire que le dîner se passe sans encombre, mais elle a envie d’ouvrir la poubelle et de se jeter dans le vide-ordures combustible du rez-de-chaussée. Les allers-retours pour aller chercher et ramener les plats aident leur troupeau à générer un retour au calme, les conversations se canalisent autour des gamins de Charlotte, du grand qui suit les traces de maman et de la moyenne qui veut faire l’armée tandis que le plus petit doit finir l’école avant de songer parcourir le monde. Ils sont l’exemple parfaits des repas de famille comme ils devraient se passer : sourires complices, anecdotes affectueuses. Pas de lézard, à part ceux qu’elle provoque, électron libre agent du chaos. « Il te va bien, ce décolleté. » envoie-t-elle par message lorsque le plat principal est terminé et qu’elle se relève pour aller chercher le vin. « Vous êtes fiancés depuis combien de temps, alors ? » demande Charlotte, à des lieues de ses tumultes internes. « C'est celui de l’autre fois ? » Pas besoin de préciser quelle autre fois alors qu’elle range les assiettes, plus tranquille dans son coin, fourrant son portable dans une poche pour retourner auprès de la petite assemblée. Et comme Sanna est une pure fouille-merde, elle en profite pour tranquillement enchaîner : « Comment ça se fait que vous vous soyez toujours pas mariés, d’ailleurs ? Pas le temps, pas l’occasion ? » Son regard se darde dans celui de son amante, la défie autant qu’elle la jauge : il est temps que la crainte change de côté, pour ce soir, et que les sujets s’attardent ailleurs que sur elle. « J’ai envie de toi. », envoie-t-elle enfin, profitant que Charlotte serve le champagne.
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La confiance lui est revenue au fur et à mesure qu’elle se rétablissait sur son territoire, après confirmation que Charlotte n’est vraisemblablement pas une menace pour elle, sa relation et sa santé mentale. Pour autant, la souffrance n’a pas disparu. Elle est là sans être là, dans un perpétuel état de flottement. Une partie d’elle git encore sous les décombres de leur discussion dans la cuisine, sous les regards glaciaux et dans un constat véridique : Sanna mérite mieux qu’elle. Ils sont au dessert quand d’une main, Simon caresse ses mèches brunes, de l’autre, joue avec le contenu de son verre. Sa pente naturelle l’incline à mêler douceur et possessivité et Rocío se demande quelles expériences communes ils ont tous les deux. Qu’est-ce qui, dans leur enfance, a modelé leur harmonie d’adelphes ou s’ils agissent d’instinct, sans jamais calculer l’effet de leurs gestes. Elle ne s’est pas levée pour aider, cette fois, et trouve le téléphone contre sa cuisse sur lequel est inscrit son nom. Parce que dans son répertoire aussi, quand tous ont un ou deux noms de famille associés, elle reste juste Sanna, unique en tout point. La plus parfaite contraction de mâchoire se forme à la lecture, du côté opposé à son fiancé : un geste adopté très tôt, avec toute la délicatesse requise sans que ça ne se voit. Et de nouveau, à cause de quelques mots, elle voudrait se retrancher du monde, être ailleurs, ne serait-ce que pour se rassembler. De toute façon, de quelque manière qu’elle la considère, sa vie a toujours été un éloge de la fuite. "On..." “Pas eu le temps. Beaucoup de travail. Trop à gérer.” Elle s’empresse de tout dire d’une traite presque entre deux hoquets étouffés avant de se laisser à nouveau gagner par le comique de la situation. Un rire nerveux, certainement, parce que bien sûr que c’est celui de l’autre fois : un de ces sous-entendus qui révèlent autant d’allégresse que de désarroi. Une réaction de défense de la part de Sanna, bien dans sa manière, qui trahit le retour de bâton, de toute évidence. Sauf que, cette fois, elle n’apprécie pas qu’elle la tente, et la couvre d’un regard assassin.

Puis elle abandonne la vertigineuse perspective de lui répondre pour repartir en apnée dans son Whisky et remonter systématiquement la robe sur ses épaules, plusieurs fois de suite. Mais ça continue de vibrer contre sa cuisse ; pour la troisième fois, elle se penche pour le regarder de loin et, putain, la pièce commence à tanguer, la musique de fond, atrocement grésillante mais curieusement ralentie semble de plus en plus grave. Quelque chose monte en elle pour la submerger, le sentiment d’un destin en train de se nouer malgré elle et donc elle ne saurait infléchir la course, sûrement. A moins que ce ne soit la chaleur contre ses joues, dans sa gorge. Elle a de plus en plus de mal à faire semblant de discuter tranquillement, de répondre à la question de Charlotte : “Elimination Squad de CERBER. Et toi ?” Comme si ces banalités n’avaient pas pu être écartées dès le départ. Chaque regard de la part de Sanna propage une onde de désir qui lui chavire le ventre, mais Rocío lutte pour rester imperturbable parce que c'est tout ce qu'elle sait faire. Tout au plus, quand elle est sûre que Sanna a détourné les yeux, elle ferme aussi quelque secondes les siens pour s’autoriser à respirer. Arrête. Elle est trop absorbée par la portée de son désir pour redouter un regard curieux et inopportun de Simon par dessus son épaule. Elle est troublée car, au lieu de la mettre hors d’elle, la constatation que Sanna a finalement réussi son coup l’emballe. Elle voit déjà à quoi va ressembler le ballet de leurs corps avec une audace pareille. Comment est-il possible que ça lui plaise de nouveau infiniment ? Ça faisait pourtant longtemps - quelques minutes - qu’elle avait décidé de n’avoir plus aucune complaisance pour ça. Elle fuit son regard, pour ne pas que Sanna puisse lire sur elle à quel point elle a envie de la plaquer contre le mur, maintient une main ferme sur le bras de Simon, et maintenant qu’elle a laissé ces images remonter complètement, elles ne la quittent plus. Et dans des moments comme ce soir, où Sanna n’est ni contre elle pour recommencer, ni là pour l’apaiser, ça lui fait tout sauf du bien. “Ça va ? T’as les mains chaudes.” Elle baisse les yeux comme ébahie, puis rougit de confusion et porte la main à son revers. Elle fait mine d'inspecter sa paume, et reprend possession de sa main avant que ses doigts à lui ne l’atteignent. Elle acquiesce en souriant idiotement. “Ouais, c’est l’alcool. Je reviens.” Ce doit être l’effet secondaire le plus inattendu, une propriété inconnue du Whisky japonais, sans doute, Simon devrait se pencher sur la question.  

Une fois qu’elle est redressée, elle va s’enfermer dans la salle de bain, en s’appuyant contre la paroi comme les vieux dans le métro, marque aussitôt une pause pour regarder sa montre connectée puis : “Holo, quelle est ma fréquence cardiaque ?” “110 battements par minutes, voulez-vous que j’appelle la Rescue Team ?” “Non !” Ne manque plus que CERBER. Elle trouve son reflet, les traits marqués, la peau luisante, et sans jamais personne à qui raconter sa situation, ou seulement au seul être justement objet de son secret. L’eau fraîche du robinet est une bouffée d’air. Toujours dans l’idée que dans la vie il y a des gens qui se traversent et d’autres qui se rentrent dedans, Sanna est arrivée dans la sienne de plein fouet, comme si elle avait percuté un mur en courant et que soixante-dix litres d’eau bouillante lui avaient sauté au visage en vingt-six millièmes de secondes. Rocío se frotte la nuque avec la dernière énergie, descend une de ses bretelles et prend un selfie qu’elle lui envoie directement. Le petit supplément avec ses dents en train de mordre sa lèvre et la main contre ses clavicules censé frapper Sanna comme une bombe maraudeuse. Redis-le moi en face. Une petite victoire inespérée, enfin. Cette fois, elle peut sortir et retourner s'asseoir près de Simon pour la centième fois de la soirée, protégée par la satisfaction et écouter les doléances de Charlotte quel que soit le sujet, laquelle bloque la vue de Sanna de là où elle se tient. “Comment vous vous êtes rencontrées déjà ?” Puis, elle se saisit de son téléphone et compose un autre message : elle sait que tu trouves ça “sympa” ? Ça sonne comme un “sans plus”, c’est pas ce que tu me dis à moi. Ça la flingue de briser ses règles, de se rendre vulnérable, mais elle sait qu’elle ne fermera pas l’œil de la nuit à se tourner et se retourner, en essayant de se convaincre que c’est circonstanciel, que Sanna n'est rien de plus qu'un accident. “Ah bon on a ouvert le champagne maintenant ? Vous allez être obligées de dormir ici.” "Bah ouais tiens, il y a une autre chambre ! Vous voulez faire un jeu ?"

@Sanna Hellqvist
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Elle se veut injuste, Sanna, tout autant que la situation l’est avec elle ; tout autant que Rocío la laisse devenir, partagée entre la jalousie que celle-ci témoigne à l’encontre de Charlotte et son insistance à rester dans un couple adultère qui ne lui convient pas. Elle n’a jamais commenté, Sanna, s’est toujours tenue bien à distance de toute discussion fâcheuse qui les sortirait de la case plan cul pour les insérer dans quelque chose de plus sérieux, de plus effrayant aussi. Alors c’est peut-être la première et unique fois qu’elle se permet de commenter sur leur mariage à venir ; parce qu’il tarde, pour quelque chose dont son frère avait si hâte, et elle devine à son regard qu’il en est laissé impatient, qu’il ronge son frein pour ne pas la brusquer. La culpabilité vient se mêler au désir qui teintait son regard voilà deux secondes encore, et les deux émotions sont aussi impérieuses et difficilement contrôlables. Sanna se laisse prendre à son propre jeu, les deux contraires à parts égales. Quelle horrible personne tout cela fait d’elle, au fond. Elle le fait immédiatement payer à Rocío en lui envoyant le troisième message.

Elle fait de son mieux pour focaliser toute son attention sur Charlotte, et sur Simon, et sur tout l’environnement qui se réduit à une vision tunnel à chaque fois qu’un coin de regard s’échoue sur la silhouette décontenancée de son amante. « Elimination Squad ? Ca doit être un sacré stress, j’imagine, non ? » Aux paroles de son accompagnatrice, la brune ne peut s’empêcher de se dire que le boulot de Rocío est certainement la partie la moins stressante de sa vie, à l’heure actuelle. « Je suis associée dans l’équipe légale qui représente Theseus Corp… Pas un rêve d’enfant, mais c’est une bonne situation, et avec des enfants c’est jamais de trop. Vous en souhaitez, d’ailleurs ? » Damn. Charlotte est sa meilleure version d’elle-même : avenante, ouverte, visiblement peu déconcertée par la froideur manifeste de son hôte, ou en tout cas prête à passer au-dessus, à trouver des liens à tisser entre leurs existences diamétralement opposées. Le sujet des enfants est un bien piètre choix, mais elle ne pouvait pas le savoir, et Sanna s’en repaît, dardant cette fois son regard dans celui de sa vis-à-vis, curieuse de la réponse - ou plutôt, du mensonge qui risque de suivre, alors que Rocío la sermonne par message et qu’elle doit détourner sa montre pour que personne ne comprenne leur manège. Une demi-seconde, pas bien plus pour confirmer que Sanna a gagné cette manche, à défaut de remporter quelque victoire ; Rocío ne peut plus prétendre à une quelconque fin actée et assumée entre elles, pas alors qu’elle vient de rompre le statu quo. Qu’elle s’éclipse alors : Sanna ne dira rien, célébrant silencieusement une victoire d’ego qui n’a pas lieu d’être et qu’elles auraient dû annihiler voilà déjà bien longtemps. Simon répond pour deux, confus par le départ soudain mais à peine dérouté toutefois : deux, voire trois si possible, de préférence proches en âge, mais ils ont le temps de voir venir. Le script est tellement répété qu’il en paraît plat, et c’est la première fois que Sanna l’entend vaciller dans ses propos. Quelle invraisemblance, de s’en réjouir.

Sa montre vibre, à nouveau. Le signal la renvoie à son portable, qu’elle prend soin de consulter une fois assurée que les regards sont tournés ailleurs, le reposant facilement face contre l’intérieur de la poche de son jean alors que ses maxillaires se crispent et tendent la peau de ses joues. 1 partout, balle au centre. Elle ne peut que regarder Rocío à son retour dans la pièce et forcer son regard à ne pas descendre vers le décolleté qu’elle vient de voir en photo, et elle se note mentalement de penser à sauvegarder la photo, plus tard. Pour l’heure, elle reste prostrée dans son siège, le désir lui broyant le bas du ventre à lui en faire mal. « Amis en commun », réplique-t-elle sans gaspiller un battement à la question suivante, désireuse de prendre les devants - via une appli à la FetLife n’étant pas une réponse qu’elle souhaite donner, ni devant son frère ni devant la postérité, ou quelque dieu que ce soit là-haut. Présenter Charlotte comme un plan sexe pérennisé sur quelques semaines pour tromper leurs vides mutuels est encore moins attrayant. La montre attire à nouveau son attention, et sans savoir pourquoi, Sanna s’attend déjà à se faire tancer sur son dernier mensonge en date. Elle se retrouve presque étonnée que Rocío relance la musique sur une jalousie latente. Tu veux vraiment parler de ce que nos conjoints savent ? renvoie-t-elle tout de go. C'est si facile, bien plus que de répondre à la question ; la lutte pour le pouvoir s’inverse à nouveau et la transporteuse se sent acculée d’une façon qui l’inquiète. Ce serait le bon moment pour s’éclipser, s’il fallait trouver une excuse. Ce serait sûrement l’unique occasion de s’en tirer sans y perdre des plumes…


« Merci, mais je vais devoir décliner, je dois être au bureau pour 5h demain matin. »

Sans le savoir, Charlotte lui offre l’impulsion parfaite, l’excuse idéale ; elle s’apprête à la saisir au vol quand Simon enchaîne, l’air suppliant : « Sanna… Tu vas pas partir avant d’avoir essayé Virtual Home Evasion, quand même ? C’est la version hantée, en plus. » Ca aussi, c’est trop facile : et sans qu’elle ne trouve à protester, Sanna et Charlotte se retrouvent prise dans une partie de réalité virtuelle simulant des voleurs enfermés dans un appartement hanté, le tout mâtiné de quelques coupes de champagne pendant les premières parties. Simon exige une revanche que Charlotte, tout aussi compétitive, est plus qu’heureuse de lui offrir : « On devrait avoir plus de chance ensemble. Les filles, vous faites une équipe ? » Le duo a déjà remis leur casque alors que Sanna et Rocío échangent un regard résigné, presque craintif, avant de revêtir leur propre casque, Sanna renfilant le gant qui ne cesse de tomber de sa prothèse. La chasse commence : les indications les emmènent vers la salle de bains, où un kit de soin est récoltable sous le lavabo, en plus de quelques munitions du faux pistolet dont tous les joueurs sont munis à la taille. Dans leurs oreilles, le plancher grince ; Simon et Charlotte sont presque inaudibles à distance, et d’un coup le jeu ne l’amuse plus. « J’aurais mieux fait de pas venir, je pense », qu’elle attaque, les dents serrées alors qu’elle fait le tour de la salle de bains, occupée à fuir sa comparse du regard. Elle a réalisé dès l’entrée dans la pièce qu’elle était en position de faiblesse, sans parler de son potentiel fâcheux : il suffirait d’un coup d’oeil en direction de Rocío, avec ou sans le casque, pour qu’elle se retrouve happée à nouveau, or ce n’est ni le moment ni l’endroit. L’idée est là, pourtant - terriblement tentante, aussi horrible qu’elle soit. Il suffirait d’une inattention pour qu’elles terminent de ruiner tout ce qu’elles n’ont pas encore brisé. Mais Rocío est là, si proche, plus qu’elle ne l’a été de toute la soirée et c’est trop simple, de repenser à sa photo, au rouge de ses joues face à ses interjections par messages, d’imaginer les gémissements contre son cou qui datent de trop longtemps mais dont elle se rappelle avec trop de clarté. « Tu voulais savoir si je trouvais ça sympa, hein ? » Elle fout en l’air un paquet de cotons avec sa prothèse et la secoue pour que le tissu attaché en tombe. La situation est parfaitement invraisemblable, et elle consent à enlever son casque, quelques secondes, le redressant sur le haut de son crâne. « Ça change quoi, pour toi ? » Elle se redresse entièrement, cette fois. Se mesure à la femme face à elle de toute sa hauteur, maxillaires toujours comprimées à l’excès. Il en faudrait si peu, rien qu’une impulsion, pour que sa main s’avance et passe dans les mèches de ses cheveux, descende de sa mâchoire jusqu’à son cou, et s’y enroule sans jamais presser ou resserrer sa prise. Juste ce qu’il faut pour lui signifier qu’elle est à elle, toute entière, et que si elles doivent basculer, ce sera ensemble. « Et qu’est-ce qui te fait dire que tu n’es pas un ‘sans plus’, toi aussi ? »
@Rocío Cortes
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Elle est effarée par le constat que la seule raison valable du retard de leur mariage n’est ni à cause de CERBER, ni à cause de sa famille, ni les délais dans les préparatifs, mais uniquement parce qu’elle sait que certaines relations en transcendent d’autres, et qu’elle ressent une communion et une jalousie plus étroite avec sa belle-sœur qu’avec celui qu’elle est censée épouser. L’impression que son attirance exclut tous les autres, peu importe qu’elle se trouve entre quatre murs ou en plein désert, elle reste toujours enfermée avec elle et son désir. Mais pour l’heure, elle est prête à rester assise pendant que Simon et Charlotte jouent, la jambe qui bondit presque d’impatience. Ce qu’ils disent ne l’intéresse même pas, la réponse de Charlotte encore moins, mais elle est disposée à patienter en attendant d’avoir Sanna toute à elle, tant qu’elle peut écouter le timbre de sa voix, repenser à ses messages et laisser son regard la scruter et admirer à quel point elle est belle quand elle a l’air concentrée, avec son tee-shirt à burgers et ses sandales. Rocío regarde aussi fixement Charlotte, de temps à autres, et elle se demande si la cinquantenaire la considère comme illuminée, folle, ou tout simplement dangereuse, à n’écouter que vaguement les réponses à ses propres questions. Son corps est là mais son esprit loin, si loin dans son imaginaire inaccessible à tout autre qu’elle, où Sanna s’impose. Simon a remarqué qu’elle a l’air fatiguée, que ses mains sont brûlantes, parce que rien ne lui échappe, sinon sa fiancée. Il a le don de la synthèse, pas celui de l’analyse. Elle aurait voulu le redécouvrir comme si elle le regardait pour la première fois. Le désirer avec le même élan qu’elle ne désire sa sœur. Depuis quand n’a-t-elle pas essayé de le conquérir, déjà ? En vérité, elle a perdu jusqu’au souvenir du premier regard. Et vraiment, tu parles de fiançailles, de grand amour ; c’est d’une tristesse. Elle hoche la tête pour donner le change, manière de mimer le fait que oui oui, t'inquiète, on va faire équipe. L’atterrissage brutal la projète dans l’absurde, alors tant qu’à y être elle lance désespérément à Sanna en se levant : “d’ailleurs, j’ai des idées de robes de mariées à te montrer.” Sans plus de considération pour l’autre invitée à qui elle offre un bref sourire étriqué.

Elle traîne les pieds, pas franchement enchantée à l'idée d'aller s'enfermer avec Sanna dans un espace aussi restreint que la salle de bain d’où elle sort à peine. Ses paroles et son attitude, en plus, la piquent au vif avec l’horrible impression qu’elle va lui échapper et qu’elle ne peut rien n’y faire. “Pourquoi tu dis ça ?” La Mexicaine retire immédiatement son casque et la déroute qui se lit sur le visage crispé de Sanna alors qu’elle se bat avec sa prothèse éveille sa fierté tout en suscitant de la peine. Ce que ça change ? Tout. Ça change que, de la salle de bain, elle entend Simon parler pour elle et qu’elle est si désemparée et dépourvue de réponses sur leur avenir ensemble, ou tout court, qu’elle aurait écouté Sanna si elle avait voulu prendre les rênes et lui avait annoncé viens, on part, loin, maintenant, on s’en fout d’eux. Elle prend conscience de leur proximité par son odeur, un parfum violent qu’elle inspire à chaque face-à-face, elle en est étourdie, et il lui faut faire un effort considérable pour se concentrer sur la situation. Elle se tourne pour lui faire face et ne semble pas pouvoir en détacher le regard tant lui saisit l’impression de l’immensité de son désir et, simultanément, celle de son infinie faiblesse. A chacune de ses déglutitions, elle a l’instinct d’humecter ses lèvres comme par appréhension, parce que depuis un an que Sanna a pénétré par effraction dans sa vie, elle ne peut éviter de comparer les deux Hellqvist en toutes choses, à commencer par la plus intime, et elle sait parfaitement où se situe sa préférence. Pourtant, elle pose la main contre l’avant-bras droit de la Suédoise pour la décourager à s’avancer et la défie du regard avec un haussement de sourcil. “Je sais pas, pourquoi on arrête pas alors, si je suis que ça ?” Comme si de son côté, elle n’avait jamais autant ressenti le manque qu’en cet instant précis. Enfin, elle soupire longuement, lève un peu les yeux au ciel et glisse sa paume jusque sa main pour la saisir et les conduire jusqu’au balcon - accessible depuis la chambre adjacente à la salle de bain, son verre éternellement dans son autre poing.

Il fait nuit noire au-dehors, du moins c’est ce qu’il lui semble le temps que ses yeux s’habituent à la pénombre et qu’elle constate que les énormes néons du Nexus dispensent un peu de lumière. Elle marche jusqu’à la rambarde et reste là tandis que les façades flashy et les sirènes commencent à se détacher dans la nuit et ça tombe bien, on ne l’entendra sûrement pas soupirer pour la soixante-dixième fois de la soirée : “je peux pas.” Et avant que Sanna ne puisse lui demander d’élaborer : “je peux pas être avec toi, et je peux pas être sans toi. Alors, je fais quoi ?” On entend clairement le vrombissement des dropship, le son roule d’écho en écho sur des dizaines de kilomètres de route, et pour une fois, ça lui fait du bien. Deux présences coexistent dans la nuit : l’espoir au-dessus de sa tête et l’agonie à ses pieds. Elle les aborde tous deux, puis s’approche de son amante en écartant une chaise. "Tu dis que je t’ai demandé de partir, que t’aurais mieux fait de pas venir, mais t’as trouvé aucune excuse pour ne pas être là. Pourquoi ?" Elle émet un petit rire aigri en vidant le contenu de son verre. "Avec elle en plus. J’ai pas envie qu’elle soit là. Je crois que t’avais raison, je l’aime pas.” Et Simon ? Simon un futur mari habile, un père admirable - sans doute - dévoué, loyal, travailleur, et toutes ces sortes de vertus. Comment se fait-il qu’elle trouve ces vertus si ennuyeuses ? Quelque chose doit forcément clocher dans sa conception de l’être social. Simon qu’elle trouve désespérément ordinaire. Et même si elle y est attachée, si devant les autres elle l’aime, comment prétendre aimer quelqu’un à qui on ment sur l’essentiel ? S’installer dans cette contradiction c’est déjà y répondre. Elle se cramponne à la rambarde en considérant sa propre réponse avec appréhension. “Tu regrettes ? T’as des regrets nous concernant ?” Il y a du bruit dans la salle de bain où elles étaient, et pétrifiée, elle se retourne alors que la lumière ouvre la voie ; apparaît alors la silhouette gesticulante de Simon qui leur annonce qu’il est juste venu se servir de l’eau, qu’il repart, qu’elles peuvent reprendre leur jeu ou leurs ragots. Pauvre diable. Pour toute réponse, elle lui sourit sans effort apparent. Elle attend juste assez longtemps pour le voir se diriger vers le salon, alors que lui aussi travaille à l’aube, qu’il devrait partir vers la chambre où il se jetterait sûrement sur le lit à plat ventre pour ronfler. Bientôt allongés côte à côte dans le lit, chacun dans son monde ; l’intimité ça doit être quelque chose comme ça. Rien ne peut mieux illustrer cette certaine idée du mariage. Et sans doute que les raisons de rester ensemble sont plus nombreuses que les motifs de séparation, mues par la conviction de se croire indispensables l’un à l’autre. Et pour Rocío, cette situation n’est supportable qu’à condition de garder accès à Sanna dans ses rêves ou son imaginaire. Elle a besoin de lourds instants pour retrouver sa maîtrise et se retourner vers elle, et alors qu’un faisceau lumineux illumine tout le revers de son amante, Rocío fait une chose surprenante : elle sourit ; rit, presque, de façon totalement amusée, en caressant la joue de Sanna du bout de ses doigts : “t’as un peu de coton là.” Sans savoir quelle force surhumaine l’empêche de se pencher pour saisir ses lèvres avec les siennes. Sauf que sa main s’attarde sur sa joue, qu’elle se demande comment s’y prendre encore et regrette que les gens, tout au long de sa vie, aient toujours pensé qu’elle avait les épaules assez solides pour tout supporter, parce qu’anticipant sur la réponse de Sanna, elle pose son doigt sur ses lèvres, comme si l’extrême discrétion lui était devenue une seconde nature et, dans un regard plein de supplice, l’attire à elle pour poser sa bouche à l’intersection de ses lèvres et à l’hésitation qu’elle y met, une sensation inédite l’envahit, l’envie de se laisser mener et emmener par elle, et qu’importe si on les découvre. Mais aussitôt qu’elle en a formulé l’idée, Rocío s’écarte. Et soudain la nuit est froide et grise et il en aurait fallu de peu pour que le Nexus en entier lui paraisse sordide. Elle s’appuie le dos à la rambarde, exactement au point où le faisceau de lumière vient mourir, de manière à se ressaisir avec un demi-sourire frêle, sans trop en laisser voir, et à réagir à temps au cas où quelqu’un viendrait. "Tu comptes rester avec elle ?”

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Elle patiente à peine avant de se lancer dans le vif du sujet, dans le fâcheux et le mordant : elle s’en voudrait presque, mais la soirée entière s’est apparentée à une torture bien déguisée, et pourquoi voudrait-elle encaisser sans broncher ? Charlotte et Simon sont loin, maintenant ; l’adage loin des yeux loin du coeur n’a jamais eu autant de sens alors que la transporteuse se sent légitimée à retrouver son lien tabou et tacite avec Rocío : tant que personne ne les voit, elle a tout le terrain pour être elle-même, et elle sait que sa vis-à-vis ne l’arrêtera pas, plus maintenant. L’arrêt exprimé et acté la semaine précédente a marqué un arrêt entier et irrévocable dès lors que Rocío a montré un premier signe de faiblesse. Pourquoi demande-t-elle ça, alors ? Haussement d’épaules : « Tu voulais savoir, non ? » Feindre que la question est innocente, voilà son plus grand atout ; se délester de toute responsabilité pour la remettre sur Rocío : qu’elle sache que si Sanna est venue, c’est uniquement pour elle, que Sanna elle-même n’a aucune carte en mains, et qu’elle se plie à sa volonté, comme toujours. Elle est capable d’endosser le rôle de l’amante éplorée, si Rocío veut bien se rendre à l’évidence qu’elles sont maudites, l’une comme l’autre.

La main qui se pose sur son avant-bras remet clairement la barrière qui s’était brisée quelques secondes plus tôt et cette fois-là, Sanna ne bronche pas. Elle recule même, simplifiant la tâche à sa belle-soeur, élève docile. Elle la cherche, pourtant, la chambre et la provoque : Sanna a terriblement besoin d’être plus qu’une passade, qu’un heureux hasard ou une haïe circonstance. Les mots de Meghan sont encore imprimés dans son esprit, le on mérite mieux, l’une comme l’autre, qui n’a jamais signifié plus qu’un je mérite mieux que toi. C’est ridicule, à quel point elle reproduit des schémas connus pour éviter de se rendre compte qu’elle souffrirait même autrement. Pourquoi elles n’arrêtent pas ? La question lui déclenche un rire nerveux qu’elle ne cherche pas à cacher ; elles n’arrêtent pas parce qu’elles ont essayé une quantité dérisoire de fois et qu’elles n’ont jamais tenu. Elles n’arrêtent pas, parce qu’elles ne sauraient plus comment se passer l’une de l’autre. C’est suffisamment parlant en soi-même pour qu’elle s’abstienne de commenter au-delà du cynisme apparent sur ses traits d'habitude si détendus, toujours positifs.

À son tour, de s'avancer vers la barrière du balcon, et elle s'y suspend à la force de ses bras, ses pieds décollant du sol à la manière d'un gamin qui n'apprécie pas une discussion sérieuse. Rocío n'a pas l'air déterminée à poursuivre le jeu, pas plus que Sanna ne l'est, bien qu'elle reste sur la réserve. « C'est à moi que tu demandes ? » Un rictus pour toute réponse, parce qu'elle non plus, elle ne sait pas. Que sont-elles censées faire ? Trahir Simon, le foutre à genoux devant elles deux et s'enfuir sans lui ? C'est impensable, pour Sanna. Du moins, ça l'a toujours été, jusqu'à ce que ça ne le soit plus, et le changement de perspective l'effraie. Elle retrouve le sol du balcon de ses sandales et se balance vers l'arrière, s'appuyant sur la petite table qui trône derrière elles, farfouillant machinalement dans ses poches à la recherche d'une cigarette qu'elle n'a pas achetée depuis quatre ans au moins. Et elle de renvoyer, avec un rire aigri : « Parce que tu crois que j'ai davantage le choix ? » Rocío lui a demandé de venir, alors elle a rappliqué. C'est pathétique de simplicité. Le silence les enveloppe un court instant, les enfonce un peu plus dans l'obscurité tranchée avec les lumières des bâtiments alentours. Elle se demande pourquoi c'est toujours plus facile de se confier dans le noir. « Je sais. » Elle espérait, surtout, que Rocío ne l'aime pas, qu'elle ne la voie pas et se dise 'c'est parfait, c'est tout à fait le genre de femme qu'il lui faut'. Tant pis si le signal est faible et en tous points opposés à un wake up call : au moins lui donne-t-il à nouveau la garantie qu'elle n'est pas seule là-dedans. Si elle en a rarement douté, l'idée que Rocío décide du jour au lendemain de couper les ponts pour les préserver toutes les deux lui fait toujours aussi peur. Un bon nombre de fois, elle a cru que la plus jeune sortirait cette carte. L'aveu d'impuissance de cette dernière ne devrait pas la réconforter, mais elle sent son cœur s'emballer dans la quiétude de la nuit. Il n'y a qu'elles, et le cœur de Rocío dans sa main, tendue en sa direction. C'est bien plus qu'elles ne méritent. Dans la cuisine, le néon des casques VR clignote et signale deux présences, qui crient à la présence supposée d’un fantôme, et Sanna les observe, dans un silence mâtiné d’une affection mal assumée, mal dégrossie, mal appréhendée. Rien de tout ça n’est juste pour eux.

Un ange passe, mais il n’est pas là pour elles. L’interruption de Simon a au moins pour avantage de rompre la tension qui s’épaississait entre elles, et Sanna a la présence d’esprit de le saluer en agitant son énorme prothèse, ce que son frère lui rend d’un air benêt qui lui rappelle la fois où il lui faisait coucou depuis son vélo et qu’il s’est pété un poignet, quand il avait six ans. Elle a tôt fait de fuir la vision en faisant volte-face, jouant avec le bout de sa prothèse de ses doigts biologiques et laissant son regard divaguer sur l’horizon. Une main se pose sur sa joue, et il lui faut tout son sang-froid pour ne pas y appuyer sa tête, chercher le contact pour ne plus qu’il la quitte ; elle observe Rocío du coin de l’oeil, la laisse virer le coton sans rien dire. Ce n’est que ça, et c’est déjà tout. Un soupir frêle la quitte quand elles s’embrassent, et impossible de dire si c’est la perspective de ne plus jamais sentir la peau contre la sienne qui la quitte, ou l’appréhension nouvelle d’un désastre imminent qui la remplace. Elle ne proteste pas, pourtant, laisse sa main valide crocheter sa taille, délicatement, désireuse d’un peu plus de contact, qu’importe ce que Rocío lui offrira. Les miettes, comme d’habitude. A sa prochaine question, alors, la réponse est si aisée qu’elle sort avant que Rocío ne termine sa phrase, la repoussant à peine, comme elle s'y attendait : « Un énorme, ouais. » Du coin du balcon, on peut apercevoir Simon se prendre une porte de placard dans le front, et frotter la blessure de sa paume. C’est si facile, de revoir le gamin qu’elle aurait protégé avec sa vie. « Un mètre quatre-vingt cinq environ, blond cendré… » poursuit-elle, et Dieu seul saurait d’où lui sort son humour alors que l’envie de chialer la prend aux tripes, mais elle n’en fait rien de plus ; retrouve plutôt son air impassible, sa voix égale, deux coudes sur la rambarde et regard fixé partout, sauf sur l’objet de ses affections. Elle le sait : un seul autre regard, voilà tout ce qu’il faudra pour la damner. Pour de bon, cette fois.


« On verra », réplique-t-elle en prochaine réponse, distante comme elle sait si bien le faire, de moins en moins avec elle pourtant. « T'aimerais ? » L’envie de renvoyer la question est forte : et toi, Roci, qu’est-ce que tu comptes faire, avec lui ? Elle se l’est demandée un nombre incalculable de fois, et elle n’a jamais osé sauter le pas et la poser à haute voix. Trop effrayée de la réponse, imagine-t-elle ; jusque-là, Rocío lui a toujours préféré son frère, et c’était très bien comme ça. C’était l’ordre naturel des choses, le cycle parfait de la vie, tout pour lui qui le méritait et la pénitence pour elle qui s’en voulait trop. Les Hellqvist étaient opposés en tout point, avait-elle longtemps cru, jusqu’à comprendre qu’ils cherchaient leur bonheur au même endroit. Alors, « tu pourrais, tu sais », renvoie-t-elle doucement, parce que ce n’est pas une question, ce n’est qu’un constat. Elle s’aperçoit qu’elle ne veut toujours pas savoir, même un an après. « Être avec moi, ou sans moi. » Elle s’humecte les lèvres comme pour faciliter la conversation, comme si c’était même possible de simplifier un sujet aussi épineux autour duquel elles s’appliquent à danser sans jamais l’approcher. Elle ne la regarde pas, cette fois, quand elle ose enfin. « Qu'est-ce que tu espères de vous deux, Roci ? » Pas de ça, pas d’elles deux, pas d’elle ou de lui ; il n’y avait pas de choix ouvert dans sa réponse, rien qu’un constat bien mesuré et d’autant plus cruel : si c’était lui ou rien, Rocío devait savoir pourquoi elle restait.
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En pénétrant sur le balcon, elle le considère pour la première fois d’un autre œil. Elle caresse le bord de la rambarde pour ne plus que le contact avec le bras de Sanna lui chatouille le bout des doigts. Elle est émue de la retrouver, parce que la distance imposée l’a marquée. De fait, elle en est encore sonnée. Une semaine, ce n’est rien sur l’échelle de toute une vie, mais tous ses élans de résistance à leur relation ont disparu au moment où Sanna est apparue sur le pas de sa porte. “À qui d'autre ? C’est pas à Simon que je pourrais demander.” Elle marmonne en haussant les épaules pour se redonner un coup de brosse et trouver tous les prétexte pour rejeter sur elle la responsabilité de leur situation : son arrivée, sa nonchalance, non sourire, même. Elle veut réussir à être à la hauteur de ce qu’on attend d’elle, mais rien ne lui paraît difficile comme l’idée d’avoir à faire comme si elles n’étaient rien l’une pour l’autre. La seule perspective en a un aspect révoltant. Puis elle voit son échange complice avec son frère, et Simon se prendre une porte de placard. Elle lui envie sa légèreté, se pince les lèvres avec juste assez de tendresse, obstruée par la passion avec laquelle Sanna - à jamais inestimable - l’absorbe tandis que lui, cherche à composer avec son embarras. Par instant, il semble à Rocío qu’il pourrait survivre à tout ça, si elles le décidaient. Un peu plus loin, Charlotte, qu’elle évite de jauger au moment où elle avoue : "Non." ; une prouesse difficile à tenir. Plus Simon et Charlotte vont s’ancrer dans le réel, plus elle se réfugierait dans le rêve. La réciprocité de tout ça est dans la chaleur de la main de Sanna, qui lui agrippe la taille, qui l’empêche de penser, mais aussi dans son regard qui la fuit quelques secondes plus tard. “Comment ?” Questionne-t-elle en s’accoudant près d’elle contre la rambarde, regard droit devant, mais le petit doigt tendu jusqu’à sa main valide comme signe d’abandon. “Je sais pas, tu peux pas me demander ça. Je doutais de rien avant toi.” Désormais, elle doute de tout. Même du doute. “T’aurais envie d’être avec moi ?” Peut-être qu’en misant sur une réponse négative, elle y verrait l’occasion rêvée pour la rayer définitivement de sa vie. Ne pouvant retenir la pointe d’appréhension qui la tient par la gorge, elle reprend alors possession de sa main avant de lui face et de poser une paume dans le bas de son dos, autant pour l’inviter à se confier qu’à se rapprocher.

Mais rien ne la glace plus que la perspective d’être vues ensemble. Non qu’elle n’ait pas assez d’imagination pour échafauder un scénario cohérent. Mais quelle que soit sa pertinence, leurs rencontres hors d’un cadre familial ou amical pourrait instiller le soupçon de part et d’autre. Le poison du doute rongerait leurs couples. Dans le meilleur des cas, ça passerait une fois, pas deux. Il ne faut pas gâcher cette carte. Pour futile qu’elle puisse paraître, une telle préoccupation n’en est pas moins vitale à ses yeux. Elle a suscité de nouveaux réflexes, appelés à devenir naturels par la force des choses. Ainsi, outre un regard circulaire, elle a l’habitude de passer en revue, avec une discrétion éprouvée, les têtes, juste pour voir si elles se trouvent en terrain de connaissances. Malgré elle, Rocío Cortes est devenue l’héroïne d’une intrigue qui la dépasse complètement : celle de s’aimer quand on est en couple, mais pas ensemble. Et elle ne peut plus reculer. Pas plus qu’elle ne peut retenir ses doigts qui s’entortillent désormais dans la boucle du pantalon de Sanna et l’inviter à se reculer avec elle. “Tombe pas. Viens.” Elle l’attire avec elle dans l’obscurité, là où les néons du Nexus sont proscrits ; l’atmosphère chaude et étouffante, confidentielle comme elles. Elle s’appuyer contre le bord du bar extérieur - privilège de la vie au Nexus et tout ce que ça assure comme confort - pour inviter la Suédoise à s’approcher d’elle d’un seul regard, la tête en biais, comme si elle voulait se fondre dans le recoin le plus éloigné du balcon à force de s’y coller. “Si on s’était rencontrées avant j’aurais été dingue de toi.” Elle secoue la tête, rit bêtement, sans l'expliquer : erratum. Le timing n’a rien à voir avec ses sentiments. Ils sont bel et bien là, quelles que soient les dispositions et conditions externes. Étant dans l’obscurité, excentrées sur le balcon, elle a l’illusion que personne ne les reconnaîtrait. Ses lèvres sont tellement invitantes qu’elle s’en lamente presque à les regarder. Et en cet instant précis, Rocío n’est pas inquiète. Le premier sentiment de panique a disparu. Elle est aux aguets, mais pas autant qu’en début de soirée, et peut-être que c’est sa présence qui la désinhibe, ou l’alcool qui a raison d’elle, mais elle le décide sur le coup : elle la veut près d’elle, et quoi qu’il arrive, elle ferait face, elle ne fuirait pas. “Écoute, on peut attendre après le mariage pour prendre une décision. Si c’est ce que tu veux. Mais...” Elle en fait d’autant moins état que la date du mariage lui semble arbitraire, et Rocío n’a nulle envie de s’expliquer, donc de se justifier, un sourire faible à peine réprimé : “...tu me manques. J’ai cru que t’allais me sauter dessus dans la salle de bain.” Et je crois que j’aurais aimé que tu le fasses. Elle porte de nouveau un pouce à ses lèvres et caresse consciencieusement. Ses mains sont moites et son coeur bat si rapidement sous ses côtes, dans sa main, qu'elle est certaine que Sanna peut l'entendre ou le sente contre ses lèvres et qu’il pourrait à tout moment tout lui dévoiler.

Et son cœur est au fond de sa gorge lorsqu'elle l'attire encore plus vers elle, basculant le poids de son corps de sorte à ce qu'elle soit soudée contre elle. Plaquées l'une contre l'autre, à tel point qu'il serait impossible de les dissocier de loin à vue d'oeil. Elle traîne sa jambe et la replie contre elle - sans doute espère-t-elle encore gagner quelques millimètres - et, en appui sur son autre jambe, un bras se referme autour de sa taille tandis que l'autre saisit son visage à pleine main. Ce vers quoi tend tout entier le corps de Rocío, c'est le contact. Il lui semble qu'elle soit condamnée à désirer se rapprocher encore et encore, indéfiniment tant qu’elle ne l’aura pas entièrement : soulever le tissu de son tee-shirt, réclamer la peau de son ventre, du bas de son dos. Elle sent sa cage thoracique se soulever rapidement, son coeur battre, la respiration s’accélérer, tandis qu'elle est traversée de sensations aussi désirables que déroutantes, et une chose est sûre : elle est en train de se perdre et de se distordre en elle. Leurs bouches se joignent selon un rituel tacitement établi depuis qu’elles se retrouvent dans la clandestinité. Et leur baiser est si bouleversant pour Rocío qu’il peut à lui seul - de l’effleurement à la morsure - dresser le tableau de tout ce qui peut advenir de poétique et de prosaïque entre elles deux. Toute sa frustration aussi, s’inscrit dans cette étreinte : l’empreinte de celles qu’elle lui a refusées les dernières fois. Et enfin, quand leurs lèvres se déprennent, elles ne sont plus qu’un seul et même souffle. Mais pour l’heure, pas question d’aller plus loin, ça aurait été inutilement dangereux. Elle hésite un instant à reprendre la parole parce que tout s’est tu autour d’elles, le Nexus semble s’être métamorphosé en désert. Sa traversée lui paraîtrait une épreuve sans nécessité car il n’y a rien au bout. “Pardon. On peut pas faire ça alors qu’ils sont dans la pièce d'à côté.” Pas suffisamment honteuse pour qu’elle n’ajoute pas avec le premier sourire entendu de la soirée, retrouvant un semblant d’humour : “pas seulement parce que c’est mal, mais parce qu’ils risquent de t’entendre.” Il faudra que d'une seconde à l'autre Sanna se décolle. On verrait à travers elles à n’en pas douter. Trop près l’une de l’autre pour qu’elles soient autre chose que des amantes. Trop près du mur aussi. Une certaine naïveté réunit les illégitimes. Leur instinct les porte naturellement au culte des zones d’ombre, même si, en y réfléchissant, installées en plein milieu de la salle de bain, sous la lumière, elles s’y seraient fondues plus sûrement qu’en s’incrustant dans le mur, un réflexe de résistant de la première heure qui les désigne mieux que nul autre. L’intensité et la fixité de son regard, aussi, doit la trahir autant que ses longs silences. “Alors, c’était sympa ?”

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Il est trop tard pour réaliser qu’elle est tout, sauf à sa place : Sanna contemple sa propre vie avec une vacuité dans l’âme qui lui ferait presque peur, le chantier qui accompagne ses propres émotions est encore plus vide de sens quand elle prend le temps de l’examiner à la loupe et elle se demande où elle a bien pu louper le coche, pour faire de son quotidien une monstruosité de complexité après avoir quitté une situation où rien n’allait plus. Force est de constater qu’elle s’est surpassée dans les Jeux Olympiques de la stupidité, parce que s’enticher de sa belle-soeur après avoir quitté une amie d’enfance qui ne l’aimait plus relève de l’inconscience parfaite, sinon du masochisme le plus total. L’idée que Rocío ne doutait de rien avant elle, avant qu’elle s’immisce dans leurs vies pour y amener son propre mayhem interne, est moins vexante que fondamentalement attendue et prévisible. Bien sûr, que Sanna retourne tout là où elle passe. Elle n’a même pas la force d’en vouloir à Rocío. Ou alors, juste ce qu’il faut pour hausser les épaules là où elle aurait répondu un oui retentissant à tout autre moment. Bien sûr, qu’elle aurait envie d’être avec elle. Ca n’avait jamais été une question sur laquelle elle avait dû plancher. Rocío les rapproche, à nouveau, et toute forme de blessure qu’elle a pu créer la seconde d’avant est apaisée par son contact. Elle se laisse tout aussi docilement guider, pas plus surprise mais toujours un peu déçue de sa propre inclinaison à suivre sa belle-sœur sans poser de questions. Sa main valide retrouve sa taille comme s’il s’agissait de sa place naturelle et l’attire vers elle, là où c’est le plus confortable et le plus connu. Elle aimerait se connaître auprès de Rocío comme ça plus souvent : naturelle, toute son attention dirigée sur elle plutôt que sur les bruits distants qui pourraient les confondre.

« On s’est déjà rencontrées avant, pourtant », objecte-t-elle, sans pour autant refuser le compliment, coeur contracté face à son sourire. Elle s’inquiète à peine qu’on les surprenne, là, adossées à la porte du balcon, enlacées, les regards qui tombent trop aisément sur les lèvres. Il n’y aurait aucune excuse à donner, tant il y a de l’habitude dans les phalanges qui dessinent des cercles dans son dos, de l’affection non voilée dans les regards qu’elles échangent. Il suffirait qu’on entre un peu brusquement pour qu’elles soient confondues sans avoir le temps de se séparer. Pour autant, ni l’une ni l’autre ne bouge, ou n’amorce même un retrait. « Ce que je veux ? » C’est presque assez pour qu’elle s’en détache. Sanna prend conscience, dans leur étreinte terrible de réconfort, qu’elle ne sera jamais réellement une option, pour Rocío. Que c’est la liaison ou rien. La perspective du mariage est si ancrée qu’elle n’y renoncera pas, comprend-elle presque immédiatement en sous-pesant mentalement ses mots ; ce n’est pas Simon ou elle. C’est Simon ou rien. C’est aussi douloureux à réaliser la énième fois que ça l’était la première ; c’est plus facile à avaler sans lui retourner colère ou tristesse, pourtant, et le masque de Sanna l’idiote se confond avec perfection à son visage naturel. En tous points, on la croirait indifférente. « Je t’ai manquée ? Moi qui étais si prête à repartir et disparaître dans la nature sans demander mon reste. » A son tour de sourire, comme si l’idée qu’elles se séparent était, en rétrospective, parfaitement risible. Et peut-être que ça l’aurait été, si ça n’avait pas fendu son coeur à ce point. « Mais j’attendrai pas jusqu’à après votre mariage. » Le ton s’est radouci en même temps que le sourire est retombé. « Je peux pas lui faire ça. » Et ce serait si simple, pourtant, parce qu’elle le fait déjà. Ca fait plus d’un an qu’elle trahit son frère, trop souvent pour que la culpabilité ne l’envahisse quand elle se trouve avec Rocío. C’est beau, comme elle y croit.

Elle n'y pense pas davantage pour le moment, parce que la jambe de Rocío crochette l'arrière de ses cuisses et elle est infoutue de formuler une pensée cohérente alors que leurs corps se retrouvent et se souviennent de comment s'appréhender, après ce qui semble être une éternité. Sanna s'astreint à garder le contrôle, à mesurer jusqu'à l'intensité de sa respiration. La dernière chose qu'elle veut, c'est que Rocío prenne conscience de combien elle lui a manqué – et qu'importe si elle le sait déjà. La peau de la jeune femme est curieusement fraîche contre la sienne, adoucie par l'air extérieur alors qu'elle sent le pouls brûlant contre le poignet qu'elle saisit délicatement. C'est tout aussi difficile, de rester mesurée, quand une main attrape sa nuque et l'autre sa taille, cherchant à trouver un chemin sous le t-shirt Best burgers in town ; toute l'épiderme frémit contre la pulpe des doigts de Rocío, et comment lui cacher quoi que ce soit, quand elle est si facile à déchiffrer ? Son souffle tremblant est étouffé contre les lèvres qui viennent s'y poser, et elle admirera toujours la brune pour cette retenue qu'elle n'aura jamais. C'est doux comme ça l'est rarement entre elles ; pas par manque d'envie, mais parce que chacune est consciente que c'est ce même type de gestes qui complique tout. Rocío n'a pas l'air d'en être gênée ce soir, pourtant. C'est Sanna qui autorise ses dents à effleurer sa lèvre inférieure, pourtant, et c'est encore une fois plus tendre qu'agressif, comme si elle cherchait les réactions de la manière la plus douce qui fût. L'étreinte, aussi brève qu'elle soit, la brûle si délicieusement qu'elle en gémit presque à la perte de contact. Ses émotions sont un puzzle complexe – le genre sur lequel un gamin aurait tapé avec un marteau – mais c'est un sourire, qui lui vient, quand elles se détachent.

Sanna ne répond pas à l'excuse, laisse plutôt son visage l'incliner pour frôler son nez avec le sien en une caresse affectueuse qui s'interrompt sous un outrage faussé – « De m'entendre moi ? » Sa prothèse a ça de bien qu'elle supporte tout son poids contre le mur sans que son bras naturel n'en sente l'effort – elle la maintient en appui tandis qu’elle laisse son autre main tirer sur les bretelles de sa robe pour les abaisser, rien qu'un peu, juste le temps de déposer ses lèvres au plus près de la clavicule qu'elle mordille du bout des dents. Sa conscience du danger ne la refroidit pas pour autant : la bretelle est prestement remontée et la pulpe de ses doigts reste contre sa clavicule dans une caresse aérienne, presque religieuse dans son attention. « Quelqu'un a besoin d'être rassurée ? » s'enquiert-elle, moins moqueuse qu'elle n'aurait voulu l'être. Elle n'arrive pas à considérer la jalousie de Rocío à l'égard de Charlotte comme quelque chose de risible – peut-être parce qu'elle est bien trop familière avec la sensation. « Ça n'a rien à voir. Tu le sais. » Elle n'a pas besoin d'expliciter dans quel sens – Rocío le saura sans avoir à la rendre plus vulnérable qu'elle ne l'est déjà. Et Sanna se sent particulièrement vulnérable, le souffle heurté et le regard triste. « Faut qu'on y retourne, je pense. Ils vont se demander pourquoi on a fait un aussi mauvais score. » Tout dans son langage corporel indique au contraire qu'elle s'en fout. Mais Simon est trop habitué à la compétitivité crasse de sa sœur pour ne pas poser de questions, et Sanna a conscience que se pointer dans le salon le souffle heurté et le t-shirt en vrac. sera de très mauvais genre. Elle l'embrasse quand même, brièvement. « Je reste pas cette nuit, par contre. Charlotte doit rentrer, et j'ai pas envie d'entendre Simon ronfler à travers la cloison. » Surtout, l'idée d'eux deux dans le même lit lui empoisonne l'esprit et elle sait que demain, elle sera infoutue d'en gérer les retombées.
@Rocío Cortes
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